Le texte ci-après est la traduction de l’original russe d’Alexandre Vladimirovich Bogatyriov, mis en ligne le cinq janvier 2011 sur le site Pravoslavie.ru. Alexandre Vladimirovich est un réalisateur, scénariste, documentaliste et écrivain russe orthodoxe, collaborateur depuis de nombreuses années de Pravoslavie.ru. Les Éditions du Monastère de la Sainte Rencontre à Moscou ont publié plusieurs de ses ouvrages. Le texte-ci-dessous propose des éléments biographiques illustrant la vie du saint starets Siméon de Sotchi, dont il a été question dans une traduction publiée récemment ici.
Le 25 décembre, fête de Saint Spyridon de Trymithonte, après la liturgie, on célébra dans les églises de Sotchi une pannychide à la mémoire de l’Archimandrite du grand schème Siméon (Nesterenko; 1920-2010). Et à la Cathédrale du Saint Archistratège Mikhaïl et à l’église du Saint Mégalomartyr Georges, les sœurs de la communauté fondée par le Père Siméon organisèrent un repas commémoratif. Un des prêtres invités
– Pourquoi célébrez-vous le quarantième jour par anticipation?
– Il ne s’agit pas du quarantième jour, mais du vingtième, la moitié des quarante. Répondit une des matouchkas.
– Qu’est-ce qui vous a mis cela dans la tête?
– L’amour. Sourit la matouchka.– Jamais je n’ai entendu qu’on commémorait lors du vingtième jour, comme lors du neuvième et du quarantième. Ce n’est admis nulle part.
– C’est admis au Désert de Glinsk.
Le Père Siméon provenait en effet de cette célèbre communauté. Il y était entré tout jeune et il conserva précieusement jusqu’à sa mort les leçons qu’il y avait intégrées. Il avait été nourrit spirituellement par des startsy spirituellement très expérimentés comme les Archimandrites du grand schème, accueillis officiellement dans le chœur des saints, Andronique, Zénobe, Seraphim (Romantsov), et il avait conquis la principale vertu chrétienne : l’amour. L’amour pour Dieu et pour le prochain. Et c’est cela précisément, qui explique l’amour généralisé qui entoura le Père Siméon pendant les dernières décennies de sa vie. Des gens de tous les coins, proches et éloignés, de la Russie, venaient demander ses conseils spirituels, et même des Orthodoxes d’autres pays. Comme le dit un des enfants spirituels de Batiouchka : «Il vint plus de gens dans sa petite cellule qu’au Palais des Congrès». Mes les dernières années, et le Père Siméon vécut jusqu’à 90 ans, quand des suites d’une lourde maladie et de plusieurs infarctus, il ne pouvait plus comme jadis s’entretenir avec les visiteurs, les gens continuaient à venir auprès de lui, simplement pur être à ses côtés, lui raconter leurs misères, leurs malheurs, et repartir apaisés, dans le calme intérieur. Jusqu’à son dernier souffle, il pria pour ses enfants spirituels et pour le monde enfoncé dans les péchés et les vices. Les sœurs de sa communauté, qui passèrent auprès de lui plus d’un demi-siècle, connaissaient son podvig permanent, sa prière qui jamais ne s’interrompait, fut-ce un instant. Celui qui connaissait peu Batiouchka pouvaient difficilement percevoir que ce starets cloué au lit, ne reconnaissant pas toujours les gens qui venaient le voir, était s’entretenait constamment avec Dieu. Moi aussi, je doutais, et ce fut un péché, jusqu’à deux mois avant sa mort, quand je reçus une preuve miraculeuse de cette communication au-delà des mots. Je me tins à genoux au chevet de Batiouchka, une dizaine de minutes. Il tenait ma main dans la sienne, et je sentais comment il entrait avec chaleur jusque dans mon cœur. Je ne pus contenir mes larmes. Cette station silencieuse à se côtés fut mon repentir et sa bénédiction. La purification de mon cœur, que j’avais demandée au Seigneur, se produisit. Je ressentis physiquement la puissance de sa prière, et qu’un «esprit de droiture» était «renouvelé en moi».
