Le texte ci-dessous est la traduction d’un chapitre du livre intitulé «A l’Ombre de la Croix du Christ» (Под сенью Креста Христова), de l’Archimandrite Lazare (Abachidze), starets géorgien contemporain, décédé en 2018. Plus d’informations à son sujet sont disponibles ici. L’Archimandrite Lazare a écrit plusieurs ouvrages de théologie, concernant le péché et le salut, le plus connu est sans doute «Le péché d’Adam». La lecture de ses textes est relativement ardue, le Père Lazare s’appuyant sur un foisonnement de citations des Saints Pères de l’Église.

Le but de l’Apôtre [Paul], s’adressant aux Romains, (…) c’est, au moyen de réprimandes et de raisonnements, de faire prendre conscience aux juifs et aux païens du sentiment de culpabilité devant Dieu et du sentiment de désespoir total au sujet d’eux-mêmes et de leur soi-disant justice. Voici ce qu’il conclut à la fin de son discours accusateur envers les Juifs : «Mais quoi? Avons-nous quelque supériorité? Non, aucune; car nous venons de prouver que tous, Juifs et Grecs, sont sous le péché, selon qu’il est écrit : «Il n’y a point de juste, pas même un seul»(Rom.3;9). Et il continue en décrivant toute la profondeur de la chute de l’homme détaché de Dieu. Examinant cette accusation de l’Apôtre Paul, Saint Ephrem le Petit dit qu’ici il n’accuse pas seulement les Juifs, mais le monde entier «de sa participation au péché, afin de préparer pour tous, par avance, le chemin de la foi, par la compréhension que ni la Loi du Livre ni la loi de la conscience ne suffisent pour les perfectionner et les sauver, mais seulement la foi en Jésus-Christ (…)»1 .En fait, pour enseigner cette leçon, l’Apôtre préparait au moyen de ses accusations, tant les Juifs que les Hellènes, auxquels il s’adressait dans l’Épître. Il est clair que son propos était de montrer comment aucun d’entre eux ne pouvait, au moyen d’aucune bonne action, se justifier ni se vanter. Comme l’explique Saint Théophane le Reclus: «l’Apôtre accusa les païens, et accusa les Juifs… Après avoir comparé les deux (la pauvreté morale des Juifs et celle des païens), nous voyons que tant chez les uns que chez les autres, toute la perversion morale découle de ce qu’ils ont tous chuté, se détachant de Dieu par l’esprit et le cœur»2. Finalement, c’est avec force que dit l’Apôtre : «que toute bouche soit fermée, et que le monde entier soit sous le coup de la justice de Dieu» (Rom.3;19). Montrant que ni les païens, ni les Juifs «ne peuvent acquérir une véritable justification devant Dieu»3, l’Apôtre passe à l’explication de l’image merveilleuse du salut par la foi en notre Seigneur Jésus-Christ: «Mais maintenant, sans la Loi, a été manifestée la justice de Dieu à laquelle rendent témoignage la Loi et les Prophètes, justice de Dieu par la foi en Jésus-Christ pour tous ceux qui croient ; il n’y a point de distinction, car tous ont péché et sont privés de la gloire de Dieu; et ils sont justifiés gratuitement par sa grâce, par le moyen de la rédemption qui est en Jésus-Christ. C’est lui que Dieu a donné comme victime propitiatoire par Son sang moyennant la foi, afin de manifester Sa justice, ayant, au temps de Sa patience, laissé impunis les péchés précédents, afin, dis-je, de manifester Sa justice dans le temps présent, de manière à être reconnu juste, et justifiant celui qui croit [en Jésus-Christ]».(Rom.3;21-26). Dans les paroles de l’Apôtre que je viens de souligner, il y a une réponse complète et exhaustive à la question qui nous préoccupe: comment, de tous temps, les gens ont–ils été sauvés?
