Kondrat en or. Croquis de Pioukhtitsa

L’Archiprêtre Oleg Vrona

Le site Pravoslavie.ru a publié fin 2019 et début 2020 une série de quelques textes portant le sous-titre de ‘Croquis de Pioukhtitsa’, écrits par l’Archiprêtre Oleg Vrona, né en Sibérie orientale, jadis diacre à Pioukhtitsa, et aujourd’hui recteur de l’église Saint Nicolas à Tallinn. Ces textes, à première vue peu spectaculaires, sans doute, proposent quelques pages de la vie spirituelle dans ce célèbre monastère, situé à la frontière de l’Estonie, mais aussi des portraits de certains «justes» qui y séjournèrent. Le présent texte, préparé par Stepan Ignachev, a été publié en russe le 31 janvier 2020.

Photo : Pravoslavie.ru

Il portait le prénom de Kondrat, relativement rare à l’époque, et il était un bricoleur hors pair, il avait des mains en or. Il était de taille imposante, avec de grands bras, un visage allongé et le nez camus. Ses dents aussi étaient grandes, mais deux petites couronnes de métal jaune brillaient à la place des incisives. Ses chaussures, à cause de leur taille démesurée, ressemblaient plus à des skis courts qu’à des bottines normales. Read more

Paroles de Batiouchka (14)

Né en avril 1937, Valerian Kretchetov, prêtre de village, est le prédicateur le plus âgé de l’Éparchie de Moscou. Fils d’un prêtre, frère d’un prêtre, l’Archimandrite Valerian est père de sept enfants, dont un prêtre, et grand-père de trente quatre petits enfants. Il fut ordonné diacre en novembre 1968, et prêtre en janvier 1969. En 1974, il succéda au Père Sergueï Orlov, comme recteur de l’église du Pokrov, au village d’Akoulovo, dans la région de Moscou. Il fréquenta les plus grands starets pendant des dizaines d’années et accomplit dix-huit séjours sur l’Athos. Une quinzaine de livres ont été édités, reprenant prédications, entretiens multiples et interventions devant des groupes très divers.

«Entretiens au Pokrov d’Akoulovo», page 42

Le livre dont l’extrait est tiré

… seule la foi donne un regard large sur la vie. L’absence de foi contracte le regard. Quant à la science, elle fixe des œillères : cela, ça n’existe pas, seul ceci existe. En outre, les conclusions du genre de «la science a prouvé que cela ne peut être», elles sont absurdes, car la science peut seulement dire : «Voilà, ça, je le sais, et au-delà de ça, je ne sais pas». J’ai parlé de cette situation aux enfants, je la leur ai expliquée.

Le Saint Hiéromartyr Hilarion (Troïtski) Huit Lettres d’Occident. (14)

Il ne semble pas que jusqu’à présent, les huit Lettres d’Occident, écrites par le Saint Hiéromartyr Hilarion (Troïtski) aient été traduites en français. Ces huit lettres, éditées pour la première fois en 1915, sont incluses dans les Œuvres en trois volumes du Saint Hiéromartyr, au tome 3, pp 396 à 458. (Священномученик Иларион (Троицкий). Творения в 3 томах. -épuisé-), Moscou, 2004, Éditions du Monastère de la Sainte Rencontre. Le texte de ces huit lettres fut également publié sur le site Pravoslavie.ru, entre le 16 et le 22 mai 2006. Ces écrits, qui ne relèvent pas d’une démarche académique, plongent le lecteur avec animation et profondeur dans l’atmosphère spirituelle, philosophique, culturelle et sociopolitique du début du XXe siècle; c’est en 1912 que l’Archimandrite Hilarion (Troïtski) effectua un périple dans les grandes villes d’Europe. La troisième lettre présente le contraste, irréductible, semble-t-il, entre l’église en Occident et l’église en Russie Orthodoxe. Voici la suite de la septième lettre. Les précédentes lettres se trouvent ici.
L’ironie parfois féroce du texte ci-dessous pourrait paraître aujourd’hui désobligeante envers les Allemands, mais il convient de se souvenir que cette «lettre» fut rédigée à une époque où les relations entre l’Empire de Russie et l’Empire allemand étaient extrêmement dégradées, la Première Guerre mondiale venant de débuter par l’agression germanique envers le peuple Serbe. C’est à cette époque que Saint-Pétersbourg fut renommée «Petrograd» sur décision du Saint Tsar Nicolas II qui estimait que l’origine allemande du nom «Sankt-Peterburg» rendait cette appellation incompatible avec l’état des relations entre la Russie et l’Empire allemand.

