Né en 1888, le Saint Hiéromartyr Nikon (Beliaev) fut hiéromoine à la Skite du Monastère d’Optina. Il en fut un des derniers startsy, ayant eu pour père spirituel Saint Barsanuphe, lui-même fils spirituel du Saint Starets Anatole (Zertsalov) d’Optina. Un récit de sa vie a été traduit en plusieurs parties sur le présent blogue et est accessible ici. Le Monastère a publié le journal tenu par le novice Nicolas pendant les trois premières années de sa vie monastique. (Дневник послушника Николая Беляева (преподобного Оптинского старца Никона). Le texte ci-dessous est la traduction (sur base de l’édition de 2016) des premières pages de cet ouvrage remarquable, inédit en français. Le début de la traduction se trouve ici.
10 mai
Hier, Batiouchka est allé au monastère, il était vêtu légèrement et a pris froid. Hier déjà, il ne se sentit pas très bien, mais aujourd’hui c’est encore pire, il n’est même pas venu à la liturgie ni au repas, alors qu’aujourd’hui c’est dimanche. Le Père Archimandrite a attrapé quelque chose aussi.
Hier, j’ai toutefois pu parler un tout petit peu avec Batiouchka. Je n’écrirai pas toute la conversation, mais je note quelques pensées.
«La prière arrive, dit Batiouchka, d’abord orale; ensuite vient la prière intérieure du cœur; troisièmement, la prière spirituelle. Très peu de gens ont la prière intérieure du cœur, et ceux qui ont la prière spirituelle sont encore plus rares. La prière spirituelle est incomparablement supérieure à celle intérieure du cœur. Ceux qui l’ont acquise commencent à connaître les secrets de la nature, ils regardent tout de l’intérieur: le sens des choses, et non leur aspect extérieur. Ils sont constamment submergés par une grande joie spirituelle, une tendresse qui fait que de leurs yeux souvent les larmes s’écoulent. Leur ravissement est incompréhensible pour nous.
Et par rapport à leur ravissement spirituel, l’exaltation des plus grands artistes n’est rien, car il vient des émotions de l’âme. Saint Isaac le Syrien mentionne encore un quatrième type de prière; la prière qui dépasse la limite de notre conscience… Quelle prière est-ce, je ne sais pas. Peut-être que seul Saint Isaac le Syrien y eut accès… [N.d.E. Le quatrième type de prière est la contemplation]
L’instruction scientifique peut être acquise et assimilée indifféremment par tout le monde, mais l’illumination et la pureté des mœurs sont propres au chrétien…
Dans le monastère, il est plus facile d’atteindre la perfection morale que dans le monde. Tant dans le monde que dans le monastère, les passions de l’homme s’agitent, mais dans le monde, on se livre avec délectation aux passions, sinon dans les faits, au moins en parole et en pensée. Au monastère, on lutte contre l’attraction exercée par les passions, et pour cela, on reçoit du Seigneur une récompense et la purification morale…
Saint Seraphim de Sarov dit: celui qui au monastère ne dit pas la prière de Jésus, il n’est pas un moine. Et il est effrayant de penser qu’il ajoute: c’est une tête brûlée… Oui, il est nécessaire de connaître au moins une sorte de prière, fût-ce la plus petite.»
Je ne me souviens de rien de plus.
Jeudi 14 mai
Mon frère Ivan, qui autrefois partageait la cellule avec moi, et est maintenant l’auxiliaire de cellule du Père Joseph, a récemment contracté, je crois, une phtisie.
On a rapporté à Batiouchka que les jours d’Ivan étaient comptés, il était à peine capable se lever. Je suis allé le voir aujourd’hui. Il me semblait pâle, un peu mince, mais ne semblait pas mourant. Il souriait, parlait fermement, ses mouvements étaient libres et rapides; il dit qu’il se sentait mieux. Je me souviens qu’on m’a dit qu’on meurt de la phtysie à deux saisons : au printemps et en automne. J’en ai connu plusieurs qui sont morts de phtisie, pour lesquels cette règle fut observée. Je pense donc que, peut-être, mon frère Ivan a cette vivacité propre à ceux dont la mort est imminente, comme la lampade qui brûle tout faiblement avant de fulgurer et puis s’éteindre. Ou comme cela se produit avant un orage: les nuages recouvrent le ciel, il devient sombre; tout le ciel est couvert de nuages, tout prend une sorte d’aspect ténébreux. Et soudain, le soleil darde un rayon, trouant les nuages, comme pour dire au revoir à la terre, et se cacher à nouveau. La nuée devient alors encore plus sombre, toute la nature se fige, comme si elle attendait quelque chose d’horrible.
