Né en 1888, le Saint Hiéromartyr Nikon (Beliaev) fut hiéromoine à la Skite du Monastère d’Optina. Il en fut un des derniers startsy, ayant eu pour père spirituel Saint Barsanuphe, lui-même fils spirituel du Saint Starets Anatole (Zertsalov) d’Optina. Un récit de sa vie a été traduit en plusieurs parties sur le présent blogue et est accessible ici. Le Monastère a publié le journal tenu par le novice Nicolas pendant les trois premières années de sa vie monastique. (Дневник послушника Николая Беляева (преподобного Оптинского старца Никона). Le texte ci-dessous est la traduction (sur base de l’édition de 2016) des premières pages de cet ouvrage remarquable, inédit en français. Le début de la traduction se trouve ici.
23 février
Demain cela fera exactement un an, que nous sommes arrivés pour la première fois à Optina. Demain c’est le Dimanche du Pardon, et le Grand Carême commence. C’est un moment où on n’a pas le temps d’écrire à propos de tout, je vais me limiter à écrire une conversation avec Batiouchka, qui était complètement inattendue pour moi, le 21. J’ai fini de lire le Psautier à 9h30 du soir et j’ai couru directement vers Batiouchka, pensant recevoir au moins une bénédiction pour la nuit. Batiouchka m’a reçu; il venait juste de recevoir le frère X [N.d.E. Il y a ici un blanc dans le texte.], qui avait eu aussi un entretien avec lui. Après avoir envoyé dormir l’auxiliaire de cellule, Batiouchka s’est assis sur le canapé et a commencé à parler de ce frère qui était venu le voir :
«Voilà, il déplore tellement avoir beaucoup de doutes et de perplexités, qu’il ne comprend pas beaucoup, qu’il n’a cessé de me lancer des questions: Cela c’est comment? Pourquoi ceci? Et ça?.. Et ça?.. Je lui ai dit:
– Pardonnez-moi, je ne peux pas; tout cela m’est égal, et mon auxiliaire de cellule s’est levé à 4 heures ce matin, et depuis, il est tout le temps sur pieds. Il va partir.
Le frère dit alors :
– Certains louent Abba Dorothée, mais moi, je n’y comprends rien du tout. Et cela m’attriste.
– Ce n’est pas possible! Vous n’y comprenez rien? Vous devez tout de même comprendre un peu. La grâce de Dieu est ainsi ; à certains, elle offre dix pouds, à d’autres deux pouds, et à un troisième, vous par exemple, un zolotnik. Rendez grâce pour cela, et voilà tout. Notre batiouchka, le Starets Macaire disait : «Quand j’étais novice, il me semblait que je comprenais Abba Dorothée, mais maintenant, quand je le lis, il y a beaucoup de choses que je ne comprends pas». Si notre Père Macaire, avec son intelligence angélique, ne comprenait pas ce livre, qu’y aurait-il d’étonnant à ce que vous ne compreniez pas? Ce n’est pas en vain que ce livre a traversé douze siècles, et on continue à le lire, non seulement chez nous, mais aussi à l’Ouest, dans leurs monastères. C’est une base pour la vie monastique. Ce livre est doté d’une telle profondeur car c’est par l’Esprit-Saint qu’il a été écrit.
– Pourquoi ne reçois-je pas de consolation de votre part aujourd’hui?
– Je n’en sais rien, mais alors, c’est une affliction, et il faut rendre grâce à Dieu pour chaque affliction car la Divine Providence sait le mieux ce qui nous est le plus utile.
Il cherche sincèrement le salut, mais il veut comprendre tout immédiatement, avec son mental. Il veut comprendre sans pratiquer, acquérir seulement par l’intelligence une connaissance qui n’aura pas été éprouvée. Quand je suis arrivé, j’avais moi aussi cette approche. J’arrivai chez Batiouchka Anatole et je commençai à l’interroger à propos de tout, comment, pourquoi. Et lui :
– Euh, oui mais, frère, pas par ce bout-là !
Il ajouta encore quelques mots et puis il me dit :
– Allez, partez.
– Oui, mais Batiouchka, comment…
– Non, frère Paul, soyez humble, vous devez être humble. Allez, partez maintenant!
