La version russe du texte ci-dessous a été publiée le 23 mars 2021 sur le site Pravoslavie.ru. Il s’agissait d’une traduction de la version originale grecque, parue sur le site katanixi.gr, et datant de Pâques 2009. Ce sont les paroles prononcées par l’Archimandrite Agathon de bienheureuse mémoire († 2020), Higoumène du Monastère de Konstamonitou, sur la Sainte Montagne.
La Grandeur de l’Orthodoxie ne peut être exprimée par des mots. Elle doit être vécue dans l’expérience. L’Orthodoxie est ce de quoi nous vivons, ce que nous vivons, ce que nous approchons et touchons, ce grâce à quoi le chrétien orthodoxe communie à la vie éternelle: en ce moment même, en cette minute même, aujourd’hui et à tout moment de notre vie. La vie du siècle à venir c’est le Paradis, Le Royaume des Cieux. L’Orthodoxie n’est pas quelque chose d’abstrait, d’incertain. L’Orthodoxie c’est quand chacun de nous, que Dieu a honoré d’être baptisé dans la Sainte foi orthodoxe, vit cette foi, la ressent, communique avec le monde invisible dans la prière, tout en demeurant ici sur terre.Une personne qui vit la foi ne la considère pas comme une sorte d’abstraction, et n’essaie pas de la coincer dans le cadre de certaines définitions, des lois de la logique, de lui trouver une explication intellectuelle et rationnelle. Chacun a sa propre communication avec Dieu, intime et personnelle, inconnue des autres. Quel que soit le désir de la transmettre par des mots, des explications brèves ou longues, des mouvements ou des actions, son essence reste indicible.Toutes les religions, à l’exception de l’Orthodoxie, s’avèrent l’objet d’une connaissance par la réflexion. Seule l’Orthodoxie est connue par le cœur. Qu’en dit l’Évangile? «Les pensées émanent du cœur»(Mat.15; 19). «Bienheureux les cœurs purs: ils verront Dieu»(Mat.5;8). Nous avons bon espoir.
Notre foi n’est pas quelque chose d’abstrait et de vague comme ce que nous avons entendu des autres religions. Je l’ai touchée moi-même. Et à partir du moment où j’ai touché, personne ne peut me prouver le contraire. Vous vous souvenez très bien de l’histoire de l’Apôtre Thomas. Quand d’autres disciples lui ont dit que le Seigneur était ressuscité, il a eu des doutes et il a dit: «Si je ne le vois pas moi-même, je ne le croirai pas.»
Et le deuxième dimanche après Pâques, la semaine de Thomas, le Christ apparut de nouveau devant Ses disciples réunis, (…). Le Christ se leva au milieu d’eux et se tourna vers Thomas: «Avance ton doigt ici, et regarde Mes mains; donne ta main, et mets-la dans Mon côté et ne sois pas incrédule mais croyant» (Jn.20;27). Thomas s’écria: «Mon Seigneur et mon Dieu!» . C’est alors que tout son «raisonnement logique» prit fin. Il cessa de penser à la foi de l’extérieur, de la percevoir comme quelque chose d’abstrait et d’obscur. «Quoi que vous fassiez avec moi, vous ne me persuaderez pas: tuez-moi, battez-moi, coupez-moi avec des couteaux… mais le Christ est ressuscité! A partir de ce moment, tous les arguments logiques tombent, ils n’existent pas pour moi!».
Telle est notre Orthodoxie, telle est l’esprit saint de la foi orthodoxe, je le répète encore et encore. Ce n’est pas un sujet de logique froide et d’esprit mort comme toutes les religions. C’est ce qui est appris par l’expérience. Et s’il arrive à quelqu’un de vivre cette expérience dans sa vie, alors la question de la foi pour lui n’est plus négociable, le sujet est clos.