Du reste, il arrivait au  Saint Hieromartyr Hilarion de se montrer tout aussi féroce vis-à-vis des défauts des Russes.

Ils sont beaux, les rivages rhénans, mais la culture européenne combat la beauté ici également, introduisant son esprit mercantile. Bien souvent, les monts qui côtoient le Rhin sont couverts de vignes , du bord de l’eau jusqu’à leur sommet, et ils perdent ainsi leur beauté originelle. Les aspérités sont nivelées, tout est lissé, et on fabrique des bandes vertes toutes identiques. Telles des oasis, épaves de la beauté d’antan au milieu d’une uniformité artificielle se dressent les ruines des châteaux, comme celles du château d’Herrenfels. Mais bien sûr, cela correspond à une image; celle de l’Allemand qui navigue vers l’aval du Rhin en buvant le vin du Rhin!

Constantin Sergueevitch Aksakov

Quand on observe les passagers, on remarque la particularité du public allemand. En Europe, mon Ami, en fait, on ne voit pas de peuples, on rencontre un public. Là-bas n’existe pas notre distinction entre peuple et public, celle dont a si joliment et si précisément écrit C.S. Aksakov. Toi, mon Ami, Tu Te souviens évidemment de la comparaison entre peuple et public. Le célèbre slavophile se tenait résolument du côtés du peuple, parce que chez nous, le public est plus respecté que le peuple, orthodoxe, car le public danse, alors que le peuple, il prie. Il me semble que les voyages (de même que la promenade, au sujet de laquelle, mon Ami, je t’ai écrit la fois dernière), c’est l’affaire du public, et non du peuple. Qu’y faire? Bien qu’avec Aksakov, j’aie plus de sympathie pour le peuple que pour le public, j’aime toutefois beaucoup voyager. Mais le peuple ne voyage pas pour aller voir des terres étrangères et découvrir les beautés de la nature à l’étranger. Souviens-Toi, mon Ami, je t’ai écrit, voici peu de temps, une lettre enthousiaste depuis la Volga et la Kama, déplorant que Tu ne T’y trouves pas avec moi! Mais j’ai pu constater alors l’indifférence du peuple envers leurs belles rives. Il est assis dans le bateau-vapeur, tournant le dos au rivage, et leur visage se tourne vers-celui-ci seulement lorsqu’il s’agit de descendre quelque chose dans l’eau, comme par exemple, pour rincer une théière. L’âme du peuple est sensible à la beauté de la nature, mais sa relation à la beauté de la nature n’est pas esthétique mais religieuse : il est en effet enthousiasmé par la beauté du monde de Dieu, de la création divine. Il n’a pas besoin des beautés stupéfiante ; pour lui, Dieu est grand dans les brins d’herbes qui poussent de terre. J’ai très fréquemment rencontré cet enthousiasme pour les créatures de Dieu chez les gens simples du peuples devenus moines.Chez nous le monastère réunit en effet ce qu’il y a de plus sensible, de plus tendre, de plus enthousiaste et de plus profond dans la masse du peuple russe.

Saint Hilarion (Troïtski)

