Histoires de la Colline Miteïnaïa. «Telle est la race des ceux qui Le cherchent» (2)

Madame Rojniova

Le texte ci-dessous est la suite de la traduction en plusieurs parties de l’original russe de Madame Olga Rojniova, dans la série de ses «Histoires de la Colline Miteïnaïa», intitulé Сей род ищущих Господа… Или дороги, которые мы выбираем (Telle est la race de ceux qui Le cherchent… Ou les chemins que nous choisissons). L’auteur, Olga Rojniova, a précisé qu’il s’agissait d’un long texte consacré à son «premier guide spirituel». Celui-ci est le Père Savva Roudakov, confesseur et père spirituel, aujourd’hui encore, du Désert de la Très Sainte Mère de Dieu de Kazan-Saint Tryphon, dans le Dictrict de Perm. L’original a été publié le 20 avril 2012 sur le site Pravoslavie.ru et repris le 03 mars 2020 sur le site du monastère précité. Le texte est construit sur deux niveaux de présent, celui dans lequel le Père Savva se trouve au moment où il se plonge dans ses souvenirs, et celui de chacun des souvenirs. Ces deux niveaux s’entremêlent et parfois s’unissent; ils sont distingués, dans la mesure où c’était possible, dans la traduction ci-dessous le texte en gris s’applique au temps passé de l’époque des souvenirs, le texte en noir, au temps présent du Père Savva embarqué sur le ferry qui traverse la Tchoussova et qui fait défiler ses souvenir.

Père Savva (Roudakov)

Ainsi, Serioja comprenait qu’être dans l’Église n’était pas en soi une garantie d’y rencontrer la justice. Quelques hypodiacres se réjouirent avec malice ; ils étaient parvenus là non par leur foi, mais par l’influence de leurs pères archiprêtres. Ils étaient rongés d’envie : comment celui-là était-il donc devenu hypodiacre sans avoir un père influent auprès de l’Archevêque?! Ils l’avaient même dénigré auprès de Vladika. Mais celui-ci était un homme doté d’un grande expérience spirituelle, d’intuition et il connaissait les gens ; il n’écoutait pas les envieux.
Serioja compris alors que l’appartenance à l’Église n’était pas une garantie de justice. Bien que les gens consciencieux, justes et honnêtes soient tout de même plus nombreux parmi les croyants que parmi les athées. Peut-être parce que les consciencieux finissent forcément, tôt ou tard, par se tourner vers Dieu?
Vladika, ayant sévèrement puni, observa comment se comportait le puni… Et il ne vit chez celui-ci aucun découragement, plutôt un état très bienfaisant: comme quand on sue dans le bania; il fait chaud, presque insupportable, mais c’est comme si tout devenait de plus en plus léger, comme si la saleté était expulsée, et on devient de plus en plus léger…
Deux mois passèrent. Vladika célébrait, Serioja se tenait dans le chœur, au milieu des babouchkas et soudain une des portes latérales de l’autel s’ouvrit et un des malicieux hypodiacres lui dit grossièrement :
– Viens donc! L’Archevêque t’appelle!
Instantanément, une pensée surgit :qu’ai-je donc encore fait? Il entra dans l’autel, fit une triple métanie devant la Sainte Table, avança vers Vladika, assis sur le trône, et s’agenouilla devant lui. Vladika posa sa grande main tiède sur sa tête. Et dans son âme, il sentit une telle tendresse qu’il aurait voulu pleurer, n’accordant aucune attention à ceux qui se trouvaient autour dans l’autel. Et les larmes coulèrent, tant était puissante la grâce pastorale de Vladika.
De nombreuses années plus tard, un nouveau paroissien se présenta chez l’Higoumène Savva. Toute sa vie, il avait été un communiste athée, mais dans sa vieillesse, il s’était tourné vers Dieu et amena à l’église tout ce qui s’était accumulé en lui au cours de ces nombreuses années. Ce néophyte en piété se risqua, après l’office, à venir parler avec Batiouchka des défauts dans l’Église. Sur le fait que tout aurait dû être réorganisé, sur les mauvais évêques… et le Père Savva ne put s’empêcher de répondre : «Mais que savez-vous donc des évêques? Que savez-vous de leur grâce apostolique?». Le paroissien s’étonna : «Mais vous êtes un simple prêtre! Pour ainsi dire, un pion du travail! Et ainsi vous auriez de bonnes relations avec ces dirigeants-carriéristes-haut-placés?!». Et le Père Savva répliqua avec retenue : «Le Seigneur nous a laissé de nombreux commandements : proclamer l’Évangile, visiter les malades et les prisonniers, aider les orphelins et les veuves… et, excusez-moi, mais je n’ai pas le souvenir d’un commandement consistant à médire des dirigeants»… Et le zélateur déçu s’éloigna de Batiouchka, indigné… Alors, Vladika dit : «Donnez-lui un sticharion!». On s’agita dans l’autel et on amena le plus beau sticharion. Les Portes Royales s’ouvrirent et l’Archevêque sortit avec ses concélébrants. L’hypodiacre pardonné, revêtu du plus beau sticharion sortir avec le trikèrion, se tenant comme de coutume à droite de Vladika. Les paroissiens étaient tous bouche bée. Un murmure joyeux circula dans l’église : «Vladika a pardonné à notre Serioja!». Et ensuite, il fut ordonné diacre. Le fondé de pouvoir refusa d’octroyer l’enregistrement. Le Père adressa une lettre de réclamation aux autorité. Le fondé de pouvoir exigeait que «le jeune homme retournât dans le milieu laïc». L’Archevêque Athanase le mit devant le fait accompli : le 18 février, jour de sa propre fête onomastique, il invita le fondé de pouvoir, lui attribua une place au premier rang, et devant ses yeux, il ordonna son fils spirituel au rang de diacre. Il ne restait au fondé de pouvoir qu’à faire preuve d’humilité et ravaler ses prétentions… Quelques mois plus tard, après la Trinité, le jour de la fête de l’Esprit Saint, le diacre Serguei fut ordonné prêtre et une semaine plus tard, il était envoyé ici, sur la Colline Miteïnaïa, sur la rive de la rude Tchoussova, dans l’Oural. Quand il eut reçu son passeport, il rassembla ses maigres affaires. Le poids de sa valise provenait en réalité des livres qu’il emportait. Il n’avait pas d’argent pour se faire coudre un rason ; dans la cathédrale, il en avait trouvé un tout vieux, mangé des mites, trop grand pour lui. Et il s’embarqua pour un voyage de deux heures dans un omnibus électrique brinquebalant. Et ensuite, il fallait encore marcher de nombreux kilomètres… Et il marcha sur ce chemin, comme aujourd’hui, seulement, c’était en juin, le soleil était chaud, l’air brûlant, et le chemin, tellement sec et poussiéreux! Il avançait vers l’inconnu, et il n’y avait personne pour accueillir le jeune prêtre.

