Écrits

Le texte ci-dessous est la traduction d’un extrait du journal du Métropolite Ioann (Snytchev) de Saint-Pétersbourg et Ladoga. Il fut publié le 22 novembre 2005 sur le site Ruskline.ru. Il a en outre été repris dans divers ouvrages biographiques relatifs au Métropolite Ioann. Ce texte lève un petit coin du voile couvrant l’histoire de l’Église Orthodoxe en Russie à cette époque. Et ce coin de voile est levé par un des acteurs les plus notables de cette tranche d’histoire. Nous lisons par la même occasion la découverte naïve de la capitale par un jeune provincial au cœur pur, auquel le père spirituel avait donné pour obédience de tenir le journal de son pèlerinage. Voici la sixième partie du texte; cette partie présente un document exceptionnel : une conversation qui se déroula en 1946 entre le Patriarche Alexis Ier et un jeune hypodiacre qui allait devenir en 1990, contre sa propre volonté, Métropolite de Saint-Pétersbourg. Le début du texte se trouve ici.

Entretien avec le Patriarche

Avec crainte et dévotion, je pénétrai dans la pièce où se tenait le Patriarche. Et puis… Le Patriarche lui-même m’accueillit avec grande joie dès le seuil de la pièce, ne me donnant pas même l’occasion de lui faire une métanie. Il me bénit, m’embrassa, me conduisit à proximité du coin aux icônes, et me fit asseoir sur le divan. Il n’y avait personne d’autre dans la pièce. Ces circonstances facilitaient ma situation. Le Patriarche s’assit dans un divan face à moi. Il était vêtu d’un rasson de satin et n’était pas coiffé de la cuculle. Souriant avec douceur, il me demanda où j’étais né, qui étaient mes parents, étaient-ils encore en vie, quel âge j’avais, quelles études j’avais faites, comment j’avais rencontré Vladika Manuil, et il me posa encore beaucoup d’autres questions dont je ne me souviens plus. Je répondis à chacune d’entre elles comme je pouvais.Ensuite, le Patriarche me demanda :
– «Comment va Vladika Manuil?»
– «Comme-ci, comme-ça, plutôt bien», répondis-je.
«Et comment va sa santé? Le climat n’est-il pas défavorable à sa santé?»
«Non, pas du tout».
– «Moscou ne lui manque-t-il pas?»
– «Non, Votre Sainteté»
– «Quelle est l’attitude de son clergé vis-à-vis de lui?»
– «Maintenantt elle est bonne, tout est calme et paisible»
«Ah, et auparavant, le clergé ne se comportait pas correctement envers lui?»
– «Oui, Votre Sainteté. Il y avait l’Archiprêtre Arkhangelski. Il a fortement offensé Vladika»
– «Eh, ça alors! Oui…», s’exclama le Patriarche, faisant ainsi comprendre qu’il était mécontent d’Arkhangelski.
«Et a-t-il beaucoup de travail?», continua-t-il ? «Oui, Votre Sainteté, énormément»
– «A ton avis, qui a le plus de travail, moi ou Vladika?».
– «D’après tout ce que m’a raconté notre secrétaire, il me semble que Vladika a plus de travail que Vous».
– «Comment cela, répliqua Sa Sainteté, toutes les éparchies se trouvent sous ma direction. De plus, je dois encore travailler avec les hétérodoxes. Et on ne peut écrire à ceux-ci de n’importe quelle manière ; il faut d’abord réfléchir longuement avant d’écrire».
«Il en va bien sûr ainsi, Votre Sainteté, répondis-je, mais Vladika ne se repose pas plus de quatre heures par jour.»
«Et moi, combien?», me demanda-t-il. Et il répondit lui-même :
«Je me repose aussi quatre heures par jour. Je me couche à deux heures le matin et je me lève à six heures». Je ne pouvais évidemment le contredire. Je savais avec qui je m’entretenais. Répliquer au Patriarche n’aurait pas été élégant.
– «Et comment trouves-tu le chant chez nous?»
– «Pas mal, Votre Sainteté. Mais, la manière dont on chante ici ne me plaît guère. Je trouve qu’on chante mieux chez nous.»
«Qu’entends-tu par là?», demanda le Patriarche en souriant.
«Eh bien, comment Vous dire… De façon plus priante», répondis-je.
«C’est ainsi, dit le Patriarche, ici ce sont des offices patriarcaux, et tous veulent que cela soit éclatant, solennel. Es-tu allé à la Laure de la Trinité?»
– «Non, pas encore, mais j’ai l’intention d’y aller samedi».
– «Vas-y, vas-y, tu dois y aller sans faute!, dit le Patriarche en souriant. Et comment vas-tu organiser ta vie à l’avenir? Tu veux te marier ou non?»
– «Non, Votre Sainteté»
– «Ainsi donc, tu vas devenir moine?»
– «Oui, Votre Sainteté»
– «Tiens tiens!», prononça le Patriarche en souriant et en me regardant fixement. «Tu as déjà été consacré comme hypodiacre?» interrogea-t-il.
«Oui»
Nous nous levâmes.
«Remets cet œuf de porcelaine de ma part à Vladika. Et pour toi , voici cette croix ; elle a été bénie sur la tombe de Notre Seigneur.»
A ces mots, le Patriarche me bénit et me passa la croix autour du cou.
– «Pardonnez-moi, Votre Sainteté, mais chez nous, le bruit court dans le peuple qu’on veut transférer Vladika dans une autre éparchie.»
– «Non, non, je n’imagine même pas le transférer. Je te souhaite le meilleur pour la suite de ta vie.»
Il me bénit une fois encore, m’embrassa et me renvoya en paix. C’est habité d’une grande joie que je sorti de chez le Patriarche. Je rendis grâce à Dieu de ce qu’Il m’avait permis de voir et de converser avec Sa Sainteté, de recevoir sa bénédiction et une croix en perles de nacre et une chaîne en or. Gloire à Dieu pour tout!
Le soir, en compagnie de Tante Lelia, nous rendîmes visite à la moniale du grand schème Marie, malade, qui fit une grande métanie pour Vladika Manuil. Je passai la nuit chez Tante Thékloucha. (A suivre)
Traduit du russe

Source