Né en 1888, le Saint Hiéromartyr Nikon (Beliaev) fut hiéromoine à la Skite du Monastère d’Optina. Il en fut un des derniers startsy, ayant eu pour père spirituel Saint Barsanuphe, lui-même fils spirituel du Saint Starets Anatole (Zertsalov) d’Optina. Un récit de sa vie a été traduit en plusieurs parties sur le présent blogue et est accessible ici. Le Monastère a publié le journal tenu par le novice Nicolas pendant les trois premières années de sa vie monastique. (Дневник послушника Николая Беляева (преподобного Оптинского старца Никона). Le texte ci-dessous est la traduction (sur base de l’édition de 2016) des premières pages de cet ouvrage remarquable, inédit en français. Le début de la traduction se trouve ici.
Après la Liturgie, Batiouchka m’a dit de venir chez lui pour prendre un livre d’Ignace Briantchaninov : «Je n’ai absolument pas le temps de lire, mais vous, lisez le jusqu’au bout».
Quand je suis arrivé, Batiouchka m’a donné le livre. J’ai demandé:
– Et Saint Pierre Damascène, je le laisse de côté maintenant?
– Bien sûr! Cette pause n’a pas d’importance; les choses se mettent comme il se doit, lisez ceci. Batiouchka Anatole faisait de même. J’arrivais et il bénissait pour que je lise un tel livre et laisse de côté la lecture en cours. Cela signifie qu’il convient de faire ainsi.
Puis, quand je le vis de nouveau le soir, j’ai dit à Batiouchka que les deux derniers jours en particulier, des souvenirs me sont venus à l’esprit, je me souviens d’événements qui se sont produits pendant l’année écoulée, ou l’année précédente. A cause de cela, pendant les vigiles et la liturgie, je ne suis pas parvenu à écouter l’office, impossible de suivre ma pensée, mais du fait que je n’ai rien écouté, je suis sorti des offices sans éprouver aucun sentiment. C’est très désagréable.
– Que cela ne vous trouble pas. Mais réprimandez-vous pour votre froideur.
– Et encore ceci, Batiouchka: à propos de la lecture que vous m’avez donnée, Ignace Briantchaninov. De trois heures jusqu’aux vêpres, à cinq heures, je suis parvenu à lire tout juste dix pages. Des pensées, l’une après l’autre; j’en chassais une par la prière, la deuxième était chassée par une troisième. C’était très difficile de me concentrer, non pas qu’une seule pensée tout le temps, pour ainsi dire, me «taraudait». Toutes étaient différentes; j’ai même eu des pensées du genre, que peut-être Ignace Briantchaninov n’avait pas écrit des choses justes, car je considérais que lui et l’Évêque Théophane expliquaient ça de façons différentes.
– C’est la lutte. L’ennemi voit le livre que vous voulez lire, et essaie d’empêcher cela, car il voit que vous voulez lire par obédience. Croyez-moi, tout ce qui est fait par obédience avec une bénédiction est bon. Et Mgr Ignace et Mgr Théophane ne parlent pas différemment; Mgr Théophane, disons, corrige Mgr Ignace, explique les endroits où il y a des ambiguïtés. Et l’Évêque Ignace a eu personnellement affaire aux serviteurs du malin seulement il ne parle pas de cela, tout comme, par exemple, Saint Séraphin de Sarov n’avait pas non plus l’habitude de le faire. Par conséquent, ce livre est écrit sur base d’une expérience personnelle. Par exemple, Mgr Ignace ne vivait pas en réclusion complète, comme Saint Seraphim de Sarov, il avait deux auxiliaires de cellule. Ils lui apportaient le samovar, nettoyaient sa cellule, etc. Un jour, un auxiliaire de cellule vint le voir dans la cellule mais eut peine à le reconnaître:
– Qu’est-ce qui vous arrive, Saint Vladika?
– Ne dis rien. Peut-être repoussera-t-elle ?
Sa barbe était toute arrachée, et les poils éparpillés sur le sol.
– Qui vous l’a arrachée, Vladika?..
– Qui fait ce genre de choses? Le malin!
– Vous avez eu mal?
– Très
– Comment cela se passa-t-il?
– Eh bien, comme ça : il attrapa les poils de la barbe, et les arracha en disant: il paraît que tu as fait telle bonne action, un tel jour… Et c’est ainsi que j’ai perdu la moitié de la barbe.
En général, l’Évêque Ignace ne parlait pas de lui-même, de ce qui lui arrivait, mais s’exprimait parfois comme ceci «Dans le monastère, on lutte contre les serviteurs du malin comme contre des pigeons, et en réclusion, comme contre des tigres»…
J’ai oublié, quand Batiouchka parlait des horreurs dans le monde, il a ajouté : «Et au milieu des autres, il y a des âmes si pures! Mon Dieu, Mon Dieu! En vérité, la lumière luit dans les ténèbres, et les ténèbres ne l’ont point reçue (J.1;5)».