Le Starets Nicolas (Ragozine)

Jadis, du vivant de l’Archiprêtre Nicolas (Ragozine), ce starets célèbre en toute la Russie, l’église de Tous les Saints, perchée sur la colline, était le havre d’une paroisse nombreuse et chaleureuse. Mais le Père Nicolas vint à mourir. Les nouveaux prêtres ne tenaient pas le coup dans ce trou perdu, et il n’y avait plus personne pour célébrer dans cette église. La paroisse s’était petit à petit écroulée. Et à peine ordonné, Batiouchka cheminait, tout vibrant, sur cette route… Si ce jeunet avait su quelles tentations l’attendaient, quelles épreuves, quelles afflictions, quelles douleurs, serait-il sorti hardiment du dernier wagon de l’omnibus et aurait-il parcouru joyeusement ce chemin poussiéreux vers l’avenir? Mais ce jour-là, le pasteur allait le cœur chantant vers sa première paroisse, ses premiers paroissiens. Et le feu de la foi brûlait clairement sans faiblir, et rien d’impur ne pouvait toucher son âme. Est-il possible de garder en soi ce feu de la foi, la soif du service à Dieu et aux prochain, tout au long des années? Étaient-ils maintenant préservés dans son âme? L’âme ne s’est-elle pas desséchée, ne s’est-elle pas consumée au long du chemin? Le Père Savva réfléchissait. Vladika Athanase l’avait bénit pour être ordonné prêtre célibataire, et ensuite, tonsuré moine. Il lui avait dit : «Réfléchis, fils… Tu es si jeune… Te rends-tu compte qu’aujourd’hui, jeune homme de vingt ans, tu prends une décision pour l’homme de trente ans, pour l’homme de quarante ans, pour l’homme âgé? Cet homme mûr sera-t-il d’accord avec le jeune Serioja? Ne le condamnera-t-il pas pour avoir choisi un chemin si raide? Dépourvu des douces joies de la famille, des enfants, des petits-enfants, de l’amour de l’épouse? Parviendra-t-il à se donner tout entier au service de Dieu et de ses ouailles? Ne fera-t-il pas demi-tour? N’abandonnera-t-il pas sa croix à mi-chemin?» Il ne sut que répondre. Comment répondre pour quelqu’un qu’il n’était pas, qu’il ne connaissait pas? Il ne connaissait que lui-même comme il était, tout brûlant, aspirant au podvig, fondant sous la grâce de Dieu.
Après, c’est vrai, la grâce se retira. Par la volonté de la Divine Providence, elle se retira. Elle se retira. Pour qu’il sache: «sans Moi, tu ne peux rien faire». Des tentations sévères et la terrible lutte charnelle. Ah, quelle brutalité elle revêtait parfois! Et chaque fois qu’il priait pour ses ouailles, il savait que la force du mal détestait cette prière. Et plus il priait, plus les attaques étaient fortes! Le Seigneur protégeait, ne permettant pas à l’ennemi de frapper de pleine force, Il le protégeait de Sa grâce. Mais il dut tellement encaisser de coups, tellement! Beaucoup et douloureux, parfois très douloureux … l’ennemi attaquait à travers les gens, à travers les tentations, causant des maladies, infligeant des blessures corps et à l’âme.

L’église sur la colline

Oui… et puis il avait marché si longtemps et il était si fatigué de cheminer sur cette route poussiéreuse, et il ne pouvait s’arrêter. Son chemin fut rempli de symboles, tel un prototype du futur. Mais il ne l’a compris que beaucoup plus tard. L’église sur la colline, on aurait dit le paradis auquel vous aspirez toute votre vie. Et il marchait, et la sueur roulait sur son visage et le long de son dos, et il doutait déjà de pouvoir aller jusqu’au bout. Et puis la poignée de la valise s’est détachée. Il a essayé de la porter dans ses bras, mais comme ça, elle était devenue beaucoup plus lourde. Il fit une pause et comprit alors qu’il avait oublié l’essentiel. Il se mit à prier. Avec ardeur. Et il reçut une réponse à sa prière. Le Seigneur consolait sa jeune âme, et l’aide arriva sur le champ. Pendant des heures, il avait fait chemin sur une voie déserte, et maintenant, soudain, un side-car arrivait, ralentissait avant même qu’il eût le temps de lever un bras épuisé. Le motocycliste l’emmena jusqu’au bateau-vapeur.La traversée de la rivière fut également un symbole : il n’était plus possible de faire demi-tour. Et alors qu’il montait la colline escarpée vers la vieille église délaissée, il rencontra, comme deux anges, ses premières paroissiennes, deux babouchkas. Leur joie était si sincère ; de nouveau on allait célébrer les offices dans l’église, les gens allaient revenir, et la Colline Miteïnaïa de jadis allait revivre... (A suivre)
Traduit du russe
Source

Histoires de la Colline Miteïnaïa. «Telle est la race des ceux qui Le cherchent» (1)

Madame Rojniova

Le texte ci-dessous est le début de la traduction en plusieurs parties de l’original russe de Madame Olga Rojniova, dans la série de ses «Histoires de la Colline Miteïnaïa», intitulé Сей род ищущих Господа… Или дороги, которые мы выбираем (Telle est la race de ceux qui Le cherchent… Ou les chemins que nous choisissons). L’auteur, Olga Rojniova, a précisé qu’il s’agissait d’un long texte consacré à son «premier guide spirituel». Il s’agit du Père Savva Roudakov, le confesseur et père spirituel, aujourd’hui encore, du Désert de la Très Sainte Mère de Dieu de Kazan-Saint Tryphon, dans le District de Perm. L’original a été publié le 20 avril 2012 sur le site Pravoslavie.ru et repris le 03 mars 2020 sur le site du monastère précité. Le texte est construit sur deux niveaux de présent, celui dans lequel le Père Savva se trouve au moment où il se plonge dans ses souvenirs, et celui de chacun des souvenirs. Ces deux niveaux s’entremêlent et parfois s’unissent; ils sont distingués, dans la mesure où c’était possible, dans la traduction ci-dessous le texte en gris s’applique au temps passé de l’époque des souvenirs, le texte en noir, au temps présent du Père Savva embarqué sur le ferry qui traverse la Tchoussova et qui fait défiler ses souvenir.

