Écrits
Le texte ci-dessous est la traduction d’un extrait du journal du Métropolite Ioann (Snytchev) de Saint-Pétersbourg et Ladoga. Il fut publié le 22 novembre 2005 sur le site Ruskline.ru. Il a en outre été repris dans divers ouvrages biographiques relatifs au Métropolite Ioann. Ce texte lève un petit coin du voile couvrant l’histoire de l’Église Orthodoxe en Russie à cette époque (1946). Et ce coin de voile est levé par un des acteurs les plus notables de cette tranche d’histoire. Nous lisons par la même occasion la découverte naïve de la capitale par un jeune provincial au cœur pur, auquel le père spirituel avait donné pour obédience de tenir le journal de son pèlerinage. Voici la deuxième partie du texte. Le début se trouve ici.
Nous entrâmes dans l’église. Son aspect extérieur était très beau. C’était agréable que d’admirer l’architecture superbe de cette sainte église, qui rappelait l’existence de la Jérusalem Céleste. Nous entrâmes avec crainte de Dieu et piété envers ce lieu sacré. A l’intérieur, il faisait calme et agréable; on sentait la présence de Dieu. Trois autels étaient séparés par des arcs de pierres. Les iconostases étaient faites de cyprès. Tout était bien, mis à part un gros défaut: le toit de l’église était tellement mince que l’eau s’écoulait du plafond quand il pleuvait. Il s’en suivait qu’à certains endroits, l’enduit de plâtre menaçait de se désagréger. Peut-être cela reflète-t-il l’état de notre clergé et notre propre état. Tout comme le toit laissait passer l’eau, rendait ainsi les plafonds et les murs humides , et la situation dangereuse pour la vie des gens, les pasteurs de l’Église, faisant preuve de négligence, laissaient passer au milieu du troupeau du Christ des loups prédateurs qui soit déchiquetaient les brebis jusqu’à la mort, ou les abandonnaient blessées. De même, nous n’avions pas surveillé notre âme devenue famélique et accueillant la saleté du péché. L’icône du Christ au-dessus du trône de l’autel me transporta dans l’attendrissement. Cette merveilleuse icône rappelait le Sauveur vivant. On aurait dit que le Sauveur Lui-même se tenait là debout, la main tendue dans un geste de bénédiction. C’était comme s’Il écoutait les prières des gens, ou mieux encore, touchait du regard le troupeau de ceux qu’Il avait rachetés et disait : «Abandonnez vos vices et venez à Moi, et Je vous donnerai le repos. Dans Mon Royaume, J’essuierai chaque larme de vos yeux».Nous n’étions pas arrivés pour le début de l’office, mais quand il fut terminé, un moleben d’action de grâce aux Sauveur et à la Très Sainte Mère de Dieu fut célébré devant les icônes miraculeuses des Ibères et Bogolioubskaia. Ayant remercié le Seigneur et Sa Mère Toute Sainte, nous retournâmes paisiblement à nos bonnes actions. La nuit s’écoula paisiblement.
Le samedi onze mai, au matin, Andreï et moi partîmes de la même station de métro vers la Cathédrale d’Elokhov. Dix à quinze minutes plus tard nous étions à côté de l’église. Extérieurement, elle était belle. Tous les plâtres avaient été renouvelés. Seulement, le badigeonnage, si je puis dire ainsi, ne ressemblait à rien. Il ne se distinguait en rien de celui d’un immeuble banal. Nous entrâmes. L’église était toute meublée, et ses murs couverts de saintes fresques. On aurait dit qu’il ne restait pas le moindre espace sans fresque ou sans icône.
