Edinoverie (Единоверие, prononcé à peu près, ‘yedinəverié’) est le nom de la communauté de Vieux-Croyants de Russie qui sont parvenus à un accord avec le Patriarcat de Moscou, et sous la juridiction duquel ils se sont placés, tout en conservant leurs particularités. On recourt parfois aussi au terme ‘coreligionnaires’ pour les nommer. L’expression ‘Vieux-Croyants Unis’ est la traduction reprise dans le «Dictionnaire russe-français des termes en usage dans l’Église Russe», de l’Institut des Études slaves. Taras Sidash, traducteur du grec ancien, écrivain, philosophe russe vivant à Saint-Pétersbourg, dont nous avons publié la traduction de quelques textes, fait partie de cette communauté de Vieux-Croyants Unis. En 2011, Taras Sidash a accordé un entretien au magazine russe ‘Valeurs Familiales’, au cours duquel il présente sa communauté, la manière dont les Vieux-Croyants comprennent le schisme, et son analyse, acide, des événements de l’histoire de l’Église. Voici la seconde partie de l’entretien, la première partie se trouve ici.
Pour autant que je sache, vous-même faites partie des Vieux-Croyants Unis. De quoi s’agit-il?
Du point de vue formel, l’appellation ‘Vieux-Croyant Unis’ s’applique à un conglomérat de paroisses, communautés et monastères de la ‘Vieille Foi’ qui reconnaissent la réalité et l’efficacité des Mystères [sacrements] du Patriarcat de Moscou. Les Vieux-Croyants Unis s’efforcent de préserver le rituel et l’ordre canonique de l’Église d’avant le schisme. Le dernier document attributif du droit est la «Situation des Vieux-Croyants Unis» datant de 1918. Dans la mesure où les Vieux-Croyants Unis comptent autant d’années que les autres Vieux-Croyants et que les «nouveaux croyants», il est tout à fait compréhensible qu’après tout ce temps, les gens de différents lieux utilisent cette appellation pour désigner des choses différentes. On compta parmi les Vieux-Croyants Unis des traîtres avérés à la cause de la Résistance orthodoxe, achetés par les autorités au moyen, banal, d’argent sonnant et trébuchant. Il y eu des éclaireurs et des partisans qui revêtirent l’uniforme de l’ennemi pas du tout pour servir ce dernier. Il y eu des gens indifférents et las, et d’autres, au contraires qui furent zélés et doués pour l’exploit ascétique. Il y eu des esthètes attirés par la dimension ancienne et des bourgeois traînant stupidement dans leur vie l’héritage vieux-croyant. Si on veut définir les Vieux-Croyants Unis de façon empirique, on obtient un spectre balayant toutes les possibilités. Je conçois les Vieux-Croyants Unis comme un mouvement de Résistance qui tout d’abord veut modifier l’Église patriarcale mais pas sa mort. Ensuite, il n’estime pas que pour atteindre son but, il soit efficace de sortir du Patriarcat de Moscou.
Un changement dans quelle direction?
Dans la direction de la forme de vie en Assemblée (l’Église) de Croyants telle que la créa le Sauveur Lui-même, et qui est décrite dans les derniers chapitres de l’Évangile de Jean.
Bien sûr, on trouve là beaucoup de choses à propos de l’amour… mais concrètement?
Il existe une proposition fondamentale : il n’est possible de connaître le Seigneur qu’en «lisant» sa révélation kénotique, c’est à dire en apprenant à Le connaître dans notre prochain et en mettant en œuvre vis-à-vis du prochain la loi surnaturelle de l’amour. L’amour, dans les derniers chapitres de Jean, ce n’est pas un sentiment, ce n’est pas quelque chose d’humain, ce n’est pas quelque chose qui pourrait être ou ne pas être. C’est une exigence (un ‘commandement nouveau‘), un acte et un mode d’action, visible et reconnaissable par tous en tant que signe et bannière d’une autre connaissance du monde, de l’homme et de Dieu. Concrètement? Au temps des événements décrits par Jean, naquit la communauté apostolique. Ensuite, toutes les autres ont mis en place les formes au sein desquelles elles souhaitaient pouvoir accomplir ce ‘commandement nouveau‘. Bien entendu, depuis lors, des fonctionnaires ont fait leur apparition dans l’Église aussi. A travers leurs rapports sur «l’état d’avancement de l’incarnation des béatitudes évangéliques dans la vie», ils ont éloigné infiniment la plus grande partie de l’Église de la compréhension de l’Évangile et de la nécessité d’agir. Toutefois, la conscience de l’Église du Grand et Saint Jeudi, la conscience apostolique, cette conscience que le Sauveur Lui-même appela à la vie, ne cessa jamais d’exister; elle ne mourut pas.
Cela signifie que l’Église est une confédération de communautés? Mais l’évêque, vous le casez où?