Accordons notre attention à ces mots «C’est Lui que Dieu a donné comme victime propitiatoire par Son sang moyennant la foi, afin de manifester Sa justice, ayant, au temps de Sa patience, laissé impunis les péchés précédents». Ce passage est particulièrement intéressant en ce qu’il évoque la façon dont Dieu justifie ceux qui ont vécu avant la venue du Christ. Voici comment Saint Théophane explique ce passage : «Dieu manifesta Sa justice en faisant miséricorde aux pécheurs avant l’incarnation du Verbe de Dieu, non pas en leur faisant miséricorde en un seul excès de bonté et d’amour des hommes, mais en regardant le Sang de son Fils qui allait être versé pour eux, et dont ils perçurent la force purificatrice quand Il descendit aux enfer et leur annonça la libération qui leur était préparée, leur rémission et la purification de leur foi en Lui. Comment, en ce sens, la justice de Dieu se manifeste-t-elle dans la miséricorde et la justification des pécheurs maintenant que l’Évangile a été proclamé? Ici aussi, la justice de Dieu se manifeste en ce que la miséricorde et la justification ne sont pas données dans un excès arbitraire de bonté, mais par la foi de ceux qui reçoivent cette miséricorde… C’est en cela que Dieu montre qu’Il est juste; car Il justifie celui qui offre la foi en le Seigneur Jésus-Christ. Cette foi relie et unit le croyant au Christ, le Seigneur, et le fait paraître à la face de Dieu comme le Seigneur Lui-même. Voilà en quoi consiste maintenant la justice qui justifie! Dans les deux cas [c’est – à-dire, aussi bien pour ceux qui ont vécu avant la venue du Christ que pour ceux qui ont vécu après. Note de l’Archimandrite Lazare] la miséricorde repose sur notre Seigneur Jésus Christ, sur le pouvoir «tout-purificateur» de Son Sang versé pour les pécheurs…
Dieu manifesta Sa justice en faisant miséricorde aux anciens pécheurs [ici «anciens» est compris dans le sens de ceux qui ont vécu avant la Rédemption. Note de l’Archimandrite Lazare], en ce que pour la rémission de leurs péchés, Il leur donna Son Fils, afin que par Son Sang purifiant Il soit purification pour tous les croyants. La manifestation de la justice dans les temps présents consiste en ce que le croyant reçoit directement en lui le Sang purificateur, et le Sang n’agit pas à rebours, mais directement sur l’essence même de la foi. En ce sens, la Croix du Christ, avec Son Sang, semble être plantée au milieu [des temps. Note de l’Archimandrite Lazare], et par sa force purificatrice, elle couvre tant les anciens pécheurs que tous les nouveaux»4. Ainsi, tant pour ceux qui ont vécu avant l’incarnation du Seigneur que pour ceux qui sont nés après la Crucifixion du Christ, la grâce et le salut ne sont possibles que par la foi en le Seigneur Jésus-Christ, en Ses Souffrances Rédemptrices!
Peut-être d’aucuns essaieront-ils de présenter l’affaire comme si cette croyance de ceux qui vécurent avant le Christ se manifestait déjà en enfer, lorsque le Seigneur est descendu dans ses tréfonds et y proclama la délivrance. Mais cette interprétation est contredite par de nombreuses déclarations catégoriques des Saints Pères de l’Église, dont j’ai cité certains propos dans mon livre «le Péché d’Adam», au chapitre «Comment ceux de l’Ancien Testament furent-t-il été sauvés, comment ils purent participer à la foi en Christ…».
Confirmant cela, nous reproduisons certains de ces propos. Saint Irénée de Lyon a écrit que «Le Seigneur est descendu dans les tréfonds de la terre, pour y proclamer la bonne nouvelle de Sa venue et annoncer la rémission des péchés de ceux qui croiraient en Lui. Crurent en Lui tous ceux qui espéraient en Lui, c’est-à-dire, les justes, les prophètes et les patriarches qui annoncèrent Sa venue et accomplirent Ses commandements, et auxquels, comme à nous, Il remit les péchés»5. Et il dit encore : «Le Christ n’est pas venu seulement pour ceux qui crurent en Lui au temps de Tibère César, et le Père n’a pas manifesté Sa Providence uniquement pour ceux qui vivent de nos jours, mais pour tous les hommes en général, qui, dès le début de leur lignée, craignirent et aimèrent Dieu, se comportèrent avec droiture et pieusement envers autrui, et désiraient voir le Christ et entendre Sa voix»6.

