Le texte ci-dessous est traduit d’un article de Madame Natalia Choumova paru le 27 décembre 2009 dans les pages anglaises de «Pravmir.com». Ce texte anglais est lui-même un résumé d’un original russe, publié en 2012 seulement, dans les pages de Pravmir.ru. Ce texte trace les grands traits de la vie du Saint martyr et confesseur de la foi Hilarion, Archevêque de Vereya. La partie narrative du début du texte est empruntée (par l’article original) au livre documentaire écrit par Boris Chiriaev, un des compagnons de captivité du Saint Archevêque. Quand au décès de celui-ci, malgré que maints textes officiels s’en tiennent au fait qu’il soit survenu à l’issue d’une crise de fièvre typhoïde, la probabilité qu’il s’agisse du résultat d’un empoisonnement, un meurtre donc, est évoquée de plus en plus souvent, y compris dans un ouvrage biographique publié récemment en Russie.
Fin de l’automne 1924. Dans un camp spécial sur les Îles Solvoki. Une tempête violente se déchaîna soudainement. Elle expulsa en pleine mer l’embarcation qui portait plusieurs prisonniers du camp et le gardien le plus vicieux. Soukhov était le nom de celui-ci. Sur la rive, prisonniers et soldats se rassemblèrent et observaient, convaincus que la barque allait sombrer. De loin, à l’aide de jumelles, ils pouvaient voir un point noir régulièrement apparaître sur la crête des vagues et disparaître dans leurs creux… Les hommes luttaient contre les éléments, mais leurs chances étaient minces, les forces de la nature prenaient le dessus.Un des officiers de la sécurité lâcha, en essuyant les jumelles à l’aide de son mouchoir : «Dans pareil brouet on n’est pas supposé quitter le rivage. Quant à échapper à un vortex pareil… Cette fois ça y est, c’en est fait de notre Soukhov!». Une voix non tonitruante mais pleine de force intérieure se fit alors entendre : «Enfin, ce sera encore comme Dieu le voudra…» Tout le monde tourna involontairement la tête vers un pêcheur costaud et assez grand, à la barbe grisonnante. «Qui m’accompagnera, au nom de Dieu à la rescousse de ces âmes humaines?», poursuivit-il tranquillement mais avec force, son regard balayant toute l’assemblée. «Père Spyridon, et vous Père Tikhon, et vous deux les Soloviens… C’est bon. Tirez la barcasse à la mer».
L’officier de sécurité aux jumelles intervint brusquement. «Interdit. Je ne peux autoriser cela! Je ne peux vous laisser sortir en mer sans gardien ni permission venant des supérieurs!».
«Le supérieur, il est là-bas, en train de mourir en haute mer», répliqua le pêcheur, faisant référence à Soukhov. «Mais nous ne rejetons pas l’escorte d’un gardien, pourquoi ne montez-vous pas à bord avec nous, Camarade Konev?» L’officier rentra la tête dans les épaules et s’éloigna en silence du rivage.
«Prêts?»
«La barcasse est à l’eau, Vladika!»
«Alors, A Dieu!», dit le pêcheur, et il embarqua, se mit à la barre qui lentement creusa un sillon dans la glace, s’éloignant du rivage. Le crépuscule tomba, et avec lui, la nuit glaciale et venteuse. Et sur le quai, personne ne voulait partir, ou juste pour aller se chauffer un peu avant de revenir. Quelque chose de plus grand qu’eux tous les unissait à ce moment-là, et supprimait toutes les barrières qui les séparait. Même l’officier de sécurité avec ses jumelles. Les hommes parlaient en chuchotant, et chuchotaient leurs prières à Dieu. Ils croyaient, mais en même temps ils étaient déchirés par les doutes. Toutefois, tous comprenaient que sans la volonté de Dieu, la mer ne relâcherait pas son étreinte sur ses victimes.
Le matin, le soleil chassa les brumes qui ensevelissaient la plage. Et à ce moment, tous virent le bateau qui revenait… Il contenait non pas quatre, mais neuf hommes. Alors, tout le monde se rassembla sur le quai, moines, prisonniers, gardiens. Tous se signèrent et s’agenouillèrent.
Des cris s’élevèrent de la foule :«Un vrai miracle! Le Seigneur les a sauvés!»
«Oui, c’était le Seigneur!», dit le courageux pêcheur, hissant hors de l’embarcation celui qui était craint par tous les prisonniers, Soukhov, épuisé.
