Le texte ci-dessous est la traduction d’un original russe publié sur le site du Monastère de la Sainte Trinité, à Tcheboksar, dans l’Éparchie de Tcheboksar et Tchouvachie, et dont le Supérieur est l’Archimandrite Basile (Pasquier) (d’origine française). Une des rubriques de ce site est consacrée aux néomartyrs qui ont illuminé la Terre de Tchouvachie. Une vingtaine de cas y sont présentés. Les textes sont parfois courts, parfois très longs, toujours très factuels; il ne s’agit pas de littérature, mais de témoignage. Témoignage de foi et témoignage historique. Le texte ci-dessous concerne le saint prêtre néo-martyr Élie (Izmaïlov). On le commémore le 4/17 septembre, ainsi que le 27 janvier/9 février, avec tous les néo-martyrs et confesseurs de l’Église Orthodoxe russe.
Le Saint Hiéromartyr Élie (Izmaïlov) naquit en 1882 dans le village de Khormaly, Ouïezd de Tsivilsk, Gouvernorat de Kazan (aujourd’hui Raïon d’Ibresi, en République de Tchouvachie), dans la famille du paysan Izmaïl.La famille comptait cinq enfants. Élie fréquenta l’école paroissiale et dès son enfance, chanta dans le chœur de l’église. Quand, avançant en âge, il eut acquis une expérience de chantre, il commencé à diriger le chœur. En 1910, il devint membre de la société de tempérance. En 1916, il fut enrôlé dans l’armée et revint à la fin de la guerre. Attiré par l’idée de liberté, il devint en 1918 président du Comité agraire de Volost, et de 1918 à 1920, il fit partie du au Comité exécutif du Soviet de Volost. En 1925, Élie, qui ne s’était pas marié, reçut l’ordination de prêtre des mains de l’Évêque Germain (Kokel) d’Alatyr. L’évêque Germain vivait alors en exil dans le village de Kozya Sloboda, près de Kazan, c’est pourquoi c’est à cet endroit qu’eut lieu l’ordination. Krasnov, l’ancien prêtre du village de Khormaly avait rejoint le mouvement des rénovateurs. Dès lors, à son arrivée en Tchouvachie, Vladika Germain (Kokel), en accord avec les orthodoxes locaux, expulsa Krasnov et installa le Père Élie Izmaïlov comme prêtre orthodoxe. Dans le courant de l’année, le Père Élie fut, «en tant que ministre du culte», privé de ses droits d’électeur.
En février 1930, les autorités fermèrent l’église de Khormaly. Le Conseil de paroisse, dont le Père Élie était secrétaire, adressa une réclamation au Comité Exécutif Central Panrusse, expliquant que la fermeture de l’église était illégale, d’autant que 80% des citoyens de la paroisse demandaient qu’elle demeurât ouverte. La missive se terminait par ces mots : «Nous,citoyens croyants, plaçons tout notre espoir et toute notre confiance dans les représentants de l’Autorité Suprême. Nous adressons au Comité Exécutif Central la demande la plus humble : le Comité Exécutif Central peut-il envisager la possibilité d’ouvrir l’église ?» L’église fut rouverte et le Père Élie continua à célébrer les offices.
Le 25 mars 1932, le Père d’Élie fut arrêté et emprisonné à la prison de Tsivilsk. Il était accusé dans le cadre de l’affaire du mouvement de «la Vraie Église Orthodoxe» dirigé en Tchouvachie par l’Archimandrite Agathopus (Etroukhine). Les représentants de ce courant schismatique ne reconnaissaient le Métropolite Serge (Stragorodski) en qualité de chef de l’Église Orthodoxe Russe. Lors des interrogatoires, le Père Élie déclara : «Lors des offices, j’ai toujours commémoré le Métropolite Pierre (Polianski) de Kroutitski et tous les évêques «vraiment orthodoxes». Suite à l’insistance de certains paroissiens, je n’ai pas commémoré le Métropolite Serge». L’enquêteur demanda à l’accusé s’il faisait partie d’un groupe sectaire. Le Père Élie répondit : «Je ne suis pas membre d’un groupe de zélateurs sectaires. Je suis membre du groupe des croyants. Je crois en un seul Dieu. Ma conviction politique consiste en ceci : quel que soit le type de pouvoir en place chez nous en Russie, cela m’indiffère». Le prêtre résista courageusement à tous les interrogatoires, niant toute culpabilité au regard des accusations portées contre lui.
Avec d’autres accusés, le Père Élie fut condamné, en vertu de l’article 58, paragraphe 10, lors d’une séance spéciale du Collège de l’OGPOU du Territoire de Nijni-Novgorod à trois ans d’exil au Kazakhstan. Le Père Élie fut envoyé par étapes au Kazakhstan occidental. Son lieu de détention était le village de Jilaia Kosa dans l’Oblast de Gouriev. Après y avoir purgé sa peine, il revint le 24 mars 1935 dans son village Natal.
