Né en 1888, le Saint Hiéromartyr Nikon (Beliaev) fut hiéromoine à la Skite du Monastère d’Optina. Il en fut un des derniers startsy, ayant eu pour père spirituel Saint Barsanuphe, lui-même fils spirituel du Saint Starets Anatole (Zertsalov) d’Optina. Un récit de sa vie a été traduit en plusieurs parties sur le présent blogue et est accessible ici. Le Monastère a publié le journal tenu par le novice Nicolas pendant les trois premières années de sa vie monastique. (Дневник послушника Николая Беляева (преподобного Оптинского старца Никона). Le texte ci-dessous est la traduction (sur base de l’édition de 2016) des premières pages de cet ouvrage remarquable, inédit en français. Le début de la traduction se trouve ici.

(…)
27 septembre
En général, le Seigneur m’aide, indigne, à me lever, le matin; il est rare que je dorme trop longtemps et manque les matines, par la grâce de Dieu. «Pour les matines, la grâce nous aide à nous lever», m’a dit Batiouchka. Mais après les matines, à 6 heures, nous devons nous lever de nous-même, et j’ai parfois dormi jusqu’à sept heures et même jusqu’à 8 heures.
Et moi, pécheur, j’ai récemment commencé à dormir de plus en plus tard et souvent. Bien sûr, je le dis toujours à Batiouchka, si je n’oublie pas, ou si un autre empêchement ne se produit pas.
Une fois, quand je me suis repenti auprès de Batiouchka d’avoir dormi trop tard, une heure ou deux, je ne me souviens pas, Batiouchka m’a dit:

– C’est le démon du découragement qui lutte contre vous. Il combat tout le monde. Il a combattu tant Saint Seraphim de Sarov, que Saint Ephrem le Syrien, qui a composé la prière connue de tous «Seigneur et Maître de ma vie…» Regardez ce qu’il a placé en premier lieu: «l’esprit d’oisiveté», et, en conséquence de l’oisiveté, « ne me donne pas …le découragement», dit-il. C’est un démon féroce. Il vous attaque par le sommeil, et les autres déjà éveillés, par le découragement, par la mélancolie. Il attaque tous ceux qu’il peut. Après tout, vous ne pouvez pas dire que vous êtes dans l’esprit d’oisiveté?
– C’est vrai, Batiouchka, je n’ai quasi pas une minute de libre.
– Eh bien, il vous attaque avec le sommeil. Ce n’est rien, ne vous affligez pas…
28 septembre
J’ai déjà écrit que l’étudiant de l’Académie de Moscou, Vitali Stepanovitch Stavitski, qui vivait dans notre bâtiment, souhaite devenir moine. Il a parlé de son intention à Batiouchka, et Batiouchka a béni. Puis il est parti peu de temps après et a envoyé une lettre à Batiouchka (c’était au début de septembre) qu’on lui proposait d’être tonsuré à la mantia le 12 septembre. Batiouchka m’en a parlé lors de la bénédiction.
«Voilà que Vitali Stepanovitch m’a envoyé une lettre», a annoncé Batiouchka, «Et il dit qu’il va être tonsuré, et demande des prières ce jour-là pour lui-même. «Depuis que vous m’avez béni», écrit-il, «cet état d’âme joyeux, cette paix de l’âme que j’ai ressentie lorsque j’ai quitté votre Skite, se poursuit encore aujourd’hui…». J’avais immédiatement répondu à sa question à propos de la tonsure : «le Seigneur bénit». Parfois, vous doutez, vous n’osez pas immédiatement dire l’une ou l’autre chose, mais cette fois, j’ai immédiatement dit: «Dieu bénit». Il a un vrai caractère russe direct, ouvert, chevaleresque. Il en sortira un bon moine et un bon évêque… Mais il ne sera pas des vôtres. Maintenant, bien sûr, le service militaire va interférer, et là, il sera possible de souffler; mais je vais peut-être encore tenir. Que le Seigneur vous aide». Il me semble que Batiouchka m’a dit cela le onze, peut-être le dix, ou plutôt le onze.
Le soir
Je rentre maintenant de la bénédiction. D’autres étaient là avant moi, mais Batiouchka m’a appelé sans que je passe par la file d’attente. Je suis entré. Batiouchka se tenait devant une fenêtre sans tenture, près des icônes.
«Regardez ce tableau», commença Batiouchka en montrant la lune qui brillait à travers les arbres, cela me fit l’effet d’une consolation. «Ce n’est pas en vain que le Prophète David a dit: «Tu m’as réjouis, Seigneur, par Tes œuvres» [N.d.E. : Ps. 91;5], dit-il, bien que ceci ne soit qu’un soupçon de cette beauté merveilleuse et inconcevable qui fut créée à l’origine. Nous ne savons pas comment était la lune, comment étaient le soleil, la lumière…
Tout cela a changé lors de la chute. Le monde visible et le monde invisible ont changé. Les anges ne perdirent pas leur état d’origine, ils n’ont pas changé, à moins que le changement, ce soit qu’ils ont été renforcés dans la lutte. Le malin, après sa chute, pouvait apparaître dans le ciel parmi les esprits bienheureux, mais il n’y faisait plus rien, à l’exception d’intrigues et de calomnies. Le Seigneur fut toujours patient, même sa conversion était possible. Mais quand le malin eut corrompu et fait tomber les innocents Adam et Eve, alors le Seigneur fut très en colère contre lui. Néanmoins, le malin pouvait encore apparaître au ciel. Voilà vraiment la bonté insondable et la longanimité de Dieu. Mais lorsque le Christ fut crucifié sur la Croix, alors ce fut la fin. Le Seigneur dit à ses disciples : «Je voyais Satan tombant du ciel comme la foudre» [Lc 10;18]. Nous ne savons pas quels troubles le malin produit parmi les gens, chrétiens, mahométans, juifs, parmi les planètes célestes et d’autres corps. Les scientifiques découvrent qu’une telle planète a éclaté, un tel soleil s’est évanoui, etc. Pourquoi? On ne sait pas. Le malin a encore une force terrible, seulement, elle ne peut vraiment pas résister à l’humilité». Je ne me souviens de rien de plus, et je n’ai plus le temps de rester assis à écrire, il se fait tard.
5 octobre
Un soir, pendant la bénédiction, Batiouchka, alors que je confessais mes infirmités et mes transgressions de la journée écoulée, et peut-être même avant celle-ci, a commencé à me parler de l’auto-réprimande. J’ai remarqué et compris à partir des instructions de Batiouchka en général, que nous devons nous réprimander pour nos fautes et nous faire humbles, et par tous les moyens, pour chasser hors de soi l’acédie, l’affaiblissement. Quoi qu’il arrive, on ne doit pas se décourager, mais raconter tout au Starets.
«Dieu pardonnera, dit Batiouchka. Dieu pardonnera. Réprimandez-vous. Il n’est pas difficile de se morigéner, mais certains ne le veulent pas. Il est plus difficile de supporter la réprimande venant d’un frère, mais il n’est pas difficile de se réprimander soi-même. Toutefois, si nous nous morigénons, mais que nous ne nous battons pas contre les passions, nous mangerons autant que nous voudrons, nous dormirons autant que nous voudrons, alors une telle auto-réprimande est contraire à la règle, elle ne profitera pas. Si nous nous réprimandons, et que nous tombons involontairement dans le péché, luttant contre les passions, mais sommes vaincus par la faiblesse, alors l’auto-réprimande est conforme à la règle. Dans la lutte contre les passions, si nous les vainquons et nous réprimandons, nous repentons, nous nous faisons humbles et continuons à nous battre, nous avançons sans cesse. Il nous reste une chose: l’humilité. Et le temps des podvigs sévères est vraisemblablement révolu.
Ici, par exemple, le Père Vassien a accompli des podvigs sévères, parfois, il ne chauffait pas du tout sa cellule, il jeûnait tout le Grand Carême, mais il ne reçut aucun don. Alors que le Père Macaire maintenait dans sa cellule une température ordinaire, et ne jeûnait pas particulièrement, et il tançait parfois ses auxiliaires de cellule quand ils étaient coupables, et il avait beaucoup de dons spirituels: le don de guérison, et de chasser les démons, et le don de vision intérieure … Et il n’avait pas accompli de podvigs particuliers. Nous, il ne nous reste plus qu’à devenir humbles…
Parfois, quand je ne pouvais demander conseil à personne, j’allais au monastère voir un moine du grand schème… (j’ai oublié son nom) Il était d’une vie spirituelle élevée. Une fois, il m’a dit ce qui suit en ce qui concerne la paternité spirituelle. Il était lui-même fils spirituel du Père Macaire (Je ne me souviens pas bien: il me semble que c’était sous la direction spirituelle du Père Lev, et à sa mort, du Père Macaire, et après peut-être du Père Ambroise, mais pour celui-ci, c’est moins probable):
– Où irez-vous, maintenant que vous allez vous éloigner de moi?  Comment-vous y rendrez-vous?
– Eh bien voilà, je sors par la porte du monastère, puis sur la sente dans la forêt jusqu’au portail de la Skite, et à travers lui à la Skite.
– Et après?
– À ma cellule.
– C’est bien. Il n’y a pas d’autre chemin?
– Je crois que non. Sauf par l’autre porte, par la cour de l’écurie.
– C’est ça. C’est le chemin le plus court. Et vous pouvez, en sortant du monastère, d’abord aller à Pryski, puis à Chamordino, puis, contournant la Skite, approchez-vous-en par l’arrière, et enfin, passez la porte. C’est ainsi dans la vie spirituelle: il y a différentes voies pour le salut, et le chemin de la filiation spirituelle auprès des startsy est le plus direct, le plus court. Non seulement pour le salut, mais aussi pour le perfectionnement chrétien. C’est pourquoi le mauvais le déteste tellement. Beaucoup de choses ont été écrites sur la paternité spirituelle et les startsy, mais ceci, le plus essentiel, il ne me semble pas l’avoir lu nulle part…»
Batiouchka a alors nommé ce moine du grand schème, mais j’ai oublié, je ne me souviens même pas bien, s’il était moine ou hiéromoine du grand schème. Son nom, était peut-être Ignace, mais je ne l’affirme pas avec détermination. (A suivre)
Traduit du russe
Source :

Saint Père Nikon, prie Dieu pour nous.