Né en 1888, le Saint Hiéromartyr Nikon (Beliaev) fut hiéromoine à la Skite du Monastère d’Optina. Il en fut un des derniers startsy, ayant eu pour père spirituel Saint Barsanuphe, lui-même fils spirituel du Saint Starets Anatole (Zertsalov) d’Optina. Un récit de sa vie a été traduit en plusieurs parties sur le présent blogue et est accessible ici. Le Monastère a publié le journal tenu par le novice Nicolas pendant les trois premières années de sa vie monastique. (Дневник послушника Николая Беляева (преподобного Оптинского старца Никона). Le texte ci-dessous est la traduction (sur base de l’édition de 2016) des premières pages de cet ouvrage remarquable, inédit en français. Le début de la traduction se trouve ici.

5 mars
Hier soir, j’ai terminé de lire les Psaumes à huit heures et je suis allé voir Batiouchka pour une bénédiction, après tout le monde, et de façon inattendue, je suis de nouveau parvenu à avoir un entretien avec Batiouchka. Quand je suis entré, il m’a dit de m’asseoir sur la chaise sous l’horloge et de rester silencieux, et lui-même est sorti. Après un certain temps, assez vite, Batiouchka est revenu et a commencé fermer les tentures des fenêtres. Derrière les fenêtres juste au-delà des arbres, la lune brillait. Cela faisait déjà trois ou quatre nuits consécutives que c’était aussi beau, comme je l’ai décrit auparavant. Batiouchka m’a fait remarquer:
– Vous voyez comme c’est beau?
– Oui, Batiouchka. Et maintenant, quand je rentre à ma cellule après le Psautier, j’aime tout cela: la lune, la neige, mais quand je suis dans ma cellule, je suis encore mieux là-bas.
– Bien sûr, dans la cellule, c’est mieux.
(Je ne me souviens pas bien, mais il me semble que Batiouchka a ajouté: «Et pour l’âme c’est encore meilleur…», ou quelque chose comme ça).
Ensuite, Batiouchka a commencé à parler de l’un des moines de notre monastère, le Père Théodule:
«Un des moine vit dans la cuisine, tout simple, il est peut-être même analphabète. Personne ne sait rien de lui. Même le Père Archimandrite ne sait ce qu’il a accompli dans son âme. Mais voilà, moi, en tant que père spirituel, je sais tout cela. Il gardait constamment le silence et répétait la prière de Jésus. Tout le monde voyait qu’il avait constamment son chapelet, toujours en mouvement, mais personne n’imaginait ce qui se faisait à l’intérieur de lui. Il a appris la prière orale jusqu’à ce qu’il commence à passer à la prière intérieure.
J’ai rarement eu à lui parler, mais quand cela s’est produit, cela m’a apporté une grande consolation.
Il tomba malade et fut alité à l’infirmerie, et moi, quand la première semaine j’ai confessé les moines du monastère qui étaient à l’infirmerie, je suis allé lui parler. Je lui ai demandé s’il voulait quelque chose.
– Non, Batiouchka, rien. par la suite, je lui ai à nouveau demandé s’il voulait quelque chose.
– Rien… Sauf, Batiouchka, quelque chose d’un peu acidulé.
– D’accord, ai-je dit.
Le lendemain, je lui apportai deux pommes et deux oranges. Comme il était heureux! Comme un moine a peu de besoin! Ce n’est pas comme dans le monde, on donne un million et c’est trop peu, donnez-en un autre. Et tout le monde veut en avoir. Ici, juste une bagatelle, et combien elle procure de la joie. Puis je lui ai demandé un jour:
– Comment ça va?
– C’est ennuyeux de vivre ici, Batiouchka.
– Où peut-on trouver de la joie alors? Demandai-je.
– Mais là-bas, dit-il en pointant vers le ciel.
– Oui, on y trouve de la joie, si seulement on peut y entrer. Tu es prêt?
