Madame Olga Rojniova a écrit une série de textes relatifs à la communauté de moniales du Monastère, ou ‘Désert’, de la Très Sainte Mère de Dieu de Kazan-Saint Tryphon, situé sur une colline de la région de Perm, qu’elle a intitulés «Histoires de la Colline Miteïnaia». La traduction d’une série de plusieurs de ces textes est proposée sur ce blog. Celle-ci est consacrée à plusieurs récits relatifs à la période de la Nativité, vécue dans le monastère pour hommes situé en face du Désert de la Très Sainte Mère de Dieu de Kazan-Saint Tryphon sur la rive opposée de la Tchoussova .
Où est notre Michenka?
En automne, lorsque le feuillage jauni est parsemé dans tout le monastère, des visiteurs arrivèrent au monastère: la maman, le papa et leur fils de quatorze ans. Les parents devaient partir pour un long voyage d’affaires, et ils avaient peur de laisser le garçon avec sa grand-mère. Le problème s’est avéré être ceci: le fils passait tout son temps à l’ordinateur, refusant de dormir et de manger. Avec difficulté, ses parents l’avaient envoyé à l’école, mais il s’obstinait à s’enfuit et courir à sa seule joie : l’ordinateur. Il était difficile de compter sur la grand-mère: elle regardait des séries et la plupart du temps, elle vivait les aventures de leurs héros. C’est ainsi que Micha fit son apparition au monastère, mince et dégingandé, les yeux éteints et une pâleur malsaine. Il considérait avec horreur ce monastère éloigné de la civilisation, et dans ses yeux se cachait une angoisse pas du tout enfantine : ici, il n’y avait pas son ordinateur bien-aimé.
L’higoumène Savva écouta attentivement les parents, regarda le mélancolique Micha et accepta que le garçon reste au monastère pendant leur voyage d’affaires. L’école se trouvait à une dizaine de kilomètres, et deux écoliers y étaient déjà transportés, les enfants d’un prêtre qui vivait à côté du monastère.
Les deux premiers jours, Micha fut en état de choc. Il répondait aux questions brièvement et de façon morose nourrissant visiblemment des rêves d’évasion. Peu à peu, il commença à prendre vie. Et puis il se lia d’amitié avec le novice Piotr. Petya était le plus jeune dans le monastère, il avait terminé l’école quelques années auparavant. Et maintenant, le rôle de mentor des jeunes lui réchauffait l’âme. Il patronna généreusement Micha, et parfois il se laissait aller et folâtrait comme un enfant, sur un pied d’égalité avec son pupille. Mais un moine, le Père Valérien, avait pour obédience de veiller sur les deux jeunes.
Après les leçons à l’école du village, Micha accomplissait une obéissance à l’écurie et il aimait Yagodka, le cheval du monastère. Il semble que Yagodka soit devenu le premier animal de compagnie dont Micha se fut approché. Il prit soin du cheval, à la surprise de la communauté, avec tendresse. Et ainsi ils se prirent d’amitié l’un pour l’autre, à un point tel que quelques semaines plus tard, Micha et Piotr se relayaient à faire le tour du monastère, montés sur Yagodka, toujours sous la surveillance vigilante du Père Valérien.
Discrètement, l’hiver s’installa au monastère. Et l’hiver y était des plus réels, pas comme l’hiver en ville. Il n’y avait pas de publicité au néon et de vitrines brillantes, il n’y avait pas d’agitation urbaine et de neige sale fondue sous les pieds.
C’est peut-être pour cette raison que les étoiles dans le crépuscule bleu de l’hiver brillaient de façon exceptionnellement éclatante, que les sentiers blancs étonnaient par leur pureté et que la pénombre de l’aube sombre n’était éclairée, en ce temps de l’année, que par la lumière des fenêtres des cellules des moines. Les gelées et les vents, les flocons de neige, mais aussi les tempêtes de neige, frappaient aux portes des moines. Alors, dans les poêles, le feu crépitait calmement et affectueusement, rivalisant avec le mauvais temps.
