Le texte ci-dessous est la deuxième partie de la traduction d’un article original rédigé en mémoire du Père Hiérodiacre Héliodore (Gaïriants)par Madame Olga Rojniova et publié sur le portail Pravoslavie.ru le 10 novembre 2020. Le texte propose cette introduction : Mes amis, notre cher Père Héliodore s’en est allé. Il est parti le 26 octobre, fête de la Très Sainte Mère de Dieu d’Iviron, alors que retentissent devant le trône de Dieu les paroles d’action de grâce à Celle Qu’il aima et vénéra tant au cours de toute sa vie monastique : Réjouis-Toi, bonne Gardienne de la Porte, Qui ouvre la porte du paradis aux fidèles !
Le neuvième jour est déjà là et tous nous avons l’impression, en arrivant à Optino, que le Père Héliodore est là, qu’il lit l’acathiste, proclame les louanges à la Très Sainte Mère de Dieu, entouré, comme d’habitude par les pèlerins, par ses enfants spirituels… Souvenons-nous de lui.
Au bazar, on dénicha des «pekhi» maison qu’on apporta à Babouchka. Elle les suça lentement, et son état s’améliora. Au printemps, elle cuisinait à plein régime et lavait la vaisselle. Mais elle aimait tellement son village. Elle voulait rentrer à la maison. «Attends encore un peu, baboulia!». On lui pressait des fruits, des oranges, des grenades, on lui donnait des vitamines et des jus de fruits. Mais finalement, elle ne tint plus. «Maintenant, ça suffit, conduis-moi à la gare». Avant de partir, elle le morigéna : il était allé à l’école soviétique et avait oublié l’Église et la prière. Il était devenu, comme tous les autres, un pionier, un komsomol. «Quel komsomol ! Mais tu es un hooligan ! Un bon à rien!» Et elle partit. Après cela elle vécut encore trois ans en parfaite santé.«Le Seigneur entend chaque mouvement de notre coeur»
Plus tard, le Père Héliodore se souvint : «Exactement de la même manière que baboulia m’emmena dans ses bras pour me faire baptiser, je l’emmenai dans mes bras. J’étais encore incroyant mais le Seigneur entend tout le monde. Je souhaitais tellement fort d’aider babouchka que le Seigneur m’aida». Alors même qu’il avait commencé sa vie au monastère, le Père Héliodore était triste de l’absence de sa grand-mère Marie, et il s’en affligeait d’autant plus qu’il n’avait pas même une photo d’elle. Un beau jour, il reçut une enveloppe provenant de Kizliar. Il l’ouvrit et y trouva huit photos de baboulia, dont une de sa petite tombe bien entretenue. Il dit à ce sujet : «Voilà un miracle que le Seigneur fit pour moi. Cela signifie que le Seigneur écoute chaque mouvement de notre coeur».
Une histoire semblable se produisit avec les photos de son ordination diaconale par le Patriarche de Moscou et de toute la Russie Alexis II lui–même. Il fut ordonné le 4 décembre 1990, alors qu’à Optino, on célébrait la fête de l’Entrée au Temple de la Très Sainte Mère de Dieu. Le Père Héliodore n’avait pas non plus de photo de l’événement, et il en était très triste.
Lorsque le Patriarche Alexis II s’en est allé vers le Seigneur le 5 décembre 2008, le Père Héliodore lui demanda: «Père Saint, aide-moi!» Quelques jours plus tard, il alla à Chamordino, et là, il reçut une enveloppe. L’ouvrant, il découvrit cinq photos de sa Sainteté le Patriarche ordonnant le Père Héliodore. Se souvenant de ce moment, celui-ci raconta : «De quoi s’agit-il? D’un miracle! C’est une grâce de Dieu. Avant que nous ayons à peine le temps de penser, le Seigneur nous donne de tels signes de Sa miséricorde. Par conséquent, quand quelqu’un est découragé, c’est un grand péché. On ne peut pas être découragé. Il est certain que le Seigneur voit ce que je demande du fond du cœur et si c’est utile pour renforcer la foi, alors le Seigneur me le donnera. Mais si ce que quelqu’un demande ne m’est pas profitable, alors, bien sûr, il n’y a pas de quoi s’offusquer! C’est sûr que tu as demandé… mais si cela ne t’est pas profitable?»
Mais ici, nous anticipons….
«Toujours il voulait aider l’un ou l’autre»
Dans les années 1980, le Père Héliodore entrepris plusieurs tâches: il enseigna à l’École des Arts Vasnetsov à Abramtsev, il travailla comme chauffeur, pour le directeur de cette école, mais aussi, il peignit et composa des poèmes et des chansons. Il s’occupait toujours des jeunes, il voulait toujours les aider, les réconforter de la chaleur de son âme; il était un homme généreux, plein de force, de gentillesse, de lumière.
Plus tard, il se rappelait encore: «Alors même que j’étais encore là-bas, dans le monde, qu’ai-je fait avec ces gars? J’ai pris soin d’eux. Nous voyagions. J’avais deux musiciens: Micha et Aliocha Kazariani; guitare basse et solo. Ils grandirent eux-aussi sans leur maman. Elle mourut tôt. Je les ai habillés, nourris. Leur père buvait. Si quelque chose n’allait pas, je les protégeais».
