Le texte ci-dessous est la traduction d’un original russe publié sur le site Monastirski Vestnik, le 17 avril 2019, sous le titre : «Афон жив православной традицией и продолжает рождать святых» (L’Athos vit la tradition orthodoxe et continue à engendrer des saints). Il s’agit d’un entretien de Madame Olga Orlova avec l’Archimandrite Méthode (Markovitch), Higoumène du Monastère de Chilandar sur la Sainte Montagne, au sujet de la continuité vivante de la tradition athonite, de l’émulation positive entre les monastères de la Sainte Montagne, des règles de vie au Monastère de Chilandar et des traits distinctifs du monachisme serbe. Ce texte complète en outre celui qui fut dernièrement publié, relatif à l’Archimandrite Méthode.
Père Méthode, vous êtes actuellement le plus jeune higoumène de l’Athos. Quel fut sur la Sainte Montagne, la voie qui vous a mené à cette obédience lourde de responsabilités?
C’est en 1994 que je suis arrivé sur l’Athos ; j’avais vingt-quatre ans. J’ai accompli diverses obédiences et déjà en 1995, je devins rasophore. L’année suivante, je reçus le petit schème, la mantia, comme on dit en Russie, et en 2005, le grand schème. C’est l’Archimandrite Moïse (Jarkovitch), mon prédécesseur à l’higouménat de Chilandar, qui m’a tonsuré. En 2010, il s’endormit dans le Seigneur. C’était pendant le Grand Carême. Et après avoir célébré les jours de Pâques, les frères se sont réunis pour les élections, qui se sont déroulées en deux étapes. «Quand les frères du monastère ne trouvent pas entre eux un moine vertueux, ils choisissent quelqu’un parmi les frères malades, car il sera plus conscient de leurs points faibles et plus apte à porter les faiblesses des autres», ai-je dit quand je reçus la crosse de l’higoumène.Quelle furent vos obédiences avant que les frères vous confient la plus ardue, celle de la direction du monastère?
Toutes les obédiences ont leur côté ardu. On m’attribua en son temps l’obédience compliquée d’ecclésiarque (sacristain). Ensuite, je me suis occupé des ruches. Peu de temps après on me bénit pour le travail administratif ; je devins epitrope, assistant de l’higoumène. D’habitude, on choisi pour cette obédience un moine déjà expérimenté, qui pendant de longues années a mené son podvig de prière et de jeûne. Moi, j’étais au monastère depuis à peine quelques années, mais la Divine Providence en décida ainsi, car c’était bon pour Dieu si ce ne l’était pour nous. Sur l’Athos, tout se déroule un peu autrement que d’habitude.
Qu’est-ce qui distingue la vie monastique sur l’Athos?
Eh bien c’est une république monastique! De cela découle la caractéristique toute particulière de la Sainte Montagne : à un moment ou l’autre, différents monastères deviennent des modèles pour toutes les autres communautés. Sur l’Athos, nous ne craignons pas d’apprendre les uns des autres. Si les affaires du voisin sont florissantes, il est bon de tirer profit de leur expérience. Et quarante ans plus tard, ce sera un autre monastère qui montrera l’exemple, un de ceux qui auparavant traînait un peu et qui s’est hissé à hauteur des plus florissants. Ce genre d’émulation positive existe à la Sainte Montagne.
Rappelez-vous, Saint Seraphim de Sarov a enseigné, dans le bon sens, «la quête du profit»: la vertu, qui te rapportera le plus de revenus de grâce, «négocie-la spirituellement». «Prière et veille te donneront plus de grâce de Dieu, veille et prie; le carême te donnera beaucoup d’Esprit de Dieu, jeûne, fais plus d’aumônes, pratique la charité. Raisonne de la sorte au sujet de toutes les vertus, pratiquées pour le Christ».
Il m’a été donné de fréquenter Geronda Joseph de Vatopedi. Il nous parlait de sa vie avec Geronda Joseph l’Hésychaste. Peu de frères furent capables de demeurer auprès de ce héros de l’ascèse. Mais ce que nous avons entendu de la bouche de ceux qui supportèrent ces labeurs et privations, contribua à notre affermissement spirituel. Geronda Joseph le jeune a ensuite fait renaître et organisé le plus grand monastère de la Sainte Montagne, pour l’instant. Il y a maintenant 120 frères à Vatopedi. Non seulement il organisa intelligemment la vie extérieure, mais il dirigea lui-même la vie spirituelle de la fraternité. Il était à la fois un higoumène et starets-confesseur de toute la fraternité. C’est certainement un exemple pour tous les autres monastères du Mont Athos, et pas seulement pour l’Athos. Maintenant, y compris en Russie, des conférences internationales monastiques sont organisées, dont les participants partagent cette expérience, l’étudient.
