Né en 1888, le Saint Hiéromartyr Nikon (Beliaev) fut hiéromoine à la Skite du Monastère d’Optina. Il en fut un des derniers startsy, ayant eu pour père spirituel Saint Barsanuphe, lui-même fils spirituel du Saint Starets Anatole (Zertsalov) d’Optina. Un récit de sa vie a été traduit en plusieurs parties sur le présent blogue et est accessible ici. Le Monastère a publié le journal tenu par le novice Nicolas pendant les trois premières années de sa vie monastique. (Дневник послушника Николая Беляева (преподобного Оптинского старца Никона). Le texte ci-dessous est la traduction (sur base de l’édition de 2016) des premières pages de cet ouvrage remarquable, inédit en français. Le début de la traduction se trouve ici.

(…)
5 novembre
Le Père Clément Zederholm est allemand de naissance, orthodoxe, et un remarquable héros de l’ascèse. Aujourd’hui, j’ai parlé avec Batiouchka pendant et après le déjeuner (j’ai déjeuné avec Batiouchka).
«Ici, tout va bien, a dit quelqu’un au Père Clément (Zederholm) ou au Père Leonid (Kaveline), j’ai oublié», a commencé Batiouchka, «Tout va bien, sauf une seule chose, la musique. Il serait bon, par exemple, de jouer au piano des pièces sérieuses de Beethoven ou d’autres. Qu’en dites-vous?
– Non.
– Pourquoi?
– Non.
– Dites-moi, pourquoi répondez-vous si catégoriquement?
– Eh bien d’accord, je vais vous le dire, mais c’est une chose que moi seul je sais, ainsi que mon père spirituel, Batiouchka Macaire: j’ai acquis la prière intérieure. Ça, c’est une merveilleuse musique… C’est la même chose qu’entrer dans une maison, par le porche arrière ou avant. J’ai choisi celui de devant, a-t-il répondu à l’interrogateur.
Cet état est indescriptible, seul celui qui l’a expérimenté peut le comprendre. Une telle personne peut être méprisée par le monde entier, tout le monde peut l’offenser, gronder, l’insulter, l’outrager, rire de lui; il ne s’en soucie pas, il ne fait que dire: «Gloire à Dieu! Gloire à Dieu!». J’ai décrit dans un poème l’état qui précède l’acquisition de la prière intérieure. Cet état est chaotique, terriblement difficile. Jouer du violon, quand on sait en jouer, c’est très agréable, mais quand on apprend à jouer du violon, on produit des sons mortels. Donc, cet état est en quelque sorte le réglage de l’outil, les gammes initiales. L’instrument est là, le piano est ouvert, prêt, il y a une rangée de touches blanches devant nous… Mais pas de pianiste! Qui est ce pianiste? Dieu. Nous devons mener notre podvig, et le Seigneur, tiendra sa promesse: «Nous viendrons à lui, et nous ferons chez lui notre demeure» [Jean 14;23], et Il viendra à nous et notre instrument s’animera (de son doigt, Batiouchka me cogna légèrement la poitrine).
On parle souvent de cette musique dans les Psaumes: le Seigneur est ma force et l’objet de mes chants [Ps. 117;14]; je chanterai et je dirai des hymnes au Seigneur [Ps.26;6], je chanterai mon Dieu, tant que je serai [Ps.145;2]. Ce chant est imprononcé. Pour l’acquérir, on va au monastère, et on le reçoit, mais l’un après cinq ans, l’autre après dix ans, un troisième après quinze ans, et un quatrième après quarante ans. Dieu donnera, et vous recevrez; au moins, vous êtes sur le chemin qui mène à Lui.
Vous devez aller au service militaire, ce n’est rien. Allez-y, servez, vous en découvrirez plus au sujet du pelage de cette bête sauvage monstrueuse. Parfois, elle fait moirer différentes couleurs: bleu, rose, ou d’autres, et les gens accourent vers elle, et la bête, c’est-à-dire le monde, ouvre sa gueule et les dévore. Mais vous ne vous laissez pas duper par ces chatoiements, sachant que ce n’est que du pelage. Et revenez ici…
Je n’ai plus la possibilité de sortir et de marcher dans la Skite la nuit… Regardez notre église (l’ancienne), quelle beauté , ascétique, réfléchie. Tout est bien ici, vous ne pouvez vous l’imaginer.
