Le texte ci-dessous est la traduction d’un article dû à l’Archiprêtre Andreï Tkatchev, très largement connu et respecté dans le monde de l’Orthodoxie russe pour son expertise en matière de communication. Le texte original fut publié dans le numéro N°1 (43) de juin 2010, du magazine Otrok.ua, destiné aux jeunes, «otrok» signifiant adolescent, ce qui met le lecteur en présence non seulement du langage et de la démarche pédagogique utilisée par le Père Andreï pour s’adresser à un public jeune, mais aussi d’un condensé de caractéristiques fondamentales de Saint Jean de Kronstadt, et de vérités profondes sur la sainteté, qu’il est bon de méditer.
Certaines questions paraissent simples. Presque toujours, les réponses à ces questions sont erronées. Par exemple : «A quoi servent les prêtres?» «Mais, Petit Père, c’est simple. Il baptise, il célèbre les funérailles et les molebens». Cette réponse est incorrecte. D’abord et avant toutes choses, un prêtre est nécessaire pour célébrer la Liturgie. Surgit alors chez beaucoup de monde la question: c’est quoi la Liturgie? La réponse correcte à la première question génère d’autres questions pertinentes.
Dans l’église se déroule la lecture des Heures. Pendant ce temps, dans le sanctuaire, le prêtre se tient devant l’autel de la proscomidie et prépare le pain et le vin pour le Sacrifice non-sanglant. Il prend la grande prosphore et, tenant la lance dans la main droite, il bénit la prosphore de trois signes de croix. Pendant qu’il trace chacun de ceux-ci, il répète «En mémoire de notre Seigneur, Dieu et Sauveur, Jésus Christ». Si la Liturgie n’existait pas nous aurions depuis longtemps oublié la Première Venue du Sauveur, et personne ne pourrait être prêt pour la seconde.
En Russie il y eut des milliers de prêtres. Il y avait des moines et des prêtres mariés, certains avaient étudié pendant de longues années, d’autres parvenaient à peine à lire. Certains devinrent des personnages de contes, d’autres, des saints. Mais aucun d’entre eux ne célébrait la Liturgie comme la célébra le Père Ioann Sergueev, le juste Jean de Kronstadt. Cet homme naquit dans le Nord glacial d’un pays où dans les autres régions il fait déjà froid. Élevé par des parents pauvres et pieux, il devint le modèle pour tous les prêtres, jusqu’au Jugement Dernier. Le diapason permet de positionner toutes les voix. Écouter Bach ou Mozart permet de comprendre ce qu’est la musique. Pour comprendre ce qu’est un prêtre, il suffit d’observer le Père Jean de Kronstadt. Le diapason de ses célébrations liturgiques devrait harmoniser la cacophonie du chœur des innombrables prêtres.
Il est possible d’apprendre de lui énormément de choses, tant il vrai que la vie sacerdotale du Père Jean n’était pas enclose par une ligne rouge qui aurait empêché que ses brillants ne resplendissent dpartout dans sa vie. Il était miséricordieux avec les pauvres, intransigeant et sévère vis-à-vis de l’athéisme et des toutes les divagations intellectuelles. Il aida des milliers de gens qui avaient touché le fond à entamer une vie nouvelle . Dire qu’il priait avec ardeur équivaut à ne rien dire. Il priait merveilleusement, et quand il conversait avec Dieu, l’existence de Dieu, la présence de Dieu était ressentie par les gens ‘ici et maintenant’ comme la réalité fondamentale, primordiale.
A l’époque où le Père Jean entama son sacerdoce, l’Église russe fit sien un nouveau champ d’activités, ou plutôt, se réappropria un de ses anciens champs d’activité : les missions. Ce vecteur d’activité était orienté vers l’Est dans ces vastes espaces de l’Empire, où vivaient de nombreux peuples non-baptisés. Une vague d’activité missionnaire déborda même hors des limites du pays; dans le Japon voisin œuvrait Nikolaï Kassatkine, qualifié récemment d’égal aux apôtres.
