Né en 1888, le Saint Hiéromartyr Nikon (Beliaev) fut hiéromoine à la Skite du Monastère d’Optina. Il en fut un des derniers startsy, ayant eu pour père spirituel Saint Barsanuphe, lui-même fils spirituel du Saint Starets Anatole (Zertsalov) d’Optina. Un récit de sa vie a été traduit en plusieurs parties sur le présent blogue et est accessible ici. Le Monastère a publié le journal tenu par le novice Nicolas pendant les trois premières années de sa vie monastique. (Дневник послушника Николая Беляева (преподобного Оптинского старца Никона). Le texte ci-dessous est la traduction (sur base de l’édition de 2016) des premières pages de cet ouvrage remarquable, inédit en français. Le début de la traduction se trouve ici.

3 septembre
Le 31 août, Batiouchka a décidé de marcher un peu avec moi le soir dans la Skite. Entre autre, Batiouchka m’a dit quel pouvoir avait la parole du supérieur.
«Un confesseur apprit des choses inappropriées à propos d’un hiéromoine. Hésitant quant à ce qu’il fallait faire, le confesseur s’en alla voir le supérieur du monastère et lui dit qu’un hiéromoine (sans le nommer) avait commis tel péché. «Qu’est-ce que vous bénissez de faire?» Mais s’il était difficile au confesseur d’agir envers ce hiéromoine particulier, le supérieur ne savait pas de qui il s’agissait, et il prononça les paroles suivantes: «Eh bien, je le remets au Jugement de Dieu». Le confesseur fit une métanie et partit. Une année s’écoula, et le hiéromoine fut emporté par une mort terrible. C’était donc le jugement de Dieu! Pendant un an, le Seigneur patienta. Vous voyez, quel terrible pouvoir a la parole du supérieur du monastère!»
Puis, alors que nous étions déjà rentrés dans la cellule de Batiouchka, je lui ai demandé s’il était possible ou non de prier pour que le Seigneur dispense du service militaire? Batiouchka répondit que ce n’était pas permis.
«Pour cela, il faut s’en remettre entièrement à la volonté de Dieu, car, avant tout, c’est légitime. Et puis, nous ne savons pas si cela nous sera utile. Prier pour cela équivaut à prier pour être délivrés d’une obédience. Non, il vaut mieux laisser cela à la volonté de Dieu.»
Voici quelques temps, quand j’ai accompagné Batiouchka aux vigiles du monastère, nous sommes allés comme d’habitude sur les tombes des startsy. S’inclinant devant les startsy, Batiouchka, pointant de sa main vers le monument, juste derrière l’autel principal de l’église de l’Entrée au Temple, m’a dit:
– Je vous ai déjà parlé de ce monument?
– Non, répondis-je.
– Eh bien, vous me le rappellerez un jour, je vous raconterai…
Et ainsi, j’ai récemment rappelé cela à Batiouchka et il m’a raconté ce qui suit.
«Cela se passa il y a longtemps; c’était, il me semble, encore du temps des batiouchkas Lev et Macaire. Un jour, une jeune fille, nommée Barbara, est venue à Optina. Elle aimait beaucoup Optina. Mais il fallut tout de même partir, et elle s’en alla avec sa maman. Elles partirent, et sur la route de Kozelsk, virent qu’on portait un cercueil au cimetière. Dans le cercueil se trouvait une jeune fille. Il y avait alors une coutume, à peine est-elle encore préservée maintenant, selon laquelle une jeune fille devait toujours être portée au cimetière par d’autres jeunes filles. À cette fin, quand une jeune fille mourait, on faisait venir des jeunes filles de partout, vêtues de vêtements blancs, décorées de fleurs, également blanches. Elles soulevaient ensemble le cercueil, également blanc et décoré de fleurs blanches, et le portaient elles-mêmes au cimetière. Et c’est une telle procession funéraire que rencontra sur la route la jeune Barbara. Elle, pleine d’admiration devant ce tableau, s’exclama: «Comme elle doit être heureuse! Quelle chance!». Sa maman s’étonna devant ces exclamations et dit: «Mais tu es stupide ! Je vais t’emmener à Moscou et à Saint-Pétersbourg. Et là tu seras la plus grande beauté dans les bals…» Mais la fille ne l’écouta pas, frappée par ce cortège funèbre blanc.
