A l’automne 2008, le site internet du journal orthodoxe Blagovest a publié un long article en deux parties, écrit par Madame Olga Larkina sur le Saint Monastère de Leouchino, aujourd’hui disparu, fleuron du patrimoine spirituel du Nord de la Russie. Ce texte plonge les lecteurs dans la spiritualité monastique de la Russie du début du vingtième siècle. Et il offre un aperçu des nombreux efforts mis en œuvre pour redonner vie à ce joyau dans ses dimensions matérielle et spirituelle. Un des acteurs de cette renaissance est le Père Gennadi Belovolov, responsable de l’appartement-chapelle du Saint Batiouchka Jean de Kronstadt à Saint-Pétersbourg. Voici la deuxième partie du texte. La première se trouve ici.
La Troisième chapelle
Un choc retentissant éclata au-delà des portes fermées de l’église. «Vous êtes les témoins d’un événement historique : la rupture du vieil ascenseur, dernier vestige du dispensaire neuropsychologique qui occupa de nombreuses années l’emplacement où se trouve maintenant l’église», nous dit le Père Gennadi. Les paroissiens de l’église restaurée1 empruntent toujours les escaliers, et aujourd’hui, on procède à l’opération : fin de l’ascenseur soviétique. Avant la Liturgie, Katherina, une assistante du Père Gennadi, m’a raconté que l’église principale du Podvorié de Leouchino à Saint-Pétersbourg avait été consacrée le 21 novembre 1894 lors d’un office concélébré par Saint Jean de Kronstadt. Un mois plus tard on consacra une chapelle dédiée à la Sainte Mégalomartyre Barbara. Une troisième chapelle demeura non-consacrée, car Matouchka Taïssia, qui survécut sept ans à Saint Jean de Kronstadt attendait que le Batiouchka de toute la Russie soit accueillit officiellement dans le chœur des saints lors du dixième anniversaire de son bienheureux trépas. Mais lorsqu’arriva cette date, en décembre 1918, le pays enflammé par la révolution n’avait pas la tête au jubilé… Deux mois avant cette date, à Kronstadt, sur la rive du Golfe de Finlande, furent fusillé le Saint Archiprêtre Philosoph Ornatski 2 et ses fils ; il était neveu de Saint Jean de Kronstadt, et frère du premier recteur de l’église de Saint Jean le Théologien, l’Archiprêtre Ivan Ornatski, qu’attendait aussi la couronne des martyrs…
Le Monastère de Leouchino, l’un des plus grands de Russie d’avant la révolution, fut fermé. Nombreuses furent les moniales qui, ne voulant pas quitter leur communauté, s’installèrent dans les villages des alentours. Mais au Podvorié de Leouchino, à Saint-Pétersbourg, la vie monastique continua pendant neuf ans encore! Les dernières moniales de Leouchino furent arrêtées en 1932. Cinq ans plus tard, le 25 janvier 1937, l’Higoumène Agnès, qui succéda à Taïssia, fut assassinée. C’est en l’an 2000 seulement que l’église du Podvorié de Leouchino fut rendue à l’Église. Le Père Gennadi poursuivit le récit de son assistante : «Le Tsar lui-même adopta certaines mesures particulières en faveur de la sanctification du Père Jean de Kronstadt, ordonnant que Batiouchka Jean fût commémoré chaque année dans toutes les églises de l’Empire de Russie. Tous considéraient qu’il s’agissait du premier pas qui devait conduire à l’accueil du Père Jean parmi le chœur des saints. Et Matouchka Taïssia réservait la chapelle latérale de son église au saint et bon pasteur, Jean de Kronstadt, dès que la démarche officielle aurait abouti. Et cette chapelle, qui n’a toujours pas été consacrée à ce jour, peut être considérée comme la première chapelle Saint Jean de Kronstadt en Russie. Bien entendu, lorsque l’iconostase sera terminée, on célébrera la dédicace à Saint Jean de Kronstadt. Quand les lieux furent rendus à l’Église, nous avons décidé d’apurer notre dette envers celui qui créa le podvorié, Jean de Kronstadt, avec l’Higoumène Taïssia. C’est ainsi que débuta la restauration du podvorié, et elle se poursuit encore aujourd’hui».
« Je suis toujours avec vous…»
Nous descendîmes au premier étage où un Musée de Matouchka Taïssia fut créé, dans l’appartement de l’higoumène. Au mur, près de l’entrée, une icône de Saint Seraphim de Vyritsa. A première vue, il semble que ce soit celle, bien connue, de Saint Seraphim de Sarov en prière sur la pierre au plus profond de la forêt. C’est seulement lorsqu’on l’observe attentivement que l’on comprend qu’il s’agit du saint starets de Vyritsa. Et il prie devant une icône différente de la Très Sainte Mère de Dieu : «Je suis toujours avec vous et personne à jamais ne peut rien contre vous». On affirme que Saint Seraphim de Vyritsa pria sur cette pierre tout au long de la guerre, intercédant pour le salut de notre peuple. Mais il n’en fut pas ainsi, nous dit le Père Gennadi. «Le Starets pria sur la pierre dès 1937 et pendant les premiers mois de la guerre. Ensuite, pendant la guerre, n’étant plus en mesure de se lever, il restait alité. 1937 vit la proclamation officielle de l’ouverture d’un plan quinquennal d’athéisme, c’est pourquoi Saint Seraphim entama alors ses veilles de prière sur la pierre. Celle-ci fut conservée, de même que l’icône. Il s’agit d’une très grande icône et elle ne fut vraisemblablement pas transportée chaque fois près de la pierre. Mais dans sa cellule, Batiouchka priait toujours devant elle.»
