La traduction ci-dessous est celle d’un texte intitulé Je me suis habitué à la prison comme on s’habitue à son appartement, et sous-titré : Le Saint Hiéromartyr Hilarion raconte son emprisonnement aux Solovki. Il fut publié à l’origine le 28 décembre 2019 sur le site de l’Éparchie de Saratov, et rédigé par le hiérodiacre Serapion Zalesny.
Le nom du Saint Hiéromartyr Hilarion (Troïtski), archevêque de Verey, est écrit en lettres d’or dans l’histoire de l’Église russe du XXe siècle. On fête sa mémoire le 28 décembre. Il fut tout à la foi écrivain spirituel, talentueux prédicateur, éminent théologien, un des défenseur de la renaissance du patriarcat dans l’Église Russe lors du Synode Local de 1917-1918, et dans les dernières années de sa vie, un des plus proches collaborateurs de Sa Sainteté le Patriarche Tikhon. Il fut envoyé aux Solovki en novembre 1923, pour activité contre-révolutionnaire, c’est-à-dire, ses activités contre les schismatiques «rénovationnistes».Dans l’article ci-dessous, nous essaierons de comprendre comment Vladika Hilarion accueillit sa réclusion, et où il puisa les forces qui lui permirent de supporter cette lourde mise à l’épreuve de sa foi, envoyée par Dieu. Le texte est élaboré à partir de lettres envoyée des Solovki par le saint hiérarque, et de souvenirs de ceux qui partagèrent pour un temps son sort à cet endroit.
Vladika était pleinement préparé à son «Golgotha des Solovki». Ce qui pour autrui aurait été une pierre d’achoppement, une lourde épreuve, fut pour lui embellissement de l’âme.
Pendant les années qu’il vécut aux Solovki, l’Archevêque Hilarion entretint une correspondance avec les fidèles chrétiennes venues à son aide lors de son emprisonnement précédent, à Arkhangelsk. Ces lettres dévoilent sous nos yeux la merveilleuse force d’âme dont jouissait Vladika Hilarion et sa capacité à voir le meilleur dans tout ce qui lui était envoyé par la Providence Divine sut le chemin de sa vie.
Le 30 octobre 1924, Vladika écrivit à propos de lui-même : «Voilà longtemps que je ne suis plus aux affaires ; je me repose et je vis paisiblement aux Solovki. Ma vie ici est tout à fait heureuse. Je n’éprouve aucun chagrin, aucun besoin, aucun sentiment d’oppression. (…) Je vous remercie tous pour vos petits cadeaux. Je les ai bien reçus tous et cela me rappelle notre Arkhangelsk bien-aimée. Sachez seulement à mon sujet, que je vis très bien, en solide santé, et l’esprit vaillant...».
12 novembre : «Jusqu’ici, je vis tout à fait bien, beaucoup mieux que beaucoup d’autres, que l’on qualifie de «libres». La situation me plaît ici, et je n’éprouve quasiment aucune souffrance. Ma vie est facile, tant physiquement que moralement..

Au camp des Solovki. 2e à droite

9 décembre : «Très estimée Ekaterina Ivanovna! Je vous confirme avoir bien reçu touts vos petits cadeaux. Ce qui était destiné à d’autres, je le leur ai remis. Pour tout cela je vous suis reconnaissant ainsi qu’envers tous ceux qui se souviennent de moi et qui souhaitent me venir en aide. Jusqu’ici, je vis dans le bien-être et la quiétude. Les Solovki me plaisent beaucoup, et je ne vois aucune difficulté particulière à vivre ici. Jamais je n’avais imaginé que je me sentirais aussi bien dans ma prison des Solovki. Ma vie moscovite était incomparablement plus pénible. Là-bas, j’étais occupé tout le temps. Mes nerfs et ma santé étaient terriblement mis à l’épreuve. Ici, je suis en repos. Telle est, visiblement, la volonté de Dieu : me permettre de travailler un peu ici plutôt que servir la Sainte Église…»
Quand on lit ces phrases, on a l’impression que l’auteur ne se trouve pas dans le camp à destination spéciale des Solovki, mais dans une station thermale… Quelle différence radicale dans ces mots de Vladika Hilarion, décrivant la persécution dont il faisait l’objet de la part du pouvoir des sans-Dieu, par rapport aux paroles de ses contemporains clercs et hiérarques de l’Église (tant ceux qui émigrèrent que ceux qui restèrent en Union Soviétique et y défendirent des positions hostiles au pouvoir), qui qualifiaient l’Union Soviétique de «royaume de l’antéchrist» et considéraient que leur devoir était de lutter contre ce royaume. Pourtant, l’Archevêque Hilarion ne pouvait certainement pas vivre aux Solovki comme s’il était «en repos». Comment lui, théologien orthodoxe, évêque, membre de l’entourage le plus proche du Patriarche Tikhon, aurait-il pu ne pas souffrir d’être privé de liberté, de la possibilité de célébrer les offices, de prêcher, et d’être emprisonné aux Solovki avec les criminels de droit commun ?
Une réponse possible à cela peut être trouvée dans les souvenirs de l’Archimandrite Ioann (Krestiankine) sur les années qu’il a lui-même passées dans un camp. Le Starets raconta à ses proches que ce furent les années les plus heureuses de sa vie, parce que dans le camp, Dieu était toujours là. Il déclara encore au sujet du camp : «Pour une raison quelconque, je ne me souviens de rien de mal. Je me souviens seulement: le ciel ouvert et les Anges qui chantent dans le ciel! Maintenant, je n’ai plus une telle prière…».
Selon les souvenirs de qui le connurent, dans le camp, Vladika Hilarion a conservé l’esprit de dénuement monastique, une bénignité enfantine et la simplicité. Il donnait tout ce qu’on lui demandait. Jamais il ne répondit à aucune des insultes des autres. Il semblait ne pas les remarquer. Il était toujours paisible et gai, et même si quelque chose lui pesait, il ne le montrait pas. De tout ce qui lui arrivait, il s’efforçait toujours de tirer un bénéfice spirituel et par conséquent, tout contribuait au bien.

Pêcherie aux Solovki

Il travaillait à la pêcherie Filimonov, à une dizaine de kilomètres du camp principal des Solovki. Il s’y trouvait avec deux évêques et plusieurs prêtres. C’est avec bonne humeur qu’il évoqua ce travail : «tout est donné par le Saint — Esprit: jadis, des pêcheurs se firent théologiens, et maintenant, c’est le contraire, des théologiens se font pêcheurs».
A cette époque, durée de la peine infligée par le pouvoir soviétique était la même pour tous, de l’éminent hiérarque œuvrant avec importance aux côtés du Patriarche Tikhon dans la lutte contre les rénovationnistes,ennemis de l’Église, au jeune hiéromoine de Kazan dont le seul «crime» était d’avoir dépouillé de son orarion un diacre rénovationniste, lui interdisant de célébrer à ses côtés. «Le Maître très-aimé, disait Vladika Hilarion à ce sujet, accepte le dernier tout comme le premier; il fait se reposer celui qui est arrivé à la dixième heure tout comme celui de la première heure. Et il accepte les activités, embrasse les intentions, honore les actes, et loue les propositions».

L’Archevêque Hilarion, en tant qu’authentique théologien chrétien, s’efforçait de voir Dieu partout, en tout lieu, en tout temps, et le camp des Solovki a été envisagé comme une sévère école de vertus : acceptation du dénuement, douceur, humilité, abstinence, patience et diligence. Il ne pouvait être attristé par quoi que ce soit, et son humeur soutenait l’esprit de son entourage. (A suivre)

Traduit du russe.

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