Le texte ci-dessous, propose la première traduction en français de la longue biographie du Saint Starets Jérôme (Solomentsov). En 2012, le Saint Monastère athonite de Saint Panteleimon a publié un épais «Paterikon des Athonites Russes des XIXe et XXe siècles». Ce texte en est extrait. Le 27/14 novembre 1885, le Starets et Père spirituel de tous les agiorites russes, Jérôme (Solomentsov) s’en est allé auprès du Seigneur. Ce puissant guide spirituel, élu par la bénédiction particulière de la Très Sainte Mère de Dieu, dirigea la communauté russe du Monastère Saint Panteleimon. Il devint par la suite le père spirituel de tous les moines russes de l’Athos. La Providence divine le chargea d’une obédience particulière et colossale: la restauration du monachisme russe sur le Mont Athos, non pas formellement, mais en profondeur, conformément aux meilleures traditions de la piété monastique. Le début du texte se trouve ici.
L’étincelle qui alluma cette vie inestimable surgit le 28 juin 1802, dans la ville de Stary-Oskol (aujourd’hui dans l’Oblast de Belgorod), en la famille de Pëtr Grigorievitch Solomentsov, une famille de marchands craignant Dieu et fréquentant l’Église, et originaires de Slabojansk et Stary-Oskol, dans le Gouvernorat de Koursk. De profondes traditions de piété caractérisaient cette famille, et surtout l’amour pour les églises de Dieu et les offices. Un trait distinctif de la famille Solomentsov est que jamais elle n’organisa festins ou banquets. Les dimanches, jours fériés, et lors des fêtes de famille, elle réunissait la parentèle pour chanter les chants et hymnes des offices:tropaires, stichères, dogmatiques, hymne des chérubins, si bien que les voisins disaient d’eux : «Chez Solomentsov, on célèbre toujours des vigiles».
L’éducation du petit garçon était confiée à sa babouchka, qui aimait participer à tous les offices à l’église, et quasi chaque jour, elle y emmena l’enfant et puis l’adolescent. Depuis ses plus jeunes années, un grand amour pour les églises de Dieu et la participation aux offices remplacèrent pour Ioann tous les jeux d’enfants. Le zèle spontané et conscient manifesté par le petit Ioann, âgé de six ans, dans la maison de Dieu, n’échappa pas à Batiouchka Iakov, le recteur de l’église de la Dormition de la Très Sainte Mère de Dieu. Et il proposa a jeune garçon, avec la bénédiction des parents de celui-ci, de devenir sacristain : sonner les cloches, distribuer les cierges, se tenir dans le sanctuaire, lire et chanter. Ces occupations furent pour lui «désirables plus que l’or et la pierre très précieuse, plus douces que le miel et le rayon de miel» (Ps.18,11). Le Père Iakov, bon et dévoué pasteur, ayant reçu de Dieu le don pieux de la tendresse du cœur et des larmes, devint un père spirituel pour le jeune garçon, son premier guide et modèle à imiter. L’office quotidien, l’attention accordée à la lecture et au chant, une obéissance pieuse et zélée permirent à Ioann de prendre profondément conscience de la splendeur de l’Église. Ses pensées et ses expériences d’enfant étaient tournées vers le sens des Mystères, des cérémonies et de leur ordonnancement, des tropaires, kondakions et stichères. En vérité, les paroles du psalmiste s’appliquaient à cet enfant béni :«même le passereau se trouve un gîte, et l’hirondelle un nid, pour y placer ses petits» (Ps.83,4), c’est-à-dire les premiers élans de son âme. Les valeurs spirituelles qui occupaient une position dominante dans l’âme de l’enfant attirèrent le jeune garçon, qui avançait en âge, vers le plein et entier service de Dieu; l’aspiration au monachisme s’éveillait en lui. Souvent, la grâce de Dieu consolait le garçon, qui avait mûri avant l’âge et elle l’enrichit de la sagesse spirituelle, le menant à des choix décisifs.