Sur le Rhin, j’ai vu le public allemand en voyage. Tu ne peux t’imaginer, mon Ami, comme le voyage est chose développée chez le Allemands! Quasi chaque Allemand économise quelque dizaines de marks pour, l’été venu, emmener son Allemande voyages sur le Rhin, visiter la Suisse de Saxe, ou se promener à la montagne. On rencontrer des touristes allemands partout. Les Allemands possèdent toute une science du voyage. Et tout, de nouveau, est cadré dans un un schéma modèle. J’ai souvent sourit à la vue des Allemands en voyage. Ils sont cocasses dans leur obtuse autosatisfaction. Quand il voyage, l’Allemand porte inévitablement un costume adapté au voyage. Dans les villes, il existes des magasins spécialisés dans les équipements pour touristes. Quand le touriste part en montagne, la comédie commence dans la plaine. Il chausse d’épaisses chaussures en cuir solide, munies de pointes en fer sur les semelles. En dessous, il porte des bas épais qui lui montent jusqu’au-dessus du genoux. Sur son dos, il porte un sac, et toute la silhouette est couverte d’une cape. En main, il tient un long bâton avec un bout métallique pointu. On a ainsi l’impression que ce touriste part au Pôle Nord ou au sommet du Mont Blanc. Quelle vision pénétrée d’importance! Il exprime de la sorte ceci : «Voyez, je pars en voyage. De grands dangers m’attendent, mais je les surmonterai tous!». Je pense plutôt que l’Allemand voyage par mesure d’hygiène, pour s’endurcir, faire fondre sa graisse, activer sa circulation sanguine, s’ouvrir l’appétit et provoquer un profond sommeil. Les plaisirs procurés par les beautés de la nature sont également importantes pour lui, entre autres, parce qu’elles lui facilitent la digestion. Un membre de ma famille, grand voyageur, se moquait avec férocité de la manière allemande de voyager. «Chez les Allemands, disait-il, au sommet des montagnes, vous trouvez des écriteaux portant la mention : «Il faut s’arrêter ici et admirer la vue à droite», «Ici, vous devez exprimer bien fort votre ravissement», etc…». L’Allemand voyage de manière à ne pas dépenser vainement les marks qu’il a économisés. Il s’évertue à ne manquer aucun point de vue ni aucune curiosité. Le touriste allemand tient toujours un guide en main. Et ce serait pour l’Allemand un malheur que ne pas aller voir un endroit mentionné dans ledit guide. Évidemment! Ne pas aller voir une chose que son argent lui permet de voir! Cet argent serait gaspillé!

Saint Hilarion

Ainsi donc, mon Ami, l’Allemand et le Russe voyagent différemment. C’est la grandeur de la nature du Russe qui le pousse à voyager, à embrasser et étreindre le plus de choses qu’il peut. L’Allemand en voyage est méticuleux, calculateur et ennuyeux.
Pendant mon voyage en bateau sur le Rhin, mon attention fut attirée par un prêtre catholique. Je vis son visage glabre et sa soutane. Je pensai : ne serait-ce pas là un étudiant catholique? J’allai m’asseoir à côté de ce compagnon de voyage et engageai la conversation. Il s’avéra qu’il n’était pas étudiant, mais prêtre d’une paroisse de village en Bavière, c’est-à-dire, un personnage d’autant plus intéressant. Malgré que ce compagnon ne se distinguât pas par sa loquacité, longuement, nous conversâmes à propos de questions variées et nous déjeunâmes même ensemble (pardon Seigneur!). Il avait terminé l’Université à Munich mais, apparemment, il avait rompu avec la science dès la fin de son cursus académique. Il s’avéra que je n’étais pas moins familier qu’un prêtre de village bavarois avec les ouvrages de théologie allemande. Je n’ai pas non plus aperçu une intelligence ni une éducation particulière dans le chef de mon interlocuteur. Ce qui m’intéressa, ce furent ses récits des affaires ecclésiastiques, de la vie et des activités du clergé catholique. (A suivre)
Traduit du russe

Souvenirs de l’Higoumène Barbara au sujet de Saint Seraphim de Vyritsa.

L’original du texte ci-dessous fut publié le 3 avril 2017 sur la page du réseau social «Live Journal» de l’Archiprêtre Guennadi Belovolov, Recteur de la Paroisse des Saints Pierre et Paul de Somino, et fondateur-conservateur de l’appartement-mémorial de Saint Jean de Kronstadt, à Kronstadt. Dans ce texte, le Père Guennadi rapporte des souvenirs de l’Higoumène Barbara du Monastère de la Dormition de la Très Sainte Mère de Dieu, à Pioukhtitsa, au sujet de Saint Seraphim de Vyritsa. C’est aujourd’hui, le 21 mars / 03 avril qu’est célébrée la mémoire de Saint Seraphim, l’intercesseur et thaumaturge de Vyritsa.

