Le texte ci-dessous est extrait d'un très long essai rédigé par Nicolas Obroutchev, écrivain russe de l'émigration, publiciste et collaborateur des «Éditions Panslaves» à New-York. L'essai fut intégré dans le recueil intitulé «Le Souverain Empereur Nicolas II Alexandrovitch» (Государь император Николай II Александрович) publié par les Éditions précitées (Всеславянское издательство) en 1968. La traduction des deux premiers extraits est accessible ici. Plusieurs extraits de ce texte seront présentés afin de proposer un portrait aussi complet que possible du Saint Tsar Nicolas II, basé sur le texte de N. Obroutchev, qui en a annoncé l'objectif: «Le but du présent essai, consacré à la lumineuse mémoire du Tsar-Martyr Nicolas Alexandrovitch, est de révéler Son Portrait authentique, en tant qu'homme, en tant que Chrétien et en tant que dirigeant, sur base des faits historiques et événements véridiques et de l'opinion des hommes justes et intègres qui le connurent de près.»
Dans son livre «Les Nouveaux Martyrs de Russie», l’Archiprêtre Mikhaïl Polskii écrit que «le Souverain était torturé par le peu de foi, l’incroyance et l’apostasie des membres de la société russe, devenus étrangers aux principes de la Sainte Rus’ dont il était le garant. Il fut martyrisé parce que, serviteur de Dieu, limité dans sa volonté et son pouvoir par la seule loi de Dieu, la loi de la justice et de l’amour, il servit celle-ci jusqu’à la mort. Mais aussi pour sa fidélité au serment qu’il prêta, à l’engagement solennel pris lorsqu’il accéda au Trône.Et pour sa foi en la sainteté de son Onction impériale et la responsabilité devant Dieu qui en découla. Il fut martyrisé pour sa piété et le témoignage de la Vérité du Christ que fut toute sa vie, et grâce auquel il devint différent de la société dépravée qui l’entourait. Et pour la justesse de la vie et de la culture russe, dont l’Orthodoxie est l’esprit».
Ce fut uniquement la conviction ardente et inébranlable du Tsar-Martyr qui influença la fiancée luthérienne de celui-ci à se convertir à la Sainte Orthodoxie. La Princesse allemande découvrit, dans les profondeurs de l’âme de son fiancé, la source d’une foi brûlante et d’un amour ardent pour son peuple. Voilà l’influence qui fit de la Tsaritsa Alexandra Feodorovna une fervente confesseuse de la Sainte Orthodoxie, aimant jusqu’à l’oubli d’elle-même le peuple russe et sa tradition. Son proche entourage le savait, et elle-même en témoigna, si clairement, à travers son infatigable et immense activité de bienfaisance, poursuivie pendant toute sa vie, vie de souffrances. En témoignent également ses lettres écrites à Tobolsk, pénétrées d’une foi ardente, de la soumission à la volonté de Dieu, et d’un amour pardonnant tout au peuple russe. Voici ce qu’elle écrivit:
«Au plus il y a de souffrances ici, au plus clair il fera sur cette rive lumineuse où nous attendent tant de ceux qui nous sont chers. (21 octobre 1917)
Tous les sept, nous gardons l’esprit gaillard. Le Seigneur est si près de nous, on sent Son soutien et souvent on s’étonne de parvenir à supporter des choses et des séparations qui jadis nous auraient fait mourir. Notre âme est paisible, malgré qu’elle souffre tellement pour la Patrie (9 décembre).
Il ne faut pas voir les choses de manière trop sombre, il faut redresser la tête et regarder hardiment tout un chacun droit dans les yeux. Ne jamais perdre espoir et croire inébranlablement que ce cauchemar passera… Qu’importe mon âge, je me sens mère de ce pays, et je souffre comme pour un de mes enfants, et j’aime ma Patrie malgré toutes les horreurs et les péchés. Tu sais qu’il est impossible d’arracher la Russie de Mon cœur, en dépit de sa noire ingratitude envers le Souverain qui me déchire le cœur. Mais bien sûr, cela ne concerne pas tout le pays. Comme une maladie, après laquelle elle reprendra des forces. Seigneur, aie pitié et sauve la Russie (10 décembre 1917).
