Le Métropolite Hierotheos de Naupacte, dont plusieurs textes ont déjà été traduits et publiés sur ce site, présente ci-dessous Geronda Anastasios, qui fut, et demeure, au-delà de cette vie, une des fleurs du jardin du Seigneur qu’est la Terre de Crète. L’article original, en langue grecque, est paru en décembre 2013.
Geronda Anastasios de Koudouma s’est endormi dans la paix le 2 décembre 2013. L’Office des funérailles fut célébré le lendemain, dans le Saint Monastère de Koudouma, de la Sainte Métropole de Gortynis et Arkadias, où il fut hiéromoine, en présence de son Éminence le Métropolite Makarios de Gortynis et de son Éminence le Métropolite Andreas d’Arkalochorion, du clergé, des moines et d’une foule de fidèles. Je vais présenter quelques informations concernant les derniers jours de sa vie terrestre, ainsi que notre rencontre à l’hôpital. J’espère et je crois que l’Higoumène et les Pères du Monastère de Koudouma, ainsi que le Père Archimandrite Antonios Fragakis écriront la vénérable vie de ce vénérable moine, l’altération de son cœur, l’ascension de son esprit et la divine sagesse de ses enseignements.
Un Théologien Empirique.
Geronda Anastasios fut un personnage patristique. Sa théologie était empirique, mais il connaissait fort bien la théologie des Pères, et il s’exprimait de façon théologique et logique, même s’il n’avait pas terminé l’école primaire. Mais la vie monastique, l’ascétisme de la grotte, sa prière incessante et les visites successives de la grâce divine lui conférèrent une connaissance théologique admirable.
Je le rencontrai par l’entremise du Père Antonios Fragakis, et j’ai pu lui parler par téléphone. Il m’exposa ses vues, et ses prières. J’étais en admiration en entendant comment il s’exprimait, reflet de son charisme théologique, de ses études des œuvres des Pères de l’Église, de sa propre expérience. Il parlait de façon extraordinaire, «à la manière des Apôtres, pas celle d’Aristote». Il avait lu mes livres et me donna son avis. Je tins compte de ses propos car il était un hiéromoine à la sagesse divine. Auparavant, j’avais eu l’occasion d’écouter un enregistrement d’un enseignement qu’il avait dispensé à des pèlerins venus au monastère, et dans lequel il développait magnifiquement la relation binaire entre plaisir et souffrance selon Saint Maxime le Confesseur. Ce n’était pas un discours préparé, cela venait de sa propre expérience, de son savoir. En écoutant j’étais stupéfait par le flot de paroles patristiques, complètement assimilées par Geronda, et je réalisai très clairement que ses paroles étaient éminemment théologiques, structurées et thérapeutiques, bien qu’il n’ait pas étudié la théologie.
Dieu me rendit digne de le rencontrer en avril 2013, lorsque je lui rendis visite au Saint Monastère de Koudouma. Nous avons tenu un entretien très intéressant sur lequel je reviendrai plus tard. Je fus impressionné par ses connaissances empiriques exprimées dans ses paroles théologiques, son regard pénétrant, son visage resplendissant et sa puissante présence. C’est la raison pour laquelle je lui ai dédié mon récent livre publié sous le titre «Événements théologiques», avec ces mots: «Au vénéré Geronda Anastasios Koudoumianos, en guise d’antidoron au don spirituel de son immense amour». Quand je lui ai envoyé le livre, j’ai écrit ceci : «Vénéré Père Anastasios, je suis à Athènes pour l’assemblée des hiérarques de notre Église. Mon nouveau livre vient tout juste de sortir de presse et porte le titre «Événements théologiques». Je vous envoie le premier exemplaire avec profond respect et amour en Christ. Comme vous le verrez, ce livre vous est dédié car vous êtes un événement théologique de notre époque. Bien sûr, tous les chapitres de ce livre ne sont pas à la hauteur qui vous sied. Mais certains d’entre eux comme «les enseignements neptiques et sociaux de Saint Jean Chrysostome» et la quatrième section du livre concernant «L’expérience du martyre et de la Theosis», à partir de la page 427, sont spécialement pour vous. Vous savez que je vous respecte beaucoup et que je suis touché par vos combats spirituels, que je reconnais votre enseignement empirique. Vous êtes un témoin théologique de nos temps et je rends grâce à Dieu de m’avoir permis de vous rencontrer. Mes entretiens avec vous furent pour moi célébrations. Avec ferveur je vous demande de prier pour que je demeure dans la tradition de nos saints déifiés, pour que mon cœur s’enflamme de l’amour de Dieu et de prières, et particulièrement pour que notre Seigneur me fasse miséricorde. Je prie le Seigneur de vous garder parmi nous afin que vous puissiez nous fortifier par vos paroles, votre vie et vos prières. J’aspire avant tout à participer à la Liturgie céleste et incréée, même au sein de l’ordre des catéchumènes, et à me réjouir de la joie des autres. Priez pour cela. Rien d’autre ne m’importe. Avec profond respect,
+ Hiérotheos de Naupacte et de Saint Vlasios.