… Arriva l’an 1947. Notre famille revenait tout juste d’évacuation. Je vivais avec mes parents à Louga. Maintes fois nous avons parlé du grand Starets et puissant intercesseur, le Père Seraphim de Vyritsa, quand nous étions à Louga. J’avais tellement envie d’aller le voir!
A la première occasion, je me mis en chemin. C’était dans les premiers jours de juin. Sur les arbres, les petites feuilles commençaient seulement à se déployer. Je n’avais pas encore dix-sept ans. Je rejoignis Saint-Pétersbourg, et de là, la gare de Vyritsa. Dans quelle direction devais-je aller? Je n’en avais pas la moindre idée. Je demandai «Où vit donc Batiouchka Seraphim, chez vous?». «Marchez tout droit. Vous verrez l’église de la Mère de Dieu de Kazan. Sa petite maison n’en est pas très éloignée», me répondit-on. Je marchai. J’arrivai devant l’église en rondins; un petit cimetière la jouxtait. Je trouvai la petite maison, bordée d’une vaste véranda. Je frappai à la porte et entrai. Beaucoup de monde était déjà là. «C’est ici que vit Batiouchka Seraphim?», m’enquis-je. «C’est ici, mais il ne reçoit personne. Lisez!» Sur la porte était affichée une annonce : «Batiouchka est souffrant. Il est demandé de ne pas le déranger et de ne pas frapper à la porte». C’était deux ans avant le décès de Batiouchka. Read more

Paroles de Batiouchka (13)

Né en avril 1937, Valerian Kretchetov, prêtre de village, est le prédicateur le plus âgé de l’Éparchie de Moscou. Fils d’un prêtre, frère d’un prêtre, l’Archimandrite Valerian est père de sept enfants, dont un prêtre, et grand-père de trente quatre petits enfants. Il fut ordonné diacre en novembre 1968, et prêtre en janvier 1969. En 1974, il succéda au Père Sergueï Orlov, comme recteur de l’église du Pokrov, au village d’Akoulovo, dans la région de Moscou. Il fréquenta les plus grands starets pendant des dizaines d’années et accomplit dix-huit séjours sur l’Athos. Une quinzaine de livres ont été édités, reprenant prédications, entretiens multiples et interventions devant des groupes très divers.

«Réflexions avant la confession», pages 31-32

Les gens qui menaient une sainte vie disaient : «Hâtez-vous de faire le bien!». Et une journée vécue par un homme sans qu’il ait accompli une seule bonne action ou supporté l’une ou l’autre affliction, était considérée par les Saints Pères comme une journée perdue.

Le livre dont a été tiré l’extrait.

Un héros de l’ascèse demanda à Dieu de lui révéler ce qu’il convenait de faire en ce monde pour hériter la vie éternelle. Et il lui fut montré que tous ceux qui avaient hérité la vie éternelle avaient dû endurer certaines choses. Il comprit:il faut avoir la patience d’endurer, il faut supporter certaines choses.
Mais qu’est-ce que la patience? La patience est un art spirituel : comment, dans certaines circonstances, dans les relations avec les autres, moins pécher. On peut l’exprimer plus simplement ainsi : la patience est l’art de vivre sans pécher. Mais comment acquérir cet art ? L’Apôtre Paul en a parlé : «Portez les fardeaux les uns des autres, et vous accomplirez ainsi la parole du Christ» (Gal.6,2). C’est en cela que consiste le simple principe du salut. C’est-à-dire qu’il est nécessaire de s’efforcer de supporter sans irritation les faiblesses et les défauts de ceux qui nous entourent, et surtout, sans ressentiment et sans jugement. Et celui qui parvient à vivre de la sorte, et bien, c’est suffisant. Tout à fait suffisant. Ce n’est pas énorme, ce qui nous est demandé.
Il est remarquable de constater que les Saints Pères donnaient l’instruction suivante, même aux confesseurs et pères spirituels, à ceux donc qui étaient des anciens. Voici, par exemple, ce qu’ils disaient à un higoumène, supérieur d’une communauté : «Tu dis qui tu endures patiemment les défauts de ceux qui sont placés sous ton autorité. Et bien, rien que cela peut assurer ton salut. Tu arriveras et tu diras :’Seigneur, je les ai supportés, supporte-moi!».
Traduit du russe