-Bien-sûr que ne suis pas prêt. Je suis le pire des pécheurs.
Le lendemain, je viens et demande:
– As-tu besoin de quelque chose?
– Non, Batiouchka, rien. Je souhaite une seule chose: j’ai le désir de partir et d’être avec le Christ (Philip.1;23)… Priez pour moi, Batiouchka. Un chemin long et inconnu m’attend. Bénissez, Batiouchka, que j’y aille.
– Dieu te bénit, va. Quand tu seras devant le Trône du Seigneur, souviens-toi de moi, ton père spirituel.
– D’accord, si j’y arrive, je me souviendrai.
– Bien sûr, tu vas y arriver.
Aujourd’hui, un novice est arrivé en courant et m’a dit que le Père Théodule était décédé. Je crois qu’il est arrivé aux demeures du paradis. C’est comme ça, on meurt ici comme dans le monde. Si tu te livres au malin, tu te retrouves le crâne fracassé, une malédiction sur la bouche, et au fin fond de l’enfer. Ce sera au Jugement Dernier qu’on apprendra qui était le plus sensé: les professeurs, les artistes, les scientifiques ou les simples comme le Père Théodule».
Puis Batiouchka me fit asseoir avec lui sur le canapé et, me serra dans ses bras, et dit: «Dès la première fois, je me suis senti bien disposé envers vous, et je crois que cette bonne disposition sera conservée pour tout le temps qu’il me reste à vivre. Vivez ici, une seule chose vous en empêchera — le service militaire… Eh bien, cela, que Dieu le veuille, ce ne sera rien. Restez moine ici jusqu’à la fin de votre vie. Mais le fondement de la vie monastique, c’est l’humilité. S’il y a de l’humilité, tout est là, et s’il n’y a pas d’humilité, il n’y a rien. Vous pouvez même être sauvé sans aucun œuvre, uniquement par l’humilité». Entra alors le Père Nikita, un auxiliaire de cellule. Il prépara pour Batiouchka tout ce dont il allait avoir besoin dans la cellule et prit la bénédiction de Batiouchka pour aller dormir. Il prit congé de moi et partit. Et Batiouchka continua:
– Quand j’étais malade, je ne pensais plus pouvoir me lever. Mais ils ont commencé à prier pour moi, et j’ai reçu un sursis. Il y a une bienheureuse qui a vu un rêve: c’est comme si elle s’approchait de la Skite et voyait qu’un mari et sa femme me faisaient passer les saintes portes et me sortaient de la Skite. Elle leur dit : «Où emmenez-vous Batiouchka?» «Au monastère» «Pourquoi l’emmenez-vous au monastère? Après tout, on est emmené de la Skite au monastère seulement quand on meurt, et la Skite a besoin de Batiouchka. Laissez-le.» «C’est hors de question.» Et puis, en larmes, elle demanda: «Laissez-le, s’il vous plaît!..» Alors le mari et la femme ont commencé à se consulter et ont décidé qu’il était possible de me laisser, et ils m’ont emmené à nouveau à la Skite par la sainte porte.» Elle a raconté cela à Nilus, qui me l’a rapporté. Elle lui a raconté ça quand j’étais encore en bonne santé, quelques temps avant la maladie, et elle a dit qu’elle en concluait que quelque chose devait m’arriver.
Le Seigneur voit que j’aime tout le monde, que je voudrais envoyer tout le monde dans Son cœur; on n’y est pas l’étroit! Mais que voulez-vous, certains ne veulent pas, ils n’y vont pas d’eux-mêmes. Je ne les blâme pas, c’est l’œuvre du malin, ils ne sont pas à blâmer. Et je n’ai rien contre le Père Joseph, que Dieu soit avec lui. Certes, il y a eu des persécutions envers moi, mais il a plu au Seigneur qu’il en soit ainsi…(A suivre)
Traduit du russe
Source :                       

Saint Père Nikon, prie Dieu pour nous.