Le texte ci-dessous est la traduction d’un extrait du livre «Nous allons te donner du souffle» (Дарим Тебе дыхание), écrit par Mère Eupraxie (Inber), Higoumène du Monastère de l’Ascension, à Orcha dans Éparchie de Tver et Kachine. Le livre est paru en 2019, aux éditions Sibirskaia Blagozvonnitsa.
Ekaterina (son prénom civil) Inber fut une fille spirituelle du Starets Naum (Baiborodine ; 1927-2017) de bienheureuse mémoire. C’est celui-ci qui éduqua spirituellement celle qui était alors une jeune intellectuelle d’une vingtaine d’années, convertie à l’Orthodoxie vers la fin des années ’70 «parce que cela se faisait». Elle reçut la tonsure monastique en 1992. Le texte ci-dessous est la traduction du chapitre portant le même titre que le livre lui-même.
Elle fit sont apparition chez nous en 1997, je ne me souviens plus précisément de l’époque de l’année.
Vera arriva chez nous avec trois enfants, nous demandant de les caser. Elle raconta qu’elle avait travaillé sur les chantiers de construction, sans masque de protection ; ses poumons en avaient été cimentés. Les médecins lui donnaient encore trois mois à vivre, toute opération était impossible car les bistouris ne couperaient pas les poumons, ils les émietteraient.
Le fils fut envoyé à Zvenigorod, nous prîmes les fillettes à Orcha. Vera, je l’emmenai au bout de quelques jours à la Laure, auprès de notre Batiouchka, l’Archimandrite Naum. En ce temps-là, il nous prenait immédiatement, par petits groupes et on pouvait entendre beaucoup de choses utiles. Batiouchka avait la faculté de mener la conversation de manière telle que chacun de ceux qui étaient auprès de lui puisse en tirer profit. Mais des gens finirent par se plaindre d’avoir à se confesser devant les autres, alors tout cela fut terminé et on entrait un par un, rarement à deux ou trois si on était venus ensemble, ou si un lien d’obédience commune unissait les gens. Mais je me souviens parfaitement que jamais il n’arriva que quelqu’un entende les secret d’un autre. Soit qu’au moment voulu, un bruit inattendu retentissait, quelqu’un froissait l’emballage d’un paquet, soit que l’attention se relâchait, et quand elle se ravivait, tout le secret avait été dit. Parfois, si c’était vraiment nécessaire, le Père Naum demandait à tout le monde de sortir, et restait seul avec celui qui se confessait.
Et donc cette fois, il y avait du monde autour du Starets quand nous entrâmes, Vera et moi. Immédiatement, il m’interpella :
– Eh quoi ! Que veux-tu ?
Je lui expliquai la maladie mortelle de Vera. Il demanda alors à quelqu’un d’ouvrir un petit livre noir, un abécédaire d’une vieille édition, à la lettre D.
– Voyez le texte au sujet de «dykhanié» [N.d.T. Дыхание : respiration, souffle], et lisez à voix haute…
La lecture de ce texte commença. Il était long, très long, vaguement médical. Nous écoutâmes comment s’ouvraient et se refermaient les alvéoles. Les gens était embarrassés. Chacun d’entre eux avait ses propres questions. Le temps s’écoulait, consacré on ne comprenait trop à quoi, et on aurait dit que le Starets rêvassait. Mais il tressaillit quand la lecture prit fin :
– Nous allons te donner du souffle ! Un traitement gratuit. Allez-y, faites toute deux ceci. Il éleva ses bras tendus, respira profondément et expira en laissant retomber brusquement les bras.
– Respirez deux fois comme ça!
Nous exécutâmes à deux reprises cet exercice inattendu.
– Bien, j’ai perdu du temps avec vous, il y a tellement de gens qui attendent dehors. Allez, sortez d’ici !
Et il ajouta, alors que nous sortions :
– Il y a un professeur chez toi à Tver? Vas la présenter à sa consultation.