Comment le Père Héliodore trouva la foi
C’était au printemps 1985. Une fois encore, le Père Héliodore avait servi de chauffeur au directeur de l’école, et il rentrait chez lui, à Zagorsk où il louait un logement à l’époque. De Zagorsk à l’École des Arts d’Abramtsev-Khotkovo, il y a quinze kilomètres de route. Pendant deux ans, de 1983 à 1985, chaque jour, il passa devant la Laure de la Trinité-Saint-Serge, mais n’y entra jamais. Et puis, tout à coup, il s’est arrêté à la station-service, et là, des amis lui dirent:
– Pourquoi es-tu si pâle, Youri, un de tes proches est mort?
– Le quantième sommes-nous?
– Le 22 mars.
– Comment-ça le 22 mars?! C’est le quatrième anniversaire de la mort de maman!
– Alors tu dois honorer la mémoire de ta maman! Va chercher une bouteille et nous fêterons sa mémoire. Mais toi, tu dois aussi aller à la Laure et brûler un cierge pour le repos de son âme! Pour le moins, donne de l’argent à l’une ou l’autre babouchka et demande-lui de mettre un cierge…
Anticipant une fois encore, nous dirons que le 22 mars, c’est le jour de la fête des quarante martyrs de Sébaste. Et le Père Héliodore reçut avec la tonsure monastique le nom de Théophile, en l’honneur d’un de ces quarante martyrs de Sébaste, comme cela avait été le cas pour son père spirituel bien-aimé, le starets et archimandrite du grand schème Élie (Nozdrine).
«Maintenant, ça suffit, je vais venir vivre ici»
Souvent, le Père Héliodore racontait qu’il avait trouvé la foi grâce aux prières de sa babouchka Maria. Et ce jour-là, donc, il pénétra dans la Laure et sentit pour la première fois toute sa puissance, sa force spirituelle. Intérieurement, il tremblait. Il se tenait dans sa pelisse à l’entrée de la Laure et pensa : «Que faire?». Il balaya du regard et vit s’avancer une vieille moniale.
– Babouchka, voilà trois roubles, achète un cierge et va le mettre en place le pour le repos de l’âme de maman !
– Ta maman? Quel est son nom?
– Evguenia.
Elle l’observa longuement et finit par dire :
– Eh bien non. Vas-y toi-même !
Le Père Héliodore se rappelle :
«J’avançai sous l’arcade et j’eus immédiatement l’impression que quelque chose se déversait sur moi. Devant moi, j’avais la majestueuse église de la Dormition. Pendant que j’observais, tout se retourna dans mon cerveau et s’y ordonna comme il fallait. Je pensai: ‘Mais enfin, tu es passé ici devant pendant deux ans et tu n’est jamais entré une seule fois?!’. Je regardai à gauche, l’église-réfectoire, massive et très belle. A droite, le séminaire. Tout autour régnait le calme. Des moines allaient et venaient en faisant craquer la neige sous leurs pas. Je restai là debout, et pensai: ‘Faut y aller. Mais où?’ J’avançai vers l’endroit d’où sortait la mélodie d’un chant. J’ouvris la porte et entrai : une fresque montrant le Seigneur prêchant devant des humbles, assis. Un séminariste me demanda ‘Eh bien, voulez-vous faire brûler des cierges?’. Je donnai de l’argent et pris une poignée de cierges. Intérieurement, je sentais mon cœur battre fortement, je tremblais. Et soudain je vis cette scène devant moi: tous s’étaient mis à genoux et chantaient «Plus vénérable…». L’iconostase dorée resplendissait. Le diacre revêtu du double orarion chantait la basse. Je pensai : «C’est inouï ! Quelle beauté!». J’étais planté là avec mes cierges en main. Je me souvins que babouchka m’avait amené à peine vivant à l’église. Mes larmes commencèrent à couler. Je regardais le groupe. A l’époque soviétique, on disait que les églises étaient remplies d’idiots, de demi-doux. Je voyais des gens normaux qui priaient debout. On me poussa de côté, prit mes cierges et on me les alluma. Je restais là à me reprocher :‘Mais pourquoi ne suis encore jamais venu ici?’».
Le même jour, le Père Héliodore reçut un livre de prières recopié à la main; on en trouvait pas en vente à l’époque et les fidèles recopiaient les livres de prières à la main. Par la suite, il a lui-même recopié ce livre de prières, et il l’a imprimé et distribué.
Je suis rentré chez moi, j’ai lu toute la nuit: «Que Dieu Se lève…» et ainsi de suite. Puis je me suis dit «Eh bien maintenant, ça suffit. Je vais venir vivre ici!» Il avait 38 ans…
«Je me suis attaché au starets et suis demeuré quatre ans à ses côtés»
Depuis ce jour, j’ai commencé à aller à la Laure.
Bientôt je pensai qu’il me fallait un guide. Un jour, je demanda à l’un des pères de la Laure: «Comment pourrais-je rencontrer un sage ici?» Il me répondit:
– «Nous n’avons pas de sages. Nous avons des startsy!”
– «Et quels startsy ?
– «Naum et Cyrille». Le Père Héliodore préféra le nom de Cyrille, et demanda
– «Je voudrais voir le Starets Cyrille».
Le père le conduisit auprès du Starets Cyrille (Pavlov), et celui-ci l’interpella immédiatement par son nom: «Ah, Georges est venu! Installe-toi».
Le starets le prit par la main, et le Père Héliodore, alors simplement George, sentit une telle tendresse, une telle grâce que, le surprenant lui-même, des larmes jaillirent de ses yeux.
Je suis tombé à genoux, j’ai commencé à me repentir… Et le starets me dit affectueusement: «Ce n’est rien,ce n’est rien, calme-toi! Tu veux venir près de moi maintenant?»
– «Je le veux!» (A suivre)
Traduit du russe
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