Après avoir terminé l’obéissance, Micha et Piotr faisaient de la luge sur les pentes de la colline. Petya, cependant, était gêné au début: un adulte… sur un traîneau… et sûrement un membre de la fraternité le verra… les moqueries seront inévitables. Mais aucun des moines ne pensa à se moquer d’eux, et peu à peu Piotr se prit au jeu. Et ils glissaient donc sur leur traîneau, et au son de la cloche, tout couverts de neige, rougis, joyeux, affamés, ils se retrouvaient au réfectoire. Et là,même si c’était le temps du Carême de la Nativité, tout était délicieux. La nourriture du monastère l’est toujours, même quand il s’agit de soupe maigre ou des tartes fourrées sans huile, à l’eau. Les moines cuisinent avec la prière aux lèvres et dans le cœur, voilà pourquoi c’est délicieux. Petits pains aux pommes de terre ou tendre tarte au chou, soupe monastique aux ouïes de poisson, et le dimanche, du poisson sorti tout chaud du poêle, quels parfums! Et ensuite, gelée de canneberges ou d’airelles accompagnée de thé aux herbes parfumées, et craquelins aux raisins secs… Les moines anciens mangeaient peu; l’Archimandrite du grand schème Zacharie mangeait quelques cuillerées de soupe et un petit quartier de tarte. Même le Père Valérien, grand, costaud, mangeait peu. Il est vrai qu’ils étaient au monastère depuis longtemps… Le père spirituel avait donné à Piotr et Micha sa bénédiction de manger à satiété. Ils le firent.
Pour la Nativité, selon la tradition, les moines montèrent une crèche. Juste à côté de l’église, au milieu de la congère d’hiver, dans une grotte de glace éclairée par des lanternes, il y avait une crèche en bois, du vrai foin dans la crèche, à côté d’un cheval et d’un âne de chiffon et, surtout, la Très Sainte Mère de Dieu avec l’enfant Christ emmailloté. Il était particulièrement agréable de regarder cette grotte le soir, quand il faisait sombre et d’énormes étoiles brillaient dans le ciel. Alors, le foyer dans la crèche brillait avec une douceur particulière; les lanternes attiraient le regard et dispersaient l’obscurité environnante. Et le Père Valérien avait ramené de la forêt un grand sapin de Noël aux aiguilles denses. Micha et Piotr vidèrent un placard où étaient rangées boules et décorations, une pluie de lumière. Les boules étaient si brillantes, elles sonnaient clairement comme le cristal. Jamais auparavant, Micha n’aurait cru qu’il était possible de décorer avec joie un sapin de Noël: c’était une activité pour les enfants… Mais maintenant il l’avait décoré et il avait écouté comment le poêle bourdonnait et crépitait dans le réfectoire chaleureux et confortable. Des odeurs merveilleuses et savoureuses arrivaient de la cuisine, derrière les fenêtres couvertes d’arabesques de glace, on voyait les arbres blanchis comme neige par le givre. Des flocons de neige tourbillonnaient doucement.
Le soir, le Père Savva appela Micha et Piotr dans sa cellule. Ce fut un moment tellement précieux! Dans la cellule de Batiouchka, le parfum était si merveilleux, celui de l’encens de l’Athos, des icônes tout autour des murs, des livres. Et quand le Père Savva commença à parler de l’Athos, des sentiers de montagne, des monastères de la Sainte Montagne…
Quand ils sont sortis de la cellule de l’higoumène, la nuit bleue était déjà tombée sur le monastère. D’énormes étoiles brillaient dans le ciel. Un petit foyer brûlait dans la grotte de la crèche de Noël et la lumière de ses Saints Habitants éclairait le chemin menant aux cellules. Ils s’arrêtèrent une minute près de la grotte de neige. Restèrent là, debout. Et Micha sentit soudain une plénitude inhabituelle de la vie, telle qu’il est impossible de transmettre avec des mots. Il n’y parvint pas. Quand Piotr demanda: «Mich’, qu’est-ce qui t’arrive?», il dit doucement:
«Tu sais, Petya … c’est pourtant bien de vivre dans le monde!» Il craignit que son ami ne comprenne pas, rie, que son humeur soit gâchée. Mais Petya avait compris et répondit sérieusement:
– Oui, frère Micha, c’est bien… «Je vois, j’entends, tout en moi est heureux…» C’est du Bounine, frère…
La Nativité approchait. Ils attendaient les gelées, et après le repas, toute la petite communauté transporta sur des luges et un grand traîneau du bois de chauffage depuis la remise à bois jusque dans les cellules et au réfectoire, afin de pouvoir célébrer la fête de la Nativité et se reposer, sans devoir se soucier du bois de chauffage. Tout le monde en bottes de feutre, épais blouson et bonnet de feutre. Du travail efficace. De retour avec une luge chargée de bûches, Piotr et Micha se figèrent soudain sans plus avancer vers leur cellule : les parents de Micha se précipitaient à leur rencontre. Ils avaient l’air inquiets. Ils passèrent devant eux, hochant tout juste la tête pour les saluer. Micha n’en croyait pas ses yeux: ses parents ne lui avaient accordé aucune attention. Ils approchèrent de la remise à bois, firent le tour de tous les moines qui travaillaient et se hâtèrent de revenir. Ils revinrent auprès de Micha et Piotr figés toujours pétrifiés et s’arrêtèrent à quelque distance. La maman demanda :
– Pères, auriez-vous vu notre Michenka? Michenka, notre garçon?
