Né en 1888, le Saint Hiéromartyr Nikon (Beliaev) fut hiéromoine à la Skite du Monastère d’Optina. Il en fut un des derniers startsy, ayant eu pour père spirituel Saint Barsanuphe, lui-même fils spirituel du Saint Starets Anatole (Zertsalov) d’Optina. Un récit de sa vie a été traduit en plusieurs parties sur le présent blogue et est accessible ici. Le Monastère a publié le journal tenu par le novice Nicolas pendant les trois premières années de sa vie monastique. (Дневник послушника Николая Беляева (преподобного Оптинского старца Никона). Le texte ci-dessous est la traduction (sur base de l’édition de 2016) des premières pages de cet ouvrage remarquable, inédit en français. Le début de la traduction se trouve ici.
(…)
8 novembre
Aujourd’hui, pendant la liturgie, Batiouchka a de nouveau prononcé une brève homélie, nous rappelant le sens et la signification de notre vocation monastique:
«Saint Jean Climaque a dit: «Les Anges sont la lumière des moines, les moines sont la lumière du monde!» Souvenez-vous que nous devons être la lumière du monde, que notre mission à venir est d’être rois et prêtres. Souvenez-vous de la miséricorde du Seigneur qui nous a appelés ici dans cette sainte demeure. Jugez par vous-même ce que nous avons fait, comment nous avons vécu avant notre appel a venir ici, dans ce saint monastère… »
Batiouchka m’a dit que sa précédente homélie, prononcée lors de la liturgie, n’avait pas plu à certains.
Je me souviens avoir lu dans un livre de l’Évêque Ignace Briantchaninov, les paroles suivantes de Saint Isaac le Syrien «Qu’est-ce que la pureté? La pureté est un cœur rempli de miséricorde envers toute créature. Qu’est-ce qu’un cœur miséricordieux? C’est un cœur brûlant envers toute créature, les hommes, les oiseaux, les animaux, les démons, bref, toute créature», etc. Je me suis arrêté involontairement sur les mots «envers… les démons» et j’ai demandé à ce sujet à Batiouchka : «Comment peut-on ressentir de la miséricorde pour les démons alors qu’ils cherchent notre perdition, alors qu’il est dit dans les psaumes : je les ai haïs d’une haine parfaite [Ps. 138;22]?».
«Remarquez que ce n’est pas l’Évêque Ignace lui-même qui parle», répondit Batiouchka ; « Il cite seulement les paroles de Saint Isaac le Syrien. C’est le seul saint qui ait prié pour les démons. Mais comment a-t-il prié? Vous pouvez prier pour que le Seigneur réduise leurs tourments, qu’Il les atténue par sa miséricorde indéfectible (Batiouchka mentionna encore d’autres manières de prier pour eux, mais j’ai oublié). En outre, ce qui est possible pour ce grand saint est hors de notre portée. Tous les oiseaux volent haut, mais au-dessus de tous plane l’aigle. Comme un aigle, Saint Isaac plane parmi les saints. C’est dangereux pour nous de prier pour les démons. J’ai connu la supérieure d’une communauté: elle priait pour eux. Je l’ai mise en garde, elle n’a pas écouté et a continué. Bientôt, ils se présentèrent à elle et la remercièrent pour les prières à leur sujet. La conséquence de tout cela fut qu’elle chuta, avec une sœur de sa communauté, qu’elle commença à pratiquer le spiritisme avec cette même sœur, qui était une juive baptisée. Bien sûr, elles ont toutes deux quitté la communauté. Voyez à quel point cela finit mal!.. »
9 novembre
Batiouchka m’a béni pour la conscription au service militaire à Kozelsk. «Bien sûr, c’est plus pratique ici», déclara Batiouchka.
On a demandé au Starets Alexandre de Gethsémani «Est-il possible de garder de l’eau sainte, des prosphores ou quelque chose de similaire dans sa cellule?». Il a répondu négativement. Après avoir lu cela, j’ai demandé à Batiouchka:
– Que penser de cela, car j’ai de telles choses?
– Ce n’est rien, Dieu bénit. On peut en avoir; nos Startsy ont béni. Le Starets Alexandre affirme que vous ne pouvez pas, mais c’est une opinion privée. Peut-être a-t-il un jour renversé de l’eau sainte et, pour éviter cela à l’avenir, il a décidé de ne rien conserver de semblable. Mais nos Startsy bénissaient: car cela est fait dans une bonne intention.
