Le texte ci-dessous est extrait d'un très long essai rédigé par Nicolas Obroutchev, écrivain russe de l'émigration, publiciste et collaborateur des «Éditions Panslaves» à New-York. L'essai fut intégré dans le recueil intitulé «Le Souverain Empereur Nicolas II Alexandrovitch» (Государь император Николай II Александрович) publié par les Éditions précitées (Всеславянское издательство) en 1968. La traduction des deux premiers extraits est accessible ici. Plusieurs extraits de ce texte seront présentés afin de proposer un portrait aussi complet que possible du Saint Tsar Nicolas II, basé sur le texte de N. Obroutchev, qui en a annoncé l'objectif: «Le but du présent essai, consacré à la lumineuse mémoire du Tsar-Martyr Nicolas Alexandrovitch, est de révéler Son Portrait authentique, en tant qu'homme, en tant que Chrétien et en tant que dirigeant, sur base des faits historiques et événements véridiques et de l'opinion des hommes justes et intègres qui le connurent de près.»
Le Comte Vladimir Vladimirovitch Svietchine rédigea le livre intitulé «La lumineuse mémoire de l’Empereur et Grand Martyr Nicolas II» («Светлой памяти Императора великомученика Николая II»), publié à Paris en 1933. A l’époque, il servit au Régiment de la Garde Preobrajenski en même temps que le Souverain, où il connut celui-ci de près, et dont il fut par la suite officier-aide de camp. Dans son ouvrage, il décrit la visite du Tsar-Martyr dans les infirmeries de Moscou, alors que le Souverain était en route vers Petrograd, après être allé inspecter le front du Caucase où il félicita la brillante armée qui venait de remporter une éclatante victoire sur les Turcs à Sarikamich. Svietchine accompagnait le Souverain lors de sa visite des infirmeries, ce qu’il rapporte comme suit: «Accompagnant donc Sa Majesté dans ses déplacements dans les infirmeries, il me fut donné d’observer à plusieurs reprises la profonde impression que produisait sur lui la vue de grands blessés, d’amputés, d’aveugles et de mutilés qui peu de temps auparavant étaient des gens en bonne santé, offerts en sacrifice au moloch de cette guerre si odieuse au cœur du Souverain. Ces impressions étaient tellement fortes que parfois, malgré ses inhérentes retenue et maîtrise de soi, il ne parvenait pas à dissimuler ses émotions. Il fallait voir ses yeux quand, passant de couchette en couchette, il se penchait vers les malheureux patients et les questionnait avec sollicitude au sujet de leurs blessures, de leurs combats, de l’endroit où ils furent blessés, de l’unité à laquelle ils appartenaient, de leur origine, de leur famille, etc…
Ses yeux, je les connaissais, je les avais admirés pendant tant d’années. J’avais l’impression de les avoir étudiés de fond en comble, mais dans chaque infirmerie, j’étais surpris par la tristesse qui imprégnait leur beauté. Je ne trouve pas les mots pour exprimer toute la compassion et l’amour du prochain qu’ils contenaient. Toujours ils étaient très beaux, mais d’habitude on ne pénétrait pas facilement ce regard. Par contre, dans ces circonstances pénibles, ils étaient le fidèle reflet de son âme pieuse et on voyait facilement dans ses yeux combien cette effroyable guerre touchait les cordes les plus sensibles en lui et on comprenait que ces cordes invisibles produisaient un son d’une immense et sincère tristesse. Le jour de son départ pour Petrograd, l’Empereur me commanda de demeurer quelques jours encore à Moscou afin de voir quelques infirmeries qu’il n’avait pas inspectées, mais avant tout, pour retourner dans celles que Sa Majesté avait visitées avant son départ. «Je dois partir à la hâte», me dit le Souverain, «et je crains d’avoir offensé quelqu’un, d’être passé à côté de blessés graves sans les remarquer, et d’avoir décoré par mégarde d’autres qui en étaient moins dignes… Retournez-y pour vérifier, et si vous découvrez pareils cas, remédiez à mon péché et adressez en mon nom des paroles douces et affectueuses à ceux que j’aurais négligés». Ces mots simples de l’Empereur de Russie, qui s’imprimèrent dans mon cœur, démentent radicalement les calomnies fabriquées par ses ennemis et ceux qui ne lui veulent pas de bien, au sujet de son soi-disant manque de cœur, sa prétendue indifférence envers ceux de ses sujets qui souffrent!»