Dès qu’il eut reçu le livre et la lettre, Geronda Anastasios dit : «Transmettez au Métropolite de Naupacte mon profond respect, ma gratitude et mon amour. Manifestement, il sait combien je le respecte et l’aime et il a dédié cette lettre porteuse de l’Esprit à mon caractère repoussant. Il n’y a pas de commune mesure entre la profondeur spirituelle de ce livre et ma propre stupidité. Quoiqu’il en soit, je l’accepte en tant qu’expression de son amour». Et alors qu’il le lisait, il dit encore, de façon émouvante «Transmettez au saint homme de Naupacte mes profonds respects et mes remerciements. J’ai pleuré et j’ai été fort ému. Qui suis-je, moi le repoussant, pour que pareil auteur me dédicace un tel livre important? Je l’accepte uniquement en tant qu’expression de son amour. J’embrasse sincèrement ses deux mains. Je le remercie ‘encore et encore’. J’ai lu ce livre et l’ai aspiré à l’aide de mon cœur…». Les moines du Saint Monastère de Koudouma expliquèrent que «le cadeau du saint homme de Naupacte fut le dernier ouvrage que Geronda étudia, alors qu’il devait incessamment être admis à l’hôpital pour sa vésicule biliaire, avant qu’il ne souffrît du traumatisme à la hanche. Tout d’abord, il voulut le lire, et ensuite, il l’étudia. Il en était très satisfait. Quelques jours plus tard, il entrait à l’hôpital, définitivement. Ce fut le dernier essai théologique qu’il dévora, lui dont le noûs était tellement théologique, lui le visionnaire du Divin…»«Pendant les dernières nuits, Geronda fut tout à fait vigilant, se livrant longuement à la prière, de onze heure à sept heure du matin. Ensuite, il était calme, comme toujours, et tellement doux lors de la Divine Communion. Il communiait avec larmes. Il chantait d’un Cœur rempli d’amour pour le Christ, faisant «provision pour la vie éternelle», il s’agissait «d’une potion d’immortalité», «d’un antidote pour ne pas mourir». Il demeurait silencieux la plupart du temps, ensuite, il priait. Il étudia avec enthousiasme le livre du Métropolite de Naupacte… Il partagea très peu avec nous les Mystères qu’il vivait. Il dit au Père Hilarion: Saint Antoine le Grand est venu, tout à fait vivant. Nous avons parlé ensemble…Je suis tout excité, j’ai reçu une brève prolongation…priez pour que je sois admis dans la Lumière».
J’ai reçu deux importants messages qui révèlent la maturité spirituelle de Geronda. Il vivait une liturgie noétique intérieure pendant la Divine Liturgie, et en même temps, il désirait «être revêtu du vêtement de lumière». Geronda disait: «Le démon est furieux. On ne peut écrire ce qu’il me fait, surtout la nuit. Bien entendu, ceci n’est qu’extérieur. A l’intérieur, mon noûs célèbre la liturgie dans la chapelle de la profondeur du cœur. Chaque matin, la liturgie noétique du cœur attend les fruits de la Liturgie du matin au monastère, le Corps et le Sang du Christ. Christ, le Prince de la Paix est installé sur le trône de mon cœur. Repos parfait».