Le Père Savva

Des cris et des bruits de bagarre résonnaient dans la cabine du capitaine et roulaient à la surface de la Tchoussova. La porte fragile, heurtée par les protagonistes cognait et tremblait sans cesse et on ne savait trop comment allait se terminer l’accostage sur l’autre rive. Le Père Savva soupira lourdement.
Mais la journée avait pourtant bien commencé. Dans la matinée, il avait rapidement traversé Tchoussova sur le même ferry et rendu visite à une paroissienne malade: il lui a fait l’onction des malades, l’a confessée, et lui a donné les Saints-Dons. Et maintenant, le Père était sur le chemin du retour. Il marchait sur le chemin qui mène au ferry et le doux soleil réchauffait agréablement son dos, mais le vent était encore froid, plein de fraîcheur printanière. Ce vent impétueux soulevait des ondulations de vagues grises sur la Tchoussova qui venait d’être libérée des glaces, et la rivière pouvait enfin respirer à pleins poumons, et elle enflait, débordait même en sa crue printanière. Mais ses eaux demeuraient encore inhospitalières; les rives exhalaient une humidité froide. Mais l’alouette lançait déjà remplie son grand trille par dessus les étendues printanières, et les bourgeons gonflaient. Le printemps, soif de vie, un ciel bleu très haut, le murmure des ruisseaux, et le parfum des merises!
Le Père Savva marchait sans se hâter. Il restait une heure et demie avant que n’appareille le ferry, et puis celui-ci lutterait pas moins de quarante minutes contre les vagues pour se tirer jusqu’à l’autre rive de la Tchoussova, là où sur la Colline Miteïnaïa étincelaient l’or des coupoles de l’église blanche du monastère. L’Higoumène Savva était le père spirituel et le constructeur de ce monastère, et la Colline Miteïnaïa, la Sainte Colline et devenue sa maison, depuis vingt cinq ans. Sans trop savoir pourquoi, il se souvint des jours d’antan. Il marchait le long de la route, chaque buisson en bordure de celle-ci lui était familier, il respirait l’air printanier enivrant à pleine poitrine, et dans sa tête se pressaient les souvenirs, ils flottaient par vagues semblables aux vagues rapides de Tchoussova qui glissaient le long de la route.
Parfois, cela arrive: pendant longtemps, vous ne vous souvenez pas du passé puis, chemin faisant, ou avant d’aller au lit, soudain, les souvenirs débordent et remplissent le cœur par leur netteté et leur fraîcheur, comme s’ils dataient d’hier… Ils surgissent des profondeurs de l’âme, refusent de céder, et vous revivez douleur et joie des jours passés.
Comment lui, un citadin, s’était-il retrouvé dans ce trou perdu? Quand avait-il fait le premier pas sur le chemin qui le conduisit à cette colline soufflée par tous les vents? Il était allé à l’église depuis sa plus tendre enfance, avec sa babouchka bien-aimée … Il alla ensuite à l’école. Les enseignants athées remontèrent la classe contre le gamin croyant. Mais il ne prêtait pas attention aux moqueries et aux outrages, même aux coups… Puis il y eut l’institut des techniques de construction, où il ne cachait pas non plus sa foi. Son père, qui travaillait dans une usine militaire, se jetait sur lui à coups de poings, blasphémait, se plaignit aux autorités, les appelant à l’aider à «sauver son fils perdu dans les réseaux de l’opium religieux». Dans la pratique, après les cours, il se hâtait vers la ville voisine et son église, où le prêtre, voyant parmi la foule des babouchkas un garçon de quinze ans, l’invita, par l’intermédiaire du diacre, à l’autel et lui proposa de devenir serviteur d’autel. C’est ainsi qu’il trouva son premier père spirituel. Son écolage était terminé depuis longtemps. Il vivait avec la famille de ce prêtre, le Père Victor, et aidait à l’église, comme sacristain. Et il était prêt à ne pas quitter l’église; il avait si clairement entendu la Voix de Dieu qui l’appelait. L’Archiprêtre Victor avait deux enfants et il devait dormir dans la chambre des enfants, sur le sol, à côté des berceaux. Pendant deux ans.
Et puis lui et le Père Victor concélébrèrent avec l’Archevêque Athanase qui était venu dans leur ville, et à la fin de l’office, quand tout le monde s’approcha de Vladika pour recevoir sa bénédiction archiépiscopale, le hiérarque bénit le jeune sacristain pour qu’il aille dans la ville principale de l’oblast, à la cathédrale, pour aider en qualité d’hypodiacre.
Voilà donc que le chemin de sa vie prenait un virage serré, inattendu, mais, finalement, normal. Il avait le sentiment que le Seigneur, comme un père aimant, le guidait Lui-même…
Le père Savva sourit, se souvenant de lui comme hypodiacre, à dix-huit ans. Il fit tellement d’efforts! Vladika le traitait comme un fils, mais il arrivait qu’il l’humilie, lui enseigne la patience, la douceur. Un jour, il accompagnait l’Archevêque lors d’un voyage de travail. La chaleur était estivale, et quand le train s’arrêta, Vladika demanda à son hypodiacre:
Serioja, donne-moi un peu d’eau.
Serguei n’avait pas pensé à emporter de l’eau, et dans le wagon, il y avait seulement de l’eau bouillante pour le thé. Vladika s’assombrit et le réprimanda:
C’est comme ça que tu prends soin de ton évêque?! Pas même une bouteille d’eau?!
Mais Serioja ne se senti pas offensé. Il était très contrarié, et pendant tout le trajet jusqu’à Kirov, l’arrêt le plus proche, il fut affligé de ce que son vieux Vladika souffrît de la soif parce qu’il n’avait pas prit soin d’emporter de l’eau. À ce moment-là, il ne sentit pas que lui-même souffrait de la soif, il était prêt à tout supporter autant que nécessaire… À l’arrêt, il sauta du marchepied, se précipita à travers le quai et acheta plusieurs bouteilles d’eau, et de la crème glacée. Ensuite, il revint précipitamment auprès de son protecteur. Et celui-ci eut un sourire affectueux:
Fiston, bois toi-même l’eau! Et moi, je boirai après … et mange la crème glacée!
Serioja se calma, et alors seulement il sentit une soif intense. Et il but l’eau fraîche à grandes gorgées. Et puis, heureux que Vladika lui avait pardonné et ne se fâchait plus, il mangea la crème glacée. Il avait l’impression que ce n’était pas lui qui venait d’acheter cette crème glacée, mais qu’il avait reçu un cadeau de son père spirituel… comme elle était délicieuse, cette crème glacée! Comme il se sentait heureux! Plus tard, il y eut beaucoup de joies et d’afflictions, mais voilà, cette joie précise, il s’en souvint clairement, comme si elle venait de se produire hier! Et il y eut d’autres leçons, comme s’il suivait un écolage spirituel avant de servir dans le sacerdoce. Certaines parmi ces leçons furent très douloureuses, mais toujours il sentit que ce n’était pas le Père Athanase qui le réprimandait ou le bénissait, mais bien le pouvoir apostolique s’exprimant à travers le hiérarque.

Vladika Athanase

D’autres hypodiacres, diacres et prêtres célébraient aussi à la cathédrale. Tous savaient combien Vladika était sévère vis-à-vis de ses concélébrants, comme il aimait que la Liturgie se déroule selon les règles et de façon solennelle. Mais malgré cela, les jeunes ne pouvaient s’empêcher de lâcher l’une ou l’autre phrase, une plaisanterie. Toutefois Serioja lui-même ne parlait jamais ; il se sentait comme aux cieux, et il n’y avait pas de place pour les conversations. Au début des années quatre-vint, les paroissiens de la cathédrale, c’étaient essentiellement les babouchkas, les «foulards blancs». Et toutes, on ne sait trop pourquoi, avaient un faible pour Serioja. Que voyaient-elles alors en lui? Peut-être sentaient-elles comme il aima jadis sa babouchka, dont les prières s’élevaient inlassablement, comme un cierge de prières? Peut-être décernaient-elles perspicacement en lui un bon berger? Les babouchkas vivaient une telle vie… impossible de les suivre… Et voilà qu’un jour, le jeune hypodiacre reçut une dure leçon. Vladika encensait l’autel lors du polyeleos, et lui sortit avec le trikèrion. A ce moment quelqu’un chuchota dans le chœur : «Serioja, c’est le jour de l’Ange de Babouchka Valia!». Alors, il tourna la tête vers la vieille dame assise, qui toujours Chantait au chœur, et dit doucement en guise de félicitation: «Bon jour de l’Ange, Baba Valia!». Faisant demi-tour, ses yeux croisèrent le regard de l’Archevêque, enflammé de colère. Et quand les portes royales se refermèrent, un silence de mort régnait parmi les concélébrant, comme le calme avant la tempête. Et puis, l’orage éclata. Vladika s’assit dans le trône, appela Serioja vers lui et sa voix sonna de manière menaçante:
Tu parles tout le temps pendant la Liturgie!
Et il priva son hypodiacre d’office, lui interdisant l’entrée à l’autel, et le fit sortir. Il ne restait plus que l’obédience au choeur. Au choeur parmi les babouchkas. Et elles, effrayées par la punition de leur favori, n’osaient pas même lever les yeux vers lui. La pauvre Babouchka Valia sanglotait après l’office en disant: «C’est à cause de moi, pécheresse endurcie, que notre Serioja a été interdit d’autel!».
Lui-même se sentait chassé de l’autel, chassé du paradis. Mais à côté de ceux qui compatissaient, il y avait ceux qui ne lui voulaient guère de bien. Certains hypodiacres jubilaient malicieusement, ceux qui se trouvaient là non par leur foi, mais parce qu’ils étaient fils d’archiprêtres. Ils avaient été dévorés par l’envie : comment donc celui-là a-t-il pu devenir hypodiacre alors que son père n’a aucune influence sur l’Archevêque?! Ils l’avaient dénigré auprès du hiérarque, mais celui-ci disposait d’une solide expérience spirituelle, et d’intuition : il connaissait bien les êtres humains et ne prêtait pas attention aux envieux. (A suivre)
Traduit du russe
Source

Histoires de la Colline Miteïnaïa. Rencontre avec le monde invisible.(3)

Madame Rojniova

Le texte ci-dessous est la suite de la traduction en plusieurs parties de l’original russe de Madame Olga Rojniova, dans la série de ses «Histoires de la Colline Miteïnaïa», intitulé Встреча с миром невидимым. Рассказы игуменьи Казанской Трифоновой пустыни Ксении (Ощепковой)(Rencontre avec le monde invisible. Récits de l’Higoumène Xénia (Ochepkova) du Désert de la Très Sainte Mère de Dieu de Kazan-Saint Tryphon). Madame Rojniova introduit elle-même son texte : La plupart de mes récits sont rédigés sur base d’histoires que m’ont contées les sœurs du Désert Kazan-Saint Tryphon et leur père spirituel et confesseur, le Père Savva (Roudakov). Maintenant je souhaite que vous fassiez connaissance avec l’Higoumène de ce monastère, Ksénia Ochepkova. Matouchka Xénia nous parle de la proximité du monde invisible, du retour à la vie après la mort clinique, de la manière de tendre vers la paix de l’âme, de la conserver, et de maintes autres choses.