Plus loin, l’Officier-aide de camp Svietchine raconte comment il dénicha un de ses soldats que le Souverain n’avait pas remarqué. «M’approchant du blessé, je vis un de ces hommes bons, ouverts, engageants du simple peuple, qu’on rencontre particulièrement souvent parmi les populations de Poltava, Tchernigov, et dans les gouvernorats de Petite-Russie, qui fournissent toujours d’excellents soldats. Il était livide comme sa chemise de toile, et maigre à l’extrême. Ses yeux enfoncés semblaient éteints et ses lèvres étaient tout à fait blanches. Le malheureux avait été touché à la colonne vertébrale et il souffrait atrocement. Il avait très peu de chance, selon le médecin, de retrouver la santé…» Ce soldat s’appelait Sivolenko. Dans son livre, V.V.Svietchine raconte comment il décora Sivolenko et la conversation qu’ils tinrent ensemble à ce propos : «Profondément touché par une telle incroyable humilité, j’épinglai la médaille de Saint Georges sur sa chemise et lui dis que je lui communiquais, au nom de l’Empereur, ses sincères remerciements pour le service rendu et pour l’esprit héroïque qu’il conservait dans la souffrance. ‘Je remercie humblement votre Excellence‘, commença-t-il, mais ensuite, visiblement sous le coup de l’émotion et aussi des fortes douleurs, il oublia les formules d’usage et continua, avec cœur et simplicité, en parsemant son discours de mots petit-russes, ‘nous sommes vraiment très reconnaissants envers le Souverain Empereur, pour leur bienveillance… Ici, nous sommes bien… les soins de ces messieurs… Et eux, le Souverain-la, nous ont décoré ainsi, qu’ils sont venus nous voir, nous les pécheurs… Votre Excellence, poursuivit-il, de plus en plus ému, le Souverain, il a des yeux que de tout mon vivant, j’en ai jamais vus, et jusqu’à la mort je ne les oublierai pas. Les gens disaient que lui ne venait pas nous fréquenter… Maintenant, je le sais bien, que c’est des gredins. Pis que les Allemands. Ils aboient leurs mensonges… Faudra plus qu’ils me disent ça maintenant… Si Dieu veut que je récupère… Je tuerai chacun qui dira des choses pareilles… J’ai vu ses yeux et maintenant, je sais la vérité. Il y avait des larmes dedans, comme le Christ, je l’ai vu. Le dire… ils ne le croiront pas: le Tsar, l’Empereur de Roussie, eh ben il pleurait… Il nous regardait, nous les estropiés, et il pleurait… Je le savais, désolé. Donc, on nous apprenait la vérité au régiment, quand on nous disait que pour lui, on était comme ses enfants. C’est comme le père avec ses enfants, il pleure… Votre Excellence, je vais mourir, mais je n’oublierai pas son regard…»
De retour à Petrograd, V.V.Svietchine fit son rapport au Souverain, mais sachant la modestie de celui-ci et sa pudeur en ce qui concernait ses perceptions spirituelles, Svietchine passa sous silence les paroles de Sivolenko à propos des yeux du Souverain et du fait qu’il y avait vu des larmes.
«Sur ordre du Souverain, les vieux parents villageois du héros blessé reçurent une aide financière. De plus, le commandant du District Militaire de Moscou reçut l’ordre de communiquer périodiquement un bulletin de santé du soldat à la Chancellerie Militaire de Campagne, chargée de faire rapport à Sa Majesté.
Un peu plus de deux mois plus tard, alors que j’assurais mon tour de garde, le Souverain me dit dès qu’il m’aperçut: «Hier, j’ai appris le décès de Sivolenko. Le Commandement Militaire était informé de ce qu’il souffrait atrocement ces derniers temps. Bien sûr, dans de telles conditions, c’est mieux pour lui, mais je suis triste de ne pas l’avoir vu… J’espérais qu’il guérisse. Je voulais lui assurer une vie calme et paisible…»
V.I. Mamantov assura très longtemps la direction de la Chancellerie de la Réception des Suppliques adressées à Sa Majesté Impériale. Du fait de sa tâche, il était très proche du Souverain, et dans ses mémoires, il le décrivit comme suit: «Son sens de la justice était inné et fortement développé. Il était bon, malheureusement, trop bon, humain. Avec le plus grand des empressements, il acquiesçait aux propositions avancées par la Chancellerie et visant à rétablir des droits qui avaient été lésés ou à adoucir la sévérité de dispositions légales dans les cas où pareille exonération ne préjudiciait personne, et résultait des nécessités relevant d’une justice supérieure. Et je ne mentionne pas l’aide généreuse accordée à ceux qu’affligeait l’indigence; dans pareils cas, sa bonté ne connaissait aucune limite, et seule l’absence de fonds disponibles l’amenait à refuser, à regret».
Le Tsar-Martyr fut un authentique Tsar Orthodoxe, fier de ses idéaux chrétiens, tsar-héros de l’ascèse dans son service au peuple russe. Pour lui, régner sur la Russie était indissociable de sa propre conviction religieuse d’Oint de Dieu. Et c’est dans cette conviction qu’il puisa la force de régner pendant plus de vingt-deux ans sur un pays en ébullition. En dépit des plus sombres présages et pressentiments, jamais il ne perdit son optimisme chrétien. L’authentique humilité chrétienne était le trait distinctif de son âme de juste; il ne céda jamais au désespoir, quelles que fussent les afflictions et les peines qu’il rencontrât sur son chemin. Il parcourut le chemin de sa vie d’un pas ferme et régulier, le Nom de Dieu sur les lèvres et l’icône du Christ en son cœur.
Traduit du russe