Le Père Siméon mourut le six décembre. Avant cela, il mourut à plusieurs reprises, mais chaque fois, le Seigneur le renvoya, par les prières de l’Église, et de ses innombrables enfants spirituels. Batiouchka a décrit une de ses morts.
Un jour, après une forte attaque, il sentit que son âme quittait son corps. Il vit alors une gigantesque gare de laquelle des gens s’en allaient en permanence. Il fut rempli d’inquiétude, du fait qu’il n’avait pas de billet. Soudain, il aperçut un moine avec lequel il s’était fortement querellé au temps de sa jeunesse, ce qui l’avait attristé pendant tout le reste de sa vie. Batiouchka alla lui demander pardon, et le moine l’emmena dans la rue et lui montra une maison dans laquelle demeuraient les moines du Désert de Glinsk qui avaient quitté la vie sur terre.
– Et celle-là, c’est la tienne.
Dit le moine, en s’arrêtant devant une maison dont la construction n’était pas terminée. Il n’y avait encore que trois murs, et pas de toit.
– Mais comment puis-je vivre là ? Demanda me Père Siméon.
– Pour le moment, c’est impossible. Mais on va continuer la construction, et on t’appellera. Répliqua le moine avant de disparaître.
A cet instant, Batiouchka sentit que son âme revenait dans son corps, et il recommença à sentir ses douleurs intenses.
Il souffrit depuis sa jeunesse. Dès son jeune âge, il dut travailler. Il avait quatre frères et trois sœurs. Le père les abandonna lorsque les plus jeunes étaient encore en bas-âge. Siméon dut «aller chez les gens» pour nourrir ses frères et sœurs restés sans soutien familial. Il paissait les vaches et les moutons des voisins aisés. Un jour il dut aller rechercher le troupeau, pieds nus, loin dans les pâturages. Soudain il se mit à geler à pierre-fendre. Le temps de revenir à la maison des paysans, ses pieds avaient gelé. C’est à ce moment que commencèrent ses souffrances. Siméon les endura avec une patience éblouissante. Ses pieds gonflèrent et noircirent. Des fragments d’os sortaient dans le liquide purulent qui s’écoulait de ses blessures. Les moindres vibrations du sol le faisaient souffrir, par exemple lorsque quelqu’un marchait à proximité. Mais il se consolait en se souvenant des souffrances du Christ, et de la patience de Saint Job qui endura tant de souffrances. Il resta alité trois ans à l’hôpital. Il recevait des soins, mais la maladie se réactivait de façon récurrente.
Il vivait au village de Bereza, à quatorze kilomètres du Désert de Glinsk. Dès qu’on lui fit découvrir celui-ci, il se hâta d’entrer dans la communauté. Il passa quelques années comme novice, à diverses obédiences ;il chantait dans le chœur, travaillait à la cuisine et veillait sur le starets Nicodème, aveugle. En 1951, pour la fête de Saint Jean le Théologien, Siméon fut ordonné diacre, et le 27 octobre 1952, il reçut le schème, gardant le nom de Siméon. La communauté était pauvre. La cause résidait dans les taxes énormes qui lui étaient imposées par les autorités soviétiques. Les moines de Glinsk souffraient de la faim, mais plaçant leur espérance en la Reine des Cieux, ils rendaient grâce à Dieu pour tout et portaient leur croix sans un murmure.