Quel est le sens de l’émulation entre monastères au Mont Athos?
L’Athos a fourni et continue à fournir des saints au Royaume des cieux. C’est une sorte d’atelier de leur production. La Sainte Montagne a toujours été célèbre pour cela, l’époque actuelle ne fait pas exception. Il n’y a pas si longtemps, Geronda Païssios l’Athonite a été glorifié, Saint Porphyrios le Kavsokalivite a aussi été glorifié. L’Athos vit la tradition orthodoxe et continue de donner naissance à des saints, représentants et intercesseur pour le monde orthodoxe tout entier. La Très Sainte Mère de Dieu bénira, et il continuera à y avoir des saints sur le Mont Athos jusqu’à la fin des temps. Elle est notre Higoumène à tous. Dans chaque monastère, il y a des icônes particulièrement vénérées Chez nous, nous avons l’icône miraculeuse de la Très Sainte Mère de Dieu «des trois mains».
Les livres de Saint Païssios l’Athonite ont ouvert un amour filial particulier pour la Très Sainte Mère de Dieu. Quand vous êtes arrivé au Mont Athos en 1994, avez-vous pu lui rendre visite?
Nous ne nous sommes pas entretenus personnellement. Je venais juste d’arriver à la Sainte Montagne quand Saint Païssios est décédé. «Qui est-ce?», demandai-je. Je n’étais alors qu’un novice, et je n’avais rien entendu à son sujet. Quand on arrive au monastère on a toutes sortes de choses à l’intérieur de nous-même. Mais ensuite, j’ai lu les livres de Saint Païssios. Cette lecture m’a profondément inspiré la nécessité de nourrir des pensées bonnes, positives. Cela correspond tout à fait à l’esprit du Starets Thaddée de Vitovnitsa, qui m’a béni pour le monachisme.
Geronda Païssios comparait les gens tournés vers les bonnes choses aux abeilles. Quelqu’un qui pense mal des gens et du monde est comme une mouche. Geronda disait «Demande–lui s’il y a au moins une fleur dans le quartier. Et il répondra au vol : «Je n’en ai aucune idée, mais les fosses de toilettes sont pleines!». Mais si tu demandes à l’abeille: «Y a-t-il un peu de fumier ici?» Elle sera surprise. «Du fumier?! Pas vu! Mais les fleurs sont abondantes!» À l’époque, cette comparaison m’avait ébahi. Il est nécessaire de rappeler plus souvent cette image toute simple à nos contemporains à l’esprit sophistiqué, et sujets à la dépression, au mécontentement et à la critique. Pourquoi juger quand on peut se réjouir? Il est dit: «Réjouissez-vous dans le Seigneur en tout temps ; je le répète, réjouissez-vous». (Phil.4:4).
Comment les Athonites conçoivent-ils les conditions de la transmission de la Tradition?
Le novice ne doit pas vivre selon son propre entendement; il faut devenir une feuille blanche. Se livrer entièrement à la volonté du starets. Laissez-le écrire sur vous tout ce que Dieu lui commande. Et si vous avez déjà préparé le texte de votre vie, vous n’avez rien à faire dans le monastère. Demanderez-vous une bénédiction pour faire votre volonté? Ce ne devrait pas être. Il faut faire confiance au starets: «Comme vous le dites, père, je le ferai». Et en effet: fais comme on te le dit. «Pour être un moine de la Sainte Montagne, nous disaient les anciens, il faut être obéissant, alors la prière tournera».
Qu’est-ce que les startsy ont encore écrit sur la page blanche de votre vie?
Mon Starets Agathon, au soin duquel je fus confié quand j’entrai au Monastère de Chilandar, était un moine simple. Il était de ceux qu’on ne voit ni n’entend. Mais c’était un héros de l’ascèse de la prière. Souvent il me guidait en me rappelant les propos de Saint Seraphim de Sarov selon lesquels le but de la vie chrétienne, c’est l’acquisition de l’Esprit-Saint. Et il citait abondamment à ce sujet les sentences de Saint Syméon le Nouveau Théologien.
Saint Nicodème l’Agiorite a parlé de Saint Syméon Le Nouveau Théologien, disant de lui qu’il avait reçu le don de l’Enfantement de Dieu. Comment comprendre cela?
Saint Syméon lui-même a écrit «…Celui qui a cru au Fils de Dieu… se repent… de ses péchés antérieurs, et se purifie d’eux dans le Sacrement du Baptême. Alors, Dieu le Verbe entre dans le baptisé, comme dans le sein de la Vierge Toute Pure, et demeure en lui comme une semence». Ainsi, le repentir est le renouvellement du Baptême…
Et cela est nécessaire pour vivre la naissance de Christ dans notre âme?