Et le papa confirma d’un hochement de tête. Micha et Petya les fixaient avec étonnement, et la maman se plaignit plus encore:
– Mais qu’est-ce que c’est?! Chers Pères! Vous n’avez pas vu notre petit Micha?
Alors, enfin, Micha retrouva l’usage de la parole. D’une voix embarrassé, il grogna :
– Mais m’man, qu’est-ce qui te prend? C’est moi…Micha.
Piotr regarda attentivement son ami: gros chandail, bottes de feutre et chapka couvrant les oreilles, enfoncée jusqu’aux sourcils. Mais ce ne sont pas ses vêtements qui l’avaient rendu méconnaissable. Au lieu du garçon pâle, aux yeux éteints, qui était arrivé au monastère il y a quelques mois, les parents voyaient en face d’eux un Micha aux joues vermeilles, costaud et au regard vif et joyeux. Voilà une histoire de la Nativité au monastère.
«Je n’ai pas fermé l’oeil»
Les pèlerins étaient arrivés au monastère pour la Nativité. L’hôtellerie était bondée et Volodia, l’un d’eux, avait reçu la bénédiction pour passer la nuit dans la cellule du Père Valérien, auquel il était venu rendre visite. Ils ouvrirent un lit pliant pour Volodia.
Avant de se coucher, le Père Valérien avertit son invité:
– Je ronfle parfois dans mon sommeil. Pousse-moi si tu veux.
Ceci convenu, la nuit tomba. Immédiatement, le Père Valérien se mit à ronfler. Volodia n’avait pas encore eu le temps de s’endormir, et maintenant il ne pourrait pas. Il siffla, et le père de Valérien cessa de ronfler. Ça a marché!!! se réjouit Volodia. Mais quinze minutes plus tard, le ronflement résonna à nouveau. Et puis encore… et encore…
Le matin, Volodia, qui n’avait pas dormi, décida d’exprimer son mécontentement en plaisantant:
quelqu’un a tellement ronflé toute la nuit que je n’ai pas pu dormir!
Le Père Valérien encore endormi lui répondit : Et moi, je n’ai pas fermé l’œil: quelqu’un a sifflé toute la nuit!
Du bois de chauffage pour le père Théodore
Le Père Théodore, vieux moine du grand schème, était petit, mince, mais très actif. Malgré son âge, souvent, il donnait des sueurs aux frères de la communauté:
– Nous n’avons pas d’ordre dans ce monastère! C’est comme ça qu’on enlève la neige?!
Il arracha la pelle des mains d’un moine et se mit à déblayer à sa manière, qualitativement! Tout le monde connaissait le Père Théodore, mais on l’aimait aussi: il n’avait aucune mauvaise intention. Un jour, le jeune Hiéromoine Siméon décida d’aider secrètement le vieil homme.
