Le texte ci-dessus est la première traduction d’une série consacrée au texte original russe de Madame Nina Pavlova : «Как за одну ночь построили церковь и о других чудесах», «Comment une église fut construite en une nuit et autres miracles». Madame Pavlova est l’auteur du livre «Pâques rouge» qui présente le tragique événement survenu la nuit du 18 avril 1993 à la fin de l’office pascal au Monastère d’Optino Poustin’ : le meurtre de trois moines. Le texte original russe a été publié le 4 mai 2012 sur Pravoslavie.ru. Il rapporte le témoignage de plusieurs pèlerins. Nous le traduisons, en plusieurs parties, en hommage aux trois moines assassinés voici trente ans cette année. Le texte original est introduit par ces propos de Madame Pavlova:
Dix-neuf années se sont écoulées depuis cette nuit de Pâques du 18 avril 1993, quand furent assassinés trois frères d’Optino : le Hiéromoine Vassili, le Moine Trophime et le Moine Théraponte. En 2005 une chapelle fut érigée par dessus leurs tombes, avec la bénédiction du Patriarche Alexis II, et des centaines de milliers de pèlerins affluèrent déjà. Le 18 avril, il est quasiment impossible d’approcher de la chapelle, la foule des pèlerins tenant un cierge allumé se masse dans la cour du monastère car en ce jour, entre quarante et cinquante autocars arrivent à Optino Poustin’. Les autres jours, les fidèles d’autres éparchies arrivent aussi par cars entiers pour faire célébrer des molebens devant les tombes des frères assassinés et prient pour leur demander aide. Et ils sont nombreux à la recevoir. Le monastère collationne actuellement les informations relatives aux miracles survenus suite aux prières des martyrs d’Optino, dans le cadre de la préparation du dossier de leur glorification. Certains pèlerins particulièrement insistants viennent aussi me rendre visite. Encore bien que ma maison se trouve adossée au mur d’enceinte du monastère. Ces gens me disent : «Écrivez, s’il-vous-plaît!» et ils me racontent leurs témoignages. En voici quelques-uns.
La pèlerine Ludmila Loutchko de Sotchi m’a demandé d’écrire ce qui suit.
Ma sœur se mourait d’insuffisance rénale. Évidemment, nous avions essayé tous les traitements imaginables et concevables. Ma sœur était restée allongée à l’hôpital pendant de longues périodes, branchée à des «reins artificiels», jusqu’à ce que les médecins aient prononcé le verdict: «Si vous ne demandez pas une greffe de rein d’urgence, votre sœur mourra». Nous avons vendu l’appartement de nos parents décédés et découvert que nous n’avions clairement pas assez d’argent pour une opération en Amérique ou en Europe. Et puis les médecins nous ont parlé d’une option moins chère : aller en Chine, d’autant plus que les lois chinoises autorisent le recours pour les transplantations à des organes de criminels exécutés. Par conséquent, l’opération serait faite rapidement.
Nous sommes arrivés à Pékin, avons payé l’opération, mais à la clinique ils ont dit: «Attendez». Et cela a traîné non pas des jours, mais des mois. Malheureusement, nous nous étions envolées avec une telle hâte pour la Chine que je n’avais emporté aucune icône de la maison. Je n’avais avec moi que le livre «Pâques rouge», lu et relu à tel point que hiéromoine Vassili, le Moine Théraponte, et le Moine Trophime étaient devenus des proches pour moi, et je leur demandais constamment de l’aide.
Pour ne pas prier devant un mur vide, j’ai placé «Pâques rouge» dans le coin des icônes. Ce n’était pas une icône, bien sûr, mais sur la couverture il y avait les anges et les visages très lumineux des martyrs tués pour notre Seigneur Jésus-Christ. Et si quelqu’un me condamne pour avoir considéré cela comme une «icône», je peux dire une chose: je ne souhaite à personne de devoir survivre à une faim spirituelle telle que celle que nous avons vécue pendant les six mois de notre vie au pays des dragons. Au début, je ne voulais pas croire qu’il n’y avait pas une seule église orthodoxe dans le grand Pékin ni dans toute la Chine. On dit qu’elles sont apparues plus tard. Et puis, comme on m’a dit, le dernier prêtre orthodoxe chinois, le père Grégoire Zhu, a été enterré dans le cimetière selon un rituel laïc, car les autorités ont interdit d’inviter un prêtre orthodoxe de Russie pour l’enterrement.
