Ceci est la traduction d’un publié le 11 janvier 2019 sur le site Pokrov.pro. Entretien accordé par l’Archiprêtre Valerian Kretchetov à Mesdames Olga Orlova et Olga Kameneva, et Monsieur Dmitri Simonov. «Le Pokrov a protégé toute ma vie sacerdotale», explique Batiouchka, qui a servi un demi-siècle à l’autel de Dieu, dans l’église du Pokrov de la Très Sainte Mère de Dieu du village d’Akoulovo, dans l’oblast de Moscou. Pendant toutes ces années, Matouchka Natalia Konstantinova porta la croix d’argent particulière au service. Et à la veille du jubilé, le Père Valerian octroya ses instructions paternelles et pastorales à ses sept enfants, adultes, ses trente-cinq petits-enfants et à ses enfants spirituels… Chaque semaine, la série ‘Paroles de Batiouchka’ permet de prendre connaissance avec les conseils spirituels dispensés par le Père Kretchetov au cours de ses cinquante ans de sacerdoce. Le début du présent texte se trouve ici.
Comment et où avez-vous été ordonné prêtre?
Moins de deux mois après avoir été ordonné diacre, le samedi 11 janvier 1969, au soir, je suis allé aux vigiles à la Laure de la Trinité Saint Serge. De nombreux prêtres et séminaristes avaient quitté les lieux. C’était la Nativité, la semaine de la Nativité. Dans le sanctuaire, il n’y avait que des diacres, six environ, et entre autres, l’archidiacre Herman (Doubov), qui célébrait au Monastère des Danilov. Il est décédé il y a peu de temps. L’archiprêtre bénit chacun et puis disparut quelque part. Nous avions revêtu le sticharion, et nous attendions. Il n’y avait pas de prêtre pour commencer l’office. Je dis à Herman : «Il y a tellement de diacres. Il suffirait d’en ordonner un et on pourrait commencer». Et il me répondit : «D’accord, vas-y». Nous plaisantions en attendant…Soudain entra le recteur de l’Académie, l’Archevêque Philarète (Vakhromeev ; aujourd’hui Métropolite et Exarque honoraire de Biélorussie, du Patriarcat de Russie, à la retraite). Il commença les vigiles, lisant les prières. Il observa ceux qui l’entouraient. Partout, des diacres. Il se tourna alors vers moi et me demanda : «Prêt pour la prêtrise?». Je répondis : «Vladika, c’est comme on dit : jamais on est prêt pour cela. Mais globalement, oui, je suis prêt». J’ai eu le sentiment de ne pas avoir le droit de refuser. «Ce sera demain». Et voilà.
Papa m’avait donné sa croix de prêtre, afin que je la porte le jour de mon ordination. Mais personne ne s’imaginait que mon ordination allait se dérouler aussi soudainement. Je téléphonai à la maison et Elena Vladimirovna, ma belle-mère passa la croix au cou de Natacha, afin que celle-ci me l’apporte à la Laure. Quand mon épouse arriva, l’office avait déjà commencé, et elle fut embarrassée lorsqu’elle dût, dans l’église, enlever la croix et la donner en demandant qu’on me la transmît à l’autel. Elle portait déjà la croix, alors qu’on venait juste de m’en passer une au cou…
Quelle croix avez-vous reçue ?
Matouchka, une en argent, et moi, une en laiton, plaquée d’argent.
Batiouchka, pendant l’ordination, on enlève l’alliance…
Avant même l’ordination comme prêtre. Déjà lors de l’ordination diaconale, l’alliance est retirée… C’est Vladika Philarète (Vakhromeev) qui m’a ordonné aussi bien diacre que prêtre. Je suis arrivé à l’ordination avec mon alliance, et Vladika l’a enlevée et posée sur l’autel, d’où elle avait été prise longtemps avant, lors du mariage.
Quel est le sens de tout cela ?
L’homme n’appartient plus entièrement à la famille. En premier lieu, à l’Église, ensuite à la famille. Lors du couronnement, on est emmené autour de l’analoï. Lors de l’ordination, quand on est uni à l’Église, c’est autour de l’autel. Voilà pourquoi le service de matouchka est en soi très élevé. Depuis mon enfance, j’aime et je vénère le Saint et Juste Jean de Kronstadt. Encore enfant je lisait déjà à son sujet les livres qui avait été écris avant la révolution. Et un jour, j’ai pensé : pourquoi donc ne commémorerais-je pas sa matouchka? J’ai cherché et trouvé son nom, Élisabeth, et depuis lors, je les commémore ensemble. Et la glorification du Père Jean de Kronstadt eu lieu le jour de ma fête onomastique, le 14 juin. Un hasard, peut-être. Mais c’est ainsi.
Batiouchka, avez-vous ressenti quelque chose de particulier après votre ordination ?
Je n’ai rien ressenti de particulier. Alors que j’étais encore diacre, mon frère, le Père Nicolas, m’a dit : «Tu fais cela comme si tu avais célébré pendant toute ta vie!». J’étais tellement habitué à l’église, tout m’y était tellement familier… ; c’était comme si tout cela vivait en moi.
