L'entretien ci-dessous avec l'Archiprêtre Valentin Asmus a été publié sur le site Pravoslavie.ru le 21 août 2000. Le sous-titre suivant lui a été attribué: La vision communément admise de la vie et de la personne de Nicolas II ne correspond absolument pas à la réalité. Cet entretien avec la journaliste Ludmila Boniouchkine fut tenu le lendemain du jour où l'Empereur Nicolas II et sa Famille furent officiellement accueillis dans le chœur des saints par le Patriarcat de Moscou. L'Archiprêtre Valentin Asmus fait autorité dans le domaine de l'histoire de la monarchie en Russie; il enseigne à L'Académie de Théologie de Moscou. Voici la traduction de la dernière partie de l'entretien.
L’activité politique de Nicolas II
Au début de son règne, Nicolas II déclara avec fermeté son attachement aux principes de l’Autocratie. Mais par la suite, il en vint à mettre en place une institution propre au pouvoir représentatif, institution qu’il dissolut à deux reprises. Comment après cela est-il encore possible de dire qu’il suivait une ligne politique claire?
Même si les ennemis de l’Autocratie affirment en raillant, qu’après le 17 octobre 1905, le titre d’Autocrate n’avait pas plus de sens que celui d’Héritier de Norvège (un des titres officiels du Souverain de Russie), le nouveau système politique que Nicolas II avait été obligé de créer, n’était pas un régime strictement «constitutionnel» car des éléments de l’Autocratie y coexistaient avec des éléments du parlementarisme. Fidèle à ses convictions politiques, Nicolas II aspirait à une collaboration et à une compréhension mutuelle avec la société avide de changements, et pour y parvenir, il était prêt à faire des concessions. Mais il convient d’évaluer ces concessions à leur juste valeur. Nicolas II adhérait par principe à l’Autocratie, et il continua à le faire après le manifeste du 17 octobre 1905, mais en même temps, il essayait de tendre une main réconciliatrice à ceux qui politiquement étaient en désaccord avec lui. Ainsi le Tsar considérait la Douma d’État comme un pont entre le pouvoir suprême et le peuple. Et ce n’est pas la faute du Tsar si la Douma se transforma en instrument destiné à renverser le pouvoir suprême, et par conséquent, à détruire l’État russe lui-même.Nicolas II pris l’initiative de garantir une représentation majoritaire de la paysannerie dans la première et la deuxième Douma d’État. Ses espoirs en la loyauté politique de la paysannerie étaient-ils justifiés? Le Tsar et le peuple étaient-ils réellement proches?
Nicolas II essaya évidemment de prendre appui sur la paysannerie, largement représentée dans la première et la deuxième Douma d’État, mais il s’avéra que les espoirs placés dans la paysannerie relevaient dans une grande mesure de l’idéalisme du Tsar; elle ne fut pas à la hauteur. De nombreux députés paysans s’associèrent au Parti Troudovik, qui était une émanation légale du parti terroriste socialiste révolutionnaire. Plusieurs paysans, députés à la Douma d’État, furent pris en flagrant délit de participation à une bande de brigands opérant à Saint-Pétersbourg et dans les environs. Très nombreux étaient ceux qui, tant dans l’intelligentsia que dans toutes les grandes couches de la société, désiraient une démocratie, et la représentation populaire, le parlementarisme. Ils considéraient que le peuple était assez mûr pour se débrouiller sans les soins paternels du Tsar. C’est pourquoi les intentions et les convictions politiques de Nicolas II ne coïncidaient pas avec celles d’une portion significative de ses sujets. Dès après février 1917, on vit clairement combien se trompaient ceux qui souhaitaient l’élargissement de la démocratie et la diminution du pouvoir du Tsar.
Les historiens soviétiques considéraient la monarchie comme un système despotique et de terreur policière. Quelles étaient les caractéristiques du système légal de la Russie et le statut légal de la monarchie à cette époque?