Saint Philarète, métropolite de Moscou

De même, comme l’écrit Saint Philarète, le Métropolite de Moscou, étant en enfer après leur mort «les patriarches, les prophètes et les justes de l’Ancien Testament ne furent pas plongés dans les ténèbres profondes dans lesquelles les mécréants et les impies étaient embourbés, mais ils ne pouvaient sortir de l’ombre de la mort et ne pouvaient jouir de la pleine lumière, c’est-à-dire de la foi en Christ Qui allait venir. Seule la venue réelle de Celui-ci et le contact avec Sa Lumière Divine pouvaient éclairer leurs lampes avec la lumière de la vraie vie céleste»7.
La proclamation de la bonne nouvelle du Seigneur en enfer consiste justement en ce que «se réalisèrent les désirs ardents des justes de l’Ancien Testament, morts dans la foi, mais qui ne reçurent pas la promesse pendant leur vie terrestre, voyant le jour du Christ de loin et dans l’ombre des préfigurations et des prophéties du Christ»8.
Apparu parmi les captifs des enfers, le Christ, selon l’image de Saint Ephrem le Syrien, «vit Adam verser des larmes, vit Abel couvert d’une pourpre de sang, vit Noé décoré de justice… Il vit chaque juste, regarda chaque prophète, et proclama : Me voici»9. Voici ce que fut cette proclamation, le Seigneur prêcha comme ceci: «Me Voici, Celui que vous attendiez et en Qui vous espériez! Vos aspirations sont accomplies! Je suis venu vous sauver! Je vous pardonne vos péchés selon votre foi en Moi! Vous êtes libres, venez à Moi!»10
C’est précisément ce que dit Saint Jean Damascène: «De même que pour ceux qui se trouvaient sur terre resplendit le Soleil de Vérité, de même pour ceux sous terre, ceux qui siégeaient dans les ténèbres et l’ombre de la mort, la lumière resplendit; afin que, comme pour tous ceux qui se trouvaient sur terre le Seigneur proclama la paix, aux captifs la rémission et aux aveugles la vue, devenant pour les croyants la Source du salut éternel et pour les incroyants, la condamnation de l’incrédulité, de même cela fut aussi proclamé à ceux qui se trouvaient en enfer… Et ainsi, après avoir libéré ceux qui étaient enchaînés depuis des siècles, Il revint de la mort à la vie, nous ouvrant la voie de la résurrection»11
Ainsi donc eut lieu la proclamation aux enfers: à ceux qui au cours de leur vie terrestre crurent au Messie à venir et attendaient sa venue, fut annoncée leur libération des liens qui les enchaînaient. Mais seulement à ceux qui, selon la parole de Saint Athanase d’Alexandrie, «pendant leur vie dans la chair, préservèrent la grâce [du Seigneur] dans la foi et la piété»12. Et de quelle croyance peut-on parler au-delà de la tombe? La doctrine de l’Église selon laquelle on peut faire quelque chose pour sa propre âme, pour son salut, uniquement dans la vie présente, cette doctrine est si clairement exprimée dans les Saintes Écriture et dans les enseignements des Saints Pères qu’elle ne peut en aucun cas être interprétée librement. Le Seigneur lui-même, dans la parabole du riche et du pauvre Lazare, a clairement montré qu’après la mort, tous les pécheurs se repentent de leur vie négligente et peuvent même «prier» Dieu, mais ce repentir ne leur donne aucun repos. Ce riche, comme il ressort de la parabole, n’a pas «cru ardemment», là-bas en enfer, mais il a sans aucun doute appris que Dieu est, vraiment, et qu’Il rend selon leurs mérites aux justes et aux pécheurs, toutefois, cela n’a pas facilité sa situation. Saint Jean Chrysostome a dit «Même si nous augmentions notre amour pour le prochain lors de notre mort, nous n’en tirerions aucun avantage et n’échapperions pas au châtiment. Ainsi, le zèle des vierges ne leur fut d’aucun avantage, car elles ne furent pas où il fallait, étant allées chez le marchand d’huile, et l’homme riche de la parabole ne tira lui non plus aucun avantage de son soudain accès de sollicitude envers ses parents»13.
Saint Nicolas Cabasilas a dit: «Là-bas, il n’est pas possible de lier des amitiés, ni d’ouvrir grand les oreilles, ni de préparer les habits de noce ni d’apprêter tout ce qui est nécessaire dans la salle des noces. La vie présente est le lieu où nous nous préparons à tout cela, et ceux qui ne l’auront pas fait avant leur départ n’auront plus rien à voir avec cette vie…»14. les psaumes de David, qui sont lus tous les jours dans les églises, rappellent que «dans les enfers, nul ne peut confesser» Dieu (Ps.6;6) et «ce ne sont pas les morts qui Te loueront, Seigneur, ni tous ceux qui descendent aux enfers»(Ps.123;25).