Manifestement, l’intérieur de l’église nécessitait d’être rénové, et les icônes et l’iconostase avaient besoin d’être restaurées. L’église comptait trois autels et trois trônes. L’autel principal était dédié à la Sainte Théophanie. Au milieu de l’église se trouvait le trône du patriarche. Le trône et l’ambon étaient entourés d’une petite clôture. A côté de l’autel gauche se situait le tombeau de marbre de Sa Sainteté le Patriarche Serge, sa cuculle y était déposée sous une cloche de verre. L’autel était surplombé de deux ripidions dorés et devant la tombe un porte-cierges de pannychide accueillait les cierges allumés pour le repos du Patriarche Serge. Toute la tombe était entourée d’une clôture.
Dans la chapelle droite on célébrait une liturgie. Un chœur réduit chantait. Leurs mélodies simples vous disposaient tellement à la prière que j’avais envie de pleurer et de m’affliger de mes péchés. Dans cette église, mon âme se reposa et je reçu des forces spirituelles. Avant la fin de l’office, nous retournâmes à notre appartement. Andrioucha se rendit chez Karpov, et je restai seul. En l’absence d’ Andrioucha je m’occupai à la lecture de saints livres. Dans les œuvres de Jean de Kronstadt, je dénichai plusieurs perles, pour Vladika et pour moi. «Quand tu donnes à celui qui te demande, et qui n’est ni pauvre, ni malade, et visiblement, ne mérite pas ce qui tu lui donnes, pourquoi ton cœur regrette-t-il ce don fait par miséricorde? Repens-toi de cela car l’amour divin nous donne Ses bienfaits, alors que nous en avons déjà à suffisance» (Ma Vie en Christ. T.3).
Tentation dans l’église
A cinq heure, avec Andrioucha et Tante Thékloucha, nous sommes allés à l’église aux Forgerons. Elle est entourée d’une enceinte et se distingue des autres églises en ce que son clocher contient une cloche de 150 pouds. C’est tellement bien quand la «voix du Seigneur» t’appelle à l’église. Calmement et tendrement elle éveille ton âme, et tu te hâtes d’aller glorifier et remercier Dieu.
Des mendiants étaient assis sur le parvis, main tendue, attendant la miséricorde du Seigneur. Nous entrâmes dans l’église. Des paroissiens se tenaient de-ci, de-là. Mon regard était surtout attiré par les saintes icônes et tableaux. Partout où on posait le regard, celui-ci tombait sur de saints tableaux de la vie du Sauveur. Les trois iconostases étaient gravées et sculptées. L’autel principal était consacré au nom de Saint Nicolas le Thaumaturge. Celui de gauche, à l’Entrée au Temple de la Très Sainte Mère de Dieu, et celui de droite, à Saint Serge de Radonège. Je vénérai l’icône miraculeuse de la Très Sainte Mère de Dieu, et, à côté d’Andrioucha, je commençai à lire la prière «Mère de Dieu et Vierge, réjouis-toi», car il restait suffisamment de temps avant l’office. Je remarquai que les gens me regardaient avec étonnement, qui étais-je, une femme ou un homme. Leur étonnement ne dura pas longtemps, car l’office commença. Tout devint calme, les conversations et chuchotements s’éteignirent. Les gens dirigeaient leur regard vers l’autel de Dieu. L’office se déroulait majestueusement ; deux chœurs chantaient. Mais je ne sais ce qu’il advint de moi. Mes pensées erraient je ne sais où. Mon corps et mon esprit languissaient. Mes réserves spirituelles s’étaient rapidement épuisées, et je ne parvenais même plus à élever ces prières si agréables à Dieu. D’où cela provenait-il ? Soit de ce que les chantres chantaient de façon plutôt théâtrale, ou encore parce que je doutais de la sincérité des célébrants? Je ne sais précisément pourquoi, mais je me sentis mal. Je fus couvert de sueur.Je parvins tant bien que mal à tenir bon jusqu’à la fin de l’office, et nous sortîmes de l’église. Mon cœur s’était fait dur comme la pierre. Quand je fus rentré à l’appartement avec Tante Thékloucha, je priai un peu, m’allongeai et m’endormis, comme mort, et je ne m’éveillai pas avant le lever du soleil.