Le Père Siméon était souvent malade. Après avoir été ordonné à la prêtrise, il dut célébrer les longs offices monastiques. Ses pieds douloureux ne supportaient pas son poids et au moindre refroidissement, ils étaient atteints d’inflammation. Année après année il devint de plus en plus pénible pour lui de célébrer et de se déplacer. A l’époque des persécutions krouchtchéviennes contre l’Église, il fut envoyé dans une paroisse villageoise, et ensuite, après un bref retour à Glinsk, il fut chassé de la communauté. Quand il dut célébrer dans le village, ses blessures aux pieds s’aggravèrent. Pour être à l’heure à l’office du matin, il quittait le soir la cabane qu’on lui avait désignée pour abri, et partait en rampant sur le ventre jusqu’à l’église. Mais dès qu’il atteignait l’église, le Seigneur lui donnait des forces et il se dressait et restait debout pendant toute la liturgie. Les paroissiens ne connaissaient pas ses infirmités. Certains, le voyant ramper sur le ventre se moquaient:«Voilà jusqu’où il s’est enivré! Il ne tient plus sur ses pieds!»
Il fut chassé du Désert de Glinsk à cause de son zèle ardent. Dès ses premières années au monastère il s’avéra qu’il jouissait de nombreux dons spirituels. Une multitude de gens, et même des startsy venaient auprès du jeune hiéromoine. Il fallut peu de temps pour que les autorités civiles deviennent furieuses. Malgré que le Patriarche Alexis ait ordonné au Père Siméon de rentrer au Désert, le fondé de pouvoir local en matière de religion interdit son retour. Les startsy de Glinsk lui conseillèrent de partir dans le Caucase. L’Archevêque Leonide de Soukhoumi le nomma dans le village de Lykhny. Là, il commença à célébrer dans l’église à moitié détruite de la Protection de la Très Sainte Mère de Dieu, datant du Xe ou XIe siècle. Les gens du cru s’étonnaient de ce que le Père Siméon ne réclame pas de paiement pour la célébration des offices du trebnik. Ils voyaient son service altruiste et généreux, et ils se mirent à aimer leur nouveau pasteur. Des enfants spirituels vinrent le voir d’Ukraine, de Moscou, et d’autres villes et coins de Russie. Ils contribuèrent à l’acquisition d’équipements et progressivement, ils restaurèrent l’église. Le Patriarche Élie de Géorgie l’aimait beaucoup ; souvent, il lui rendait visite à Lykhny et Goudauta, où le Père Siméon était parvenu à acquérir la moitié d’une maison. Il s’y forma une communauté de sœurs, qui à l’église servaient la liturgie. Certaines moniales de la communauté ne quittaient pas le Père Siméon. Elles demeurèrent à ses côtés jusqu’au dernier jour de sa vie.
Malgré ses maux et infirmités permanentes, le Père Siméon se rendit dans le village de montagne appelé Pskhou, où s’étaient établis de nombreux moines. Il vécut un temps avec eux. Ensuite, il poursuivit son ascension vers une endroit malaisément accessible, où des ermites vivaient secrètement, afin de communier aux Saints Dons les moines âgés empêché de descendre de la montagne par leurs infirmités, ainsi que ceux qui s’étaient éloignés à jamais du monde et demeuraient cloîtrés dans leurs cellules. Parcourant d’étroits sentiers en surplomb des abîmes, il échappa miraculeusement à la mort à trois reprises. Batiouchka aimait cette région, apanage de la Très Sainte Mère de Dieu, mais y vivre n’était pas facile. Les autorités le pourchassaient sans relâche, envoyant des observateurs sur ses traces. Il eut à subir notamment un interrogatoire nocturne portant sur ses relations avec les autorités. Convaincus de ce que la politique n’intéressait pas du tout le Père Siméon, et que, selon les paroles de l’Apôtre, non seulement il ne combattait pas les autorités, mais priait pour elles, les enquêteurs lui demandèrent ne pas mettre fin à ces prières. Sa vie devint compliquée quand la situation s’enflamma entre Géorgiens et Abkhazes, et se transforma même en guerre. On menaçait Batiouchka pour l’obliger à prendre parti. Il s’y refusa et continua à prier pour la restauration de la paix. Mais ceux qui avaient déclenché cette guerre n’avaient aucunement besoin de paix. Batiouchka décida alors de quitter Goudauta et de s’installer à Sotchi.