La pile de bois était quasi vide chez le Père Théodore et il fallait aller loin pour le bois de chauffage. Sachant que le vieux moine du grand schème était susceptible, le Père Siméon apporta secrètement, la nuit sur un traîneau, le bois de chauffage le plus tendre, en quantité pour une pile de bûches. Après avoir monté la pile jusqu’au sommet, il rentra dans sa cellule avec le sentiment joyeux du travail accompli. Le matin, dans le monastère, tout le monde fut assourdi par les cris du Père Théodore. Regardant depuis leurs cellules, les frères furent témoins du tableau suivant : toute la pile de bûches se trouvait dehors, les bûches attentivement sélectionnées s’étaient envolées du couloir.
– Qui a apporté ce bois?! Tout était obstrué! Le vieux n’avait qu’à déblayer! Quel malin! Ce n’était pas du bouleau, mais du tremble! Pas du bois de chauffage, on se demande à quoi il sert! Il n’y a pas d’ordre dans ce monastère! Asséna le Père Théodore. Si vous pensiez que le Père Siméon se sentit offensé, alors écoutez la suite de l’histoire: le lendemain matin, les frères furent à nouveau réveillés par un grand cri du vieux moine du grand schème dans le couloir :
– Ah, du bouleau, voilà ce dont on a besoin! On a enfin compris! On a finalement fait fonctionner sa tête vide! Ce n’aurait pas pu être fait correctement dès le premier coup?! Tu enseignes l’ordre à ces jeunes, tu leur enseignes, et tout est inutile! Il n’y a pas d’ordre dans ce monastère!
Les frères secouaient la tête, et seuls l’higoumène Savva et le Père Zacharie, archimandrite du grand schème, souriaient. Ils se souvenaient bien de la règle monastique: «Qui nous fait des reproches nous fait cadeau. Et qui nous offre louanges, nous vole».
Et ils savaient aussi que le Père Théodore qui avait crié fermerait la porte de sa cellule, et se calmerait immédiatement, rejetant toute trace de l’apparence de la colère. Il se calmera, se posera tranquillement sur ses vieux genoux douloureux et priera longuement pour son bienfaiteur et pour toute la fraternité monastique.
«Et qui a préparé cette beauté?»
Un jour pendant la Nativité, le Père Théodore fut très malade. Presque 90 ans, toute sa vie dans les travaux! Les frères étaient affligés, mais les moines essaient toujours de se souvenir de la mort, et pour le Père Théodore, ils avaient préparé un cercueil et une croix.
Le Hiéromoine Siméon prit les Saints Dons et alla communier le malade. Le Père Théodore était allongé sur son lit sans mouvement. Son regard errait; tout témoignait de l’approche du mystère de la mort. Le Père Siméon l’oignit d’huile consacrée et communia le mourant d’une goutte du Sang du Christ. Le lendemain, pendant le dîner du jour de la fête, la porte du réfectoire s’ouvrit avec fracas. Sur le seuil se tenait, bien vivant, le Père Théodore! Aucune trace de l’infirmité mortelle de la veille!
Et sur le chemin du réfectoire, il avait remarqué le nouveau cercueil qui séchait au soleil d’hiver. Ce cercueil était un beau travail: Petya, le novice du monastère aux mains d’or avait imaginé l’orner d’une sculpture, pour le Père Théodore! Le Père Théodore aima beaucoup cette sculpture.
– Et qui a préparé cette beauté? Demanda à haute voix le Père Théodore tout en avançant.
Comment le Père Théodore se préparait pour le repas
Le Père Théodore avait subi deux crises cardiaques, mais il était encore assez éveillé pour ses 90 ans. Toutefois, il ne pouvait pas mâcher les aliments fermes. Et pour ne pas gâcher le pain, il venait toujours au réfectoire à l’avance, pour séparer la mie des croûtes.
Aujourd’hui encore, Dionysi n’avait pas encore sonné la cloche pour éveiller le monastère, que le Père Théodore était déjà assis à sa place et se préparait pour le repas. Arriva la semaine de la Nativité. Les frères se réjouissaient, et le Père Théodore était également de belle humeur. Il émiettait les croûtes de pain dans sa soupe et souriait joyeusement en regardant l’élégant sapin de Noël dans le coin du réfectoire.
Le Père Valérien, ayant par hasard jeté un coup d’œil dans le réfectoire, avait aperçu le Père Théodore et demanda joyeusement :
– Eh quoi, Père, tu fais tremper les croûtes?
Et le Père Théodore hocha joyeusement la tête.
Traduit du russe
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