Ce courageux pêcheur était l’Archevêque Hilarion Troïtski, une des nouveaux martyrs et confesseurs de la Russie, glorifié en l’an 2000. Au début du XXe siècle des événements réellement effroyables se déroulèrent dans notre pays et l’Église Orthodoxe de Russie. La Russie fit l’expérience des horreurs de la sanglante Première Guerre mondiale et de la soi-disant révolution socialiste d’octobre 1917, et de représailles telles qu’aucun pays n’avait jamais traversées. Des millions de gens moururent pendant ces années, non seulement sous la main de l’ennemi étranger, mais sous la main des persécuteurs d’ici qui combattaient Dieu. Parmi ceux qui furent torturés à mort ou assassinés on compte aussi bien des laïcs que des membres du clergé, dont l’unique crime était leur solide foi en Dieu. Il s’agissait de gens à la foi suffisamment forte pour sacrifier leur vie au nom de la Foi dans le Christ Sauveur.
Dans le chœur des Martyrs de l’Église Orthodoxe Russe, l’Archevêque Hilarion (Troïtski) occupe une place particulière. De 1923 à 1929, il fut interné au camp de concentration des Îles Solovki. Son combat au nom de l’Église orthodoxe, la sainteté et l’unité de celle-ci, lui coûtèrent en ces temps de malheur sa liberté, et finalement, sa vie. L’Archevêque Hilarion vécut seulement quarante trois ans. Ce fut un homme d’exception, son nom témoigne de sa nature : en grec, Hilarion signifie ‘joyeux, gentil, calme’. Grand, les yeux bleus, la voix forte, toujours il était inspiré et flamboyant. Il avait l’air d’un héros d’épopée russe, à la force et à l’intelligence remarquables. Son regard noble reflétait son âme pure et noble ; là résidait la source de son puissant charme personnel. Le peuple l’aimait. Le clergé lui vouait respect et autorité et le qualifiait de ”grand, suite à son esprit brillant et sa foi ferme.
Le Père Hilarion (Vladimir Troïtski) était né en 1886 dans une famille où de père en fils, on était membre du clergé. Tout jeune, il perdit sa mère. C’est Nadejda, la sœur de celle-ci, qui éleva les enfants de la famille. Elle était institutrice. Il apprit à lire à un très jeune âge, et à sept ans, Vladimir et son jeune frère quittèrent leur village natal pour aller, à pieds, à Moscou, afin d’y étudier. Inquiet de ne plus les voir, le père partit à cheval et les rattrapa alors qu’ils étaient déjà loin de la maison. Lorsqu’il fut interrogé à propos de cette fuite, il recourut à l’exemple d’un grand scientifique russe : «Et Mikhaïl Lomonossov? Il marcha jusqu’à Moscou. J’ai décidé d’y aller aussi pour étudier!». Demeurer inculte était le sort que le fils de cette famille d’ecclésiastiques redoutait le plus.
Depuis sa tendre enfance, l’église fut une source de joie pour lui. Encore enfant, Vladimir participait aux offices e chantant dans le chœur. Et pendant le temps des études, il ne reçut que des lauriers. Après avoir terminé l’école paroissiale et le séminaire dans son Gouvernorat natif de Toula, il fut envoyé à l’Académie de Théologie de Moscou pour y poursuivre ses études. Au cours de celles-ci, il reçut à deux reprises les prix du Métropolites Macaire de Moscou et fut déclaré ‘meilleur élève des cinquante dernières années d’existence de l’Académie’. Pour l’excellence de ses travaux, il fut envoyé deux fois à l’étranger, visitant l’Occident et l’Orient chrétiens.
En 1910, il termina avec succès le cursus de l’Académie de Théologie de Moscou, avec le diplôme de Docteur en Théologie, pour sa thèse fondamentale «Histoire des Dogmes de l’Église», et devint le plus jeune professeur de l’Académie. Et très vite, il acquit popularité et respect. Les étudiants de l’Académie se précipitaient aux leçons données par le jeune professeurs. La caractéristique invariable de ces leçons était leur lien avec l’époque contemporaine. Ceux qui assistaient aux leçons avaient l’impression que le trait distinctif principal du caractère de l’enseignant était son intégrité. Cet homme courageux et exceptionnellement talentueux percevait tout de façon créative. Un de ses contemporains écrit:«Hilarion exerçait un effet bénéfique sur nous tous à travers sa remarquable personnalité:directe, puissante, autoritaire quand il s’agissait de défendre ses convictions. Son discours était engageant, son énergie irrésistible, de même que son amour de la vie. Il possédait un lyrisme étonnant et il aimait tout ce qui lui était cher:l’Église, la Russie, l’Académie. Son esprit remarquable était contagieux et il injectait de la force à autrui».