Bientôt toute la ville fut informée de sa présence, et ensuite, toute la région de Krasnodar. Le Métropolite Isidore du Kouban alla lui rendre de fréquentes visites ; il connaissait déjà le Père Siméon lors de sa période à Glinsk. Mais il reçut également la visite de nombreux autres hiérarques. Ceux qui demandaient à être nourris spirituellement se faisaient de plus en plus nombreux. Lorsque des pèlerins du Kouban se rendirent auprès du Starets Kouchka de Potchaev, celui-ci leur dit : «Pourquoi donc venez-vous chez moi alors que vous avez le Starets Siméon chez vous?»
A partir de 1975, il ne fut plus en mesure de se déplacer seul; il devait recourir à un fauteuil d’invalide. Il supportait de fortes douleurs en permanence, mais n’évoquait jamais ses souffrances. Parfois, il plaisantait : «Je suis quelqu’un…, un barine. Je me vautre dans de moelleux fauteuils. On s’occupe de moi, alors que le moine Job de Glinsk marchait avec les sabots remplis de pus. Lui, il ne se couchait jamais, et personne n’était aux petits soins avec de lui». Batiouchka ne recourait jamais aux médecins, excepté dans les cas extrêmes. Il acceptait les médicaments donnés par les médecins, afin de ne pas offenser ceux-ci, mais ensuite, il ordonnait de les jeter. Il acceptait ses souffrances, considérant qu’elles étaient une épreuve envoyée par Dieu. Et il souffrait sans un murmure, faisant preuve de stupéfiantes humilité et patience. Souvent, il répétait les paroles de Saint Antoine le Grand : «C’est par les afflictions que nous parviendrons à Dieu».
Il garda lors de sa tonsure monastique le nom de Siméon, qu’il reçut lors de son baptême en l’honneur de Saint Siméon le Stylite, mais aussi, de Saint Siméon de Verkhotour. Toutefois, jamais, il n’abandonna son podvig de stylite et jamais il ne demanda à Dieu de pouvoir cesser ce podvig. L’homme d’aujourd’hui, bombardé de publicités concernant de nouveaux médicaments et de remèdes permettant de demeurer actif et vigoureux jusqu’à un âge avancé, vit dans le culte du corps sain, et il peine à comprendre le podvig du Père Siméon. Il refusait de prendre des médicaments antidouleur, et il endurait volontairement la souffrance pour la rédemption des péchés, les siens et ceux de ses enfants spirituels, pour lesquels il priait sans relâche. Quand on voit les vieillards et les invalides livrés à eux-mêmes, ainsi que les difficultés rencontrées par les hôpitaux dans leur recherche de personnel de soin pour s’occuper des patients, il devient est clair que les gens prêts à s’occuper du Père Siméon privé de l’usage de ses pieds ne pouvaient être envoyés que par le Seigneur Lui-même. De nouvelles sœurs se joignirent à la communauté afin d’aider les frères. Deux hommes alors relativement jeunes se proposèrent pour conduire Batiouchka à l’église. L’un d’eux était officier de marine retraité, et l’autre, ingénieur civil. Dans un micro-autobus qu’il avait fallu acquérir, ils conduisaient Batiouchka dans les monastères nouvellement créés. Ils le conduisirent en sa terre natale, et aussi dans son cher Désert de Glinsk. Ils allèrent à Moscou, auprès de Sainte Matrone et à Radonège, chez Saint Serge, de même qu’à Divieevo, chez Saint Seraphim de Sarov, et dans d’autres monastères célèbres. Ils allèrent jusqu’aux confins d’Ekateringourg, où le protecteur céleste de Batiouchka, Saint Siméon de Verkhotour avait mené son podvig. Ces voyages étaient particulièrement épuisants pour Batiouchka, mais il ne s’agissait pas de simples pèlerinages en des lieux saints. Le Père Siméon allait vénérer les grands saints de Russie, mais les enfants spirituels qu’il rencontrait pendant ces voyages avaient ainsi la possibilité de s’entretenir avec ce juste qui faisait partie des vivants, ce continuateur des grandes traditions orthodoxes.