1er avril
J’ai vécu presque tout le Grand Carême, et je ne l’ai pas remarqué du tout. Il y a déjà des préparatifs pour la fête. Hier et aujourd’hui, à l’église, on a frotté les vases sacrés et lavé le sol. Batiouchka m’a aussi assigné cette obédience. «C’est une grande obédience», a-t-il déclaré.
Hier s’est produit une sorte de désagrément. J’ai d’abord presque cassé la fenêtre, pas vraiment, mais il y a une fissure. Puis, quand Ivan et moi avons commencé à démonter le lustre, il est tombé, ce en quoi, en fait, ni lui ni moi ne sommes blâmables ; il est relié à un bloc, et ce bloc, on a oublié de l’attacher, quand il est tombé, le lustre est rapidement monté au plafond et de là est retombé, mais il a été peu endommagé. Seulement quelques pendeloques en verre ont été brisées. Je n’étais pas particulièrement attristé quand cela s’est produit, mais le Père Ivan avait très peur. Nous sommes allés demander pardon à Batiouchka. Le Père Ivan a d’abord dit d’une voix bouleversée «Un malheur, Batiouchka!»
Batiouchka, qui avait été contrarié hier toute la journée, a dit sévèrement: «A la Skite, il n’y a pas de malheur, tout est bonheur; n’osez jamais dire une chose pareille. Que s’est-il passé ?» Le Père Ivan fut incapable d’expliquer ce qui s’était passé, et Batiouchka nous fit sortir, et envoya à l’église son auxiliaire de cellule pour comprendre en détails ce qui s’était passé. Tout cela m’affecta de manière désagréable, et j’ai encore cassé la rosace d’un chandelier. Ensuite, remis au travail, j’ai tout oublié, mais à la fin, je m’en suis souvenu à nouveau. Je devais aller demander la bénédiction de Batiouchka et lui parler de tous les incidents; j’avais peur de contrarier Batiouchka plus encore, et je craignais d’être réprimandé. Je m’en suis remis pour tout à la volonté de Dieu, j’ai prié et je suis parti.
Je suis entré chez Batiouchka chargé d’un sentiment de quelque chose de désagréable, c’est la seule fois que cela se produisit. Mais je suis ressorti de chez Batiouchka dans une humeur très agréable, car tous les sentiments désagréables que le malin m’avait occasionnés avaient été dénoncés et effacés par ma franchise (bien sûr, celle-ci fut relative; bien que je ne voulait rien cacher, quand je suis sorti, j’ai pensé que c’eût été bien d’avoir dit encore ceci ou cela, mais il s’agissait d’oubli, involontaire) et [N.d.E. Le texte comporte ici un blanc]. Conseils et directives de Batiouchka. J’écrirai à ce sujet, si je vis encore et suis en mesure d’écrire, à un autre moment.
6 avril
Le Carême est déjà fini. Aujourd’hui, l’Église célèbre l’Entrée du Seigneur à Jérusalem, et demain commence déjà la Grande et Sainte Semaine. J’ai reçu de Batiouchka la bénédiction de me préparer.
Le temps passe, on ne le remarque pas du tout ici, seulement ces jours-ci, j’ai ressenti une certaine fatigue à la fin de la journée à cause du nettoyage de la cellule et de mon obédience. Les offices seront longs demain, l’année dernière j’ai pu tenir bon, debout, mais au prix d’une certaine lutte pour combattre la fatigue. Comment le Seigneur va-t-Il m’aider maintenant, si je vis?..
7 avril
Le Seigneur m’a aidé aujourd’hui. J’ai résisté à tous les offices, j’ai respecté la règle de cellule à l’exception des cinq cents, que je pense faire maintenant, et je ne suis pas particulièrement fatigué. Les heures et les vêpres sont passées plus facilement que l’année dernière, il me semble. Il a fallu rester debout à partir de 7 heures jusqu’à 11h30, pratiquement sans s’asseoir. J’ai été assis seulement pour les parémies, pendant cinq minutes. J’ai constaté que pour lire l’Évangile de Marc, cela a pris une heure 25 minutes (peut-être 20, pas 25 minutes, je ne me souviens pas bien, j’ai seulement remarqué l’heure). À 11 heures et demie, l’Évangile de Marc a pris fin. Il a été suivi d’un enseignement et des vêpres. Encore, donc, une heure ou une heure et demie. Je suis rentré à la cellule à deux heures et quart, après le repas.
Aujourd’hui, j’ai pris mon tour de rôle dans la lecture des offices. J’ai commencé par le début, comme prévu, avec les vêpres; et si je vis encore, je lirai demain les matines et ensuite les heures. C’est la première fois que je prends mon tour de rôle dans la lecture des offices du jour, et le Seigneur m’a amené à le faire pendant la Grande et Sainte Semaine. Gloire à Dieu.
A partir de maintenant, j’écrirai, si je vis encore et en ai le temps temps, dans un nouveau cahier.
1908, 7 avril. Lundi de la Semaine Sainte.
Ermitage Du Désert d’Optina. Novice Nicolas Beliaev
Traduit du russe
Source :
Saint Père Nikon, prie Dieu pour nous.