Les extraits ci-dessous sont empruntés directement aux pages 196, 197, 198 de la traduction française du 'Journal' que rédigeait le Saint Tsar Nicolas II, et intitulée «Journal intime de Nicolas II (Juillet 1914-Juillet 1918)» publiée par les éditions Payot, à Paris, en 1934. (Traduction de M. Bénouville et A. Kaznakov. P.). Ce fut la dernière Grande et Sainte Semaine, la dernière Fête de Pâques, vécues sur cette terre par le Saint Tsar et sa famille, malheureusement scindée en ces instants. Le Tsar, l'Impératrice et la Grande Duchesse Maria étaient détenus par les bolcheviques dans la maison de l'ingénieur Ipatiev, à Ekaterinbourg. Ils avaient été auparavant séparés de quatre de leurs enfants, les Grandes Duchesses Olga, Tatiana, Anastasia et le Tsarévitch Alexis, demeurés dans leur lieu de captivité précédent, à Tobolsk, du fait de l'impossibilité de transporter le Tsarevitch perclus de douleur dans une crise aiguë, des suites de son hémophilie. Les trois filles durent rester auprès de leur frère, en compagnie de quelques derniers proches de la Famille Impériale, dont Pierre Gilliard (1879-1962), le précepteur suisse du Tsarévitch. Les membres de la famille au complet seront de nouveau réunis peu de temps après, à Ekaterinbourg, avant d'être bestialement assassinés en juillet 1918.
18 avril. Mercredi.
Nous avons merveilleusement dormi. A 9 heures, avons pris le thé. Alix est restée au lit pour se reposer des fatigues et des émotions de ces jours derniers.
Avons entendu le cortège passer en musique à l’occasion du 1er mai. Aujourd’hui, on ne nous a pas laissés sortir dans le jardin. J’ai voulu prendre un bon bain, mais les conduites d’eau ne fonctionnaient pas et il était impossible d’aller chercher de l’eau dans un tonneau. C’est ennuyant car je souffre de ne pas être propre. Le temps était superbe:soleil éblouissant et 15° à l’ombre. Pris l’air par un vasistas.
19 avril. Jeudi Saint.
Le temps a été beau, mais avec du vent et des nuages de poussière. Le soleil brûlait à travers les vitres. Le matin, lu à Alix «La sagesse et la destinée» de Maeterlinck. Ensuite, continué la lecture de la Bible. On n’a apporté le déjeuner qu’à deux heures. Après le repas, tous, sauf Alix, ont profité de la permission de sortir une heure dans le jardin. Le temps s’était rafraîchi et il est même tombé quelques gouttes d’eau. Il faisait bon respirer. En entendant sonner les cloches, j’ai été pris de tristesse à l’idée que c’était la Semaine Sainte, que nous sommes dans l’impossibilité d’assister à ces merveilleux offices et qu’en outre, nous ne pouvons même pas faire maigre. Avant le thé, j’ai eu le bonheur de me laver à fond dans la baignoire.
Avons dîné à 9 heures. Le soir, tous les habitants des quatre pièces se sont réunis dans le salon, où Botkine et moi avons lu à tour de rôle les douze évangiles. Ensuite, nous nous sommes couchés.
20 avril. Vendredi Saint.
A notre réveil, il faisait sensiblement plus froid. Au lieu de pluie, il est tombé de la neige qui fondait aussitôt. Le soleil s’est montré par instants. Je ne sais pourquoi, voilà deux jours et deux nuits que la garde n’est pas relevée. Maintenant les soldats sont installés au rez-de-chaussée. C’est bien plus commode pour nous, car nous ne devons plus passer devant eux pour aller aux W.C. ou à la salle de bain et nous n’auront plus cette odeur de tabac de troupe dans la salle à manger.
Nous avons déjeuné avec beaucoup de retard (à 3h.30) à cause de l’afflux des provisions pour les fêtes. Ensuite, je me suis promené une demi-heure avec Marie et Botkine. Nous avons pris le thé à 6 heures. Le matin et le soir, comme les jours précédents. J’ai lu à haute voix les saints évangiles dans notre chambre. Des allusions peu claires de ceux qui nous entourent nous donnent à penser que ce pauvre Valia n’est pas en liberté et qu’il sera soumis à une enquête, après laquelle on le libérera. Il est absolument impossible d’entrer en communication avec lui, de quelque façon que ce soit, malgré tous les efforts de Botkine. Nous avons très bien soupé à 9h.30.
21 avril. Samedi Saint.
Nous nous sommes levés assez tard. Journée grise, froide, avec bourrasques de neige. Toute la matinée, j’ai lu à haute voix, écrit quelques lignes dans les lettres qu’Alix et Marie envoient à nos enfants et dessiné le plan de cette maison. Avons déjeuné à 1h.30. Nous nous sommes promenés 20 minutes. Sur la demande de Botkine, on nous a accordé l’autorisation de faire venir un prêtre et un diacre. A 8 heures, ils ont dit l’office de Pâques, rapidement et bien. Cela a été une grande consolation de prier, même dans ces conditions, et d’entendre Christ est ressuscité. Oukraïntsev, adjoint du commandant, et les soldats de garde assistaient au service. Ensuite, nous avons dîné et nous sommes couchés de bonne heure.
22 avril. Pâques.
Toute la soirée et une partie de la nuit, nous avons entendu les détonations des feux d’artifice qui ont été allumés dans plusieurs quartiers. L’après-midi, il a fait environ 3° au-dessous et un ciel gris. Le matin, nous avons échangé le baiser pascal entre nous et, en buvant le thé, nous avons mangé du «Koulitch» et des œufs rouges; nous n’avons pas pu nous procurer de «gâteau de Pâques».
Avons déjeuné et dîné aux heures habituelles. Nous nous sommes promenés une demi-heure. Le soir, avons causé longtemps avec Oukraïntsev chez Botkine.
23 avril. Lundi.
Nous nous sommes levés tard par une matinée grise et glacée. Pour la seconde fois, nous passons enfermés la fête de ma chère Alix, mais, cette fois, toute la famille n’est pas réunie. Par le commandant, nous avons appris qu’il y a cinq jours, Alexis sortait déjà. Dieu soit loué. Nous nous sommes promenés par le soleil et par le grésil. La température s’est tenue entre 3° et 4° au-dessous. Avant le dîner, nous avons voulu faire du feu dans la cheminée de la salle à manger, mais le vent rabattait tellement la fumée qu’il a fallu éteindre le feu et il a fait frais dans les chambres.