Écrits
Le texte ci-dessous est la traduction d’un extrait du journal du Métropolite Ioann (Snytchev) de Saint-Pétersbourg et Ladoga. Il fut publié le 22 novembre 2005 sur le site Ruskline.ru. Il a en outre été repris dans divers ouvrages biographiques relatifs au Métropolite Ioann. Ce texte lève un petit coin du voile couvrant l’histoire de l’Église Orthodoxe en Russie à cette époque (1946). Et ce coin de voile est levé par un des acteurs les plus notables de cette tranche d’histoire. Nous lisons par la même occasion la découverte naïve de la capitale par un jeune provincial au cœur pur, auquel le père spirituel avait donné pour obédience de tenir le journal de son pèlerinage. Voici la cinquième partie du texte. Le début se trouve ici.
Office patriarcal
On me donna la mantia patriarcale, et j’allai me tenir à l’endroit où devait se placer le Patriarche. C’est avec un visage radieux que Sa Sainteté le Patriarche Alexis pénétra dans l’église. Tout était silencieux, calme, majestueux. Bénissant le peuple, il vint se placer sur tapis à l’image l’aigle.Je m’apprêtais à enfiler d’un geste preste, la mantia sur le Patriarche. Et j’avais, hélas, imaginé qu’ici ce serait la même chose que chez nous, quand Vladika retire lui-même son rasson extérieur en entrant dans l’église. Un des hypodiacres me retint : «Doucement, doucement, n’agit pas trop vite». Grâce à Dieu, je finis par revêtir le Patriarche de la mantia. Je montai sur la solea et entrai dans l’autel, attendant qu’on me dise ce que je devais faire par la suite. Quelqu’un lut les prières d’entrée… Le Patriarche alla se placer devant son trône, un hypodiacre de chaque côté. Deux prêtres apportèrent les ornements au Patriarche, et il en fut revêtu. La lecture des heures commença. Au milieu de Tierce, on me remit un bassin contenant de l’eau et on posa sur moi un essuie-mains. Nous sortîmes pour le lavement des mains du Patriarche. «Surtout, ne va pas trop vite. Doucement…» me souffla un hypodiacre. Comme il convient, je fis les métanies devant les Portes Royales et devant Sa Sainteté. Le Patriarche demanda en souriant aux hypodiacres : «De chez qui vient ce beau gars?» «Celui-là vient de chez Vladika Manuil, Votre Sainteté». «Bien, bien», dit-il me tendant sa main à baiser. Je fis une métanie et repartis dans l’autel.
La Divine Liturgie commença. On lut les antiphones et arriva le moment de la Petite Entrée. Bien que je fus l’aîné parmi les hypodiacres, on ne me donna pas même un ripidion à porter. C’était un peu offensant. Évidemment, j’aurais mieux fait de ne rien écrire à ce propos, mais je n’ai pu m’en empêcher. Je voyais en ces hypodiacres locaux une sorte de majestueux orgueil, un bon maintien tout extérieur. Ils n’avaient quasiment rien de réellement pieux et dévot. Comme il convient, après l’entrée, tous les diacres et hypodiacres allèrent se placer dans le Saint des Saints, où tous les prêtres chantèrent «mnogaia leta». Je les y accompagnai donc. Pendant ce temps, le Patriarche se tenait devant les Portes Royales et bénissait les célébrants et les fidèles. Je ne sais trop pourquoi, mais il me semblait que son regard se posait souvent… sur moi. Ce qu’il pensait, je n’en sais rien.
Avant l’Hymne des Chérubins, je participai au lavement des mains du Patriarche. Lors de la Grande Entrée, je sortis avec le ripidion surplombant les Saints Dons. Après l’entrée, les hypodiacres m’appelèrent pour revêtir les hiérarques venus pour l’anniversaire du décès de Sa Sainteté le Patriarche Serge. Je fus de nouveau confronté à la négligence des hypodiacres. La majorité de ces hiérarques durent revêtir leurs ornements liturgiques quasiment par eux-même. Je devais en revêtir deux. J’entendis que l’un d’eux s’appelait Elevtherii [Vorontsov], Évêque de Prague et de Tchéquie]. Je n’ai pas entendu le nom du second. Grâce à Dieu, tous furent revêtus. On avait déjà chanté le «Notre Père». Je passai dans l’autel où la Liturgie était célébrée. Le diacre proclamait : «Soyons attentifs!» Résonnèrent ensuite les joyeuses paroles : «Les Saints Dons aux saints!». C’est le moment lors duquel l’Agneau de Dieu est morcelé.