Et, bien sûr, cette foi est le plus grand don que notre Dieu Tout-Puissant nous ait accordé. C’est à Lui seul que nous devons le fait que nous sommes chrétiens orthodoxes et qu’Il nous a jugés dignes, en tant que moines, de demeurer dans le Jardin de la Très Sainte Mère de Dieu. C’est un cadeau unique et inestimable. Et, encore une fois, la mesure dans laquelle nous pouvons apprécier ce don, et remercier et glorifier Dieu; l’adorer en nous prosternant jusqu’à la terre et renier tout ce qui est mondain et vanité, cela dépend personnellement de chacun de nous. En même temps, il est très important de comprendre que la théorie est une chose et que la pratique est tout à fait autre chose. Voilà pourquoi les saints pères, à partir du moment où ils ont commencé à goûter, à percevoir, à ressentir, à vivre en leur propre expérience ce qu’est la foi, ils partirent dans les grottes, dans le désert, dans le silence, simplement pour que personne ne les détourne de ce qu’ils vivaient, parce que chaque communication est distraction. On est distrait, …et Dieu s’en va discrètement. Que dit le dit le proverbe populaire? Quand on chasse deux lièvres en même temps…
Bien sûr, comme je l’ai dit, c’est une affaire personnelle pour chacun. En ce qui concerne notre fraternité, Dieu Tout-Puissant nous a accordé la plus grande miséricorde. Je ne sais pas pourquoi Il nous a offert ce don: Il nous a honorés de faire connaissance de Saint Joseph l’Hésychaste, qui est devenu cette «racine» spirituelle de laquelle se développa la nouvelle branche du monachisme sur la Sainte Montagne et qui nous a enseigné la «science des sciences». C’est une bénédiction spéciale, et Dieu seul sait pourquoi Il nous l’a accordée nous pécheurs. «Ton destin est un grand abîme!»(Ps.35;7). Beaucoup sont venus au Mont Athos, dans le Jardin de la Très Sainte Mère de Dieu; beaucoup ont lutté dans les monastères, les cellules et les skites, mais il n’a pas été donné à tout le monde de découvrir le secret de la prière intérieure que le saint Geronda Joseph possédait. Et par la grâce de Dieu, il nous a enseigné cet art, afin que nous ne perdions pas de temps à chercher inutilement.
Traditionnellement, tous les pères se répartissaient en deux camps: ceux qui suivent le chemin du podvig corporel et du travail extérieur, et ceux qui suivent le chemin de la prière intérieure. Comme le disent les gens: «On craint de se frotter à l’œuvre du maître». On peut, bien sûr, effectuer les travaux obscurs, le travail lourd. Il n’y a rien de mal à cela: le héros des podvigs extérieurs recevra également une récompense. Mais le saint Geronda Joseph l’Hésychaste a trouvé un chemin plus court, qui est accessible à tous. C’est pourquoi nous n’aurons aucune excuse – et surtout moi – si nous ne suivons pas cette voie. Dieu Tout-puissant nous a honorés de vivre à côté de cet homme béni qui, avec Geronda Arsène, a accompli les plus grands exploits : il mena une vie recluse dans des grottes sombres, en supportant le froid féroce de l’hiver. Geronda labourait, nettoyait la terre, semait, cultivait, et nous, ses enfants, récoltons les fruits de ses travaux.
Après la fin bienheureuse du saint Geronda Joseph, les pères ont persuadé Geronda Arsène de prendre la tête de la fraternité monastique, et lui aussi, à son tour, laissa des successeurs: le célèbre Père Charalampos, mon starets, et le Saint Père Ephrem de Katounakia, de sorte que la continuité a été préservée. Il ne fait aucun doute que le chemin choisi est correct, il n’y a pas besoin de nouvelles recherches. C’est le plus grand et le plus précieux bien. Quand quelqu’un a déjà ouvert la voie, et vous marchez le long des sentiers battus, c’est une chose. S’en est une autre, quand vous avez une forêt impénétrable et vous n’y distinguez rien. Le père Stéphanos, mon successeur, ici au Mont Athos, m’a dit la même chose quand nous lui avons parlé selon notre cœur. «Pensez–vous, me dit-il, que je passerais par les ravins et les montagnes moi-même si vous ne marchiez pas sur le sentier devant moi avec des mules? Je ne sais même pas comment expliquer cela avec des mots.»
C’est pourquoi l’exemple personnel et le travail sur soi–même, travail de chaque frère, et particulièrement du starets, sont d’une importance considérable. Après tout, un jour, notre Dieu Tout-Puissant nous questionnera et nous demandera comment nous avons utilisé Ses plus grands dons: «Je t’ai envoyé à ce starets, il t’a enseigné tout, à la fois l’action et la contemplation.» Et nous n’aurons aucune excuse si nous ne portons pas de bons fruits, si nous ne ressentons pas, si nous ne vivons pas cette expérience de communion avec Dieu, qui nous permet de nous éloigner de la théorie sèche et stérile et de la foi froide et raisonnée, qui repose sur les écrits d’autrui, sur les paroles d’autrui, sur les dires d’autrui. Je souligne: nous n’aurons aucune excuse.