Un soir, au moment de l’entrée, lors des grandes vêpres, alors qu’il était âgé de sept ans, il avançait, un cierge à la main devant le prêtre. Il se plaça, comme il convient, devant l’icône du Sauveur et fixa attentivement Son visage, s’imprégnant du sens des stichères. Ce soir-là, on chantait le dogmatique du huitième ton: «Le Roi des Cieux, dans Son amour pour l’homme, sur la terre S’est manifesté». Ces mots surprirent profondément son cœur par une douce tendresse. Les larmes s’écoulaient de ses yeux. Ses paroles pénétrèrent au plus profond de son âme et y résonnèrent longuement touchant son cœur d’une douce stupeur, d’un sentiment nouveau d’étonnement, et de joie. Celui-là même Qui avait appelé et attiré le cœur du jeune garçon à Son service, Se révéla en ces instants à ce bienheureux jeune, par Sa grâce, en tant que Créateur et Ordonnateur de la nature, Roi de Gloire, Lumière, Vérité et Vie.
Cette première expérience de connaissance de Dieu se grava profondément dans le cœur de Ioann et y demeura pendant toute sa vie. Cet état béni de tendresse spirituelle et d’intériorisation se prolongea plusieurs années, jusqu’à ce que la Divine Providence provoquât plusieurs diminutions de la grâce divine.
Ainsi, le jeune Ioann, commençant à comprendre le monde et le sens de sa propre vie, assimilait la leçon essentielle des premières expériences de sa vie, le fait que Dieu en est la valeur essentielle, le trésor le plus précieux de l’âme humaine. Et l’aspiration à se perfectionner en Dieu, à plaire à Dieu, à glorifier Dieu et à Le servir forment la signification maîtresse de la vie de l’homme.
L’âme simple et pure de Ioann se réjouissait de ses richesses inattendues, mais elle ne savait pas encore qu’à côté de ce trésor incorruptible, il existe d’autres «valeurs». Elle ne savait pas que dans le monde spirituel et dans le monde terrestre, il existe «des voleurs et des brigands» (Jean 10,8) d’invisibles ravisseurs de richesses spirituelles. Et il convient dès lors de protéger et de surveiller celles-ci plus que tout trésor terrestre. L’étape suivante de sa vie, l’adolescence et ses multiples agitations, allait lui donner une leçon importante, cruelle mais essentiellement indispensable : «Seigneur, n’avez-vous pas semé de bon grain dans votre champ ? D’où vient donc qu’il s’y trouve de l’ivraie ?» (Mat.13,27). Le péché de notre père ancestral Adam n’est pas un simple délit pour lequel il suffit de recevoir le pardon. C’eût été le cas si Adam s’était repenti immédiatement, au paradis. Mais l’absence de repentir et l’obstination conférèrent au péché un pouvoir illimité et une force prodigieuse à travers lesquels il pervertit la nature même de l’homme. La prédisposition aux passions, graines du péché, pareilles à des gènes, est transmise de génération en génération à tous les descendants d’Adam, sans exception, et niche dans le cœur de l’homme depuis l’utérus de sa mère. Le Saint baptême nous libère de la responsabilité de la chute de nos ancêtres, mais il ne nous délivre pas de l’action de la loi de la corruption du péché, dont le seul remède est l’exploit ascétique personnel, la lutte spirituelle personnelle pour l’acquisition de la connaissance spirituelle, dont l’essence réside dans la connaissance de nos propres infirmités, d’une part, et la connaissance de la Toute-puissance divine, d’autre part. Reconnais tes propres faiblesses et dépose-les devant Dieu, en le priant de te pardonner, de t’aider et de te sauver, car Lui seul a la force de mettre fin à l’action et la violence des passion. C’est précisément à partir de cette humilité initiale et de notre propre humiliation volontaire devant Dieu le Créateur et le Sauveur, c’est-à-dire notre aveu de toute notre faiblesse et l’humble supplication filiale demandant l’aide, que commence le chemin de la croissance spirituelle consciente, de l’ascension progressive vers le Christ.