Elles rentrèrent à la maison, mais la fille pure se sentait étrangère au milieu de l’éclat et du luxe et elle voulait retourner à Optina. Finalement, elle se passa de tout accord et elle vint. À Optina, elle se prépara, communia, s’apprêtait à rentrer à la maison. Elle s’est assise dans la télègue qui démarra, mais là où la route commence à descendre vers la rivière Jizdra, le cheval s’emballa soudainement et se précipita directement dans la Jizdra. Et quand on repêcha la fille, elle était déjà morte.
Les startsy se réunirent en conseil: que faire et où enterrer cette jeune fille… Et ils décidèrent de l’enterrer derrière l’autel principal, lui donnant la première place dans tout le Désert, pour son grand amour envers Optina. Voilà comment elle était, la jeune Barbara. Vous voyez comment Dieu entend la prière et voit l’exaltation d’une âme pure et innocente qui ne s’est pas salie dans les plaisirs terrestres. Elle voulait seulement le bonheur, et le Seigneur accomplit son désir…»
5 septembre
Il n’y a pas longtemps, Batiouchka m’a parlé du Père Archimandrite Moïse:
«Un jour, un paysan a apporté à Optina une entière charretée de pommes à vendre, car à l’époque, il n’y avait pas de pommes à Optina, pas de vergers. Batiouchka Moïse est allé voir le paysan et lui demanda :
– De quelle sorte sont ces pommes et quel est le prix?
Le paysan, pensant que le Père Moïse n’y connaissait rien aux pommes, voulut le tromper, et répondit:
– Ce sont des pommes «bon chrétien». Première qualité.
Le Père Moïse approcha et vit que c’étaient des «antonovka», pas mûres.
– Comment ? Comment dis-tu qu’elles s’appellent ?
– Bon chrétien.
– Oui, et ce bon chrétien, ne s’appellerait-il pas Anton ?
Le paysan vit que le Père Moïse avait reconnu la variété des pommes, et troublé, il répondit :
– Pardon, Père ! Cela veut dire que je peux faire demi-tour et m’en aller ?
– Pourquoi ? Qu’on fasse venir le Père-économe.
Quand celui-ci arriva, Batiouchka Moïse ordonna qu’on décharge les pommes dans la réserve du cellier, et il paya au paysan le prix qu’il avait demandé dès le début.»
Un jour, Batiouchka m’expliqua que vous pouvez connaître le futur tempérament de quelqu’un selon les jouets préférés dans son enfance. «Cela arrive toujours comme ça; bien sûr, il y a des dérogations à la règle générale. Par exemple, quelqu’un de fier et audacieux entre au monastère et, par la force de la grâce, devient doux et gentil. Mais la règle générale est la suivante. Et j’en ai personnellement fait l’expérience. Un jour, j’ai pris trois petits enfants et les ai emmenés dans un magasin de jouets. Là, j’ai demandé à mettre des jouets sur le comptoir, et les enfants ont pu choisir un seul jouet chacun. Et chaque enfant, après quelques hésitations et doutes, a choisi un jouet. Le premier a pris un harmonica; cela signifiait qu’il y avait en lui un artiste, un amoureux de la beauté. Le second a pris le soldat, c’était le modèle de son futur tempérament fort et beau. Le troisième prit une grenouille en caoutchouc peinte, un crapaud; cela dénotait ses inclinations basses. Ces enfants ont grandi, et chacun d’eux a justifié cette règle. Et ce dernier surtout, car il m’a payé à sa manière mon amour pour lui ; je préfère ne rien en dire …» (A suivre)

Traduit du russe
Source :

Saint Père Nikon, prie Dieu pour nous.