Dans plusieurs textes concernant le Hiéromoine Vassili et les Moines Théraponte et Trophime, les trois frères d’Optino Poustin’ assassinés dans l’enceinte du monastère la nuit de Pâques 1993, on lit qu’ils sont devenus extrêmement familier des fidèles qui les prient, aujourd’hui encore. Ces fidèles ont simplement lu et relu le livre «Pâques rouge», et les trois frères sont devenus comme des membres de leur famille. L’Église ne les a pas encore glorifiés, mais il est devenu impossible de tenir le compte des miracles attribués à leurs prières. Ce livre, «Pâques rouge», n’a pas été traduit en français. Il est bien sûr moins évident pour les fidèles francophones de considérer les trois frères d’Optino comme des membres de la famille et demander ainsi leur prière. En vue de faire mieux connaître chacun de ces trois merveilleux moines et afin donc d’aider les lecteurs de ce blog à adresser plus volontiers leurs prières à ces trois néomartyrs, nous poursuivons la traductions de plusieurs extraits de deux livres.
Il existe de nombreux coins de paradis en Russie, mais parmi eux, le glorieux Désert d’Optino est un des plus notables. Cet ancêtre du monachisme russe, coiffé d’ors, se trouve à la lisière d’une forêt, comme protégé du monde trépidant d’un côté par cette forêt de pins et de l’autre par la rivière Jizdra, à quatre verstes de la ville de Kozielsk, connue pour son opposition héroïque à la Horde de Khan Baty forte de milliers d’hommes. Le monastère est célèbre pour la foule des saints moines et sages startsy d’Optino, qui y vécurent jadis et y menèrent leur combat. La paternité spirituelle est un beau chemin divin vers le salut, le chemin de l’obéissance, au long duquel les novices atteignent aisément les sommets de l’humilité. L’Écriture Sainte dit : Tu te lèveras devant une tête blanchie, et tu honoreras la personne du vieillard.(Lev.19;32). Mais si l’écriture ordonne de se lever devant l’aîné aux cheveux blancs, combien plus de respect méritent ceux qui ont blanchi leur âme et sont parvenus à l’âge d’une parfaite impassibilité et de l’humilité! Tels étaient les saints startsy d’Optino, qui en incitèrent tant à se réveiller de leur rêve pécheur.
Vladimir avait beaucoup lu au sujet des startsy d’Optino et il aimait beaucoup ce saint monastère. Il disait : «S’ils ne me prennent pas à Optino, alors je partirai dans les Monts du Caucase». Mais Optino l’accueillit en son sein, le revêtit de la grâce monastique et pour finir, l’embellit de la couronne de martyr.
A l’époque des startsy, Optino fut une source de l’illumination spirituelle de la Russie. Beaucoup de personnages éminents y vinrent, cherchant à rencontrer les startsy et souhaitant entendre leurs paroles d’instruction et de réconfort. Il y eut F. M. Dostoïevski, N. V. Gogol, et S.A. Nilus. le Tsar Ivan IV y ploya le genou, la Sainte Grande-Duchesse martyre Élisabeth y pria Dieu. Même après la fermeture du monastère en avril 1923, par décret du pouvoir soviétique, les pèlerins ne cessèrent pas d’y venir. Le membre du Présidium de l’Union panrusse des poètes N. A. Pavlovich visita le monastère à plusieurs reprises. Et à propos de l’arrivée du recteur de l’Université d’État de Moscou, I.G. Petrovski, assistant de Brejnev, les habitants locaux se souviennent que «s’approchant du puits Saint-Ambroise, il ôta son chapeau, puisa de l’eau dans une petite cruche, se signa et but».
Quels changements la terre sainte du monastère ne dut-elle subir pendant les années du pouvoir soviétique! Elle fut tout d’abord maison de repos, puis casernement d’une unité militaire, colonie de travail pour enfants, hôpital militaire, et institut technico-professionnel agricole. Ce n’est qu’en 1974 qu’il fut décidé de considérer le Désert d’Optino comme monument architectural. Mais à ce moment-là, on peut dire qu’il ne restait pas pierre sur pierre au monastère.
Vladimir arriva au monastère en 1990, juste au moment où sa renaissance commençait. Il fallut beaucoup de travail, mais l’âme était joyeuse à la pensée qu’on travaillait pour Dieu, pour que cette sainte demeure devienne, comme avant, un lieu de salut pour de nombreuses âmes.
Un jour, le Père Supérieur réunit tous les nouveaux arrivants pour une conversation. Dans sa salle où ils furent reçus, c’était tout simple, comme à la maison. Le Père était assis à sa table de travail, et les novices se tenaient autour.
Entrant dans la pièce, Vladimir dit :
– Par les prières de nos saints pères.
– Amen, dit Batiouchka en souriant et en le bénissant paternellement.
– Eh bien, assieds-toi.
Vladimir s’assit sur un tabouret et écouta attentivement, la tête inclinée. Le Père Supérieur parla des Startsy. Son visage s’illuminait de temps en temps. Il parlait doucement, calmement, avec une simplicité authentique et un amour paternel. Il s’adressa aux novices :
– Eh bien, mes très chers, racontez-moi maintenant comment vous allez.