Cela ne peut être appelé autrement que «grâce de Dieu», parce que, vivant dans le monde, je ne savais rien du Saint Geronda Joseph. J’avais un seul ami (le geronda de bienheureuse mémoire, Ephrem de Ksiropotamou), et il partit lutter sur le Mont Athos. Il en avertit à un de nos camarades, mais ne m’en dit rien pour ne pas m’embarrasser, parce que je venais d’ouvrir un magasin et d’appeler mes frères pour y travailler. J’ai demandé à ce camarade «Sais-tu comment il va et ce qu’il fait? Il nous a dit qu’il allait servir dans les rangs de l’armée, cela fait un an et il ne nous a toujours pas envoyé une seule lettre.» Et le camarade ne put se retenir. Il a répondit «Quand notre ami a dit qu’il irait à l’armée, il n’a pas menti, il voulait simplement dire qu’il serait un guerrier du Christ. Il est sur le Mont Athos». Ces paroles se fichèrent fermement dans ma tête. D’habitude, j’allais au village chez mes parents trois fois par an: à Noël, à Pâques et à la Dormition. Et un jour, j’ai dit à mon père de ne pas m’attendre à Pâques, parce que j’irai au Mont Athos. Mon père était très mécontent: «Que dis-tu comme bêtise? Je pensais: les enfants vont venir, nous serons réunis, toute la famille pour les vacances. Et toi tu vas aller Mont Athos?»
À cette époque, j’avais 26 ans, donc mon père ne pouvait pas me forcer ou m’empêcher de prendre la route. Le Jeudi Saint, avec Dimitri Aslanidis, le futur hiéromoine Cosmes (c’est–à-dire le souvenir du Père Cosmes de Grigoriou, missionnaire en Afrique-Ndlr) nous étions sur le Mont Athos. J’y ai retrouvé mon ami d’enfance et nous avons passé quelques jours chez lui au monastère, du Jeudi Saint au Lundi Lumineux. J’ai dit à mon ami: «Comme vous êtes bien, quel silence, quel calme!» Et mon ami, qui vivait à l’époque sur le Mont Athos depuis trois ans, a répondu: «Restez!».
À cette époque, l’higoumène n’était pas sur place: il était parti confesser ses enfants spirituels à Athènes, puis devait visiter le monastère des femmes à Volos. Son voyage de retour vers le Mont Athos passait par Thessalonique. Mon ami m’a donné un conseil: «Va chercher Geronda là-bas.» Et je l’ai vraiment cherché. La veille, à Pâques, je m’étais confessé au père Charalampos, son défunt frère, et j’avais reçu la communion aux Saints Mystères du Christ, alors avec Geronda, j’ai simplement parlé, sans confession. Et je lui ai posé la même question qu’à mon ami: «Fais-je l’affaire pour devenir moine?». Il me répondit: «Oui! Quitte le monde maintenant! Immédiatement!». J’avais un confesseur, le Père Jacques (Pavlakis). Je suis allé le voir et j’ai dit que j’avais pris la décision de devenir moine. Le père me demandé «as-tu bien réfléchi? La croix monastique sera trois fois plus lourde que celle que tu traînes dans le monde!» Alors je lui ai dit que j’allais au monastère pour l’amour du Christ. Il n’y avait pas de circonstances extérieures qui me forçaient à franchir cette étape: je n’étais pas un handicapé, ni un raté, je ne souffrais pas d’un amour malheureux. J’avais un magasin, j’étais jeune, mon avenir était devant moi, Dieu merci, je n’avais pas besoin de fonds. J’y allais parce que le Christ était ce qu’il y avait de plus cher pour moi et savais qu’Il ne me quitterait pas. Peut-être mon confesseur éprouva-t-il simplement mon libre-arbitre? Il essaya encore de me dissuader : «Tu es allé au Mont Athos pour quelques jours seulement, et tu veux y rester pour toujours? Où vas-tu? Tu penses que c’est si simple?».
Par la grâce de Dieu, j’ai insisté et je partis au monastère chez mon ami et chez Geronda. Je me suis donc retrouvé au Mont Athos et je suis devenu ce que je suis aujourd’hui. Il ne m’était jamais venu à l’esprit que je deviendrais prêtre, et encore moins higoumène, non. Je n’y pensais pas même une seule fois. Mais le Seigneur avait des plans pour moi, le pécheur. Et maintenant, je le dis de tout mon cœur : je n’ai pas de mots pour exprimer toute ma gratitude au Dieu Tout-Puissant, surtout aujourd’hui, le jour glorieux de la Résurrection du Christ, sur lequel repose la grandeur de l’Orthodoxie. En effet, s’il n’y avait pas eu de Résurrection, s’il n’y avait pas eu de vie éternelle, il n’y aurait pas de fondement, il n’y aurait pas de fondement dans notre foi. Si, qu’au Seigneur ne plaise, nous faisons naufrage dans la foi, alors nous, et je parle tout d’abord de moi-même, et tous les autres, n’aurons aucune excuse, nous n’aurons rien à dire au Jugement Dernier.
Sur la base du peu d’expérience que j’ai à ce jour, de ce que je vis, de ce que j’expérimente, de ce que j’entends, de ce que je ressens, si nous renonçons à la foi, nous n’aurons aucune excuse. Voici le peu, mais c’est très important, que je voulais vous dire. Amen.
Traduit du russe
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