Le Métropolite Simeon (Koutsas), de Nea Smyrni, dans la banlieue Sud d’Athènes, a rédigé en 1995 un long texte intitulé «Le Père Spirituel : La Paternité spirituelle dans la Tradition Orthodoxe». Le texte original grec fut publié par la Sainte Métropole de Kalavryta and Aegialia, et demeure disponible sur le site Myriobiblos. Il fut traduit en anglais en 2009. Voici la traduction de la deuxième partie intitulée dans l’original «La Signification de l’Institution». La première se trouve ici.
Évolution de l’Institution au cours de l’Histoire de l’Église.
Au fil du temps, avec le développement des institutions de l’Église, celle de la paternité spirituelle prit racine et commença à croître. L’endroit où elle fut le plus cultivée fut tout naturellement le désert, lieu de prédilection du monachisme. Et comme ce fut le cas d’autres éléments, cette institution se répandit et imprégna la vie spirituelle de l’Église entière. Nous sommes devenus familiers avec les termes caractéristiques de la littérature ascétique : abba, geronda en grec, ancien, starets dans la langue de nos frères et coreligionnaires russes.
«Qu’est-ce qui incite quelqu’un à devenir un ‘ancien’ ? Comment est-il ‘investi’ et par qui?» Ces questions furent posées par l’un des plus éminents théologiens de la diaspora, l’Evêque Kallistos Ware, afin de mettre en lumière, dans la réponse qu’il y apporte, les caractéristiques de la paternité spirituelle («Le Royaume Intérieur»). Voici les positions fondamentales proposées par sa réponse.
Le père spirituel, l’ancien, est essentiellement une personnalité ‘charismatique’ et prophétique, qui a entrepris ce ministère avec l’intervention directe du Saint Esprit. Il n’est pas ordonné par une main humaine mais par la main de Dieu seul. Il est l’expression par l’Église d’un événement, et non d’une institution. Il n’existe toutefois pas de frontière nette entre les éléments prophétiques et les éléments institutionnels de la vie de l’Église ; ces deux dimensions se développent l’une dans l’autre et sont liées. Ainsi, le ministère offert par le geronda – qui est charismatique en soi – est lié à une fonction clairement définie dans le cadre institutionnel de l’Église : celle du prêtre-confesseur… Bien que le sacrement de la confession soit tout à fait une occasion appropriée à la guidance spirituelle, la fonction d’ancien n’est pas celle d’un confesseur. L’ancien fournit une guidance en de nombreuses circonstances, pas seulement durant la confession. Il est évident que le confesseur doive toujours être prêtre, alors que l’ancien peut être un moine ordinaire… Mais si un ancien n’est ni ordonné, ni institué par un acte officiel de la hiérarchie comment en arrive-t-il à entreprendre un tel ministère ? Au cours de la vie de la communauté chrétienne, il apparaît évident pour les fidèles, vrais gardiens de la Tradition Sacrée, qu’un homme particulier, ou une femme, ait le don de la paternité ou de la maternité spirituelle. Alors, de façon libre et officieuse, les gens se tournent vers cet homme ou cette femme.
La mission du Père Spirituel.
En quoi consiste exactement l’œuvre du père spirituel ? «Prendre soin des âmes rachetées par le Sang du Christ», nous dit Saint Basile le Grand. Le père spirituelle est un guide de la vie-en-Christ. Il est le médecin de l’âme qui, «avec beaucoup de compassion et conformément à la science des enseignements du Seigneur» (Saint Basile le Grand), guérit les passions et aide son enfant spirituel à acquérir une santé ‘en Christ’, c’est-à-dire une foi vivante et une vie spirituelle stable. Si, comme nous le dit Saint Basile le Grand, la nature et le but de la Chrétienté sont l’émulation du Christ, alors, «ceux à qui est confiée la guidance de beaucoup doivent projeter l’émulation du Christ sur les plus faibles, par leur médiation personnelle» (Saint Basile. ‘Règle Complète’). Nos pères spirituels sont nos guides expérimentés et nos infatigables accompagnateurs sur le chemin qui mène à la communion avec le Christ et à la theosis (la déification). Mais pour qu’il puisse servir une œuvre aussi élevée et lourde de responsabilité, le pasteur lui-même doit être authentiquement spirituel, un instrument «accordé et au service de l’Esprit», comme l’écrit Saint Grégoire le Théologien. Seul celui qui a appris par l’expérience personnelle est en mesure de dispenser ce qu’il a appris. Ainsi, pour qu’un père spirituel puisse guider autrui sur la voie de la vie chrétienne, il doit lui-même la vivre. Il doit être une «norme pour les fidèles» (1 Tim. 4 :12), et un «évangile vivant». Il doit, selon Saint Basile le Grand, offrir «sa propre vie en un clair exemple de chaque commandement du Seigneur» (Saint Basile, ‘Règle Complète’). Son exemple doit être plus parlant que ses paroles, il doit inspirer par sa vie vertueuse, édifier, avec son amour et son affection paternelle, car comme l’écrit Saint Jean Climaque : «c’est son amour qui fait la preuve du vrai berger. C’est par amour que le Grand Berger fut crucifié» (Lettre au Pasteur. 28)
Perspicacité et Amour, deux caractéristiques fondamentales.