Et c’est seulement maintenant, dix-sept ans plus tard, que je commence à comprendre ses paroles. C’est un chemin erroné quand on essaie d’atteindre tout seulement avec l’intelligence, on accorde de l’importance aux doutes qu’on essaie d’éclaircir par des questions, tentant de les dissiper par soi-même ; c’est alors que l’ennemi fonce et vous abat. Mais d’un autre côté, il avoue lui-même que quand il vit selon la règle, les doutes commencent à se calmer et au fur et à mesure qu’il avance pour venir me voir, ils se calment de plus en plus, et quand il arrive devant moi, il ne sait plus quoi demander. Il est évident que toute cette tempête est soulevée par l’ennemi et ses mensonges. Au plus longtemps le moine vit au monastère, au plus il en sait, et au plus il apprendra. Bien sûr, Dieu peut enrichir instantanément le pauvre. Il y a eu des cas où l’esprit fut immédiatement illuminé d’En-haut. Prenez l’exemple du tsar terrestre. Il est clair que s’il rencontre un pauvre, il peut lui donner plusieurs milliers et même plusieurs dizaines de milliers de roubles. Et le pauvre devient riche en un instant, malgré qu’auparavant, son plus grand capital n’ait été que de quarante kopecks. De la même façon, Dieu peut illuminer l’intelligence de l’homme.
Le mental est une chose, le discernement, le raisonnement en est une autre. Le raisonnement est un don de Dieu. Comme tout le monde en général, nous avons un don de Dieu. Mais le raisonnement est supérieur aux autres dons et n’est pas acquis immédiatement. Quelqu’un peut être très intelligent, mais complètement irréfléchi, et satisfaire ses besoins bestiaux les plus bas, avoir des maîtresses et même ne pas reconnaître du tout Dieu. Il y a des gens passionnés par la chair et qui ne vivent que pour le ventre, pour la fornication. Il y a des gens liés à la vie de l’âme1 ; ceux-ci sont plus grands que les «charnels». Et enfin, il y a des gens de l’esprit, les spirituels. La différence entre les gens attirés par l’âme et les gens spirituels est énorme. Car, comme le dit l’Apôtre, «l’homme naturel2 ne reçoit pas les choses de l’Esprit de Dieu, car elles sont une folie pour lui» (1Cor.2;14) Il peut connaître toute la sagesse humaine, en un mot, toute la philosophie, mais il n’a pas le discernement spirituel.»
Ici, j’ai rappelé à Batiouchka les paroles de l’Apôtre : «la doctrine de la croix est une folie pour ceux qui périssent ; mais pour ceux qui se sauvent, c’est-à-dire, pour nous, elle est une force divine»3 .
Oui, oui, pour eux, c’est une folie, mais pour nous qui œuvrons à notre salut, c’est la puissance de Dieu. Et remarquez, il est écrit: «pour ceux qui sont en train de se sauver», pas «les sauvés», et pour ceux qui périssent, pas «ceux qui ont péri». D’aucuns ne remarqueront pas cette différence immédiatement, puis ils la remarqueront soudainement plus tard. Nous sommes tous en train de nous sauver, mais nous ne savons pas encore si nous serons sauvés. Il est également dit: à ceux qui périssent, car ils peuvent encore faire demi-tour, bien qu’ils se tiennent sur un plan incliné, et glissent vers le bas.
Ici ou à un autre moment, Batiouchka a dit : «C’est pourquoi je dis: nous devons nous faire humbles».
Il était déjà très tard, alors j’ai demandé:
– Batiouchka, et les cinq cents?
– Ce soir, il est trop tard pour les faire.
– Et de façon générale, dis-je, si je reste ici plus tard que 9 heures, dois-je faire les cinq cents?
– Si c’est pour une raison valable, par exemple, une obédience urgente, alors mettez-vous au lit, mais le lendemain, il faut me le dire. Mais s’il n’y a rien de particulier, alors, à 9 heures, arrêtez tout et commencez à faire les cinq cents. En général, ce temps de 9 à 10 heures leur est consacré, de manière à pouvoir se lever en forme le matin (c’était le sens général). (A suivre)
Traduit du russe
Source :
Saint Père Nikon, prie Dieu pour nous.
- N.d.T. : Le russe «душевный человек» (dérivé de душa, l’âme, et qui traduit le grec «Ψυχικὸς δὲ ἄνθρωπος»), est traduit de façon variée en français dans le Nouveau Testament, Louis Second et Darby utilisent «l’homme animal», dérivé du latin anima, âme. A. Crampon utilise «l’homme naturel». Oltramare emploie une tournure complète : «l’homme qui ne vit que de la vie animale». On pourrait admettre aussi « l’homme psychique».
- Ibid.
- N.d.T. : La version française du Nouveau Testament que nous avons utilisée pour ce verset est celle de Louis-Isaac Lemaistre de Sacy (1710). Les versions plus courantes traduisent leur original, à contre-sens semble-t-il, par «nous qui sommes sauvés», et non par «ceux qui se sauvent, c’est-à-dire nous».