La monarchie russe n’était vraiment pas un système de despotisme et de terreur policière. Le despotisme et la toute puissance de la police étaient considérablement moins importants en Russie qu’en Europe occidentale, par exemple. Cela provient du fait qu’en Russie, chaque policier devait surveiller un nombre d’habitants beaucoup plus grand que n’importe où en France. La sévérité policière qui prévalait en France était complètement impensable en Russie. Au début du XXe siècle, en France, il était permis de tirer sur une procession religieuse si celle-ci avait, du point de vue du moindre dirigeant local, enfreint le règlement de police. En 1914 et pendant les années qui suivirent, pendant la Première Guerre Mondiale, en France, on fusillait impitoyablement pour la moindre menace à la sécurité de l’État. Il y eut en France à cette époque un nombre de fusillés que personne n’aurait pu imaginer en Russie avant la révolution bolchevique.
L’image de dirigeant inepte et cruel collée à Nicolas II est pour beaucoup liée aux événements de 1905, avec la défaite dans la guerre russo-japonaise. Quel regard portez-vous sur ces événements de notre histoire?
Le règne de Nicolas II fut une période de croissance significative pour la Russie, mais cette croissance ne fut pas linéaire; il y eut des échecs, comme la guerre avec le Japon. Mais même celle-ci ne fut pas un désastre comme le décrivent les historiens mal intentionnés. Même les années de la Première Guerre Mondiale, jusqu’à la révolution de février, fut une époque de croissance économique exceptionnelle pour la Russie, au cours de laquelle elle put elle-même résoudre les problèmes importants et sérieux devant lesquels elle se trouvait. En août 1914, se posa le problème de l’armement et du manque de munitions. Fondamentalement, c’est en recourant à ses propres forces, au développement de son industrie, et non grâce à l’aide de l’Entente, qu’elle le résolut. Les Allemands étaient contenus loin à l’Ouest, ils ne bloquaient pas Petrograd, ils n’étaient pas devant Moscou, ils n’atteignirent pas le Caucase ni la Volga. Ils n’occupèrent l’Ukraine elle-même qu’en 1918, sous les bolcheviques.
Abdication, révolution, meurtre du Tsar
L’abdication de Nicolas II ressemble à la destruction délibérée de la monarchie par le Tsar lui-même. Qu’en pensez-vous?
Seuls ceux qui ne connaissent pas l’histoire et dont l’unique préoccupation consiste à noircir le Souverain peuvent envisager l’abdication comme la destruction délibérée de la monarchie par le Tsar. Le Souverain a tout tenté pour que les forces armées éteignent la révolution, et c’est seulement lorsqu’il vit que ses ordres n’étaient pas exécutés, qu’il entendit les commandants du front exiger son abdication, quand plus personne ne lui obéissait, c’est alors seulement qu’il fut obligé d’admettre l’abdication. Il ne fait aucun doute que cette abdication lui fut extorquée, et plutôt que répéter que Nicolas II a renoncé au Trône Impérial, on devrait dire que c’est le peuple russe qui, à travers ses représentants les plus notoires, a renoncé à Nicolas II et à la monarchie.
Le Gouvernement Provisoire constitua la soi-disant Commission d’Enquête extraordinaire chargée d’examiner les crimes du régime tsariste. Quelles furent les conclusions de celle-ci?
Elle commença ses travaux immédiatement après la révolution de février, et les prolongea jusqu’à la révolution d’octobre. Elle était composée des meilleurs juristes de la Russie de l’époque, et on y assortit évidemment les gens les plus hostiles au régime tsariste. Et cette commission qui pouvait envisager toutes les possibilités ne parvint à attribuer aucun crime au régime tsariste. Le crime le plus important que la Commission voulait découvrir, c’était la tenue de négociation secrète pendant que le peuple était envoyé à la guerre, c’était une paix séparée avec l’Allemagne. Il se fait que Nicolas II a toujours repoussé avec indignation les propositions allemandes qui lui furent adressées pendants les derniers mois de la guerre.
L’opinion n’est pas unanime quant à l’identification des raisons qui conduisirent au meurtre du Tsar, quant au degré de culpabilité du peuple russe dans son ensemble. En quoi pourrait constituer le repentir du péché de l’assassinat du Tsar?
