Le texte ci-dessous est la traduction du chapitre intitulé «Prédication de Sainte Nina au IVe siècle, Baptême de la Géorgie, le Christianisme déclaré religion d’État au Karthli» (Проповедь св. Нины в IV в., Крещение Грузии, объявление христианства государственной религией в Картли), de la première partie du long article consacré à l’histoire de l’Église Orthodoxe de Géorgie dans «L’Encyclopédie Orthodoxe» (pravenc.ru). Il s’agit d’un texte rédigé par des historiens, qui vaut évidemment plus pour les informations historiques qu’il contient que pour son style peu littéraire.
Le baptême de la Géorgie et l’affirmation du christianisme comme religion d’État sont liés à la prédication de Sainte Nina. Les informations sur ses activités dans le Karthli (Est de la Géorgie) nous sont parvenues tant à travers les tradition géorgiennes, que dans des sources écrites géorgiennes, grecques, latines, arméniennes et coptes. Dans les écrits des historiens byzantins Rufin d’Aquilée (Rufin. Hist eccl.X;10), Socrate le Scolastique, Sozomène et Saint Théodoret De Cyr (Théodoret. Hist.eccl.I;24) il est fait mention d’une «captive» prêchant le christianisme dans le Karthli (Ibérie), identifiée à Sainte Nina. Dans l’ouvrage de l’historien arménien Moïse de Khorène, on trouve mention de Nounea, l’amie des filles de Ripsimian, Saintes Ripsimia et Gaiania) (Moïse de Khorène : History. 1978. Cap. 86).
La principale source concernant la reconstruction de la réalité culturelle et historique de la conversion du Royaume du Karthli est le monument hagiographique que constitue la Vie de Sainte Nina, conservée dans différentes rédactions. La plus ancienne est intégrée dans la «Conversion de Karthli» (Conversion du Karthli, V-VII siècles.) et est considéré comme un protographe, créé dans la période qui suivit immédiatement la conversion des géorgiens au christianisme (c’est-à-dire le milieu du IVe siècle). Les rédactions ultérieures sont liées à la version des chroniques, incluse dans «la Vie de la Géorgie» (Картлис Цховреба, du XIe siècle) de l’Évêque et historien Léonce Mroveli, et à une version métaphrastique du XIIe s. E. Khoshtaria-Brosse estime que Léonce Mroveli a utilisé un texte plus ancien et perdu (Khoshtaria-Brosse. 1996. p. 31-34). Une autre source importante est la Vie du roi Mirian, également inclus dans la «Vie de la Géorgie». Selon la Vie de Sainte Nina, celle-ci était originaire de Cappadoce (de la ville de Colastra), fille du Stratège Zabulon, général de l’Empereur Romain Maximien (284-305), et de Suzanne. Selon la tradition géorgienne, Sainte Nina était cousine par son père du Saint Mégalomartyr Georges Le Victorieux. Après que ses parents eurent décidé de consacrer entièrement leur vie à l’Église, Sainte Nina fut élevée à Jérusalem par une vieille dame arménienne de Dvina, Sarah Miaphora (Niophora). Quand celle-ci lui eût conté l’histoire de la tunique du Seigneur, conservée à Mtskheta, Sainte Nina rechercha la possibilité d’aller vénérer la Sainte Tunique. Selon la version métaphrastique précitée, une nuit, dans un rêve, la Très Sainte Mère de Dieu apparut à Sainte Nina et la bénit pour aller prêcher la bonne nouvelle dans son apanage, l’Ibérie (la Géorgie). Et elle remit à la jeune fille une croix faite de deux sarments de vigne, que la jeune fille noua de ses propres cheveux quand elle se réveilla. La Croix aux branches légèrement inclinées (la «Croix de Sainte Nina») est le symbole de l’Église Orthodoxe de Géorgie.