Bénédiction pour la vie monastique
Petit à petit, de nombreux jeunes, garçons et filles, apparurent sur la colline. Alors, Batiouchka nous emmena chez le Starets Ioann (Krestiankine), qui était son père spirituel depuis quelques années déjà. Chemin faisant, nous discutâmes à en perdre la voix : «Chez nous ce sera un monastère de femmes!» «Non, un monastère pour hommes!» «Eh bien, nous demanderons au Starets, et ce sera comme il bénira!». Le Père Ioann nous accueillit avec amour. Mais il n’adressa quasi pas la parole aux garçons ; ils restèrent debout près du mur. Il s’adressa immédiatement à nous, les jeunes filles, et se mit à donner des instructions. Il expliqua comment devaient se comporter les moniales, comment devait être un véritable monastère. Il nous bénit pour prendre le chemin du retour et pour la vie monastique, en fait, pour un monastère pour femmes. Et il en fut ainsi. Les garçons qui nous accompagnaient se dispersèrent : les uns se marièrent, les autres devinrent diacres ou prêtres mariés. Mais les sœurs restèrent.
Ma première obédience

L’Higoumène Xénia et sœurs du monastère (Photo : Pravoslavie.ri)

Au début, la vie de notre communauté était très peu organisée. L’hospice a été construit à partir des planches d’un ancien club (Il avait été démonté en ville et un club en briques avait été construit à la place). Toutes celles qui s’étaient installées dans le bâtiment, babouchkas et jeunes sœurs, toutes, nous gelions fortement. En hiver, on se couchait sous les couvertures et on empilait au-dessus un tas de vêtements. Et on comprenait très bien que le lendemain matin, on ne pourrait se lever que grâce à la prière, qui nous réchaufferait. Ma première obédience consista à prendre soin des babouchkas. Personne ne m’avait jamais rien appris dans ce domaine, mais ma maman avait soigné un malade alité pendant cinq ans. Ce ne fut pas difficile pour moi non plus de m’occuper des petites vieilles; je m’efforçais de le faire consciencieusement. De nombreuses babouchkas souffrirent avant leur mort, mais après, elle étaient couchées, toutes lumineuses dans leur cercueil, le visage comme de la cire. Passage de la vie corruptible à la vie incorruptible. Il était clair que leurs souffrances avant de mourir allégeaient leur sort après leur mort. C’était comme le signe de la part de Dieu de ce qu’elles étaient dignes de Sa miséricorde, le témoignage de ce qu’il leur avait été pardonné et qu’elles n’avaient pas souffert en vain. Nous pleurons ceux qui partent, mais le Seigneur nous donne des signes par lesquels nous pouvons comprendre que l’homme a reçu miséricorde. Pour moi, ces signes apparaissent notamment dans le jour précis où survient la mort, et dans la fête qui tombe le quarantième jour… Ainsi juge l’homme, ainsi juge Dieu… Les gens ont besoin de soutien et de consolation. Je me souviens de babouchka Valentina Ogloblina. Elle termina sa vie dans notre hospice. Avant de mourir, elle s’affaiblit notablement. Batiouchka devait partir pour affaires, et intuitivement, il décida de ne pas reporter au lendemain la communion de la malade. Le Seigneur l’avait donc informé et il se rendit auprès d’elle avant son départ, à trois heures et demie du matin, et lui donna les Saints-Dons. Il partit alors immédiatement. Et elle aussi, dès après la communion, s’en alla dans l’autre monde.

Le Père Savva

Maria Beliaeva. On l’amena chez nous déjà alitée. Elle était si douce, le visage rond, joyeux. Elle souriait et plaisantait. Avant de mourir, elle souffrit de fistules si profonde qu’elle atteignaient les os. Elle est morte le soir du Grand Samedi, quand s’ouvrent les Portes Royales et retentit le chant «Le Christ est ressuscité des morts, par Sa mort il a terrassé la mort!».
Une autre matouchka, Valentina, glissait dans la mort alors que le Père Savva était en route. Nous l’avons appelé, il est venu en hâte et a eu le temps de donner la communion. Tous ceux qui ont fini leur vie dans notre hospice sont partis, munis des Saints Dons. Ils étaient des gens extraordinaires, une autre formation, une autre éducation et une foi fervente.
«Je souhaite acquérir et conserver la paix intérieure»
En 1993, la moniale Agnia fut amenée chez nous, elle avait été tonsurée par le défunt Vladika Athanase (1927-2002). Elle était l’une de ces moniales en secret qui furent tonsurées pendant les années de persécution de l’Église. Elle vécut avec plusieurs autres moniales en secret, sous la Cathédrale de la Trinité à Perm, aidant à l’autel et dans l’église. Mère Agnia vécut avec nous pendant quelques années, jusqu’à sa mort. Parfois, nos babouchkas se disputaient entre elles, à l’hospice. Elles se querellaient, qu’y faire ? Avec la vieillesse, toutes les infirmités relèvent la tête, les caractères changent. Mais Matouchka Agnia n’a jamais juré, ne s’est jamais disputée, elle gardait le silence et priait, très douce et humble. Avant de mourir, elle fut tonsurée au grand schème et nommée Hilaria. Notre père spirituel dit qu’aujourd’hui, nous employons les mots «humilité», «douceur», «longanimité», mais nous ignorons ce qu’ils signifient.

Colline Miteïnaïa

Je priai pour que le Seigneur me fasse sentir ce que signifiait être humble et douce. Après ma prière, un moine de l’Athos m’offrit un petit livre d’instructions spirituelles, qu’il me dédicaça de ces mots : «Je souhaite acquérir et conserver la paix intérieure». Je pense que la moniale du grand schème Hilaria possédait cette paix intérieure. Tout comme le mal est concret, la vertu est concrète aussi, et quand l’homme vit une vie spirituelle, il apprend à discerner l’esprit de douceur ou, au contraire, l’esprit d’agressivité, il les ressent. Avant, les gens allaient trouver les pieux héros de l’ascèse et ne voulaient plus les quitter, sentant qu’autour d’eux rayonnait la Grâce Divine. Ils ne parlaient même pas, ils restaient juste à côté d’eux, et ils ne voulaient plus partir de là.
Les enfants spirituels du Père Nicolas Ragozine témoignaient de ce que l’esprit d’humilité et de douceur émanait du Starets. Le simple fait de se trouver à côté de telles gens nous transforme. La surabondance de grâce s’écoule d’elles et se déverse un peu dans notre vase. Chaque matin, je me rends sur la tombe du Père Nicolas et je sens son aide.
«Ou elle va mourir, ou un miracle va se produire.»