Avant cela, je n’avais jamais imaginé à quel point ce serait difficile pour moi de ne pas aller à l’église, de ne pas me confesser et de ne pas communier pendant des mois. Chez nous, à la maison, il y avait un prêtre. Et, bien que ma sœur, malheureusement, était non-croyante, batiouchka sut la persuader de se confesser, de recevoir la Communion. Après avoir communié, ma sœur était plus facile, et elle récitait déjà des prières au moins de temps en temps, et volontairement. En Chine, même ces faibles germes de foi disparurent, et le Grand Carême de ma sœur partit dans tous les sens. Elle était particulièrement irritée que je demande de l’aide aux martyrs d’Optino: «Mais qui donc sont-ils? Tu as trouvé des saints?!», et ainsi de suite. J’endurais tout cela, comprenant le désespoir de ma sœur : la mort était sur le seuil, et à la clinique depuis six mois, ils ne faisaient que promettre et répéter «Attendez». Pendant ce temps, nous vivions dans une misérable chambre, et on n’avait presque pas d’argent, tout partait dans les soins médicaux, et nous pouvions nous permettre de manger seulement les légumes les moins chers. Le Vendredi Saint, ma sœur me fit un scandale parce qu’en priant, j’avais pleuré à l’idée que pour la première fois de ma vie adulte, je ne serai pas à l’église à l’office de Pâques et n’entendrais pas le chant de la procession avec les cierges dans la nuit: «Ta Résurrection, Christ Sauveur, les anges la chantent dans le ciel, et nous qui sommes sur terre, accorde-nous de Te glorifier d’un cœur pur». Je ne pourrais louer le Christ à Pâques dans une église! Et j’ai crié au Père Vassili, au Moine Trophime et au Moine Théraponte: «Vous avez toujours tant aimé Pâques! Faites quelque chose. Je ne peux pas me passer d’église la nuit de Pâques!» Et ma sœur m’a ridiculisée : «Eh quoi, maintenant, ils vont te construire une église du jour au lendemain?!» Et elle m’adressa des paroles blessantes qui broyèrent plus encore mon cœur. Pleurant, j’emmenai ma sœur manger dans une cantine chinoise. J’observais toujours strictement le jeûne, mais là, par manque ‘argent, ma sœur jeûna également. Heureusement, en Chine, il y a toujours beaucoup de légumes très bons et peu coûteux. Soudain, une femme s’avança vers nous et s’assit sur une chaise voisine.
– Vous êtes russes ?
– Oui.
– J’ai vu que vous observiez le jeûne du Grand Carême. Vous êtes orthodoxes?
– Bien sûr.
– Vous voulez aller à l’église pour Pâques?
– Comment?????
Et cette dame nous remit à ma sœur et moi deux cartes d’invitation de l’Ambassade de Russie annonçant qu’un prêtre muni d’un antimension viendrait dans notre Ambassade. Dès maintenant, le garage était transformé en une église acceptable. Notre nouvelle connaissance ajouta :
– Nous allons travailler toute la nuit et nous fêterons Pâques à l’église !
Seigneur prends pitié! Quel miracle fut notre office de Pâques dans le garage de l’Ambassade! J’étais déjà allée dans des églises et des cathédrales célèbres, j’avais fêté Pâques dans des monastères, mais nulle part je n’avais connu l’élan spirituel que nous vécûmes cette fois en Chine. Les gens pleuraient de joie, s’étreignant les uns les autres, et après l’office, personne ne se décidait à partir. Sans cesse nous chantions «Le Christ est ressuscité des morts!», dans toutes les langues du monde, en russe, en anglais, en chinois, en koréen, en grec, et aussi dans toute une série de langues qui ne m’étaient pas connues. On aurait dit que le monde entier glorifiait le Christ dans ce garage. On avait vraiment ce sentiment que le Christ est entre nous. Il l’était, Il l’est et Il le sera! Je me souviens que je vis ma sœur avec un visage radieux et elle pleurait de joie, elle aussi.
Et l’opération eut lieu directement après Pâques. Ma sœur se rétablit rapidement et facilement. Et cette nuit de Pâques avait tellement retourné son âme que depuis lors, ma petite sœur était sans cesse à l’église, racontant comment, par les prières des trois martyrs d’Optino, une église fut construite en une nuit en Chine. (A suivre)
Traduit du russe