En 303, fuyant les persécutions de L’empereur Romain Dioclétien, les Saintes Nina, Ripsimia, Gaiania, ainsi que plusieurs jeunes chrétiennes fuirent en Arménie, où le roi Trdat III régnait à l’époque. Sainte Ripsimia, ses amies et Sainte Gaiania déjà âgée y furent brutalement torturées, mais Sainte Nina parvint à fuir et se retrouva plus au Nord. La version la plus ancienne de la Vie ne mentionne pas le nom de l’empereur romain; les éléments de la Vie du Roi Mirian rattachent la date du martyre des Saintes Ripsimia et Gaiania à l’époque du règne de l’Empereur Licinius (Pataridze. La Conversion des géorgiens. 2000. pp. 8-16). Cependant, la plupart des historiens pensent que la fuite de Sainte Nina s’est produite beaucoup plus tôt. La veille du jour de la célébration du culte de la divinité païenne géorgienne Armaz (le 5 août) Sainte Nina avait atteint Mtskheta. La Sainte vécut chez le jardinier des Jardin Royaux de Mtskheta, puis à la limite Nord de la ville dans une cabane dans les buissons de mûriers, où elle prêchait la bonne nouvelle et guérissait (De nos jours, c’est l’endroit où se trouve le monastère pour femmes de Samtavro, et juste à côté, dans les buissons de mûriers on a construit une petite église dédicacée à Sainte Nina). Ses compagnes d’ascèse étaient des femmes de familles nobles et de la maison du roi: l’épouse du Prince Revi, Sainte Salomé d’Oudjarma, Sainte Perojavra de Sivnia, femme de l’Eristavi de Karthli, Sainte Nana, épouse du Saint Roi Mirian III, qui fut guérie par Sainte Nina d’une grave maladie, et Sainte Sidonie, fille de Saint Abiathar de Mtskheta, à l’époque recteur de la synagogue locale. La Vie de Sainte Nina met l’accent sur le lien étroit entre l’Illuminatrice de la Géorgie et et les communautés juives de Karthli: les «prêtres» de Bodi (aujourd’hui, Bodbe, dans le rayon de Signakh, où se trouve le Monastère de Bodbe; selon d’autres versions, il s’agit de Ninotsminda, près d’Oujarma), les «scribes» de Kodistskaro, les «Traducteurs cananéens» de Khobi. Les plus proches de la cour étaient les «ceux de Mtskheta» («la maison d’Elioz»), une famille qui se considérait comme descendants du grand prêtre biblique Élie, de l’époque des Juges, et qui jouissait par tradition du droit de servir dans la synagogue de Mtskheta. Par Abiathar et Sidonie Sainte Nina apprit que la tunique du Seigneur avait été apportée à Mtskheta au Ier siècle, par le lévite Elioz, et elle pu vénérer la sépulture où était préservée secrètement la Sainte Tunique. Les noms des Saints Abiathar et Sidonie sont rapportés par plusieurs chapitres de la Vie de Sainte Nina. Et d’autres passages rapportent les liens entretenus par Sainte Nina avec les communautés juives de Karthli. Ainsi, avant même d’arriver à Mtskheta, la Sainte vécut un mois dans la communauté juive de la ville d’Ourbnisi, et elle passa les dernières années de sa vie ont passé à Bodi. Après le Baptême de Karthli et la mort de Sainte Nina, les sources ne mentionnent plus ces centres de culture juive, ce qui correspond à leur fusion au sein de l’Église des communautés de Juifs (Kiknadze. The Conversion of Karthli. 1994. pp.41-42). On pense que la Géorgie fut baptisée en 326. La «Conversion du Karthli», décrit la conversion du roi Mirian au christianisme, suscitée par un miracle survenu au cours d’une chasse sur le Mont Tkhoti (aujourd’hui près de la ville Kaspi) dans les environs de Mtskheta. Entouré soudain de les ténèbres, le roi adressa de vaines prières aux divinités païennes, puis invoqua le «Dieu de Nina», promettant, en cas de salut, de se convertir au christianisme, et à l’instant-même, il vit la lumière. Le Roi confessa le Christ devant Sainte Nina et adressa à l’Impératrice Hélène et à son fils le Saint Empereur Constantin Ier le Grand, une lettre exprimant son désir de recevoir le baptême. L’Empereur délégua à Karthli l’Évêque Jean, le Prêtre Jacques et un diacre. Le roi et la cour ont été baptisés d’abord, et ensuite à Mtskheta, au confluent des rivières Aragvi et Mtkvari (Koura), le peuple fut baptisé.
Le 1er/14 octobre, l’Église Orthodoxe de Géorgie célèbre à Mtskheta, dans la cathédrale de Svétitskhovéli, une fête remontant à l’époque du «Baptême du Karthli»: chaque année ce jour-là, le Catholicos-Patriarche de Géorgie effectue un baptême en masse du peuple dans les eaux de l’Aragvi et de la Mtkvari. Saint Ephrem Mtsiré, écrivain et théologien géorgien du XIe siècle, note en s’appuyant sur le «Chronographe d’Antioche» (Xe siècle), que Saint Eustache, Archevêque d’Antioche vint à Mtskheta pour fonder et organiser l’Église (entre 324 et 330). La source sur laquelle se fonda Saint Ephrem n’a pas été conservée, mais il existe une traduction en slavon du Chronographe, réalisée par Nikon le Monténégrin, qui contient les mêmes informations que celles utilisées par Saint Ephrem (Et il en est de même dans les «Dispositions» du Concile de Rouissi et Ourbnissi).