Aujourd’hui, j’ai lu ce qu’a écrit l’Évêque Ignace Briantchaninov au sujet de la fin du monde. Quand je lis ses écrits, je m’émerveille de son esprit angélique, de son intelligence merveilleusement profonde des Écritures Saintes. Ses écrits influencent en quelque sorte particulièrement mon cœur, mon esprit, l’éclairant d’une véritable lumière Évangélique. «L’âme est par nature chrétienne» (paroles de Tertullien), elle ressent la vérité. Les passages des Écritures que j’avais mal compris ou pas compris, dont j’avais une idée très vague du sens et de leur lien avec la vie, deviennent très compréhensibles et clairs pour moi. Bien sûr, pas tous, car certains exigent une faculté de compréhension expérimentée et un discernement spirituel que je n’ai pas. De plus, encore une fois, je ne comprends pas complètement le sens global des textes. Saint Pierre Damascène dit que le sens de l’Écriture Sainte s’ouvre aux différentes lecteurs selon des degrés divers; tandis qu’une chose s’ouvre à l’un dans un texte, un autre y verra autre chose, un troisième une autre, car la profondeur et le sens de l’Écriture Sainte ne sont connus que de Dieu seul, qui l’ouvre à Ses élus selon leurs besoins». Par cela, entre autres choses, Saint Pierre explique les divergences apparentes dans les écritures des saints Pères, car elles ne sont vraiment qu’«apparentes». En effet, tous les Saints Pères aspiraient à un seul but et l’atteignirent. Donc, ma compréhension est juste, mais elle est à la mesure de ce dont j’ai besoin.
Ceux qui ne lisent pas de livres spirituels restent souvent dans l’ignorance totale des sujets et des phénomènes spirituels; combien amère est cette ignorance! Et cette ignorance, peut-on dire, règne dans le monde. Peut-être y a-t-il des exceptions, mais généralement cette ignorance, comme un poison terrible, est répandue partout.
Je suis né, j’ai grandi, j’ai été élevé dans une bonne famille pieuse et croyante, mais je n’avais aucune idée de la littérature spirituelle, pas même de son existence. Quand nous étions déjà sur le point d’aller à Optina pour la première fois, le Père Gabriel est venu à notre appartement. Dans la conversation autour du thé, il a dit que le premier devoir qui nous serait donné, c’est de lire Abba Dorothée. «Abba Dorothée?», ai-je pensé, en entendant ce nom pour la première fois. Et j’eus l’impression que c’était une telle saleté, qu’elle ne pouvait qu’être jetée dans le poêle. Aussi triste que cela puisse paraître, ce fut ainsi! Toutes mes connaissances ont été acquises à la Skite, toute la conceptualisation en quelque chose de défini de mes convictions et compréhensions s’est produite ici dans la Skite. Ici, à la Skite, j’ai acquis plus que pendant toute ma vie dans le monde, plus qu’au Gymnase et à l’Université. Je ne me trompe sans doute pas, si je dis que là je n’ai presque rien reçu, bien que dans le monde où je suis né, j’aie vécu dix-neuf ans, alors qu’à la Skite je n’y vis pas encore depuis un an.
Grande est en vérité la miséricorde de Dieu, par laquelle le Seigneur m’a amené ici à la Skite. En quoi suis-je meilleur que mes parents, par exemple? Ils vivent dans le monde et c’est tout juste s’il ne sont pas perdus, alors que moi, indigne, je mange abondamment le repas spirituel. Il m’est donné beaucoup, mais il me sera beaucoup demandé. Dès lors, je dois me rappeler pourquoi je vis ici, je dois me rappeler que ce n’est pas moi qui fais une faveur à qui que ce soit, qui condescend à quoi que ce soit, en vivant ici, mais c’est le Seigneur qui m’accorde une grande indulgence en me permettant d’être à la Skite!
Tout est bon ici. Bien sûr, les gens sont partout des gens. Dans les monastères aussi, dans notre Skite aussi, ne vivent pas des Anges, mais des gens, qui ont chacun leurs défauts et leurs penchants pécheurs. Mais cela ne me regarde pas. Avant, on disait: «Écoute-toi, c’est suffisant pour toi».
Dans le monde aussi, il est très facile de remarquer les péchés des autres, mais débusquer nos propres péchés et les voir, c’est une tâche monastique. Et pour cela, nous avons toutes les facilités. Et Batiouchka dit que notre Skite est peut-être la seule du genre en Russie, et d’autres disent la même chose. Et non seulement la vie spirituelle me plaît, mais partout où je regarde, tout est comme ma famille. Et qu’en était-il auparavant?
Un jour, alors que j’aidais le sacristain dans l’église du Saint Précurseur, le Père Koukcha était avec moi. Je ne me souviens pas de tout ce dont nous avons parlé, mais je me souviens d’une seule phrase: «Dès que tu te rappelles les temps anciens, tu pleures», a déclaré le Père Koukcha.
Cela montre à quel point c’était bon avant. Mais pour moi, le temps d’avant, c’était dans le monde et le présent, c’est la Skite, et je rends grâce à Dieu! (A suivre)
Traduit du russe
Source :
Saint Père Nikon, prie Dieu pour nous.