Tombe du Père Nicolas dans la crypte

Peu de temps après mon arrivée au monastère, je tombai gravement malade. Je restait alitée six mois à l’hôpital, sans aucune amélioration. Les médecins m’avaient préparée à l’idée de mourir et voulaient me renvoyer mourir à la maison. Je craignais qu’étant si faible je ne puisse rentrer au monastère, mais le Père Savva me repris. Lors de mon départ, les médecins lui dirent «Ou elle va mourir, ou un miracle va se produire». Quand Batiouchka me ramena à la Colline Miteïnaïa, des connaissance lui dirent : «Pourquoi amenez-vous une mourante dans votre désert?! Il n’y a quasi rien à manger chez vous!» Pour moi, la maladie était devenue une école de prière. C’est effrayant de regarder la mort dans les yeux. En ces moments, je compris que la prière n’est pas une obligation, mais un cri de l’âme. Chacun a ses tentations, et beaucoup de ceux qui vécurent dans les camps admirent plus tard qu’ils avaient perdu la prière telle qu’ils la pratiquaient dans les camps. Dès lors, la période de ma maladie se déroula de façon profitable. Quand on me ramena au monastère, Batiouchka donna sa bénédiction pour que je reçoive la tonsure monastique puisqu’on ne savait pas dans quel sens les événements allaient s’orienter. J’en suis sincèrement reconnaissante envers Dieu car la tonsure fut pour moi la naissance à une vie nouvelle. Progressivement, et de façon miraculeuse, je retrouvai une bonne santé.
«Tu es le Dieu qui fait des miracles»
Les années se suivent inexorablement et je vis au monastère depuis vingt-sept ans déjà. En 1998, je devins la sœur aînée, et en 1999, la supérieure. Aujourd’hui, je suis higoumène. Quand j’étais une jeune fille, je m’attristais parfois de ce que les miracles de l’enfance étaient loin dans le passé, dans les contes d’enfants. Mais quand je me tournai vers Dieu, les miracles devinrent une partie inséparable de ma vie. Je pouvais le voir même dans les événements de la vie quotidienne. Il suffisait de regarder. Les sages disent : «Tu es le Dieu qui fait des miracles». Et ainsi, ma vie se remplit progressivement de joie, s’ornant de toutes les couleurs de l’arc-en-ciel. En effet, si on essaie de plaire à Dieu, toujours Il nous aidera par Ses miracles. La Providence Divine se manifestera en nos vies, nous La verrons et en prendrons conscience.
«Il faut aborder les gens avec discernement»

L’Higoumène Savva (Roudakov)

Je voudrais dire quelques mots sur le père spirituel et confesseur de notre monastère, l’Higoumène Savva (Roudakov). De l’histoire du monachisme et des leçons de la vie moderne, nous pouvons conclure que les monastères féminins qui ont un confesseur et père spirituel sont plus forts. Maintenant, nous voyons comment les monastères de Novo-Tikhvine à Ekaterinbourg, et de Sainte Élisabeth à Minsk prospèrent. Je pense que c’est grâce aux confesseurs de ces monastères, qui non seulement reçoivent la confession, mais s’occupent également des moniales, leur parlent, les nourrissent spirituellement. Chez nous, presque toutes les sœurs ont acquis la foi au début ou au milieu des années ’90 et sont venues au monastère alors qu’elles avaient déjà certaines conceptions profanes qui interféraient avec la vie spirituelle. Nous, les gens élevés à l’époque soviétique, il nous est très difficile de percevoir les vérités spirituelles. Ce qui était autrefois inculqué aux enfants dans la famille: obéissance, crainte de Dieu, amour de la prière, le culte et les Mystères, tout cela doit maintenant être rattrapé à l’âge adulte.
Et selon la parole de l’Apôtre Paul, notre confesseur, toujours avec douceur, «comme un père est pour ses enfants», «priant… persuadant… conjurant, de marcher d’une manière digne de Dieu, qui nous appelle dans Son Royaume et Sa gloire»(1Thes.2, 12).
Batiouchka nous apprend à accomplir les commandements de Dieu dans notre vie, et il dit : «Jadis le pharmacien ne donnait pas des comprimés tout prêts, mais des préparations particulières qu’il exécutait selon la prescription du médecin. A chacun sa poudre, à chacun son emplâtre. De même, toutes les âmes sont différentes. Ce qui est vie pour l’une signifiera mort pour l’autre. Alors, il faut ‘y prendre avec discernement».
Je rends grâce à Dieu de ce que, par les prières et la bénédiction de la Toute Sainte Mère de Dieu et de Saint Tryphon de Viatsk, je vis en ce lieu. Nous conservons au monastère une icône de la Très Sainte Mère de Dieu très vénérée localement, les reliques du Bienheureux Père Nicolas Ragozine reposent ici, et c’est ici que mena son podvig l’Apôtre de la région de Perm, saint Tryphon de Viatsk, et à proximité du monastère se trouvent de saintes sources miraculeuses. Et les gens qui viennent chez nous en retirent grand profit spirituel. […]
Traduit du russe
Source

Histoires de la Colline Miteïnaïa. Rencontre avec le monde invisible.(2)

Madame Rojniova

Le texte ci-dessous est la suite de la traduction en plusieurs parties de l’original russe de Madame Olga Rojniova, dans la série de ses «Histoires de la Colline Miteïnaïa», intitulé Встреча с миром невидимым. Рассказы игуменьи Казанской Трифоновой пустыни Ксении (Ощепковой)(Rencontre avec le monde invisible. Récits de l’Higoumène Xénia (Ochepkova) du Désert de la Très Sainte Mère de Dieu de Kazan-Saint Tryphon). Madame Rojniova introduit elle-même son texte : La plupart de mes récits sont rédigés sur base d’histoires que m’ont contées les sœurs du Désert Kazan-Saint Tryphon et leur père spirituel et confesseur, le Père Savva (Roudakov). Maintenant je souhaite que vous fassiez connaissance avec l’Higoumène de ce monastère, Ksénia Ochepkova. Matouchka Xénia nous parle de la proximité du monde invisible, du retour à la vie après la mort clinique, de la manière de tendre vers la paix de l’âme, de la conserver, et de maintes autres choses.

Une église, seule au milieu des champs et des bois.

Le Père Savva (Photo : Pravoslavie.ru)

Par la grâce de Dieu, mon chemin vers le monachisme fut court. J’ai reçu la tonsure monastique quand j’étais encore jeune. C’est arrivé comme ceci.
À la fin de l’année scolaire, les professeurs de notre école du dimanche décidèrent de nous organiser un voyage à l’église de Tous les Saints dans la petite ville de Verkhnechoussovka. En 1992, il était difficile d’y arriver: d’abord il fallait prendre un train omnibus, ensuite une micheline pour voie étroite, puis un vapeur pour traverser la Tchoussova, et enfin à pied vers la colline. Nous étions cinq: notre professeur, moi et trois autres personnes.
Quand nous sommes sortis de la petite gare, j’ai aperçu l’église de la Tchoussova sur la rive opposée; et elle m’a semblé extraordinairement belle, tout simplement merveilleuse, une église solitaire sur la colline, parmi les champs et les bois. Nous avons marché jusqu’à l’église où le recteur, le Père Savva (Roudakov) nous accueillit, mon futur père spirituel. Août commençait, et le père venait de rentrer de la fenaison. A côté de l’église, Batiouchka avait fait construire un établissement pour y accueillir les vieux indigents. Une solide communauté de moniales y était active et assurait les soins des pensionnaires.
De remarquables héros de l’ascèse

Monastère vu de la Colline Miteïnaïa (Photo : Pravoslavie.ru)