Arriva la communion. Le Patriarches et les prêtres communièrent aux Saints Mystères, après quoi les hypodiacres lurent à toute vitesse les prières après la communion pour Sa Sainteté Alexis. Ensuite, tous les prêtres, diacres et hypodiacres avancèrent pour recevoir la bénédiction de Sa Sainteté le Patriarche. Il me bénit et me donna un morceau de prosphore. «Votre Sainteté», lui dis-je, «j’ai pour vous une lettre de Vladika Manuil». Il me répondit : «Bien, bien, tu me la donneras après l’office».
Entrèrent alors dans le sanctuaire les évêques, les archimandrites et les prêtres. Et comme le sanctuaire n’était pas très vaste, on s’y sentit rapidement à l’étroit, et je dus donc sortir et aller me placer près du chœur. Deux ou trois autres hypodiacres m’accompagnèrent. Je me tenais à côté du chœur, face tournée vers l’autel, et je n’imaginais pas du tout que derrière moi se trouvait la sœur du Patriarche. Un des diacres me dit avec colère : «Eh quoi, tu ne vois pas devant qui tu t’es mis?». Je répondis : «Pardonnez-moi, pardonnez-moi, je ne savais bien sûr pas qui était derrière moi». Je fis un pas de côté et pensai à part moi-même : «Seigneur, comment peuvent-ils estimer un laïc supérieur à quelqu’un qui a reçu une petite parcelle de la grâce de Dieu ? Pardonne-moi, Seigneur, de les avoir jugés, et de n’avoir pu endurer l’humiliation».
La célébration prit fin. Ensuite, le Patriarche, le Métropolite Nicolas, les hiérarques, les prêtres et les diacres célébrèrent tous ensemble une pannychide pour le Patriarche Serge. Quand ce fut terminé, les prêtres et Sa Sainteté rentrèrent dans le sanctuaire et ôtèrent leurs ornements. J’y retournai en même temps. J’approchai de Sa Sainteté et lui remis la lettre de Vladika. Il la prit et me dit : «Eh bien, tu n’est pas venu chez moi! Tu dois venir. Viens donc». Je répondis : «Votre Sainteté, vous bénissez pour que je vienne chez vous quand?». «Viens donc aujourd’hui même», dit-il. «Aujourd’hui, il se fait déjà tard», répondis-je. «Alors demain» «A quelle heure puis-je venir?» «A midi», me répondit Sa Sainteté, en souriant. Je lui demandai pardon et sortis de l’autel. La voiture du Patriarche fut rapidement avancée, et il partit. J’enlevai les ornements de célébration, fit les métanies devant le trône et sortis de l’église, le cœur en paix. Le soir, en compagnie de Tante Lelia, nous rendîmes visite à des proches de Vladika, les tantes Niana et Thaïna. Je logeai chez Tante Thekla.
Entretien avec le Patriarche
Le jeudi seize, au matin, je me rendis en métro au Parc de la Culture, où il était convenu que Tante Lelia et moi nous nous retrouvions. Dès 7h30, nous étions déjà à l’église Saint Nicolas dans le quartier de Khamovniki. L’église n’est pas très grande, et entourée d’une enceinte. Ici, la magnificence est impressionnante. L’iconostase entière est composée d’icônes réalisées avec soin, et les fresques sont superbes. Et tout croyant qui entre ici, s’incline spontanément devant la splendeur de l’église de Dieu. En outre, il y a dans l’église tant de grandes choses sacrées, comme les icônes miraculeuses de la Très Sainte Mère de Dieu du Signe et celle qui “répond pour les pécheurs”, l’icône miraculeuse de Saint Nicolas, devant laquelle chaque jour on célèbre un acathiste après la Liturgie. Et il y a aussi des icônes vénérées plus localement: “La Très Sainte Mère de Dieu qui écoute rapidement”, Saint Dimitri de Rostov et Saint Serge de Radonège. Je suppose que par sa beauté, cette église est la meilleure de toutes celles que j’ai visitées à Moscou. Tante Lelia n’assista pas à l’office; elle devait aller travailler, mais moi j’ai prié jusqu’au bout. Après la Liturgie, un moleben et l’Acathiste à Saint Nicolas furent célébrés. Après le moleben, j’ai vénéré toutes les icônes précitées et je suis allé en paix à la Résidence Patriarcale. Jeune et plein de forces fraîches, j’y arrivai rapidement. La résidence et l’enceinte furent bientôt en vue. A l’extérieur, tout était calme. Personne n’était visible. Je me rendis dans les appartements du Patriarche et je m’adressai au Suisse: «Comment puis-je aller chez le Patriarche?» «Pour quelles affaires viens-tu chez le Patriarche?»me demanda-t-il. J’expliquai que le Patriarche m’avait ordonné de venir le voir en personne à midi. Le portier signala ma présence à Sa Sainteté, et une demi-heure plus tard, il me fit entrer chez le Patriarche. (A suivre)
Traduit du russe.