Aux Vieux-Croyants Unis, Dieu a, en grande partie, fait grâce des évêques… Il y en eu quelques-uns entre 1918 et 1936; des bons. Plus sérieusement, seule une chose est inadmissible: concentrer dans les mêmes mains les pleins pouvoirs en matière de sacré-liturgique et de l’économique-juridique. Dès lors, s’ils le veulent, qu’ils s’occupent de liturgie et de prêche, mais alors qu’ils ne se mêlent pas de gestion ou de jugement et d’arbitrage. Et s’ils le veulent, qu’ils gèrent et qu’ils dirigent, mais qu’ils ne prêchent pas en enseignant et en servant l’office. Ceci relève de l’Évangile et du bon sens. Qu’est-ce que le Seigneur a dit à ses apôtres d’emmener avec eux pour aller annoncer la parole : leur compte en banque, une protection contre les bandits? Je le répète, que ceux qui ne sont pas capables de prêcher comme les apôtres ne prêchent pas. Et il y a encore autre chose. Enseigner autrement que comme les apôtres, c’est un grand péché, pour lequel Dieu punit l’Église et le peuple, même jusqu’à la mort. Tout l’idéalisme prophétique de nos Panurges portant le rason ne suscite qu’une indifférence profonde. Mais eux, de leur côté, sont indifférents à tous, sauf bien entendu aux rangs de ceux qu’ils oppressent. Voilà une face de la pièce. Pour ce qui est de l’autre face, en quoi les évêques seraient-ils pires que des pères-noël municipaux? Il faut permettre à toutes les fleurs de fleurir. Les Anglais entretiennent leur reine, et ses gaillards. C’est bien ainsi. Pourquoi de notre côté n’entretiendrions-nous pas un patriarche? Pour vivre dignement, il faut vivre généreusement. La communauté est incomparablement plus ancienne que l’Église, pas seulement au nombre des années, mais dans son sens. Ainsi, l’épiscopat et beaucoup d’autres «choses ecclésiastiques» ne sont qu’une sorte d’ornement face à la moindre et la plus misérable communauté, pour autant que celle-ci vive selon la parole du Seigneur. Tous ceux qui ne considèrent pas (ou qui ne sont pas obligés de considérer) qu’il s’agit là d’une icône, sont autorisés à en profiter tel qu’il est. Pour ma part, disons que je vois non sans satisfaction un épiscopat bien tempéré. Il ne faut pas augmenter, mais plutôt diminuer le nombre des évêques ; mieux vaut qu’ils soient moins nombreux et meilleurs. Chacun bénéficiera d’un avion de service et dînera chez Lucullus, afin d’assurer le standing ; qu’ils s’achètent donc de luxueux palais, ceux que les excursions peuvent visiter, et qu’ils n’aillent pas se réfugier dans les baraques diocésaines à l’intérieur d’auberge soviétique. Ce sont les princes de l’Église. Et non sa tête. Seulement sa face, son poing, sa bedaine. C’est une affaire d’honneur, que d’engraisser les bons vieux princes de l’Église pur jus.
Pour parler de nouveau plus sérieusement, après que les découvertes de Qumran nous aient amenés à considérer les auteurs de tout le corpus de textes du tout début du christianisme comme des gens qui réfléchissaient tout à fait de la même façon que les autres sectes juives de l’époque, la provenance pré-chrétienne de la dignité épiscopale est devenue claire : dans les communautés esseniennes, ce rang s’appelait mevaqqer. Notre épiscopat n’est pas du tout le descendant des apôtres du Nouveau Testament, mais bien de «l’organe de supervision et de contrôle» d’une secte juive. Il ne s’agit pas de mon analyse ou de mon explication, mais d’un fait tout simple, élucidé dès le départ par notre qumraniste national, I.D. Amusine. Nous souvenant aujourd’hui de cela, l’épiscopat devient quelque chose de semblable à la circoncision: si tu as été appelé par Dieu dans ce genre de conditions, et ce genre d’Église, et bien, vis en celle-ci et n’aie crainte. Si tu es appelé dans une Église et que celle-ci n’a pas d’évêques, cela n’a aucun sens de s’enfuir pour cette raison. La pratique d’une hiérarchie à trois rangs doit être admise, comme toute pratique, dans les limites de l’utilité qu’elle peut présenter.
Quand vous êtes devenu Vieux-Croyant Uni, vous avez recommencé le rite du baptême, vous avez en fait été rebaptisé. La première fois, ce n’était pas vraiment un baptême?
Cela revient au même que de demander à un soldat: comment se fait-il que vous, un Russe, ayez prêté serment? Y avait-il un risque de vous voir servir un autre État l’arme à la main? Vos parents vous ont-ils mal élevés? Et le soldat répondrait: non, mais voilà, sans serment, on ne me donnerait pas de fusil, et je ne pourrais pas combattre. Vous lui diriez alors: non, en fait cela signifie que tu pensais que c’était nécessaire parce que tu étais convaincu qu’à la maison, on ne t’avait pas élevé normalement… Il m’apparaît que certaines tautologies rituelles sont admissibles et ont un sens. Le baptême par la triple immersion est une exigence de l’Église chrétienne pour tout qui souhaite y entrer. On admet qu’au cours du temps, il soit estropié d’une façon ou d’une autre. Et si la possibilité existe de rectifier la situation, il faut la rectifier. Ou, disons-le plus gentiment, il n’y a aucune raison de se priver du plaisir de la rectifier. Le malheur consiste en ce que nos contemporains ignorants n’ont en général pas la moindre notion de la rigueur requise de tout temps, dans tout le monde orthodoxe en matière de rite baptismal. Ils ne savent pas que notre actuel libéralisme n’est pas une forme de spirituelle hauteur, mais la conséquence du pragmatisme du pouvoir impérial, qui commença par accueillir dans l’Orthodoxie des hérétiques occidentaux sans les baptiser, et ensuite adopta certaines formes de rite occidental. Tous ceux que n’excuse pas cette ignorance éveillent en moi une profonde incompréhension soit dans la mesure où ils pervertissent consciemment et sans y être forcés une tradition remontant à Jésus, soit dans la mesure où ils ne veulent pas réparer une erreur qui n’a pas été commise de leur faute. (A suivre)
Traduit du russe