En mars 1913, des événements d’une grande importance se déroulèrent dans la vie de Vladimir Troïtski : il prit ses vœux monastiques et reçu le nom d’Hilarion. Certains arrivent au monachisme après un passage à vide dû à un péché personnel. C’est seulement après avoir été confronté à l’horreur de la face de cette terrible réalité qu’ils s’engagent sur la voie menant au repentir vrai. Hilarion Troïtski emprunta une voie toute différente vers le monachisme. C’était un homme aux actes irréprochables. Il aspirait particulièrement à la perfection. L’ascétisme était son mode de vie habituel. Le péché suscitait chez lui tourment et angoisse. Sa pureté naturelle faisait déjà de lui «un ange sur terre et un homme des Cieux». A aucun moment, il ne douta de sa vocation monastique, toutefois, pour son entourage, ce choix était incompréhensible. Sa beauté physique et ses dons spirituels, sa nature joviale et joyeuse, induisaient en erreur quant à son monde intérieur et ses priorités dans la vie. Alors qu’il était un théologien d’exception et un homme talentueux, soudain, il décida de prendre les vœux monastiques, décision incompréhensible pour tous ceux qui le connaissaient. Toutefois, une cellule exiguë et le chemin monastique parsemé d’épines étaient pour Hilarion le choix naturel. Son âme pure qui s’efforça d’échapper au péché tout au long de sa vie, d’éviter les tentations du siècle, souhaitait se dévouer à Dieu pour toujours. Avant la prise d’habit, il écrivit à ses parents : «J’entre dans cette voie avec joie et jubilation». Et il porta cette joie tranquille dans son cœur tout au long de sa vie.
Dans la vie monastique, Hilarion Troïtski chercha les conditions les plus propices pour servir Dieu. La célébration de la Divine Liturgie devint à partir de ce moment le centre de sa vie. Voici comment un de ses contemporains décrit sa manière de célébrer : «Hilarion présidait à la Divine Liturgie avec beauté et solennité. Dans sa façon de lire l’Évangile, de prononcer les ecténies et les prières, il y avait quelque chose de tellement supérieur, noble et merveilleux. Il se donnait tout entier à la célébration, y mettant tout son cœur et toute son âme, comme s’il s’agissait de la tâche essentielle de sa vie». Il plaçait la beauté de l’office au -dessus de toute beauté terrestre.
Hilarion aimait répéter qu’aucun opéra, aucune pièce de théâtre ne pouvait susciter un intérêt comparable, fût-ce légèrement, à celui que produit un office en l’église.
Toutefois, Hilarion ne fut pas seulement un moine, un pédagogue et un enseignant par vocation.Lorsque l’heure sonna, le Seigneur l’appela au service le plus élevé envers l’Église et la société. Ce fut approximativement en 1917. En ces années terrifiantes de la persécution des bolcheviques envers l’Église, l’Archevêque Hilarion était destiné à devenir le plus solide bras droit et aide du Patriarche Tikhon, persécuté. Une tâche ardue attendait celui-ci. Dans cette période de persécution enragée des Chrétiens et de l’Église Orthodoxe russe, il lui appartenait de préserver d’une façon ou d’une autre l’unité de l’Église.
A cette époque émergea au sein de l’Orthodoxie russe un mouvement d’opposition, le soi-disant ‘renouveau’. Les ‘rénovateurs’ s’étaient fixé pour tâche d’adapter l’activité de l’Église à la situation politique modifiée dans la société, et sur un plan idéologique, trouver un moyen de se joindre aux rangs du pouvoir soviétique. Des groupes de rénovateurs apparurent dans certaines régions. Chacun d’eux avait son propre programme de transformation de l’Église, orienté vers un ‘renouveau radical’ de l’Église Orthodoxe russe. La majorité des fidèles orthodoxes s’opposaient résolument à ces réformateurs. Le peuple russe distinguait dans ce réformisme une «corruption de l’Orthodoxie», et le «rejet de la Foi de leurs pères et ancêtres». Une scission temporaire apparu donc au sein de l’Église. Le remarquable accomplissement de l’Archevêque Hilarion, bras droit du Patriarche Tikhon, consiste en ce qu’au milieu de la tourmente révolutionnaire, l’Église parvint à surmonter cette scission. Avec le Patriarche Tikhon, l’Archevêque Hilarion pourrait avoir dit : «Que mon nom périsse dans l’histoire, si cela peut être favorable à l’Église». Le pouvoir en place ne pardonna pas à l’Archevêque sa lutte fructueuse contre la scission de l’Église et sa tentative de cimenter l’unité de l’Église Orthodoxe russe. Et ils ne pouvaient non plus ignorer sa dévotion envers le Patriarche Tikhon.