À cette époque, l’église du village était fermée. Le Père Élie et les membres du Conseil paroissial demandèrent avec insistance l’ouverture de l’église aux autorités. Pendant ce temps, il célébrait les offices à la maison. En septembre 1936, l’Évêque Vladimir (Youdenitch) de Tcheboksar proposa au Père Élie une place de prêtre, qui venait de se libérer dans une paroisse du diocèse, au village de Soldybaevo, dans le Raïon de Kozlovski. Mais le Père Élie refusa cette proposition, croyant en la réouverture de l’église de Khormaly. Des matériaux de construction furent même été préparés pour restaurer l’édifice.
Raflé lors de la première vague de répression de masse de 1937, le prêtre Élie fut arrêté le 4 août et emprisonné dans la prison de la ville d’Alatyr. Ce même jour, l’après-midi, à 13 heures, eut lieu le premier et unique interrogatoire lors duquel le fonctionnaire instructeur demanda:
– Veuillez déclarer si vous comprenez la sentence établissant votre culpabilité et qui vient de vous être lue, et la raison pour laquelle vous n’y avez pas apposé votre signature.
– Je comprends la sentence qui vient de m’être lue et qui établit ma culpabilité. Mais je refuse d’y apposer ma signature car je ne reconnais pas être coupable.
L’interrogatoire dura cinq heures et demie. Il fut clos à 18h35. Le fonctionnaire instructeur demanda à un des kolkhoziens, faux-témoins :
«Racontez par le détail les faits d’agitation anti-soviétique de la part de l’ex-pope Izmaïlov et d’autres ecclésiastiques, qui vous sont connues.» «Concrètement, je ne peux avancer aucun acte d’agitation anti-soviétique, mais je connais leur activité anti-soviétique.
L’ancien pope Élie Izmailov s’occupe quotidiennement de la gestion du patrimoine de l’église afin de rouvrir l’église, bien que l’église ne fonctionne pas réellement pour le moment. Mais il travaille, en fait, directement à la maison, où il vit, il célèbre les baptêmes, chante, et se promène constamment dans les jardins et également dans les villages voisins. Tout cela, malgré qu’Izmailov ne soit pas le pope du village de Khormaly. Izmailov s’occupe d’organiser de femmes, comme par exemple, la femme d’un membre du komsomol, Vasilieva Kouzma ; elle a secrètement fait baptiser un petit enfant à l’insu de son mari, dans la maison d’Izmailov. On doit admettre comme tout à fait caractéristique le cas du discours bien préparé de certaines femmes à l’Assemblée générale des citoyens le 31 mai de cette année dans la soirée, où la question de l’existence du Christ fut posée. Le rapporteur était de Tcheboksar. Intervenant après le rapport, elles ont franchement demandé la réouverture de l’église, je le dis d’après ce qu’en on dit des citoyens présents, je n’y ai pas participé moi-même».
Dans la déposition d’un autre faux-témoin, on lit ceci : «Quels faits d’activité anti-soviétique et contre-révolutionnaire subversive connaissez-vous dans le chef du pope Izmaïlov Élie?» «En 1932, le pope Izmaïlov a été banni pour activités anti-soviétiques, contre-révolutionnaires et subversives;il ne revint qu’au début 1936. A son retour de détention, il n’interrompit pas ses activités anti-soviétiques ; il les menait même ouvertement. Izmaïlov Élie n’est pas recensé en qualité de prêtre de Khormaly, et son nom ne figure pas dans les listes comptables, mais malgré cela, il célèbre les offices et d’autres rites ecclésiastiques, et tout cela, il ne le fait pas à l’église, mais dans les maisons de particuliers. Souvent, il est appelé dans les villages des environs. Il profite de sa situation de vagabond pour mener de l’agitation anti-soviétique au sein de la population. Il essaie par tous les moyens de s’opposer à toutes les mesures prises, en organisant des gens isolés, mais aussi des kolkhoziens, afin qu’ils se prononcent de manière systématique pour l’ouverture de l’église. Un fait particulier peut en être la preuve. Maintenant je ne me souviens plus exactement de la date, mais en été, cette année, une réunion de citoyens a eu lieu, où a été abordé le thème antireligieux. Dans un souci d’opposition, ce pope Izmailov, a préparé, avec ses fonds, l’intervention de femmes, et d’autres, lors de la réunion pour plaider en faveur de l’ouverture de l’église, et lors de la réunion, en réalité, ils ont crié en chœur, ne laissant même pas terminer le rapport. En outre, le pope Izmailov, par l’intermédiaire de proches, diffuse toutes sortes de rumeurs calomnieuses contre-révolutionnaires sur les fermes collectives et sur les autorités soviétiques».
Le Père Élie ne reconnut pas être coupable des accusations portées contre lui. Le 7 septembre, le prêtre fut inculpé en vertu de l’article 58 du paragraphe 10, et le 8 septembre, la troïka du NKVD de la République socialiste soviétique tchouvache le condamna le prêtre à être fusillé.
Le prêtre Élie Izmailov a été fusillé dans la nuit du 17 septembre 1937 dans le sous-sol d’un des bâtiments du NKVD de la ville d’Alatyr et enterré dans une fosse commune dans la cour d’un bâtiment du NKVD. Cette nuit-là, au total, 34 personnes furent fusillées, dont le prêtre Joseph Koudriavtsev et l’«archevêque» rénovationiste Timothée (Zaïkov).
Traduit du russe
Saint Père Élie, prie Dieu pour nous!