– Bien, répondit l’un d’eux.
– «Tu es déjà ici depuis combien de temps?», demanda le Père à Vladimir.
– Huit mois.
– Huit mois, c’est déjà une longue période, dit Batiouchka, et comment te sens-tu ici?
– Cela me plaît, répondit Vladimir.
– Au monastère, on ne peut être bien que si on prie, continua le Supérieur en s’adressant cette fois à tous, et si on ne prie pas, croyez-moi, on n’en tire aucun profit. L’ennemi commence à vous pourchasser d’un endroit à l’autre. Rappelez-vous de ceci : si vous venez travailler pour le Seigneur, vous devez préparer votre âme aux tentations et ne pas voir celles-ci comme inattendues et subites.
Un grand calme régnait dans la pièce. Tous, retenant leur respiration, écoutaient. Batiouchka continua :
Un jour, un brigand s’enfuit de la prison. Où se dirigea-t-il? Dans vers le montagnes, au Caucase. Il pensait : le climat y est doux, je vivrai bien. Mais il n’en fut rien. Au bout d’un certain temps, il revint et demanda : «Prenez-moi et remettez-moi en prison. Il est impossible de vivre là-bas». Réfléchissez. Pourquoi fut-il incapable de vivre dans ce lieu désert? Parce qu’il ne savait pas prier. Seul celui qui sait prier peut vivre au désert. Au monastère, c’est la même chose. Celui qui ne prie pas reçoit forcément des tentations, des prétextes pour quitter le monastère. Et l’homme va sauter comme une sauterelle, du monastère au désert, du désert dans le monde, et puis il recommencera le tour. Voilà pourquoi il faut être attentif à soi-même et apprendre à prier. La prière est l’enseignement secret de Dieu.
Les propos du Père Supérieur au sujet de la prière produisirent sur Vladimir une impression très forte. Plus tard, Vladimir écrivit ceci : «Oui, grande est l’action de la Prière de Jésus. Il suffit même seulement de s’en souvenir et l’âme frémit et s’emplit d’un sentiment de dévotion». Depuis lors, il s’exerçait avec zèle à la pratique de la prière mentale à l’aide du chotki à cinq cents grains, qu’il récitait quotidiennement en faisant des métanies. Cinq cents prières et cinq cents métanies, chaque jour. Il empruntait chez des frères leurs livres sur la Prière de Jésus et en recopiait des extraits. «Le plus important dans la prière, écrivit le futur moine, c’est de retrancher notre volonté propre. Il est impossible de prier sans tomber dans l’illusion spirituelle si on reste un serviteur de soi-même. Mais avant de se livrer sans réserve entre les mains d’un starets, il est nécessaire de vérifier dans quelle mesure il est orthodoxe et n’est pas lui-même dans l’illusion spirituelle, car les plaies du maître se transmettent facilement à ses disciples». Au cours de ses lectures, il remarqua que s’il n’était pas toujours possible de trouver un starets expérimenté, cela ne signifie pas pour autant qu’il ne faille pas pratiquer la Prière de Jésus par peur de l’illusion spirituelle. Celle-ci apparaît souvent chez ceux qui craignent de prier, et la prière à haute voix dite de tout cœur n’a jamais fait de mal à personne.
Le futur martyr disait aussi : «Il faut du discernement en toutes choses. Si on te donne la bénédiction pour faire exploser une église, vas-tu te dépêcher de le faire comme si c’était la volonté de Dieu? Notre but est d’apprendre à aimer Dieu et notre prochain, c’est-à-dire d’accomplir les commandements et d’être fidèles à l’Orthodoxie».
Au printemps 1991, Pâques tombait en même temps que l’Annonciation et l’office fut exceptionnel. La soutane cousue spécialement sur mesure, la skoufia et la ceinture du futur novice étaient posés sur l’autel. La veille, le conseil des anciens s’était réuni et avait pris la décision d’accepter dans la communauté plusieurs postulants, dont Vladimir. Il se tenait non loin du chœur lorsqu’on l’appela dans le sanctuaire. S’étant signé et ayant vénéré les icônes de la porte Est de l’autel, Volodia entra dans le saint des saints. Il fit trois grandes métanies devant le trône et avança vers le Père Supérieur pour recevoir sa bénédiction. Le père spirituel prit la soutane. Batiouchka la bénit du signe de la croix et la rendit au père spirituel. Celui-ci l’enfila sur Vladimir. Ensuite, le Père Supérieur bénit la skoufia et la ceinture également d’un signe de croix et enfin, il bénit avec amour, paternellement, le nouveau novice. Comme les vêtements monastiques transfigurent les gens, disait Vladimir. Tu te sens tout différent. C’est comme si des ailes poussaient derrière ton dos, bien que tu comprennes que ce n’est pas par ton mérite que tu reçois miséricorde du Seigneur. (A suivre)
Traduit du russe
Source :
Небесные ратники. Жизнеописания и чудеса Оптинских новомучеников (Les soldats célestes. Vie et miracles des néomartyrs d’Optino) Alexandre Ivanovitch Iakovlev. Éditions : Святитель Киприан, Moscou 2013. Pages 237 à 243.