Plus tard, j’appris qu’on nommait la colline au sommet de laquelle l’église était bâtie, la «Sainte Montagne», ou la «Colline Miteïnaïa», du nom du Bienheureux Miteïka qui venait souvent y prier la nuit dans les temps jadis. J’appris également qu’en ce lieu, le Saint Moine Tryphon de Viatsk (1546-1612), un remarquable héros de l’ascèse avait acquis de nombreux dons de l’Esprit-Saint. Pendant presque un quart de siècle, de 1957 à 1981, le célèbre starets-archiprêtre Nicolas (Ragozine) célébra à l’église de Tous les Saints et y acquit les dons de clairvoyance, de discernement spirituel, et de guérison de l’âme et du corps. À la fin de la vie du Starets, l’isba où il vivait était lézardée et trouée, mais lui, l’ascète, il s’occupait plus de ses paroissiens que de lui-même. Lorsque ses enfants spirituels proposèrent à Batiouchka de commencer la reconstruction, il a répondu que sa vie se terminait et que rien ne serait construit de son vivant. Mais après sa mort, il y aurait un monastère. Et le Père Nicolas parla à ses enfants spirituels du futur monastère, et il montra où il serait construit. Il décrivit même l’apparence de son successeur, le Père Savva, qui a dit de la perspicacité du Starets: «J’étais encore à l’école, et il m’avait déjà vu en esprit».
«Elle est si douce à ma gorge, Ta Parole».
Tout cela, je l’ai appris plus tard. Lors de ma première arrivée à la Colline Miteïnaïa, nous avons dîné, nous nous sommes reposés et sommes allés à l’office de minuit. Je me souviens de ce premier office de nuit de ma vie. Dans cet endroit isolé de l’agitation du monde, dans le silence de la nuit, les mots émouvants du cathisme dix-sept résonnaient : «Elle est si douce à ma gorge, Ta Parole, plus douce que le miel à mes lèvres». Ces mots touchèrent en mon âme des cordes inconnues de moi jusqu’alors. Puis Batiouchka sortit et prononça une homélie sur les bienfaits de la prière de nuit. Mes sensations étaient indescriptibles! Le lendemain, nous sommes allés aux sources saintes de l’icône de la Très Sainte Mère de Dieu de Kazan et de Saint Tryphon de Viatsk. Encore de nouvelles impressions dans mon âme!
Un acte sans précédent pour moi

L’Higoumène Xénia (Photo : Pravoslavie.ru)

Je dois dire que je suis par nature une personne calme et timide. Avant mon voyage à Verkhnetchoussovska, je ne pouvais me décider de me rendre seule sans mes parents, à Moscou pour affaires, même si j’étais déjà une fille majeure. Et puis, le troisième jour de son séjour dans la communauté de l’église de Tous les Saints, je m’approchai du Père Savva et lui demandai sa bénédiction pour venir vivre et travailler avec eux. Pour moi, c’était un acte sans précédent.
Batiouchka donna sa bénédiction et je suis retournée à Perm, où j’ai démissionné de mon travail et, le 10 octobre 1992, je venue commencer mes obédiences à la montagne de Miteïnaïa. Je ne savais pas encore que le 10 octobre était le jour de la fête de Saint Savva des Solovki, patron céleste de mon futur père spirituel. Pour mes parents, mon acte était comme un coup de tonnerre dans un ciel dégagé, mais ils sacrifièrent leurs souhaits et leurs rêves concernant mon avenir. Je leur en suis très reconnaissante! Par la suite, certains parents sont venus chercher l’une ou l’autre de nos sœurs, qu’ils essayèrent de persuader de retourner dans le monde, mais mes parents me laissèrent partir, bien qu’ils aient eu beaucoup de mal à supporter mon départ au monastère.
Confesseur et constructeur du monastère

Le Père Savva et la communauté (Photo Pravoslavie.ru)

Au moment de mon arrivée sur la Colline de Miteïnaïa, le recteur de l’église de Tous les Saints, futur constructeur et confesseur de notre monastère, le Père Savva, servait ici depuis cinq ans déjà. Il arriva ici de Perm, sa ville natale, en 1987, directement après son ordination. A son arrivée, il aperçut sur la colline juste une vieille église délabrée et une petite isba branlante. Le poêle tenait à peine la chaleur, et pour se laver le matin, l’eau était gelée dans l’évier. Il n’y avait ni gens ni commodités. Des vieillards se rassemblaient pour l’office, traversant la Tchoussova avec le vapeur. Quand cessait la navigation, la colline était quasiment coupée du reste du monde. L’hiver, il fallait traverser la rivière en marchant sur la glace.

Le Starets Nicolas (Ragozine)

A côté de notre église, sur la colline, se trouve le cimetière, très ancien. Tellement ancien que lors des inhumations, les gens ne remarquaient plus les anciennes tombes, nivelées au raz du sol, et en creusant la fosse, il retrouvaient de vieux bouts d’ossements. Parfois, on les poussait juste à côté; on se préoccupait de ses propres défunts. Le Père Savva partagea avec nous ce qu’il ressentit au début de son sacerdoce ici, comme dans un conte : on se retrouvait littéralement dans une «Soirée du hameau» de Gogol ou dans un film où les «morts se promènent avec des faux». Avec les babouchkas, il récoltait tous ces morceaux d’ossements et leur donnait une sépulture décente. On lui raconta aussi, un peu plus tard, que sous son isba se trouvait aussi un défunt. Et quand les hommes creusèrent une cave pour le Père Nicolas (Ragozine), ils trouvèrent des ossements humains. Quel âge pouvaient avoir ces tombes? Un siècle? Deux? Ils enfuirent tout simplement ces os dans u coin de la cave et continuèrent tranquillement à creuser. Les gens du cru amenèrent leurs morts et le Père Savva célébra les funérailles, des pannichydes. Des hommes costauds, ébouriffés, l’air un peu terrifiant demandèrent de leur voix de basse au jeune prêtre si ce n’était pas trop effrayant de vivre ici. Mais il répondit : «Que craindre des morts? Je prie pour eux».
La présence des prières du starets
Sur la Colline de Miteïnaïa, je ressentis immédiatement la présence des prières de l’Archiprêtre Nicolas (Ragozine) ; tous ceux qui viennent nous voir sentent sa présence. Le Père Savva nous a parlé de l’aide spirituelle apportée par le starets Nicolas. Après la mort du Père Nicolas, deux prêtres avaient essayé de servir ici, mais il n’avaient pu résister à la solitude de ce trou perdu, aux terreurs, à l’absence de vie normale, de gens, de commodités… cela faisait évidemment beaucoup. Le Père Savva connut lui-même l’effroi. Il s’en tira par la prière. Quand ça devenait vraiment trop terrible, il enfilait le rason du Père Nicolas et il célébrait comme ça. Batiouchka ressentit particulièrement l’aide invisible du Père Nicolas pendant sa première liturgie sur la Colline Miteïnaïa, quand, jeune prêtre, il fut saisi d’effroi et de tremblements. Il sentit alors le puissant soutien du Starets. C’était comme s’il se tenait à côté de lui pendant la liturgie, l’aidait, le guidait, le conseillait. La sensation de la présence du Starets était si forte que le Père Savva s’en souvint toute sa vie
Notre monastère commença avec l’hospice.