Il est vrai que tous, nous avons péché, et le Père Céleste punit Ses enfants. Mais je crois fermement et inflexiblement qu’Il nous sauvera tous, Lui seul le peut. Étrange est le caractère russe; l’homme se fait soudain vil, mauvais, cruel, insensé, et tout aussi soudainement, il change; cela s’appelle de la faiblesse de caractère (9 janvier 1918).
… Mais qu’est-ce que le temps? Rien, la vie, l’agitation; tous nous nous préparons au Règne Céleste. Là, il n’est plus rien d’effrayant. On peut tout enlever à l’homme, mais personne ne peut lui ôter son âme, même si le diable scrute chacun de nos pas, le fourbe,mais nous devons lutter contre lui avec vigueur: il connaît nos faiblesses mieux que nous ne les connaissons, et il les utilise. Notre devoir, c’est de rester sur nos gardes, ne pas dormir, c’est de lutter. Toute la vie est une lutte, sinon, il n’y aurait ni ascèse, ni récompense. Et donc, toutes les tentations qu’Il nous envoie, tout ce qu’Il permet, tout est pour un mieux; partout, on voit Sa main. Les gens te font du mal. Tu acceptes sans un murmure: Il envoie un Ange-Gardien, un de Ses consolateurs. Jamais nous ne sommes seuls. Il est l’Omniprésent, l’Omniscient, l’Amour-même. Comment ne pas croire en Lui? (2/15 mars 1918)
Rejetons le vieil Adam, revêtons une chasuble de lumière, secouons la poussière du monde et préparons-nous à la rencontre avec le Fiancé Céleste. Il souffre éternellement pour nous et avec nous et à travers nous: venant à notre aide, Il nous tend Sa main, alors, nous partageons avec Lui sans un murmure toutes les souffrances que Dieu nous envoie. Nous expions tous nos péchés séculaires, nous lavons dans le sang les taches qui souillent notre âme (13/26 mars).
Quand tout aura été broyé par ce piétinement, Il relèvera la Patrie. Je ne sais quand, mais j’y crois ardemment. Nous continuerons à prier sans relâche pour la Patrie. Seigneur Jésus Christ, aie pitié de moi, pécheresse, et sauve la Russie (19 mars).
Tout autour, l’atmosphère est électrique; on sent l’orage, mais le Seigneur est miséricordieux et nous préservera de tout mal. Bien que l’orage approche, mon âme est paisible; que tout soit selon la volonté de Dieu. Il arrangera tout pour un mieux. Il faut seulement espérer en Lui. Gloire à Lui pour l’amélioration du petit (L’Héritier Alexis. N.d.A.) (8/21 avril 1918)».
La Sainte Rus’ transparaît dans toute sa puissance spirituelle et sa beauté dans ces lignes écrites par celle qui endura calomnie et diffamation, de la part même de certains membres de la Maison Impériale, au mépris du serment qu’ils avaient volontairement prêté. Dans son livre «La Sainte Rus’», Nicolas Dimitrievitch Talberg écrit:«Les lettres de la prisonnière des révolutionnaires, la Tsaritsa Alexandra Feodorovna étaient saturée d’une foi ardente, la force de la Chrétienté de jadis ainsi qu’une grande noblesse d’âme». (…)
Nombreux sont les témoignages de la bonté d’âme et de la bienveillance du Tsar-Martyr; il est impossible de les énumérer tous, mais certains ne peuvent être passés sous silence. Dans son livre «Pour l’histoire vraie de notre Patrie» («Отечественная быль»), Nicolas Dimitrievitch Talberg note les propos suivants que lui avait rapportés le Général P.P. Orlov: «Alors qu’il était de garde, en qualité d’officier-aide de camp au Palais de Tsarskoe Selo ou de Peterhof (je ne me souviens plus du lieu avec précision), il dût, à une heure tardive, recevoir une jeune dame qui avait insisté avec force afin de le rencontrer. Sous l’emprise d’une forte émotion et à travers ses larmes, elle lui expliqua que quelques heures plus tard, devait avoir lieu l’exécution de son fiancé, jugé par la cour martiale, avec quelques révolutionnaires. Selon ses propos, le jeune homme n’avait été lié que fortuitement au groupe de terroristes et n’était coupable de rien. Elle suppliait de solliciter le Souverain afin qu’il ordonne de surseoir à l’exécution. Orlov savait que le Souverain s’était retiré dans sa chambre et dormait vraisemblablement. Toutefois, la sincérité de la requête passionnée de la jeune fille incita Orlov a tenter d’acquiescer à la demande de