Hier, une toute jeune fille, servant comme femme de chambre à Kalouga, a apporté un cadeau au père: une croix de cuivre et un aër de velours brodé de fils d’argent.
«Mon cœur est touché», dit Batiouchka, «cette jeune fille a 18 ans, elle est venue me voir en 1905. Séjournant à Optina, elle éprouva alors le désir de revenir et d’apporter un cadeau à son Batiouchka. Pour ce faire, elle décida d’économiser de l’argent. Elle reçoit maintenant un rouble de plus qu’avant, à savoir cinq roubles par mois. Pendant trois ans: 1906, 1907 et 1908, elle a économisé de l’argent. Enfin, elle en eut accumulé suffisamment et réalisa son souhait : aller à Kiev pour prier devant les thaumaturges de la Laure des Grottes et d’autres sanctuaires de Kiev, et y acheter un cadeau pour Batiouchka Barsanuphe d’Optina. Elle a acheté la croix pour 7 roubles, et l’aër pour 10 roubles, au total, donc, 17 roubles; et le voyage lui-même à Kiev lui a coûté 20 roubles. Cela fait 37 roubles. Et elle vient de séjourner à Optina, dépensant combien encore… Elle est heureuse maintenant. «Je suis calme maintenant, m’a-t-elle dit : j’ai reçu la bénédiction des saints de Dieu à Kiev, et j’ai fait un cadeau à Batiouchka. Gloire à Dieu!» Bien sûr, Dieu a accepté son offrande.»
Hier soir, Batiouchka n’est pas allé aux vigiles: nous avons d’abord travaillé, puis discuté. Je n’ai pas la possibilité de noter nos conversations.
18 mai
Aujourd’hui, c’est le jour du Saint-Esprit. J’ai vraiment aimé que pendant, la liturgie, à deux ou trois sajènes de l’église, un rossignol se soit perché dans un pommier et aie chanté. Et il chantait de façon telle qu’on l’entendait dans l’église. Pendant les chants, bien sûr, on n’entendait pas le rossignol, mais seulement quand les chants s’interrompaient, je commençais petit à petit à reconnaître les trilles et gringottements du rossignol. Quelle simplicité, quelle poésie la plus pure!
«Les visages des hommes de vie sainte et pieuse portent l’empreinte de cette sainteté. Ces visages ont cette particularité que lorsqu’on les regarde, ils sont en quelque sorte frappants, ils font une forte impression. Et même après une longue période, on ne les oublie pas; j’ai vu de telles personnes. Un jour, je me suis demandé si ce n’était pas une vision, car il y avait quelque chose de tellement surnaturel…» voilà ce que Batiouchka m’a raconté récemment et il a précisé les noms de ces saints, mais je les ai oubliés.
24 mai
J’ai récemment demandé au Père sa bénédiction pour commander des graines de fleurs à Moscou et les semer sous sa fenêtre. Batiouchka a béni en disant que cette pensée était des plus candides. Batiouchka aime aussi les fleurs, et les startsy précédents les aimaient aussi. Le Père Anatole, semble-t-il, a même participé à la mise en place des plates-bandes de fleurs.
J’aime les fleurs depuis mon enfance. Il m’est arrivé aussi de bêcher des buttes et des plates-bandes pour les fleurs, d’en planter, semer, transplanter. Et parfois même… de chiper des fleurs à ma grand-mère, et un beau jour, d’être pris sur le fait. (A suivre)
Traduit du russe
Source :
Saint Père Nikon, prie Dieu pour nous.