Le texte ci-dessous est le début de la traduction d’un original russe préparé par Madame Olga Orlova, et publié le 5 mai 2018 sur le site Pravoslavie.ru. Il propose à travers une série de témoignages, un portrait du héros de l’ascèse, le Starets Archimandrite du grand schème Adrien (Kirsanov), du Monastère de Pskov-Petchory. Il fut un des grands startsy de la fin du XXe et du début du XXIe siècle, avec son confrère le Starets Ioann (Krestiankine) de bienheureuse mémoire. Ils furent deux luminaires qui répandirent avec abondance la grâce de Dieu au Monastère des Grottes de Pskov, déjà riche en saints et bienheureux startsy du XXe siècle. «Ceux qui ici sur terre étaient auprès de lui, se trouvaient comme au paradis».

Le Métropolite Eusèbe de Pskov et Porkhov.

Le Métropolite Eusèbe et l’Archimandrite Adrien

L’Archimandrite Adrien fut un héros de l’ascèse contemporain et un confesseur de la foi sous le pouvoir athée. Nous nous sommes connus pendant soixante ans. En 1957, quand il reçut la tonsure monastique, j’entrai au Séminaire à Moscou. Notre première rencontre eut lieu à la Laure de la Trinité-Saint Serge. Notre relation spirituelle ne s’interrompit jamais depuis ce jour-là. Pendant toute sa vie, il prit le joug du Christ et marcha sur le chemin de l’humilité et de la douceur, à l’image du Christ : «Prenez sur vous mon joug, et recevez mes leçons, car je suis doux et humble de cœur ; et vous trouverez le repos de vos âmes»(Ma.11;29).Le Père Adrien prit exemple sur le Seigneur Lui-même, écouta Ses paroles et Le suivit sur le chemin de la douceur et de l’humilité. Entièrement dévoué au Christ et à Sa Sainte Église, il se chargea dans sa vie d’une croix particulière, être intercesseur et confesseur. Il se tourna vers Dieu, défendit et affirma la Sainte foi orthodoxe, et il affermit le peuple croyant par sa prière pure et ses bonnes paroles paternelles. Le XXe siècle ne fut pas une période simple. Notre Église était opprimée, le Père Adrien fut persécuté. Il parlait toujours de manière directe, exhortant même les puissants de ce monde. Quand on lui demandait :
– Vous confessez? Vous chassez les démons?
Il répondait humblement :
– Oui, je fais cela.
Il y avait en ce temps-là une sorte de niveau d’antéchrist : les gens du pouvoir, athées, loin de l’Église. A cette époque, le pouvoir soviétique construisait sont paradis sur terre, et ils plaisantaient avec cela, ils parlaient de leur soviet des démons du paradis, du comité exécutif du paradis, etc. Un jour, un de ces athées demanda au Père Adrien :
– Et moi, vous voulez m’exorciser?
– Oui, je vais le faire.
Peu de temps après, il fut, et c’est un euphémisme, transféré. En fait il fut expulsé de la Laure de la Trinité Saint-Serge et envoyé au Monastère des grottes de Pskov-Petchory. Mais les gens continuèrent à aller le voir, même là-bas, des gens à la recherche de l’authentique, pas du faux. Ils devaient se frayer le chemin jusque là, parfois, ouvertement, parfois secrètement; ce n’était pas si facile de s’y rendre. Sa prière, sa confession douce et humble en ont aidés beaucoup à affermir leur foi, à lutter contre l’adversité, contre les attaques et toutes sortes d’épreuves.

Les bienheureux startsy Ioann et Adrien

Je me souviens toujours de lui comme d’un interlocuteur doux, calme et humble, au sourire enfantin, réconfortant. Son calme et sa propension au pardon, laissèrent une empreinte brillante dans le cœur de ceux qui étaient proches de lui et entretenaient une communion spirituelle avec lui. La vie épiscopale n’est pas facile non plus, et je suis reconnaissant à Dieu de ce que lorsque j’ai été nommé au trône épiscopal de Pskov, j’ai pu être consolé par les startsy: l’Archiprêtre Nicolas de Zalit, l’Archimandrite Ioann (Krestiankine) et le Père Adrien.
Mémoire éternelle.
Récit de l’Higoumène Chrysante, auxiliaire de cellule du Starets Adrien.

Le Starets Kyrill

Pendant trente ans à partir de 1964, le Père Adrien célébra deux fois par semaine, avec la bénédiction du Starets Archimandrite Cyrille (Pavlov) de la Laure de la Trinité-Saint Serge, l’office d’exorcisme des esprits mauvais. Il m’est arrivé d’assister à l’expulsion d’un démon et à la guérison complète de la dame qui en souffrait, et cela tout juste après trois mots prononcés par le héros de l’ascèse. Plus tard, en 1993, dans une lettre qu’il adressa au Père Adrien, le Starets Sofrony (Sakharov) compara cet office ecclésiastique rare à une «effusion de sang», et il conseilla, un an plus tard, dans sa correspondance avec Batiouchka, de cesser ce podvig excessif et tellement lourd, écrasant. Dans la conscience de la majorité des gens, ce podvig est associé à une connaissance de secrets spirituels élevés, alors que le Père Adrien était un homme tout simple. Batiouchka Ioann (Krestiankine) était aussi simple, mais dans sa jeunesse, il avait étudié à l’Académie de Théologie de Moscou. Mais il n’avait pas pu présenter sa dissertation finale car il fut arrêté. Alors que le Père Adrien venait d’une famille de forgerons. Quand il m’arrivait de venir m’adresser à lui avec une question un peu compliquée, subtile, concernant par exemple la dogmatique, le Père Adrien me disait :
– Va demander à Ivan, et moi, je vais prier.