Il faudrait de nombreuses heures pour décrire la personne du père spirituel, la manière dont il émergea de notre antique tradition ecclésiastique, et pour énumérer les charismes individuels qui caractérisent l’authentique geronda. Dès lors, nous examinerons brièvement deux de ses charismes les plus essentiels.
Le premier est la perspicacité et le discernement, «en d’autres mots, la capacité à pénétrer intuitivement le secret du cœur d’autrui, de comprendre les profondeurs secrètes dont l’autre n’est pas conscient. Le père spirituel voit au-delà des gestes et habits conventionnels sous lesquels nous cachons notre vraie personnalité aux autres, ainsi qu’à nous-mêmes. Et au-delà de tous ces menus détails, il conçoit l’homme unique, qui fut créé à l’image et à la ressemblance de Dieu. Il s’agit d’un pouvoir spirituel et non physique. Il ne s’agit pas de perception hyper-sensible ni de divinisation sanctifiée, mais d’un fruit de la grâce, dont la condition préalable est la prière continue et les labeurs ascétiques ininterrompus.» (Kallistos Ware, ‘Le Royaume Intérieur’, 126-127)
Le charisme de la perspicacité profonde du père spirituel est révélé, par excellence, par le discernement des pensées. Selon Saint Syméon, le discernement est la «lampe» spirituelle, «l’œil», par lequel le père spirituel peut voir à la fois en son propre cœur et dans celui de ses enfants spirituels. De cette façon, il est en mesure de poser chaque fois le diagnostique correct et d’imposer la thérapie la plus adéquate (Saint Syméon ‘Catéchèse 18’). Le discernement, dont la pureté du cœur est une condition préalable, est un charisme, un don de l’Esprit Saint. Dès lors, un père spirituel «qui n’aurait pas en lui la lumière de l’Esprit Saint ne peut ni voir clairement ses propres actions, ni savoir pleinement si elles sont agréables à Dieu. Mais il ne sera pas non plus capable de guider autrui, ou d’enseigner la volonté de Dieu, ou être digne de percevoir des pensées étrangères… » (Saint Syméon, ‘Catéchèse 33’).
Le second charisme du père spirituel est celui de l’amour, la capacité d’aimer les autres, de prendre leurs souffrances et leurs épreuves. Sans amour, il ne peut y avoir de paternité spirituelle. D’après nos maîtres spirituels, l’amour n’est pas seulement la qualité la plus fondamentale d’un père spirituel, mais la base et l’essence de la paternité spirituelle. Aimer autrui présuppose ‘souffrir avec lui’, partager ses passions, ce qui correspond à la traduction littérale du grec ‘sym-pathiser’ : «Portez les fardeaux les uns des autres, et vous accomplirez ainsi la loi de Christ.» (Gal.6:2). Le père spirituel est celui qui, par excellence, porte le fardeau des autres, de ses enfants spirituels. Il prend sur lui leurs tristesses, leurs culpabilités, leurs épreuves, leurs péchés. Et, dans la douleur, infatigablement, il œuvre à leur amélioration en Christ.
Abba Barsanuphe écrivit à l’un de ses enfants spirituels : «Frère Andreas, bien-aimé de mon âme… même pendant la durée d’un clin d’œil tu ne quittes mon esprit et mes prières ; et si je t’aime à ce point, Dieu, qui t’a façonné, t’aime plus encore, et je L’implore de te guider et de te diriger selon Sa volonté »(Nicodème l’Hagiorite, ‘Le Livre de Barsanuphe et Jean’). Dans ce même livre de questions et réponses des Saints Barsanuphe et Jean, nous trouvons une prière qui émeut l’âme et montre l’immensité de l’amour d’un père spirituel pour son enfant spirituel : «Regarde, me voici, moi et les enfants que Tu m’as donnés ; protège-les en Ton Nom, abrite-les de Ta Dextre. Conduis-nous au bon port de Ta Volonté et écris leurs noms dans Ton Livre… Seigneur, soit Tu prends mes enfants avec moi dans Ton Royaume, soit tu effaces mon nom de Ton livre… » (A Suivre).