celle-ci. Le camériste qu’il interrogea lui répondit que le Souverain était allé dormir. Orlov demanda d’informer le Souverain qu’il souhaitait lui présenter un rapport au sujet d’une affaire qui ne pouvait attendre. Au bout de quelques instants, le Souverain se présenta, en costume d’intérieur et lui demanda:«Que se passe-t-il, Orlov?». Ayant entendu le rapport de celui-ci, il le remercia de n’avait pas craint de le déranger pour un cas d’une telle importance, et il ordonna de téléphoner immédiatement au Commandant de la Forteresse Pierre-et-Paul la décision impériale de surseoir à l’exécution du jeune homme. Le lendemain, le Souverain ordonna d’éclaircir les circonstances constituant le niveau de culpabilité de l’homme. On découvrit que le jugement avait été fondé sur une erreur. Le jeune homme fut libéré, et un an plus tard, Orlov rencontra le jeune couple tout à fait par hasard, en Crimée. Cet épisode fut également rapporté par l’écrivain étasunien Robert Massie dans son livre «Nicholas and Alexandra». Par rapport au récit de Nicolas Talberg, Robert Massie ajoute le détail selon lequel, lorsque la jeune fille apprit que le Souverain avait accédé à sa demande, elle dit, dans un élan de reconnaissance et de joie, que chaque jour de sa vie elle prierait pour lui. Le lendemain, Orlov raconta cette réaction au Souverain qui, ayant écouté Orlov, lui répondit: «Je vous suis très reconnaissant, Orlov, car par votre rapport d’hier soir, vous avez rendu deux personnes heureuses, elle et moi».
En octobre 1915, le Souverain entama une tournée d’inspection de la ligne de front, en compagnie de l’Héritier. Pierre Gilliard1 suivant son élève partout, et il décrit comme suit les événements vécus et observés dans un secteur du front: «… nous partîmes le 24 octobre pour l’armée. Le lendemain matin nous arrivions à Berditchev, où le général Ivanov, commandant en chef du front Sud-ouest, prit place dans notre train. Quelques heures plus tard,nous étions à Rovno. C’est dans cette ville que le général Broussilov avait établit son état-major, et nous devions nous rendre avec lui sur les lieux où les troupes avaient été rassemblées.Nous montâmes aussitôt en automobile, car la distance à parcourir était de plus de vingt kilomètres. Au sortir de la ville, une escadrille d’aéroplanes nous rejoignit et nous escorta jusqu’au moment où nous aperçûmes les longues lignes grises des unités massées derrière une forêt. Un instant plus tard, nous étions arrivés. L’Empereur parcourut à pied avec le Tsarévitch tout le front des troupes, puis les unités défilèrent les unes après les autres devant lui. Il fit ensuite sortir des rangs les officiers et les soldats désignés pour des récompenses et leur remit la croix de Saint-Georges. Quand la cérémonie prit fin, la nuit était tombée. Au retour, l’Empereur, ayant appris du général Ivanov qu’un poste de pansement se trouvait à peu de distance, décida de s’y rendre sur l’heure. Nous nous engageâmes dans une forêt épaisse, et bientôt après, nous apercevions un petit bâtiment faiblement éclairé par la lueur rouge des torches. Le Tsar, suivi d’Alexis Nicolaïevitch, pénétra dans la maison et s’approcha de tous les blessés, qu’il questionna avec bonté. Son arrivée inopinée à une heure aussi tardive, dans un endroit si rapproché du front, causait un étonnement qui se peignait sur tous les visages. Un soldat qu’on venait de recoucher sur son lit après le pansement regardait fixement l’Empereur et, quand ce dernier se pencha sur lui, il souleva sa seule main valide pour tâter ses vêtements et se persuader que c’était bien le Tsar qui était devant lui et non une apparition». (A suivre)
Traduit du russe
- La traduction des notes de Pierre Gilliard, (professeur de français des Grandes Duchesses et précepteur du Tsarévitch Alexis Nicolaïevitch, l’un des derniers fidèles qui accompagnèrent la Sainte Famille Impériale-Martyre dans son chemin de croix jusqu’à Ekaterinbourg), est empruntée aux pages 163 et 164 du livre «Treize années à la cour de Russie», de Pierre Gilliard, encore disponible aux Éditions Payot et Rivages, dans la Petite Bibliothèque Payot.