Le 12 mai au matin, dimanche du paralytique, après les prières du matin, je suis allé avec Andrioucha prier à la cathédrale d’Elokhov. La Divine Liturgie commençait à dix heures. Le Père Nicolas Koltchitski célébrait. Difficile de décrire l’état dans lequel se trouvait mon âme. Prière ou péché? Je pense avoir seulement encoléré Dieu. Je ne sais comment expliquer, ni ce qui a causé, que mon cœur fût dur comme de la pierre. Mon esprit était incapable d’élever aucune pensée pure, qui aurait été agréable à Dieu. Une sorte de nuée secrète et invisible m’empêchait de faire monter ma prière. Était-ce parce que les chants théâtraux du chœur me déplaisaient? Ou parce que je n’avais pas encore acquis l’art de la prière? C’est évidemment cette seconde possibilité qui est la plus vraisemblable. Mon âme et mon corps étaient épuisés par la fatigue, et j’attendais que finisse cette liturgie. A la fin, le Père Nicolas Koltchitski prononça une homélie disant que nous ne devions pas chercher les miracles pour renforcer notre foi en Dieu, mais croire sincèrement en notre Créateur, espérer en la miséricorde de Dieu et en la force conférée d’en haut par l’Esprit Saint.
Nous rentrâmes à l’appartement seulement vers une heure de l’après-midi. A peu près vers trois heures arriva Tante Lelia, et à trois, avec elle et Andrioucha, nous nous rendîmes à pieds à la Galerie Tretiakov. Nous achetâmes les billets, enlevâmes nos manteaux et près de l’entrée, achetâmes un guide de toutes les collections et salles. Les trois premières concernaient uniquement la peinture ancienne et les saintes icônes. Parmi ces dernières, dans la première salle se trouvait l’icône miraculeuse de la Très Sainte Mère de Dieu de Vladimir. On sait que cette icône fut peinte par l’Évangéliste Luc. Les saintes images du Sauveur, de la Très Sainte Mère de Dieu et des Saints étaient comme enfermées dans des cages. C’était triste de voir tout cela. Seigneur longanime jusques à quand supporteras-Tu cela? Du haut des Cieux, regarde, Dieu, et vois Ta sainte image, et délivre-la des mains des mécréants. Comme Tu délivra jadis la sainte Arche des mains des Philistins, délivre cette icône de l’opprobre et de la moquerie.
Parmi tout ce qui était exposé, outre les icônes, j’ai aimé le tableau de A .A.Ivanov «Jean le Baptiste et le Messie» [‘Le Christ Se manifeste au peuple’]. C’est le tableau le plus sincère de tous ceux qui se trouvent dans la Galerie. Il est d’un grand format, environ quatre mètres de largeur sur trois de hauteur. Quel tableau remarquable! Quand tu le regardes, les personnages ont l’air vivant. J’étais saisi de crainte et de frémissement. Je voyais Jean Baptiste témoignant du Messie, et Jésus Christ s’avançant. Je pensais à la ferveur et à la patience avec lesquelles l’artiste avait peint ce tableau. Comme il devait aimer Dieu. On sait qu’il lui fallut plus de trente ans pour le peindre. Je me rappelai également du tableau d’Ivan le Terrible tuant son fils [Tableau de I.E. Repine : «Ivan le Terrible et son fils Ivan, le 16 novembre 1581»].
Nous parcourûmes la Galerie de 16h à 20h. Et devînmes très fatigués. Il était 21h quand nous rentrâmes à l’appartement, auprès de Nina Vassilievna. Elle accueillait alors Tante Aniouta1 et Tante Thékloucha. Après une paisible conversation au sujet de Vladika [Manuil], chacun se retira de son côté. J’allai loger chez Tante Thékla. Andrioucha resta chez Nina Vassilievna. (A suivre)
Traduit du russe