Une bonne piété familiale, l’éducation dans la crainte de Dieu, l’adhésion à l’Église, et la vraie amitié partagée sont essentielles pour enraciner dans l’âme des enfants la pratique de l’amour de Dieu et la bonté, pour le reste de sa vie, et ainsi raccourcir le chemin de la recherche personnelle de Dieu. Mais tout cela ne peut abolir l’existence et l’action des passions qui nichent dans la nature même, dans nos cœurs eux-mêmes. La jeunesse est l’époque de la floraison de ces graines pécheresses. Et le jeune Ioann ne put échapper aux tentations de la jeunesse. Mais la moralité élevée en vigueur dans sa patriarcale famille, les obédiences à l’église, de bonnes fréquentations et sa propre aspiration à son cher objectif, le monachisme, tempérèrent leur activité néfaste. Le père de Ioann répondit par un refus à la demande du jeune homme d’être envoyé au monastère. Le père déclara avec fermeté qu’il n’irait nulle part avant d’avoir atteint l’âge de sa majorité, c’est-à-dire, à l’époque, vingt-trois ans. Et le jour où il atteignit cet âge, Ioann remercia son père pour la bonne éducation que ce dernier lui avait donnée et il réitéra sa demande, lui rappelant sa promesse. Cette fois, le père demanda à Ioann d’attendre encore un peu, le temps que son jeune frère ait atteint l’âge adulte. Surmontant le chagrin et la déception, le jeune homme obéit à son père. Ensuite, la demande formulée par sa sœur de pouvoir entrer, elle aussi, au monastère fut prétexte à un troisième délai, cette fois de deux années supplémentaires d’attente, les parents ne ‘acceptant pas de se séparer de deux enfants en même temps. Pendant ces deux années d’attente causées par sa sœur, Ioann Pavlovitch subit de lourdes épreuves, et c’est tout juste s’il ne périt pas, spirituellement et physiquement. L’ennemi du salut du genre humain l’attaque avec violence de plusieurs côtés, souhaitant l’empêcher d’atteindre son objectif salvateur, le monachisme. Finalement, le diable opposa au chaste jeune homme la lutte des tentations charnelles. Mais le Seigneur n’envoie pas de tentations plus grande que ce que l’on peut supporter. Une nuit, alors que se déroulait une des batailles, particulièrement pénible, de ce long combat contre les passions charnelles, il se vit perdant la bataille car l’aide n’arrivait de nulle part. C’était comme si la prière n’agissait plus. Son esprit s’enténébrait. Le nuage des pensées charnelles assombrissait sa conscience, et il brûlait tout entier comme du feu. Fuyait son lit, il courut au jardin et s’agenouilla sous un poirier, priant avec larmes le Seigneur Dieu d’aider son manque de force, de le protéger de la puissance de l’ennemi et de préserver sa pureté. «Sans Toi, Seigneur, pria-t-il, je ne puis plus endurer cette lutte. Reprends-moi, Seigneur. Lieux vaut sauver mon âme que me souiller par l’impureté charnelle».
Il pleura et implora longuement le Seigneur, avec chaleur, et du plus profond de son cœur. Il se protégeait ainsi des forces vicieuses de l’ennemi au moyen d’une arme unique, l’espérance dans l’aide toute puissante de Dieu. Et soudain, au milieu de la nuit, le ciel s’ouvrit au-dessus de sa tête, et une lumière, comme une flamme de feu, descendit du ciel sur lui. Sans le brûler, elle refroidit la chaleur du foyer de ses passions, remplit son cœur d’une grande douceur, d’une joie indicible et son esprit fut captivé par cette illumination venue d’ailleurs. Elle rayonnait avec une telle abondance qu’il ne pouvait accueillir tout ce qui lui était envoyé. Sous une telle abondance, il tomba d’épuisement et gît comme mort, sentant comment ce feu mystérieux et béni parcourait ses veines et tout son corps, éteignant et chassant le feu des passions corporelles. (A suivre)
Traduit du russe.