Oui, mais, en plus, il faut la grâce. Le Starets me disait ceci pour me guider dans la vie: «Ton but est d’obtenir la grâce du Saint-esprit». Oublie tout le reste, souviens-toi de ça seulement! Mon starets m’a appris à prier le Saint-Esprit.
Un métropolite grec, qui dans le passé fut lui aussi athonite, affirme que nous honorons particulièrement le Seigneur Crucifié, et tout autant Dieu le Père, mais pas assez le Saint-Esprit. Comment honorer la Troisième Personne de la Sainte Trinité?
Il y a la prière «Roi Céleste». Il faut juste y recourir plus souvent, et après avoir reçu la grâce, essayer autant que possible de ne pas pécher. Ne rien faire qui soit contraire au Saint Évangile. Le Starets me conseillait encore ceci: «Il ne faut pas s’éloigner de la Sainte Montagne sans que ce soit strictement nécessaire. Reste au monastère, et il te protégera. Attache-toi à la prière incessante». Tout est très simple.
Vous avez des startsy aujourd’hui au monastère?
«Une vie pure a le même âge que la vieillesse» (Sagesse de Salomon 4;9). Nous avions un frère-novice. Il avait tant d’amour pour chacun qu’il voulut rester novice, afin d’avoir à obéir à tous. Chez nous, le noviciat dure environ trois ans, et alors intervient la tonsure au premier niveau, celui de rasophore. Finalement, nous avons tonsuré ce frère lors de la fête des Saints Apôtres Pierre et Paul. Il fut moine un mois seulement. Un incendie ravagea Chilandar. Il fallut de l’aide, et Athanase, ce moine, répondit présent. Et il mourut en accomplissant le commandement du Christ: il n’est pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis.
Parlez-nous, s’il-vous-plaît, du Monastère de Chilandar. Son millénaire (du moins, par rapport à sa première apparition dans les chroniques) a été célébré voici quelques années. Comment va le monastère aujourd’hui? Quelle tradition observez-vous? Quel oustav?
Ce monastère serbe compte aujourd’hui cinquante moines serbes. Trente cinq d’entre eux accomplissent leur obédience au monastère, les autres, dans des skites et à la procure. Notre vie monastique est organisée selon l’Oustav de Saint Savva, le premier archevêque serbe, qui fonda et finança notre monastère. Chaque premier jour du mois, à table nous lisons l’Oustav ; cela nous rappelle les fondements de notre existence. Cette tradition fut établie par Saint Savva qui lui-même, avec son père, Saint Syméon le Myroblite, releva cette sainte maison au XIIe siècle. Les autres jours, nous lisons les vies des saints et pendant le Grand Carême, l’Échelle de Saint Jean Climaque, l’higoumène du Sinaï.
Nous vivons à l’heure byzantine. Nous commençons l’office à deux heures du matin : l’office du milieu de la nuit, matines, prime, tierce, sexte et la Divine Liturgie. A six heures, nous avons le premier repas, ensuite nous nous reposons un peu (mais il y a des obédiences qui doivent être accomplies et qui ne permettent pas de faire cette pause). Après intervient la plage horaire des travaux relatifs à toutes les obédiences ; elle dure trois ou quatre heures. Alors on se repose de nouveau un peu, et à quinze heures commence l’Office des Vêpres précédé par none. Après, c’est le second repas et puis les complies avec le canon et l’Acathiste à la Très Sainte Mère de Dieu.
Y a-t-il quelque chose qui soit propre au monachisme serbe?
L’âme du peuple est dans ses saints. Les idéaux de son monachisme réside dans la vie de ses protecteurs célestes. Nos pères spirituels, ce sont d’abord Saint Savva, le premier hiérarque serbe et fondateur de notre demeure, et son père, Saint Syméon le Myroblite. La terre serbe, comme l’a souligné un autre saint héros de l’ascèse plus proche de nous dans le temps, Saint Nicolas (Velimirovitch), se distingue en ce qu’elle se trouve entre l’Orient et l’Occident. Cette particularité se reflète dans l’esprit de notre monachisme serbe. Nous sommes une sorte de gardes-frontières de l’Orthodoxie. Nous devons veiller à sa pureté. Ne pas permettre l’intervention d’influences étrangères. Protéger l’Orthodoxie à la foi des latins avec leur obsession missionnaire, et des turcs avec leurs idées de domination et de répression.
Tout cela nous oblige à rester éveillés pour défendre notre foi, et cela définit une attitude combattante vivante. Par esprit, nous sommes des confesseurs.
Traduit du russe
Source