Ioann Sergueev voulait œuvrer pour la cause des missions orthodoxes et au début, il pensa sérieusement aller prêcher dans ces régions lointaines. Mais… portant un regard attentif autour de lui, il découvrit un tableau extraordinaire et cruel. Les baptisés avaient tout autant besoin d’être éclairés par la lumière du Christ que les païens. Chez les riches et les lettrés, corruption et libre-pensée, dans le simple peuple, ignorance, ivrognerie et malice. Il n’était pas nécessaire de partir ailleurs pour sauver de précieuses âmes des mâchoires de l’enfer. Le champ de bataille s’ouvrait à chaque pas, dans chaque ville et village.
On peut qualifier le Père Jean de Batiouchka de toute la Russie, mais malgré tout, il était d’abord un homme de Kronstadt. Et après avoir célébré la Liturgie, ce sont les portes basses des masures de Kronstadt qu’il passait, y apportant des paquets contenant nourriture et médicaments. Dans les rues de cette petite ville militaire maritime, le mendiant qui avait froid pouvait s’attendre à recevoir en cadeau, de façon inattendue, une manteau ou des bottes, de la part du jeune prêtre. C’est là que le Père Jean communiait les mourants, baptisait les bébés, célébrait des molebens, et c’est là qu’il commença à célébrer quotidiennement la Divine Liturgie. Ce sont les saints qui jugeront le monde. L’Apôtre Paul l’a annoncé. Aujourd’hui déjà, les saints jugent le monde. Ils le jugent par le seul fait de leur existence. Les hommes trouveraient plus facilement des justifications s’il n’y avait ceux qui ont dépassé la logique de ce monde pour vivre selon l’esprit du Christ. Ces hommes et femmes dans le cœur desquels Jésus Christ trouva à se reposer, au départ, ils étaient dans la même situation que nous, ils avaient le même corps, le même sang que nous, ils étaient littéralement de la même étoffe que nous. Ils priaient le même Dieu, combattaient les mêmes passions, lisaient le même Livre. Pourquoi sont-ils lumineux comme le soleil, et nous, non? Énigme. Peut-être la sainteté est-elle semblable au talent, et quel que soit le temps passé à enseigner la musique à un enfant, il ne deviendra pas Mozart? Possible. Le Père Jean célébrait la même Liturgie que nous, mais il ne nous est pas donné de la célébrer comme lui. Pas donné. Ou peut-être, nous le voulons-nous pas?
Il existe une littérature immense au sujet du Batiouchka de Kronstadt ; la description de miracles, les récits de souvenirs multiples, et des attaques vicieuses de la presse libérale qu’il endura pendant sa vie (les saints ne sont pas aimés de tout le monde). Il y a aussi son journal, «Ma Vie en Christ». Tout n’est pas essentiel, mais il est bien d’en prendre connaissance. Mais après tout dialogue au sujet des «maisons de l’amour du travail», après tout récit des voyages à travers la Russie, avec leurs offices incessants, après les histoires de guérisons, après les mannes de courriers implorant son intercession, il faut en revenir au récit de l’essentiel, à la Liturgie.
Entre le mot Liturgie et la vie du Père Jean, on peut placer le signe «égal». Alors qu’il apercevait déjà à l’horizon l’approche des lourds et menaçants nuages de la persécution, le Père Jean montra au monde entier, et en particulier à tout le clergé, de quel trésor nous disposons et comment en faire le meilleur usage.
«Ioann» signifie «la grâce de Dieu». Ce nom, devenu chez nous celui de paysans et de gens simples du peuple, le Saint Précurseur le portait. Le disciple que le Seigneur aimait en fut orné. C’est également ainsi que s’appela le plus ardent des prêcheurs, à la bouche d’or. De cette lignée fait partie notre ‘parent’, Ioann Sergueev.
D’habitude, on s’adresse aux saints en demandant «prie Dieu pour nous». Au Père Jean, nous pouvons demander:«apprends-nous à comprendre, à aimer et à célébrer la Divine Liturgie».
Traduit du russe
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