En novembre 1923, le Père Hilarion fut arrêté et condamné à trois ans de camp de concentration. Il fut envoyé aux Îles Solovki. A la vue des effroyables baraquements et de la nourriture distribuée au camp, il dit : «Jamais nous ne sortirons vivant d’ici». L’Archevêque Hilarion accepta stoïquement toutes les épreuves et privations qu’il rencontra au cours de sa période d’emprisonnement dans ce camp. Il réussi à préserver toutes les bonnes qualités qui constituaient ses traits distinctifs. Son amour pour tous, un intérêt et une attention sincères pour chacun, et son amabilité générale étaient éblouissantes. Il était l’homme le plus populaire du camp, respecté et aimé par les généraux, les officiers, les étudiants et les professeurs. Et il était profondément respecté par les voleurs et les criminels aussi. Tout le monde voyait en lui un homme bon et respectable, qu’il était impossible de ne pas aimer. Toujours, il s’adressait à chacun avec respect, traitant les autres comme ses égaux. Le vénérable Hilarion parvenait à distinguer l’image de Dieu en chaque personne. Et en retour, les gens lui manifestaient de l’amour et un respect sincère. Malgré qu’il était quelqu’un d’exceptionnel, il demeurait simple et sans affectation, complètement accessible à chacun. Tout le monde trouvait qu’il était étonnement facile de parler avec lui.
Lorsque le délai de sa réclusion toucha à son terme, les autorités lui en ajoutèrent une nouvelle période, l’envoyant dans un camp en Asie Centrale. Toutefois, le Vénérable Hilarion n’y arriva jamais. En chemin, il contracta la fièvre typhoïde et son état se détériorant, il fut emmené dans un des hôpitaux de prison à Saint-Pétersbourg. Mais toute aide était vaine, l’ange de la mort attendait déjà le martyr qui souffrait. Quelques minutes avant sa mort, un médecin l’approcha et lui dit que la crise était passée, et qu’il existait un sérieuse chance qu’il se rétablisse. L’Archevêque Hilarion répondit : «C’est bien. Maintenant, nous sommes loin de...». Et avec ses mots, le confesseur de notre Seigneur Jésus Christ mourut. C’était le 28 décembre 1929. Pendant la nuit, un cercueil grossièrement taillé fut remis à ses parents. L’Archevêque Hilarion était méconnaissable. Les années de prison avaient fait d’un jeune homme dans la force de l’âge en un vieillard épuisé. Il avait seulement 43 ans… Les autorités interdirent toute pompe ou solennité durant les funérailles de même que tout discours devant la tombe. Toutefois, l’Évêque Nicolas lu les Béatitudes de façon telles que toue l’assistance pleura. Chacune des Béatitudes avait été accomplie par le Vénérable Hilarion, comme le prouvait toute l’histoire de sa vie.
Ainsi l’Archevêque Hilarion, cet homme dont le corps et l’esprit jouissaient d’une force épique, et qui avait offert sa vie pour l’Église partit pour l’Éternité. Sa vie témoigna des paroles qu’il adressa un jour à ses étudiants :
«Seule l’Église confère de la valeur à la vie de l’homme sur terre ; seul le service envers l’Église, selon ma croyance et ma conviction, accorde sens et valeur à nos activités sur terre ;… si vous ne servez pas l’Église, aucune activité ne peut avoir quelque sens que ce soit, et il n’y a plus aucune raison de continuer à vivre sur terre».
En 1999, les saintes reliques de Saint Hilarion furent transférées de Saint-Pétersbourg à Moscou, où elles furent déposées au Monastère de la Sainte Rencontre. Lors d’un office solennel, le Patriarche de Moscou et de toute la Russie Alexis II lut la décision de l’Église Orthodoxe russe de glorifier le Saint l’accueillant dans le chœur des saints locaux, et alluma une lampe à huile au dessus du tombeau renfermant ses saintes reliques.
En 2000, lors du Synode de l’Église Orthodoxe russe, le Saint Archevêque Hilarion fut glorifié en qualité de martyr et confesseur de la foi de Russie.
Depuis sa mort, Saint Hilarion aide ceux qui se tournent vers lui pour demander son aide. Les frères du Monastère de la Sainte Rencontre [Monastère de Sretenski N.d.T.] rassemble tous les matériaux concernant les cas de guérisons et autres miracles survenus par les prières adressées à Saint Hilarion.
Saint Père Hilarion, prie Dieu pour nous.
Traduit de l’anglais
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