Batiouchka était très simple dans ses relations. Il accueillait tout un chacun avec douceur, il nourrissait spirituellement et commandait aux sœurs de toujours faire preuve de miséricorde envers les visiteurs, et de ne jamais les brusquer : «Une bonne paroles guérit mieux que n’importe quel médicament». Quand venaient à lui des gens espérant rencontrer un sage Chrysostome, sachant par avance leur espoir, il disait : «Pour les entretiens savants, allez voir des académiciens, et réservez pour moi les questions les plus simples». Il n’aimait pas les plaisanteries creuses. Possédant un bon sens de l’humour, il blaguait souvent et dissimulait sa clairvoyance derrière des dictons. Et il esquivait les questions manquant de tact. Il parvenait toujours à s’en sortir en plaisantant quand des étrangers à l’Église voulaient le mettre en position difficile. Il n’aimait pas non plus les manifestations de vénération excessive.
Voici un de ses entretiens avec des importuns.
On lui dit de façon doucereuse :
– Batiouchka, comme nous sommes bien avec vous !
– Alors pourquoi ne sautez-vous pas de joie ?!
– Allons, gentil Batiouchka…
– Gentil, mais gentiment affamé.
– Mais alors, mangez.
– Ma bouche est endormie.
– Il faut manger, sinon, vous allez y passer.
– Je ne passe plus nulle part, on me déplace en fauteuil roulant.
Un jour, une jeune fille arriva auprès de Batiouchka. Et elle le contredit. Il disait une chose, et elle, une autre. Batiouchka résolut l’affaire. Il la regarda et dit :
– Tu as de l’or ?
– Oui.
– Montre.
– Voici mes boucles d’oreilles, et une bague.
– C’est tout ?
– C’est tout.
– Ce n’est pas grand’chose. Quand tu aura un sac d’or, reviens, et on parlera. Mais ne reviens pas avant cela.
On amena un jeune policier chez le Père Siméon. Batiouchka l’observa et dit :
– Tu as un pistolet ?
– Oui.
– Tu as tué des gens avec ça ?
– Non.
– Tu as des entraves ?
– Des entraves, non, mais des menottes.
– Et le petit livre rouge, tu l’as ?
– Oui.
– Et tu sais pourquoi tu vis ?
– Raconte-moi, Batiouchka, répondit le policier interloqué.
Et Batiouchka raconta. Ils parlèrent longuement. Quand le policier s’en alla, le Père Siméon dit aux matouchkas : «Il deviendra prêtre». Et il en fut ainsi ; aujourd’hui, ce policier est devenu prêtre et il dessert une des églises de Sotchi.
Jamais Batiouchka n’eut peur de témoigner du Christ. Même au plus chaud de la lutte antireligieuse, il se déplaçait toujours en habits de hiéromoine. Souvent cela lui valait d’entendre des tirades méchantes et insultantes. C’était particulièrement difficile lors des voyages, car il ne pouvait réagir, à cause de ceux qui l’accompagnaient. Un jour, il voyageait dans un compartiment où se trouvaient aussi deux dames. L’une d’entre elles affirma d’une voix forte que les popes sont des gredins, des fainéants qui ne connaissent rien».
Batiouchka la regarda avec tristesse, soupira et dit :
– Nous savons tout de même l’une ou l’autre chose. Dites-moi, combien avez-vous d’enfants ?
– Deux.
– Deux, ce sont ceux les survivants. Vous en avez tué cinq dans votre ventre.
Remplie d’effroi, la femme se précipita hors du compartiment, suivie par sa voisine.
Un jour, un colonel instructeur politique voulut «éclairer» Batiouchka, à l’aide de citations extraites d’une brochure athée. Il commença par une phrase du genre :
– La science a prouvé que Dieu n’existe pas.
– Ah, étonnant! Et les communistes, ils existent.
– Évidemment, les communistes existent. Moi, par exemple, je suis communiste.