Monastère et Tchoussova

Notre monastère commença avec l’hospice et avec les babouchkas, dont la plupart étaient des filles spirituelles de l’Archiprêtre Nicolas. Progressivement, toutes devenaient âgées et avaient besoin d’assistance, de soins. Quand le Père Savva allait chez elles pour célébrer l’un ou l’autre moleben, elles se mirent à lui demander, comme après en avoir conspiré : prends-nous chez toi!
Un jour, sur le ferry, Batiouchka approchait de chez l’une de ses babouchkas. Il regarda: la maison donnait sur la Tchoussova. Au printemps, la rivière avait monté, et envahi le sol de la cabane jusqu’à trente centimètres de haut. Elle était allongée sur le lit, la jambe est enflée, ne pouvant marcher. Elle gisait là dans son isba non chauffée et ne pouvait aller chercher du bois de chauffage. Ici, elle allait mourir, et personne ne serait là pour lui fermer les yeux… Batiouchka nous raconta plus tard comme il sortit tout triste de chez cette babouchka et pensa : que faire? Il ne pouvait venir avec le ferry chaque jour chez elle et chez toutes celles qui en avaient besoin. Il n’y parviendrait tout simplement pas. Il se sentait fatigué. Il était allé célébrer de nombreux molebens et autres offices, et il essayait de comprendre ce qu’il pouvait faire. Comment aider. Soudain arriva la solution : il allait effectivement prendre ces petites vieilles chez lui. Pour cela, il allait construire une maison, un hospice. Tout juste à côté de son isba et de l’église, sur la Colline Miteïnaïa. A la façon dont d’autres événements s’étaient déroulés, Batiouchka comprit que là était précisément son obédience; celle-ci lui arrivait par la Volonté de Dieu. Il n’avait pas même l’argent pour construire un petit bania, il ne pensait donc pas à une isba. Mais juste quand il décida de prendre les babouchka chez lui, quelqu’un lui offrit deux mille roubles. Jamais il n’avait tenu autant d’argent dans ses mains! Le Père Savva acheta les matériaux de construction, engagea des ouvriers, et la construction d’un bâtiment en bois commença. Il contenait huit cellules, quatre petites chambres-cellules au rez-de-chaussée et quatre au premier étage. Selon les calculs de Batiouchka, une ou deux pensionnaires pouvaient vivre dans une cellule. La construction n’était pas encore terminé qu’il y amenait déjà la babouchka qui ne pouvait plus se marcher. On arrivait au bout de la réserve de matériaux de construction alors que le bâtiment n’avait pas encore atteint sa hauteur sous toit. Batiouchka se dit : Eh bien nous voilà… Il n’y avait quasi plus d’argent et le bâtiment n’était pas achevé. Mais juste quand l’argent fut complètement dépensé, une nouvelle somme tomba du ciel, suffisante pour payer les ouvriers et continuer la construction. Quand on eut terminé la construction, l’argent cessa d’arriver en pareille quantité, et on se trouva en difficulté; il fallait des cierges, et acheter de la nourriture.
Ainsi, Batiouchka installa les petites vieilles dans ce bâtiment. Et il vécut en leur compagnie. Il célébrait à l’église, allait chez des particuliers pour célébrer des molebens et autre offices, et il prenait soin des babouchkas. Une d’entre elles était une lutteuse qui aidait Batiouchka. Ensuite, le Seigneur lui envoya des babouchkas un peu plus jeunes. Et puis, nous les très jeunes, sommes arrivées : les futures moniales Tamara et Xenia. Nous prîmes soin des pensionnaires et le Père Savva célébrait, de plus en plus de molebens pour des particuliers et des familles, et de nouveaux paroissiens demandaient à être nourris spirituellement par leur pasteur.(A suivre)
Traduit du russe
Source

Saint Porphyrios le kavsokalivite et la Bienheureuse Maria de Somino

Bien souvent au cours de l’année liturgique, il arrive que notre Église célèbre le même jour la mémoire de saints et bienheureux auxquels la Divine Providence assigna des destinées terrestres bien différentes, célébrité pour les uns et humble vie cachée pour les autres.

Mais tous sont unis dans le chœur de l’Église triomphante et adressent leurs prières incessantes en notre faveur à la Sainte Trinité.

Aujourd’hui, nous nous souvenons avec joie et action de grâce de Saint Porphyrios le Kavsokalivite et de la Bienheureuse Maria de Somino. Si on ne présente plus le premier, on peut rappeler que la seconde fut auxiliaire d’autel à l’église de Somino, petit village niché dans le coin Sud-Est de la Métropole de Saint-Pétersbourg et Ladoga. (Plus de détails à son sujet sont disponibles ici).

 

 

 

 

 

 

 

Saint Père Porphyrios, Bienheureuse Maria, priez pour nous !

Histoires de la Colline Miteïnaïa. Rencontre avec le monde invisible. (1)

Madame Rojniova

Le texte ci-dessous est le début de la traduction en plusieurs parties de l’original russe de Madame Olga Rojniova, dans la série de ses «Histoires de la Colline Miteïnaïa», intitulé Встреча с миром невидимым. Рассказы игуменьи Казанской Трифоновой пустыни Ксении (Ощепковой)(Rencontre avec le monde invisible. Récits de l’Higoumène Xénia (Ochepkova) du Désert de la Très Sainte Mère de Dieu de Kazan-Saint Tryphon). Madame Rojniova introduit elle-même son texte : La plupart de mes récits sont rédigés sur base d’histoires que m’ont contées les sœurs du Désert Kazan-Saint Tryphon et leur père spirituel et confesseur, le Père Savva (Roudakov). Maintenant je souhaite que vous fassiez connaissance avec l’Higoumène de ce monastère, Xénia Ochepkova. Matouchka Xénia nous parle de la proximité du monde invisible, du retour à la vie après la mort clinique, de la manière de tendre vers la paix de l’âme, de la conserver, et de maintes autres choses.

Grand-Mère posa abruptement la question.

L’Higoumène Xénia (Photo : Pravoslavie.ru)

Mon papa est né quand mon grand-père avait cinquante ans. Quand je suis née, papa aussi était déjà avancé en âge. Il se trouve que mes grands-parents sont nés au XIXe siècle et que je vis au XXIe siècle. Grand-Père et Grand-Mère ont été élevés dans la foi et la piété, mais maman et papa ont grandi à l’époque soviétique, lorsque les gens étaient écartés de la foi. C’est comme ça qu’ils grandirent: la mémoire d’octobre, les pionniers, les komsomols, «la religion est de l’opium du peuple.» Et ma sœur et moi avons été élevés sans être baptisées, non-croyantes. Pour Grand-Mère, comme pour toutes les babouchkas, pareille situation était très pénible. Elles souffrirent tellement, cela leur faisait si mal, qu’on ne pouvait baptiser les bébés, qu’on ne pouvait jamais communier. Je ne sais pas comment ma vie aurait évolué si finalement ma babouchka n’avait posé la question abruptement, disant à sa fille, à ma mère:
Je ne peux pas mourir en paix si mes petites-filles ne sont pas baptisées.
En 1984, les autorités suivaient avec attention ceux qui baptisaient les enfants ou même les amenaient simplement à l’église. Mes parents travaillaient dans une usine militaire à Perm et eurent peur de baptiser leurs filles dans cette ville. Ma sœur et moi avons été emmenées dans une autre région, dans un village isolé où par miracle une église était encore ouverte, et nous avons été baptisées secrètement. J’avais treize ans à ce moment-là.
Nos babouchkas
Maintenant, en tant qu’higoumène du monastère, il m’arrive de rencontrer de nombreux pèlerins et d’écouter différentes histoires de leur vie. Et les gens avouent souvent: «Je suis venu à Dieu à l’âge adulte. Je ne sais pas pourquoi. Sans raison apparente…». Mais si je leur demande : «Et dans votre famille, il y avait des croyants?», ils répondent habituellement : «Oui, babouchka!». Les prières de nos babouchka sauvent, vivifient, font renaître à la vie éternelle nos âmes encroûtées. Elles ne sont pas dans le chœur des saints, nos babouchkas. Alors, comment plurent-elles tant à Dieu, qu’Il écoute leurs prières? Beaucoup d’entre elles sont mortes sans pouvoir attendre de recevoir la possibilité d’éduquer leurs petits-enfants dans la foi. Elles étaient les seules à croire. Et aussi, elles faisaient confiance à Dieu. C’est une chose que de simplement aller à l’église. Ce qu’il faut, c’est faire entrer Dieu dans notre vie, Lui faire confiance, espérer en Lui. Elles intercédaient auprès de Dieu pour leurs enfants et petits-enfants incroyants. Et le Seigneur ne fit pas honte à ces confesseurs de la foi. Mes deux babouchkas, du côté de maman et de papa, étaient profondément croyantes. Babouchka Daria était très pieuse, elle aimait les pauvres, accueillait les vagabonds, donnait jusqu’à ses miettes. Après avoir lavé les vêtements des pauvres, elles les mettait dans le four pour les tiédir. Grand-mère Xenia était un vrai cierge de prières. Elle est morte quand j’avais seulement trois ans. Mais elle a tellement prié pour moi que, quand on m’a demandé mon nom avant de me tonsurer, j’ai senti mystiquement que je voulais son nom. Et je suis tellement reconnaissante envers mes babouchkas! L’une était charitable, l’autre priait pour moi. Et par leurs prières, je suis la moniale Xénia.
De l’audace devant Dieu
Un jour, on nous amena au monastère une femme de trente sept ans, on l’amena comme on amène quelqu’un à l’hôpital. Et elle me raconta son histoire. Son mari faisait la noce, et pour que sa femme ne le gêne pas, il la saoulait. Un jour, il la quitta. Elle avala des médicaments. Réanimation, mort clinique. Soudain elle sentit son âme se détacher de son corps. Et elle vit ceci : son arrière-grand-mère se tenait à genoux devant Dieu et demandait en pleurant : «Reporte cela, Seigneur!». Et elle sentit son âme revenir dans son corps. Les gens de réanimation s’apprêtaient à l’emmener à la morgue. Mais ils l’observèrent : le pouls venait de recommencer à battre. Nos babouchkas, elles ont de l’audace devant Dieu…
La prière pour les proches