Il disait encore: «J’ai hâte de m’en aller de ce monde de corruption. Je ne veux pas non plus voir les malheurs qui s’annoncent. Mais y aura-t-il une place pour moi lors de l’essayage des habits de lumière céleste ? J’implore le Métropolite de Naupacte de prier pour mon départ de ce vain monde et pour mon salut.» Je déclare que Geronda est bénit et glorifié par Dieu.
Geronda Anastasios à l’hôpital.
La fin de Geronda Anastasios approchait, son chemin vers la Jérusalem céleste. Peu de temps auparavant, Geronda avait souffert terriblement de pierres à la vésicule. Avant qu’il ne doive entrer à l’hôpital, alors qu’il marchait dans sa cellule, cette douleur le fit soudain tomber, et sa hanche se brisa. Il fut admis à l’hôpital pour une chirurgie de la hanche, et ensuite il fallut s’occuper des pierres à la vésicule. Lorsqu’il entra à l’Hôpital Venizelos à Héraklion, il manifesta à nouveau son existence noétique. Malgré la douleur physique, il parlait de Dieu, de la Lumière, de la prière noétique du cœur, etc. Voici quelques-unes de ses paroles. Malgré ses fortes douleurs, son visage était empreint d’hésychia.
«Ma douleur est insupportable, persistante et impitoyable. Mais nous devons sortir notre mental de là et le tourner vers le Christ. Dites au saint homme de Naupacte et aux sœurs que je les remercie de tout cœur pour leur amour et leurs prières. Ils doivent m’apprendre comment prier. Que la volonté du Seigneur soit faite en tous temps, en tout et par tout. Pour moi et pour tous. Pour les anges et pour l’humanité. Et au ciel, et sur la terre, et sous terre. Et dans la Sainte Grande Église du Christ. Tout et toute chose en Christ. Tous ceux qui font correspondre leur volonté avec la sainte volonté de Dieu ne verront rien de mal dans leur vie. Parmi tout ce qui leur advient, ils ne feront pas la distinction entre agréable et désagréable. Tout est agréable. Et le désagréable est encore plus agréable. Il provient de l’amour de Dieu qui empreint tout, et il contribue à la réalisation de «la ressemblance». Les voies de la facilité ne sauvent pas. La situation n’aurait pas été meilleure si ma hanche ne s’était pas brisée et si je ne vivais pas une douleur aussi insupportable. Non. Parce que ce qui est important, c’est ce qui est bon pour l’âme. Notre plénitude spirituelle. C’est pourquoi nous devons mettre de côté notre volonté gnomique et acquérir une volonté naturelle, afin que notre volonté corresponde parfaitement avec la sainte volonté de Dieu. Il sait quel remède nous convient le mieux. L’important, c’est de nous unir à Lui.»
Après l’opération de la hanche, il dit au Père Antonios : «Mon enfant, le chœur des Saints Pères vient de passer. De nombreux Pères viennent de passer… vivants, d’un coup d’œil, je les vus tous, Saint Antoine le Grand, mes bien-aimés Jean Chrysostome et Grégoire Palamas, les vénérables Parthénios et Evmenios de notre monastère, et tous les autres, Saint Panteleimon, Sainte Paraskevi, et tant d’autres. Cela s’est produit aussi au monastère, les derniers jours, avant ma chute».