Il me vient à l’idée de tout abandonner et de partir dans une autre cellule [N.d.E. : Dans la cellule des simples moines, plus dans celle du supérieur de la Skite], mais j’ai peur. «Pourquoi est-il parti avant l’heure», dira le Seigneur. Il faut patienter et endurer. Peut-être que les âmes à propos desquelles le Seigneur a décidé qu’elles devaient être sauvées à travers moi ne seront pas sauvées si je pars… Le Seigneur peut utiliser aussi le pécheur, Sa volonté couvre tout… J’ai peur de m’en aller par décision personnelle.»
Cette conversation avait commencé par une question de Batiouchka: «Combien de pianos avez-vous à la maison à Moscou?».
Je m’étais souvenu d’un camarade de lycée. Il n’était pas un garçon de haute moralité: conversations indécentes, anecdotes, jeux de cartes, de faibles capacités intellectuelles, toute son apparence extérieure, son attitude visible envers la religion, ses fréquentations les plus proches, les commentaires de mes autres camarades à son sujet , tout cela confirmait une mauvaise opinion de sa moralité. Un jour, il apporta un violon en classe. Il convient de noter qu’il jouait parfaitement du violon, il était par nature musicien. Donc, un jour, suite à l’absence d’un enseignant, nous avions du temps libre, et ce camarade, à la demande de toute la classe, a commencé à jouer. Il jouait par cœur, sans partition. Dès qu’il émit le premier son, il changea complètement; sa frivolité et son goût de la plaisanterie disparurent et il devint sérieux. Beaucoup le remarquèrent.
J’en fis part à Batiouchka, et cela fut le départ de notre conversation.
«Vous voyez, dit Batiouchka, comment la musique peut vous détacher de terre. Qu’est-ce que votre camarade a ressenti s’il a même changé extérieurement? Personne ne peut comprendre ces sentiments sans les avoir vécus lui-même. Et si la musique soulève ainsi loin de la terre, la prière le fait plus encore…»
Ce matin, alors que je venais juste d’arriver et de m’asseoir pour boire le thé, Batiouchka a commencé à dire: «Dans quarante ans, voire cinquante, bien sûr, si telle est la volonté du Seigneur, à cet endroit même où nous sommes assis, se tiendra Nicolas Mitrophanovitch. Alors il sera «un des anciens». Et il dira qu’il y a cinquante ans, à cet endroit même, il était assis avec le Starets untel et ils parlèrent quelque chose.»
Je ne me souviens plus du reste, comment cela avait commencé et comment cela s’est terminé. Mais j’ai décidé de le noter.
Le frère Kyrill a été pris comme soldat le 10 de ce mois. Certains disent qu’il partira définitivement, mais on nourrit toujours l’espoir qu’il revienne à la Skite.
7 novembre
J’ai attrapé quelque chose, j’ai mal à la gorge. Au matin, je me suis levé, mais je n’ai pas tenu jusqu’à la fin des prières du matin, en quelque sorte,  je ne me suis pas senti bien. Mais que la volonté du Seigneur soit faite.
Je me souviens que Batiouchka a dit une fois que tous les mots ont, dans leur prononciation, une signification profonde. Pourquoi, par exemple, appelle-t-on Dieu exactement par le mot «Dieu» et pas autrement?
«Le peuple a mis toute sa vision du monde dans ce mot «Dieu» et dans le mot «homme». Par la prononciation de ces mots dans les langues des différents peuples, vous pouvez déterminer l’état moral et spirituel de ceux-ci. [N.d.T. : En russe, Dieu se dit «Bog»] Le mot «Dieu» est apparenté avec le mot «riche» [N.d.T. : riche : «bogatyi »], c’est-à-dire que Dieu est riche de tout, n’a aucun besoin, Dieu est riche en miséricorde. C’est ainsi avec chaque mot.»
J’ai peur d’écrire beaucoup à ce sujet, j’ai peur de m’y perdre. Il suffit de remarquer ceci: «Même la représentation graphique des lettres a son sens, a dit Batiouchka. Pourquoi, par exemple, les Saints Cyrille et Méthode ont-ils représenté la lettre A comme ils l’ont fait? La lettre «A», en fait, se prononce «Az», et signifie «je», c’est-à-dire l’homme. Et dans l’homme, il y a deux côtés: le spirituel et le charnel; ainsi, le côté spirituel de l’homme est représenté par la première ligne mince qui monte vers le haut, et le côté charnel, par la ligne épaisse qui descend vers le bas. Mais la lettre «A» n’est pas écrite seulement comme ça; il faut encore la barrer; cela signifie que ces deux parties sont toujours dans des relations hostiles. Voilà pour la lettre «A», prononcée, en fait, «Az».»
Je ne peux rien noter de plus, je ne me souviens pas… (A suivre)
Traduit du russe
Source :

Saint Père Nikon, prie Dieu pour nous.