Moniale du grand schème Valentina (Photo pravoslavie.ru)

La prière pour les proches, avec un cœur contrit, avec amour, porte tôt ou tard ses fruits. Dans notre monastère, la moniale du grand schème Valentina m’a parlé un jour de la façon dont sa mère croyante priait beaucoup pour elle, quand elle-même n’allait pas à l’église. Quand sa mère est morte, la fille commença à fréquenter l’église. Elle devint ensuite la moniale Barbara, et plus tard la moniale du grand schème Valentina. Voilà un modèle de mère-confesseur de la foi, et du fruit abondant des prières maternelles. Quand je devint moniale, j’ai moi-même commencé à prier assidûment pour mes parents, qui étaient à ce moment-là des personnes totalement incroyantes. Au bout de sept ans, maman a commencé à lire les psaumes. Puis papa et elle se sont mariés.
Première rencontre avec le monde invisible
Après mon baptême, tout dans ma vie semblait continuer comme avant, mais déjà la grâce commençai à agir dans mon âme. Quand j’étais en huitième classe, mes parents m’envoyèrent en voyage de Perm à Plioss, une vieille petite ville sur la Volga. Là je vis un grand nombre d’églises à demi-détruites, et sans explication je voulus soudain entrer dans chacune d’elles. Je parvins à convaincre deux amies et nous décidâmes de nous glisser secrètement dans les églises. Dans l’une, nous avons grimpé par-dessus la clôture, dans une autre, nous sommes entrées par une fenêtre à moitié fermée par des planches, dans une autre encore, nous avons escaladé les échafaudages, et dans une autre, nous nous sommes faufilées par l’étroit escalier en colimaçon jusqu’au clocher.
Et tout à coup, dans ces églises oubliées, mon âme a connu un frisson étrange, une caresse divine, le contact de la grâce divine. Maintenant, je sais que chaque église, même détruite, a son propre Ange Gardien, mais alors je ne savais pas pourquoi mon cœur était rempli d’une joie tranquille. C’était le premier contact de mon âme avec le monde invisible, et il est demeuré dans ma mémoire, longtemps, jusqu’à présent.
«Alors je pleurai.»
Je souhaite partager mon expérience de ce qu’il est utile, même pour les incroyants, d’aller dans des lieux saints. En 1991, j’étais encore incroyante. Un jour, sans raison, j’achetai un billet de voyage organisé de quelques jours, «Bakhtchisaraï-Yalta». Une excursion nous conduisit dans un monastère creusé dans la montagne. Je regardai la falaise et aperçus une image, une représentation, rouge au centre et comme quadrillée sur ses bords. Qui était-ce, impossible à comprendre. Mais je persistai à observer longuement cette représentation, comme si je voulais percer un secret, comprendre ce qui se passait dans mon âme, qu’était-ce? Absolument incompréhensible. Je rentrai à la maison. Plus tard, je me tournai vers Dieu, et plus tard encore, j’entrai au monastère. Un jour, je décidai de vérifier quand exactement j’avais reçu la tonsure monastique. Il s’avéra que c’était le 20 mars, le jour de la fête des sept hiéromartyrs de Chersonèse. Je fus perturbée, parce que le jour de la tonsure est toujours important pour les moines, et correspond le plus souvent avec une fête de l’église, et à ce moment-là, je ne savais absolument rien de ces saints martyrs. Dix ans après mon premier voyage, en 2001, alors moniale, j’étais à nouveau, à Bakhtchisaraï, près de la même falaise. Cette fois, l’église de la Dormition y avait été restaurée, et au–dessus, une reproduction restaurée elle aussi de la Très Sainte Mère de Dieu, en rouge, entourée par les sept hiéromartyrs de Chersonèse. Alors je pleurai. Je ne pense pas avoir besoin d’expliquer la raison de mes larmes…
Nous ne savons quand le Seigneur touchera notre âme.

L’Archimandrite Ioann (Krestiankine)

Je suis arrivée à l’Église après une excursion en bus dans ma région natale de Perm. Je pense que j’étais prête pour l’Église. Nous sommes passés devant la Cathédrale de la Sainte-Trinité, et le guide a dit: «Il y a une école du dimanche à la cathédrale». J’ai tout de suite vraiment voulu y aller, et ainsi, grâce à une excursion touristique toute banale, je me suis retrouvée à l’église. C’est pourquoi maintenant, étant higoumène d’un monastère, je soutiens de tels voyages dans les lieux saints, même s’ils ne sont pas des pèlerinages, mais sont de nature touristique: nous ne savons jamais à quel moment le Seigneur touchera notre âme et, peut-être, après avoir visité un monastère, des non-croyants viendront-ils à Dieu. À l’école du dimanche, j’appris beaucoup de choses, je commençai à entrer dans l’Église. Nous avions d’excellents enseignants, non seulement ils nous parlaient de Dieu, mais ils vivaient en Lui . Le Père Dimitri, l’un de nos professeurs, était fils spirituel du Starets Ioann (Krestiankine), et quand il racontait quelque chose, ses paroles tombaient directement dans le cœur, parce qu’elles avaient le pouvoir de l’expérience spirituelle personnelle. Alors, chaque soir, quand je rentrais chez moi, je lisais la Parole de Dieu. La littérature mondaine et la télévision étaient devenues sans intérêt pour moi. Pour la première fois, je communiai aux Saints Dons en toute conscience.
Comment choisir le bon chemin dans la vie ?

Très Sainte Mère de Dieu “de Tendresse”

Dans notre école du dimanche, jeunes et vieux venaient suivre les enseignements. Un jour, une servante d’autel de la cathédrale nous dit à nous les jeunes : «Pour choisir le bon chemin dans la vie, pour accomplir la Volonté de Dieu en ce qui vous concerne, il faut prier la Très Sainte Mère de Dieu. Lisez quarante fois son acathiste!». Je n’avais pas de recueil d’acathistes, et je lus à la place quarante fois le Canon à la Très Sainte Mère de Dieu. Aujourd’hui, il me semble que c’est précisément ma prière fervente de jeune fille qui m’amena ici au monastère. La plupart du temps, les gens ne connaissent pas la Volonté de Dieu à leur égard. Chacun, chacune, à la mesure de ses moyens, de ses connaissances, souhaite s’orienter dans une direction, mais il est possible que le Seigneur ait prévu quelque chose de tout différent. Et pour comprendre ce à quoi on est appelé, il faut prier, demander que coïncident notre volonté et la Volonté de Dieu, et que notre travail porte du fruit en cette vie sur terre.(A suivre)
Traduit du russe
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