En ce qui concerne les raisons du meurtre et la culpabilité globale du peuple, je pense que les déclarations au sujet de l’assassinat du Tsar ont été abordées en suffisance par Sa Sainteté le Patriarche, ainsi que le Saint Synode, dans leurs déclarations respectives, en 1993 et en 1998. Tout le monde est appelé à se repentir. Notre génération également a de quoi se repentir: d’aucuns pourraient être d’accord avec les meurtriers du Tsar, justifier leur crime, croire les mensonges répandus au sujet du Souverain. Je puis témoigner, en qualité de prêtre, que nombreux sont ceux qui devraient se repentir à ce propos.
Contexte ecclésiastique et politique de la glorification de Nicolas II et de sa Famille
On entend l’opinion selon laquelle la glorification de la Famille Impériale par l’Église Russe Hors Frontières répondait à des motifs non seulement ecclésiastiques mais aussi politiques.
L’idée d’accueillir officiellement Nicolas II dans le chœur des saints fut exprimée dès le début des années ’20. Pour ce qui concerne la glorification de la Famille Impériale par l’Église Russe Hors Frontières en 1981, il s’agit bel et bien d’une glorification ecclésiastique qui n’avait pas de dimension politique. La preuve, c’est que la démarche ne fut pas ostentatoire ; la Famille du Tsar fut glorifiée parmi une foule de 10 000 nouveaux martyrs et confesseurs de la foi en Russie. Par la suite, la vénération populaire plaça, à l’étranger comme en Russie, la Famille Impériale à la tête de cette foule, mais ceci n’était absolument pas le but poursuivit par ceux qui, dès 1981, procédèrent de leur côté à cette glorification «locale».
Ne craignez-vous pas que cette glorification de Nicolas II accentue la confrontation politique au sein de la société russe, confrontation dans laquelle l’Église pourrait être attirée?
Pour ma part, je pense qu’il n’y aura aucune confrontation. Il ne peut y en avoir car les saints prient pour tous, ils unissent tout le monde. Les saints prient pour ceux qui les aiment et pour ceux qui les haïssent. Certains opposants à cette glorification nous menacent d’un schisme dans l’Église, mais à mon sens, il n’y aura pas de schisme, car l’immense majorité de nos clercs et laïcs y sont favorables à la glorification, et j’espère que les quelques opposants qui existent feront preuve de suffisamment de discipline et de retenue pour ne pas entreprendre de démarche qui serait funeste. Nous savons que certains parmi les opposants les plus radicaux se sont d’ores et déjà éloignés de l’Église. Par exemple, l’Archiprêtre Viatcheslav Polocine, qui écrivit un des articles les plus dégoûtant à propos de Nicolas II, s’est converti vers l’Islam voici deux ans; abjurant la foi chrétienne, il a pris le nom d’Ali. Il va sans dire que sa démarche fut une conséquence de la rapidité de la procédure de glorification de Nicolas II. Mais, manifestement, il était mûr à tous les points de vue pour franchir le pas décisif. Un autre exemple est celui de l’ancien membre de la Commission Synodale en charge des glorifications, l’higoumène Ignace (Krekchine). Dans le cadre des travaux de la Commission, il prit fermement position contre la glorification de Nicolas II et se convertit au catholicisme. Il est aujourd’hui prêtre d’une paroisse catholique en Bavière. De nouveau, il ne faut pas penser que ce clerc s’enfuit de l’Orthodoxie uniquement à cause de la perspective de la glorification de Nicolas II. Les catholiques, eux aussi, vénèrent une foule de saints rois et ils ont ouvert depuis très longtemps le processus de canonisation de l’empereur Charlemagne, qui ne fut pas martyr; un certain nombre de catholiques aimeraient le voir canonisé.
Que peut-on dire des cas de miracles accomplis à travers la vénération de la mémoire de Nicolas II et de sa famille?
La vénération de Nicolas II adopte effectivement une dimension de plus en plus large et je puis dire qu’aucun des néo-martyrs, parmi lesquels on compte incontestablement de grands saints, n’est vénéré autant que Nicolas II et sa Famille.
Les miracles liés à la vénération de la Sainte Famille Impériale portent indubitablement le sceau de l’authenticité. Tous les lecteurs du célèbre recueil composé par l’Archiprêtre Alexandre Chargounov en sont convaincus.
Traduit du russe.
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