Et le Seigneur dit encore: «Je dois faire les œuvres de Celui qui M’a envoyé tant qu’il fait jour; la nuit vient où personne ne peut travailler» (Jean 9;4). Au sujet de ces paroles, Saint Théophylacte le Bulgare explique ceci: «Je dois les faire pendant que le jour est là, pendant que la vraie vie dure et que les gens peuvent croire en moi. Après viendra la nuit pendant laquelle personne ne peut rien faire, c’est-à-dire croire, car il qualifie la foi d’œuvre. Donc, dans le siècle à venir, personne ne pourra croire… Donc, dans le siècle à venir, il n’y aura pas de foi, mais chacun obtempérera, qu’il le veuille ou qu’il ne le veuille pas»15.
Le même Saint Père explique ainsi les paroles de l’Apôtre Pierre dans sa première épître: «tué selon la chair mais ressuscité en esprit, c’est en esprit qu’Il (le Seigneur) descendit et annonça la bonne nouvelle aux esprits emprisonnés…» «Après avoir dit qu’Il est mort pour nous, les iniques, l’Apôtre dit alors qu’Il prêcha à ceux qui étaient retenus en enfer. Arrivé là, l’Apôtre devait encore expliquer comment la mort du Christ était utile pour les morts d’avant, et résoudre la question: si l’incarnation du Seigneur était pour le salut de tous, alors quel salut reçurent les morts d’avant? Il solutionna immédiatement les deux cas, disant que la mort de Christ produisit le double effet: l’espérance de la résurrection par Sa résurrection et le salut des morts d’avant. Car ceux qui vécurent une bonne vie reçurent le salut par la descente du Seigneur en enfer, comme le pense Saint Grégoire (le Théologien). Il dit: «le Christ, lorsqu’Il apparut à ceux qui étaient en enfer, ne sauva pas tout le monde sans exception, mais seulement ceux qui croyaient»16.
Traduit du russe
Source

  1. Ephrem Mtsire. Tbilissi,2006.
  2. Saint Théophane le Reclus. Exégèse des Épîtres de l’Apôtre Paul. Épître aux Romains. (Dans la version russe, pages 205, 214
  3. Saint Théophane le Reclus. Exégèse des Épîtres de l’Apôtre Paul. Épître aux Romains. (Dans la version russe, page 221
  4. Saint Théophane le Reclus. Exégèse des Épîtres de l’Apôtre Paul. Épître aux Romains. (Dans la version russe, pages 236 & 237
  5. Saint Irénée de Lyon. Contre les hérésies. Livre IV, chapitre 27, pages 391-392 de la version russe.
  6. Saint Irénée de Lyon. Contre les hérésies. Livre IV, chapitre 27, pages 381 de la version russe.
  7. Saint Philarète de Moscou. Paroles et Discours. Moscou 1848, page 52 de la version russe.
  8. Grégoire Diatchenko. Leçons et exemples de la foi chrétienne. Saint-Pétersbourg 1902. Tome 1, pages 391-392.
  9. Grégoire Diatchenko. Leçons et exemples de la foi chrétienne. Saint-Pétersbourg 1902. Tome 1, page 348.
  10. Grégoire Diatchenko. Leçons et exemples de la foi chrétienne. Saint-Pétersbourg 1902. Tome 1, pages 348.
  11. Saint Jean Damascène. Exposé précis de la foi orthodoxe. Moscou, 2000.
  12. Grégoire Diatchenko. Leçons et exemples de la foi chrétienne. Saint-Pétersbourg 1902. Tome 1, pages 347.
  13. Saint Jean Chrysostome. Commentaire de l’Évangile de Saint Matthieu. Page 786.
  14. Saint Nicolas Cabasilas. Sept paroles au sujet de la vie du Christ, page 2 de la version russe.
  15. Saint Théophylacte le Bulgare. Commentaires de l’Évangile de Saint Jean. Moscou, 2000, page 218.
  16. Saint Théophylacte le Bulgare. Commentaires de l’Évangile de Saint Jean. Moscou, 2000, page 351.