Alors que nous sortions de la cellule de Batiouchka, elle me dit :
– Quelque chose de chaud est occupé à se répandre dans mon dos.
Nous retournâmes à Tver. Nous envoyâmes Vera à l’hôpital de l’oblast. Ils firent des radios des poumons et constatèrent avec stupéfaction que ces derniers étaient comme neufs, pareils à ceux d’un nourrisson.
Les années s’écoulèrent, les enfants grandirent, chacun de leur côté, et ils eurent eux-même des enfants. Vera devint la moniale Anna, Supérieure du Monastère de Tvorojkovo, dans l’Oblast de Pskov. Matouchka fut toujours empressée de réussir en toutes choses. Elle faisait tout vite et bien. Restauré, le monastère est superbe. Il resplendit de la pureté et de la beauté des ornement de l’église-reliquaire. Il est rare de rencontrer une telle quantité de trésors sacrés. On dit des gens pareils à elle qu’ils ont la main à tout. Mais parmi tout ce qu’elle était capable de faire, ce qu’elle faisait le mieux, c’était prier.
Juste à côté du monastère, à quelques minutes de bateau à travers le lac se trouve une petite île. Une église en bois et deux maisonnettes derrière une haute palissade en planches. Matouchka l’a appelée «l’Île de la prière». Elle attendait avec impatience que les maisons soient terminées, afin de s’y reclure.
Elle décéda le 17 octobre 2017, vingt ans après sa seconde naissance en ce monde, à la Laure de la Trinité-Saint Serge, dans la cellule de l’Archimandrite Naum, c’est-à-dire, tout juste quatre jours après que celui-ci soit parti pour le Royaume des Cieux. Depuis quelques mois, Batiouchka ne parvenait plus à respirer de façon autonome. Il était branché à un respirateur artificiel ventilant ses poumons.
Mais il es très vraisemblable qu’à l’époque, vingt ans plus tôt, Batiouchka Naum avait en quelque sorte «branché» Matouchka Anna à ses propres poumons, et dans les derniers jours de sa vie,alors qu’il ne pouvait presque plus respirer, Matouchka Anna se prépara à mourir. Les sœurs dirent qu’elle commençait à suffoquer, les crises d’asthme réapparurent, ainsi qu’une toux sévère. Et pendant la semaine précédant sa mort, peut-être le jour du départ pour l’éternité de Batiouchka Naum, elle vit dans le ciel le visage du Sauveur, comme s’Il l’appelait, et elle comprit tout. Deux jours avant sa mort, elle appela son fils: «Viens me dire au revoir, je vais mourir».
Matouchka mit de l’ordre dans les affaires et les documents du monastère, et prit toutes les dispositions nécessaires.
Et la veille de son dernier déplacement, chez le Métropolite pour le jour de sa fête onomastique, elle reçut la visite de l’économe du monastère, qui aperçut Matouchka allongée sur son lit, les mains jointes. «Je vais mourir», lui dit celle-ci.
Mais elle n’était pas destinée à mourir dans son lit.
Le Seigneur l’emporta comme Il jugea bon, et l’âme brûlante d’amour pour Dieu, passa par le feu, fut purifiée par le feu, afin que ses dernières infirmités et ses péchés oubliés soient brûlés dans cette flamme mortelle.
Le monde orthodoxe fut immédiatement informé de ce terrible accident – ainsi, non seulement par sa vie, mais aussi par sa mort Matouchka obtint de nombreux intercesseurs ici sur terre. Et elle atteignit son Île de prière tant attendue, dans le Royaume des cieux.
[N.D.T. Matouchka Anna (Tkatch) décéda le 17 octobre 2017 dans un violent accident de circulation sur l’autoroute R 23 dans l’Oblast de Pskov. Le véhicule dans lequel elle se trouvait brûla dans l’accident.]
Traduit du russe