«Je remercie mon bien-aimé Métropolite Hierotheos, la Gerondissa Silouanie et les sœurs de sa communauté. J’ai perçu et compris leurs prières. Je remercie tous vos enfants spirituels. Je prie le Seigneur pour le bien de tous. Quand ils viennent me rendre visite, je suis content et paisible. Et quand je suis seul ici, j’ai un autre compagnon. Cette patience n’est pas la mienne. Rien n’est à moi. ‘Qu’avez-vous que vous n’ayez pas reçu?’ Mille gloires à notre très Saint Dieu! Des entrailles de la terre jusqu’à l’au-delà des cieux». A un certain moment, il dit à l’higoumène : «Vous voyez? Vous voyez, le ciel! Les chœurs des prophètes, des Apôtres, des Martyrs, des Vénérables, des Justes, des Archimandrites, des Prêtres, des Moines, des Laïcs, comme ils sont nombreux. Son amour veut nous sauver tous. Il veut nous amener tous à l’intérieur. Il nous faut un peu de philotimo, un petit combat.» Après il se taisait complètement, et il bénissait.
Ces paroles sont très importantes ; elles nous rappellent la fin d’Abba Sisoes le Grand, telle qu’elle est décrite dans le Gerondikon. C’est la même expérience spirituelle, mais au XXIe siècle. D’une façon générale, les paroles que Geronda prononça dans des moments de grande souffrance sont extraordinaire car il parvenait à théologiser durant les instants les plus difficiles de son existence, alors que dans de tels moments, la plupart des gens sont incapables même de parler.
Après son opération, je voulu lui rendre visite, mais je dus postposer celle-ci au mardi 19 novembre. Toutefois, le samedi 16, on me prévint de ce que son état se dégradait ; les médecins avaient dit aux moines du Saint Monastère de Koudouma qu’ils devaient se préparer à son prochain départ. Le dimanche, je fus en communication quasi constante avec le Père Antonios Fragakis et en même temps, je suppliais Dieu de le garder en vie jusqu’au mardi, lorsque je pourrais lui rendre visite. De façon surprenante, Geronda reprit vie, il se remit à parler et à retrouver sa force spirituelle. Je prévins alors de mon arrivée le mardi 19 novembre.
Ce matin-là, je fis le déplacement de Naupacte à Athènes. J’arrivai à aéroport à 10h15 et l’avion décolla à 11h. Je me trouvais à l’hôpital vers 12h15. Le Père Antonios Fragakis me conduisit dans la chambre où Geronda était hospitalisé. Je reçus sa bénédiction et lui remis une croix de bois sculptée par un moine du Mont Athos. Les pères du monastère, Le Père Higoumène Makarios et le Hiéromoine Theologos m’expliquèrent que Geronda m’attendait avec impatience. Il avait demandé à quelle heure l’avion décollait d’Athènes, quand il arrivait à Héraklion et combien de temps prendrait mon trajet vers l’hôpital. Il avait effectivement retrouvé des forces, ayant provisoirement et de façon paradoxale échappé à son départ de ce monde, qui restait toutefois imminent.
Je m’approchai de son lit et lui fis part des raisons de ma visite, et spécialement du fait que je l’aimais et le respectais car il portait la grâce de l’énergie divine, il rayonnait l’énergie de la chrismation. Je le remerciai pour son amour envers mon humble personne et demandai ses prières pour mes travaux. Je lui dis également que je priais Dieu de prolonger pour nous son séjour sur terre, mais que si Dieu lui permettait de s’en aller vers la Divine Liturgie céleste, que Sa volonté soit faite. Je lui demandais également de prier pour nous. Il me remercia pour ma visite et exprima sa gratitude et son amour. Il était allongé alors que je me tenais à ses côté, et il murmurait; je ne pus donc comprendre exactement ce qu’il disait. Je finis par réaliser qu’il disait qu’il existe des personnes auxquelles on rend honneur, mais qui ne gagneront pas le paradis, alors qu’il en est d’autres, considérées pécheresses, mais qui seront sauvées.
Le Père Antonios s’approcha de nous. Geronda continua :
«On peut trouver que quelqu’un a atteint les limites de la sainteté et qu’un autre n’est qu’un condamné, à cause de ses péchés. Mais la souffrance provoquée dans le cœur par le sens du péché projette le second à des hautes sphères alors que le premier restera derrière. Une chose est toutefois certaine. Personne n’entrera dans le Royaume de Dieu sans la souffrance du repentir.»
(A suivre)
Traduit de l‘anglais, à l’aide de l’original grec.