Mais il y eut un moment inexprimable. Je célébrais seul à l’église du Pokrov de l’Académie. Cela se passa au moment de l’Hexapsalme. Soudain, le temps cessa d’exister. J’eus le sentiment qu’il n’y avait plus rien, sinon l’Autel, et je me trouvais devant Dieu. Je n’étais rien, je ne serais plus rien, j’existais. Je ne parviens pas à décrire cet état. Je m’efforçais de me rappeler quelque chose à mon sujet ; de la vie que je menais, du fait que j’avais une famille, de ce que mon quatrième fils (Vassia) allait naître, de ce que j’étais ingénieur et avais travaillé dans l’Oural, et travaillais maintenant à Moscou… Mais je ne parvins pas à me souvenir de quoi que ce soit, c’était comme un espace blanc. Je me tenais devant l’Autel de Dieu, et c’était tout. Évidemment, je ne suis pas parvenu à conserver ce souvenir dans mon âme comme il aurait fallu, à cause des soucis de la vie, des péchés… Je me souviens maintenant, que mon frère, le Père Nicolas, disait qu’à 80 ans, commençait «la période de conscription». Approche l’heure à laquelle on meurt et on peut voir tout ce en quoi on croit. Quelle joie! Et je comprends que c’est quelque chose qui se produit quand tout cesse d’exister, quand l’âme «oublie tous les parents, toutes les connaissances, et se consacre à comparaître Jugement Dernier» ! [8e stichère, ton 2, de l’office des funérailles. N.d.T.] Bien sûr, j’espère seulement en la miséricorde divine. Alors, on ne pourra que dire, comme le larron : «Souviens-Toi de moi, Seigneur, quand Tu entreras dans Ton Royaume» (Lc. 23,42).
L’été dernier, quand on a diagnostiqué un infarctus, vous êtes sorti de l’hôpital, vous ne vous êtes pas soigné et vous avez même refusé les services du meilleur centre de cardiologie…
Ils m’auraient fourré en réanimation. Il ne faut pas interférer avec l’organisme en l’absence d’extrême nécessité. Il n’y avait aucune nécessité urgente. Peut-être le Seigneur me préservera-t-il ? Peut-être ne verrai-je jamais ce département de réanimation.
Père Valerian, après votre ordination, la charge des problèmes familiaux reposa essentiellement sur les épaules de matouchka. Simplement nourrir une famille qui compte sept enfants n’est pas chose aisée. Existe-t-il dans la Russie contemporaine des cas où les prêtres pères de famille nombreuse ont abandonné le sacerdoce à cause de leurs problèmes matériels? Avez-vous du faire face à des problèmes matériels dans votre famille ?
Des problèmes matériels, je n’en ai pas rencontrés. «Regardez les oiseaux du ciel: ils ne sèment ni ne moissonnent, ils n’amassent rien dans des greniers, et votre Père céleste les nourrit. Ne valez-vous pas beaucoup plus qu’eux?» (Mat.6,26). Quand j’ai commencé mon sacerdoce, j’avais tout simplement honte de recevoir un salaire. Dans le civil, mon salaire s’élevait environ à 150 roubles. Je travaillais en qualité d’ingénieur. Je trimais chaque jour du matin au soir. Le samedi et le dimanche, j’étais à l’église. Lors des fêtes, j’allais à l’église avant de commencer le travail, et je lisais l’office à la maison. Et soudain, je ne devais plus aller travailler ; j’allais seulement à l’église, et j’étais payé plus que ce que je recevais comme ingénieur.
Quand à nourrir la famille, ça n’en finissait pas! Chez un jeune batiouchka avec quatre enfants, tout ce qu’on ramène à la maison est dévoré ! Je rentrais avec des sacs pleins, du poisson, de la saucisse, des œufs de poisson, et il y avait aussi tout ce qu’on préparait nous-mêmes, et des bonbons… Matouchka disait : «Mais tu donnes tant de bonbons aux enfants!». Elle empilait les sachets au-dessus du buffet. Et quand tu dois recevoir les paroissiens, prêcher, tu es tellement occupé que tu ne te rends compte de rien, tu dors, tu manges. Arriva l’époque où les ministres du cultes étaient imposés à hauteur de 50 % du salaire, et il calculaient cet impôt une fois l’an. Mais je n’avais rien pour payer cela. Je leur dis : «Vous pouvez venir et faire l’inventaire. Nous n’avons absolument rien». «Ne vous tracassez pas, on va établir un échelonnement, ne vous inquiétez pas». C’étaient encore des gens compatissants.
Vous avez dû emprunter ?
Oui et non. Dans ces circonstances, je reçus l’aide du secrétaire d’Alexis I, Daniel Andreevitch Ostapov. Plus tard on a commencé à me donner un peu quand je célébrais des bénédictions et des offices privés.
Comme on dit aujourd’hui, vous étiez un travailleur indépendant…
Un indépendant, oui… (A suivre)
Traduit du russe
Source.