Écrits

Le Métropolite Ioann de Saint-Pétersbourg et Ladoga, de bienheureuse mémoire, est l’un des auteurs russes les plus traduits sur le présent blogue. Sa vie est longuement abordée dans la rubrique qui est consacrée à Vladika Ioann.
Le texte ci-dessous est la suite de la traduction inédite en français d’un long chapitre, en réalité un addendum, d’un livre édité à partir de leçons données par le Métropolite Ioann, alors encore Archevêque de Samara, à l’Académie de Théologie de Leningrad en 1989, au sujet de la situation de l’Église en Russie au début du XXe siècle, des schismes qui l’ébranlèrent et des grands confesseurs de la foi qui la maintinrent à flots contre vents et marées. La vie de trois d’entre eux est abordée par Vladika Ioann: le Saint Métropolite Benjamin (Kazanski) de Petrograd et Gdov, le Saint Archevêque Hilarion (Troïtski) de Vereya, et le Saint Hiéromoine Nikon (Beliaev) d’Optino. L’original russe est donc l’addendum du livre «Rester debout dans la foi» (Стояние в вере), publié à Saint-Pétersbourg en 1995, par les éditions Tsarskoe Delo.

(…) Le mercredi 5 juillet 1922, le tribunal révolutionnaire de Petrograd, ayant examiné le cas de chacun des accusés, reconnut le Métropolite Benjamin de Petrograd et Gdov, étant le citoyen Kazanski, conjointement avec le Conseil d’Administration de la Société des Paroisses de l’Église Orthodoxe Russe en son groupe actif constitué du Président du Conseil d’Administration Novitski, des membres de Kovcharov et autres, coupables, en application de directives manifestement contre-révolutionnaires émanant du Patriarche Tikhon et dirigées contre l’existence du pouvoir ouvrier et paysan, de s’être fixé pour objectif à la fois la réalisation de ces directives et la diffusion d’idées dirigées contre le décret du pouvoir soviétique du 23 février 1922 sur la saisie des biens et valeurs ecclésiastiques. Par leurs actions, les accusés voulaient provoquer une agitation populaire afin de créer un front uni avec la bourgeoisie internationale contre le pouvoir soviétique.
En tant que principaux coupables de désordres lors de la saisie des biens et valeurs de l’église, furent condamnés à la peine capitale par fusillade: le Métropolite Benjamin, l’Archimandrite Serge (Chein), Y.Novitski, I.M. Kovcharov, l’Évêque Benedikt (Plotnikov), l’Archiprêtre N. Tchoukov, l’Archiprêtre L.Bogoyavlenski, l’Archiprêtre M. Tcheltsov, le professeur N.F. Ognev et N.A. Jelatchitch. Les six derniers condamnés à mort virent leurs peines respectives commuées en peines de prison de durées différentes.
Se préparant à quitter ce monde, le Métropolite Benjamin parvint à écrire un dernier message avant sa mort à l’un des doyens de l’Éparchie de Petrograd. Ce texte est empreint de la grandeur de l’âme du hiérarque condamné à mort.
Le Saint Hiéromartyr écrivit : «Pendant mon enfance et mon adolescence, j’ai lu attentivement les vies des saints et me suis enthousiasmé devant leur héroïsme, leur saint enthousiasme, j’ai regretté de tout mon cœur que les temps ne soient pas les mêmes et qu’il ne soit pas possible de vivre ce qu’ils ont vécu. Mais les temps ont changé, il est possible de souffrir pour le Christ de la main des nôtres ou d’autres. Il est difficile, il est dur de souffrir, mais à mesure que nous souffrons, la consolation de Dieu devient surabondante. Il est difficile de franchir ce Rubicon, cette limite, et se livrer pleinement à la volonté de Dieu. Lorsque cela est fait, alors en l’homme surabonde la consolation, il ne ressent plus les souffrances les plus pénibles, il est complètement au milieu de la souffrance et de la paix intérieure, il entraîne les autres dans la souffrance, afin qu’ils adoptent cet état dans lequel se trouve celui qui souffre avec bonheur. J’ai déjà parlé de tout cela avec d’autres, mais mes souffrances n’avaient pas encore atteint leur pleine mesure. Maintenant, semble-t-il, il a fallu tout supporter : la prison, le procès, les crachats du public, la condamnation, la peine de mort exigée, les applaudissements du prétendu peuple, l’ingratitude humaine, la corruption, la versatilité et autres attitudes du même genre, l’inquiétude et la responsabilité vis-à-vis de la condamnation d’autrui, et vis-à-vis même de l’Église.
La souffrance a atteint son apogée, mais la consolation a également grandi. Je suis heureux et tranquille, comme toujours. Christ est notre vie, notre lumière et notre paix. Avec lui, toujours et partout, tout est bon. Pour le destin de l’Église de Dieu, je n’ai pas peur. Nous avons besoin de plus de foi, nous devons en avoir plus, nous les pasteurs du troupeau. Oublions notre arrogance, notre mental, notre érudition et notre force et faisons place à la grâce de Dieu.
Le raisonnement de certains pasteurs, même éminents, comme Platonov, est étrange: il serait nécessaire de préserver des forces de vie, c’est-à-dire qu’on ferait tout grâce à celles-ci. Mais alors, à quoi bon le Christ? Ce ne sont pas les Platonov, les Tchepurine, les Benjamin et autres qui sauvent l’Église, mais le Christ. Le point qu’ils essaient de défendre signifie la perdition pour l’Église. Il ne faut pas s’épargner soi-même pour l’Église, il ne faut pas sacrifier l’Église pour soi. Maintenant, c’est l’heure du jugement. Les gens sacrifient tout pour leurs convictions politiques. Regardez comment se comportent les s.r. et autres. Et nous les Chrétiens, et prêtres encore bien, n’aurions-nous pas pareil courage, même jusqu’à la mort, si la foi en Christ existe, la foi en la vie du siècle à venir?
Il est malaisé de donner des conseils. Les doyens doivent décider moins, même dans ces questions fondamentales. Ils ne doivent pas répondre pour autrui. Il faut demeurer dans les limites de sa propre petite église paroissiale et rester en union spirituelle avec l’évêque, porteur de la grâce. La nouvelle installation d’évêques ne peut être acceptée en l’état. Votre conscience de pasteur vous dira que faire. Il est évidemment impossible pour vous de conserver dans ces conditions votre rang de doyen. Vous devez devenir un dirigeant sans rang officiel.
Ma bénédiction à tout le clergé !
J’écris ce que j’ai sur mon âme. Ma pensée est assez bien liée aux événements que j’ai endurés pendant ces journées angoissantes. C’est la raison pour laquelle je ne puis m’étendre sur des questions d’ordre spirituel».
Le Saint Hiéromartyr marcha vers le lieu de son repos éternel la prière aux lèvres, et avec une espérance et une foi profondes en l’aide de Dieu.
La nuit du douze au treize août, le Métropolite Benjamin, le Père Serge, Novitski et Kovcharov furent sortis de prison et fusillés à quelques verstes de Petrograd.
Ainsi prit fin la sainte vie du bienheureux Métropolite Benjamin. (A suivre)
Traduit du russe

Saint Hiéromartyr Benjamin, prie Dieu pour nous!

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