La tradition du baptême des géorgiens par Eustache d’Antioche a longtemps été préservée ; elle est reflétée dans une fresque du XVIIIe siècle, dans la Cathédrale de Svétitskhoveli: Saint Eustache d’Antioche remet l’Évangile au Roi, Mirian, accompagné de la Reine et du Prince. Cependant, ni les premières éditions de la Vie de Sainte Nina, ni les écrits des auteurs byzantins ne mentionnent le rôle de Saint Eustache dans l’organisation de l’Église Orthodoxe de Géorgie. Ces sources (Socr. School. Hist. eccl. I 20; Sozom. Hist. eccl. VII 7; Theodoret. Hist. eccl. I 23) indiquent que le premier hiérarque de l’Église du Karthli était l’Évêque Jean Ier (pendant les années 20-60 du IVe siècle), «un homme orné à la fois de piété et d’esprit, ainsi que d’une vie juste et du respect pour son rang» (Theodoret. Hist. eccl. I 23). Signes du triomphe du christianisme dans le Karthli, sur les montagnes où se trouvaient des idoles païennes, des croix furent dressées sur l’ordre de Sainte Nina, la principale à Mtskheta (plus tard, l’église de Jvari fut érigée à cet endroit), d’autres sur le Mont Tkhoti (lieu de conversion du roi Mirian) et à Oujarma. Les fêtes à l’occasion de l’érection des Croix se prolongèrent pendant 52 jours: du vendredi 25 mars au dimanche 15 mai (La Conversion de Karthli. 1963. pp. 147-152).
Il fut décidé d’ériger la première église de Géorgie à l’endroit où se dressait un cèdre de trois siècles, qui croissait sur le lieu où avaient été inhumés Sainte Sidonie et la Tunique du Seigneur. Les travaux de fondation de l’église furent émaillés de miracles: après les prières incessantes de Sainte Nina, le tronc, qu’on ne parvenait pas à couper, s’éleva miraculeusement vers le ciel et retomba au milieu des travaux de construction, devenant ainsi le premier pilier de l’église. On y amenait les malades et ils étaient guéris. Ce pilier fut entouré d’une clôture en bois, et autour de lui fut construite la Cathédrale de Svétitskhoveli. Les sources l’appellent «le Saint des Saints» et indiquent que «personne n’osait y entrer sauf le dimanche, et seuls les prêtres y chantaient des Psaumes» (Ibid. p.160). Selon la «Conversion du Karthli», de nombreux miracles et signes se produisaient près de la colonne de Svétitskhoveli, de laquelle s’écoulait le myrrhon. Bientôt des parcelles de cet arbre se retrouvèrent à travers tout le pays. Craignant que le pilier ne finisse par être découpé en morceaux, le roi, avec l’accord de l’Évêque Jacques de Mtskheta, ordonna, afin de préserver le sanctuaire, de couvrir le pilier miraculeux de chaux, et de placer contre son sommet une croix sculptée dans l’arbre lui-même, la Croix Vivifiante. (la Vie de David, roi des rois. Conversion du Karthli. T.1,pp. 131 à 132).
Une ambassade dirigée par l’Évêque Jean se rendit à Constantinople pour demander de l’aide dans la construction de l’église. L’Empereur Constantin lui remit des objets sacrés, le pied de la Sainte Croix, des clous de la Crucifixion, des vases et ustensiles d’église, des icônes et de l’argent. Il envoya des architectes à Karthli; ceux-ci érigèrent les églises de Tsounda, Eroucheti (où l’Évêque Jean laissa un clou du Seigneur), Manglisi (où il a laissa le pied de la Sainte Croix), l’église de pierre à Mtskheta (Samtavro), et ils baptisèrent aussi d’autres peuples du Royaume de Karthli.
Les informations contenues dans les sources écrites au sujet de la construction d’églises à l’époque du Saint Roi Mirian III sont confirmées par les études archéologiques. Ainsi, des traces d’autels du IVe siècle ont été découvertes à Manglisi, dans les couches inférieures du sol des églises Samtavro et Svétitskhoveli à Mtskheta. Près de Samtavro on a exhumé une pierre tombale de l’architecte principal et du peintre (en grec : αρχιτέκτον, αρχιζόϒραθος) Aurèle Acolla, avec des inscriptions en Grec. (Kavkhchishvili. 2004. Inscription n°236.p.256).
La Vie de Sainte Nina raconte que Sainte Nina et le Prêtre Jacques, accompagnés d’un “eristavi”(intendant royal), prêchaient dans les régions montagneuses de l’Est de la Géorgie. Mais une partie de la population des gorges de l’Aragvi et de l’Iori, au Nord de Mtskheta, refusa la foi nouvelle. Les sources (La Conversion du Karthli) mentionnent que ceux qui refusèrent d’accepter la foi chrétienne furent obligés de payer de lourds tributs. Une partie de la diaspora juive se convertit au christianisme, et le Roi Mirian leur accorda le statut de citoyens de Mtskheta, ce qui leur donnait le droit de posséder des terres et d’autres privilèges (Pataridze. 2004. pp.62-68). Après le baptême d’Abiathar et la transformation de la synagogue de Mtskheta en église chrétienne, le reste des Juifs allèrent s’installer dans d’autres contrées du pays. Les recherches archéologiques confirment les informations de la «Conversion du Karthli» concernant la construction de nombreuses église au IVe siècle. C’est pendant cette période, que furent construites l’église de Ninotsminda, la basilique de Sion de Bolnissi, les églises de Tsiklani et de Nekressi, et on découvrit lors de fouilles à Vardissoubani, les ruines d’une église ronde datant du Roi Mirian (Kipiani. 2003. pp.34-39; Bolkvadze. 1998. pp. 72-79).
Le Christianisme contribua à la consolidation de l’État du Karthli.
Traduit du russe
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