– Sans doute, allez-vous au sanatorium?
– Oui, je vais au sanatorium.
– Vous nagerez dans la mer?
– Évidemment!
– Et que ferez-vous d’autre?
– J’irai au restaurant, je ferai des promenades en compagnie de mon épouse.
– Cela signifie que vous avez suffisamment d’argent pour tout cela. Les gens du parti sont bien payés?
– On ne se plaint pas.
– Et, dites-moi, le parti, il vous promet quoi après votre mort?
L’instructeur politique se tut, lançant un regard mauvais au Père Siméon.
– Moi, mon Dieu m’a promis la vie éternelle. Par sa résurrection, il a prouvé que la mort n’existe pas. Ce que la science a prouvé, je n’en sais rien. Je suis incapable de soutenir une discussion avec un savant. Mais si vous voulez, nous pouvons poursuivre la conversation sur ce qui suit la mort.
Le colonel soupira péniblement, se leva et sortit du compartiment. Au bout d’une demi-heure, il revint avec deux tasses de thé, un paquet de biscuits et des viennoiseries.
– Maintenant, Batiouchka, parlez-moi de votre Dieu.
Ils conversèrent jusqu’au petit matin. Alors, l’instructeur politique, pleurant à chaudes larmes, remercia le Père Siméon et demanda pardon pour ses paroles initiales impertinentes.
Batiouchka ne fuyait pas les conversation au sujet de Dieu, mais il enseignait à ses enfants spirituels : «Quand vous parlez de Dieu, parlez avec calme. Avec la crainte de Dieu. Ne polémiquez jamais. Si vous constatez que votre interlocuteur est irrité, interrompez la discussion. Elle est inutile. Ne jetez pas de perles».
Batiouchka aimait beaucoup les gens, mais il était écrasé par le poids de sa «popularité». Ses maladies et infirmités crurent proportionnellement à sa popularité. C’était particulièrement pénible lorsque des gens venaient non pour recevoir des conseils spirituels, mais pour lui faire jouer le rôle d’arbitre dans des querelles de ménage. Dans pareils cas, Batiouchka demandait que l’on ne déversât pas sur lui les ordures des troubles familiaux, et il demandait aux époux de se souvenir de ce pourquoi ils s’aimaient et d’oublier comme si cela n’avait jamais existé, tout ce qui tuait leur amour.
Batiouchka était toujours humble et cachait très souvent son don de clairvoyance. Parfois, il faisait le fol-en-Christ. Un jour vint chez lui un jeune homme attiré par le paganisme. Il considérait que la terre-mère était une divinité vivante, et venait demander s’il était permis de cracher sur le sol. Sans attendre la question, Batiouchka cracha aux pieds du jeune homme et demanda : «Tu as compris?». Le visiteur stupéfait ne prononça pas un mot. Batiouchka cracha une seconde fois et rentra chez lui.
Il existe de nombreux témoignages de la puissance de la prière du Père Siméon. Ce serait un énorme travail que de les rassembler et les collationner. Le peuple aime les miracles, et il aime en parler. Il convient de faire la part entre les récits véridiques et le «folklore». Mais il est d’ores et déjà évident que même les sceptiques les plus endurcis ne peuvent nier que des miracles se produisirent par suite des prières de Batiouchka. Mais le miracle principal consiste en ce que des milliers d’hommes et de femmes, envoyés vers Dieu par le Père Siméon, des milliers d’âmes guéries, ayant trouvé le véritable sens de la vie. Et n’est-ce pas aussi un miracle, que les huit sœurs de la communauté de Batiouchka parviennent, lorsqu’on le commémore, à offrir un repas quasiment à la moitié de la ville ? quand je demandai à Matouchka Macrine comment elles réussissaient pareil exploit, elle sourit : «Par les prières de Batiouchka. Mon passage préféré de l’Évangile est celui où le Seigneur nourrit cinq mille hommes avec cinq pains».
Traduit du russe
Source.