L’Archimandrite Ioann (Krestiankine)

Je devais alors aller immédiatement chez le Père Ioann, et le résultat dépassait toutes mes attentes. La relation avec ces gens apparemment ordinaires convainc que la principale particularité des startsy, c’est qu’ils vivent non pas pour eux–mêmes, mais pour les autres. Et pour apprendre cela il est obligatoire d’emprunter le chemin de croix de la souffrance.
C’est ainsi que le Père Ioann (Krestiankine), quand il entra en 1967 au Monastère de Pskov-Petchory, avait déjà été purifié dans le creuset de la souffrance, quand on lui brisa les doigts pendant les interrogatoires, et avec tout ce qu’il eut à subir dans les camps. Le Père Adrien avait connu la faim et la pauvreté dès son enfance, puis en raison de son podvig de prière, l’expulsion des démons, il était constamment soumis à des persécutions provenant de divers côtés. En 1975, il fut expulsé de la Laure de la Trinité-Saint-Serge et transféré au Monastère de Pskov-Petchory. L’Archimandrite Théophane (Molyavko) fit un jour une plaisanterie «pour les initiés» :  Le Monastère de Petchory a été conduit à sa perte par les «exilés».
Des flots de gens étaient attirés au monastère pour rencontrer les startsy connus dans le monde, dont le Père Adrien. La rencontre avec un starets est toujours, parfois pour la première fois, une expérience personnelle de communication avec Dieu. Il plaît à Dieu d’attirer l’homme vers Lui, de cœur à cœur. Cet état normal de pureté, que nous voyons chez les startsy, est accessible à chacun de nous. Les startsy sont des témoins vivants de ce que le Seigneur attend de nous.
Habituellement, les personnes qui affluent vers les anciens n’ont pas tendance à penser à ce que c’est par les efforts et le travail que sont donnés aux héros de l’ascèse cette pureté, qu’ils partagent ensuite si généreusement avec les autres. Nous sommes simplement heureux de recevoir la force qui leur vient d’eux, mais nous oblitérons la souffrance qui a permis de purifier leur cœur, de sanctifier leurs pensées et leurs paroles.
De plus nous oublions, après avoir reçu la réponse que nous attendions, l’immuabilité et en ce qui nous concerne nous-mêmes des paroles de l’Apôtre: «Soyez vous-mêmes saints dans tous vos actes» (1Pierre1;15).
Souvenirs de la servante de Dieu Ludmila, une bénévole qui aida le Père Adrian
Le Père Adrien me donna une bénédiction : «Ne te hausse pas du col!». Je n’indiquerai donc pas mon nom de famille.
Je connais Batiouchka depuis 1982. Je me souviens que j’étais encore une toute jeune fille quand je suis allée en Estonie pour acheter des vêtements. En ce temps-là, il y avait toutes sortes de pénuries, et c’était le cas à Petchory. Je venais juste de faire la connaissance du Père, Adrien, et il a tout de suite dit:
– Reste ici!
– Batiouchka, comment ça?! J’ai un travail là-bas.
– Eh bien, vis comme tu peux…
Je suis donc restée pendant mes vacances.
– Reste encore un petit peu.
Il ne me donna pas sa bénédiction pour partir. Et ainsi, de dimanche en dimanche, un mois s’écoula. J’entrai dans l’église de la Dormition. Je me souviens qu’alors, il n’y avait qu’une seule icône du Sauveur.
– Batiouchka, je dois partir !
– Si tu t’en vas, c’est là que tu vas t’en aller.
Et il fit un signe vers le bas.
– Où ça, «là»? Dis-je, ébahie. J’avais à peine plus de vingt ans.

Le Starets Adrien

Je télégraphiai à maman: «Je reste ici, envoie mes affaires». Maman arriva en hâte :
Ma petite fille ! Je croyais que tu étais en train de mourir, et tu me demandes tes affaires!..
Elle-même était déjà moniale en secret à cette époque. Les pères lui avaient donné la tonsure à Potchaev quand elle avait trente-cinq ans. Et le fait est que j’avais été gravement intoxiquée à mon travail, juste avant cela. Il s’était produit une sorte de panne provoquant une fuite de gaz. Je parvenais à peine à avancer. C’est pour cela que maman a dit: «tu es en train de mourir». Bien qu’ici, à Petchory, je me suis d’ailleurs immédiatement sentie mieux, mais toujours sans force. (A suivre)
Traduit du russe
Source