Au début des années 1860, longtemps avant l’apparition du Monastère de Leouchino, le marchand Gabriel Medvedev de Gatchina offrit cette icône à l’église du Saint Précurseur, à Gatchina. Lorsqu’en 1889, la construction de l’église principale du Monastère fut achevée, l’icône y fut transférée. Et les moniales de l’atelier d’iconographie du monastère la copièrent. Une de ces copies fut destinée au Père Jean de Kronstadt, et Batiouchka la sanctifia. Nous avons placé une copie fidèle de l’icône de Leouchino de la Très Sainte Mère de Dieu «Je suis toujours avec vous et personne à jamais ne peut rien contre vous» dans la cellule de Matouchka Taïssia et dans notre église, vous avez pu voir une série de copies, très belles, de style byzantin, exécutées en des hauts lieux, et qui reproduisent avec précision l’icône de Leouchino. Un iconographe de Kiev en peignit une directement à partir de l’originale, au Monastère Saint Georges, dans l’Éparchie de Tchernigov. Cette icône ressemblait tellement à l’originale que l’on s’en émerveilla même au monastère, disant: «S’il vous plaît, n’échangez pas les icônes!». On consacra cette icône en la plaçant sur les reliques de Saint Jean de Kronstadt. Aujourd’hui, au-dessus de ces reliques, on a placé une autre copie, mais plus petite.
Nous savons avec certitude que Saint Jean de Kronstadt avait une de ces icônes et priait devant elle. Elle fut peinte spécialement pour lui, et offerte par l’Higoumène Taïssia et les sœurs. Le 27 mai 1905, le Père Jean eut une vision de la Très Sainte Mère de Dieu ressemblant exactement au modèle de cette icône. Il décrivit cette vision. Par la suite, le Père Jean remit l’icône à un marchand de Saint-Pétersbourg, nommé Vassili Mouraviov, annonçant qu’il viendrait un temps où il prierait devant elle pour toute la Russie. Vassili Mouraviov devint hiéromoine du grand schème à l’époque soviétique. Il conserva l’icône, dans un premier temps, à la Laure Saint Alexandre Nevsky, et ensuite, à Vyritsa. Et en 1937, il entama ses mille jours de prière. Et nous croyons que son intercession sauva la Russie, de même que Saint-Pétersbourg pendant le blocus. Saint Seraphim de Vyritsa craignait lui-même une seule chose: s’il venait à être arrêté, l’icône pourrait se retrouver entre les mains des athées. Il la transmit donc à sa fille spirituelle, la moniale Varsanuphia, lui ordonnant d’en prendre soin comme de la prunelle de ses yeux et de lire l’acathiste devant elle chaque jour. Et elle la conserva chez elle, dans la pièce commune, pendant tout le blocus, et l’icône était bien connue parmi les fidèles, qui venaient prier devant elle. Mais Matouchka Varsanuphia était perplexe quant à ce qu’elle devait faire de cet objet de culte. Le Père Seraphim lui dit: «Ne t’inquiète pas. Un Chérubin viendra, et tu lui donneras cette icône». Sa perplexité augmenta: comment un Chérubin, un Ange des hiérarchies supérieures, viendrait-il à elle, simple moniale, pour prendre livraison de l’icône? En 1962, un moine âgé d’une trentaine d’années, venu d’Ukraine, entendit parler de l’icône et décida de venir prier devant elle. Lorsqu’il la vit, il en eut le souffle coupé; jamais il n’avait vu une telle icône! Sur toutes les icônes de la Mère de Dieu, Elle tient serré contre Elle l’Enfant-Dieu, mais cette fois, c’est le Christ-Enfant qui fait le geste de nous étreindre!
– Matouchka, vous êtes déjà âgée. Que va-t-il advenir de cette icône? S’il vous plaît, donnez-la-moi, j’en prendrai soin! Et quand les monastères ouvriront à nouveau, j’irai la remettre dans celui qui sera le plus proche.
– Non, je ne peux pas faire cela! Il s’agit d’une icône célèbre; elle provient du Monastère de Leouchino! Devant elle, l’Higoumène Taïssia, le Père Jean de Kronstadt, et le Père Seraphim de Vyritsa ont prié. Excusez-moi, mais vous-même, qui êtes-vous ?
– Pardonnez-moi, je suis le moine pécheur Chérubin…
Elle fut stupéfiée. De sa vie, jamais elle n’avait rencontré quelqu’un portant pareil nom! Il avait reçu la tonsure des mains des startsy de Glinsk, et il était un fils spirituel de Saint Laurent de Tchernigov. Il était le premier moine de l’époque à recevoir la tonsure et le nom de Chérubin. Des Séraphims, il y en eut beaucoup, mais il fut l’unique Chérubin. Chez les Grecs, ce nom est répandu, mais chez nous, on ne nomme pas les gens ainsi, même lors des tonsures. Matouchka Varsanuphia comprit alors que Batiouchka Seraphim lui avait prédit la venue de ce jeune moine, et ce n’était pas un hasard si celui-ci avait osé lui demander qu’elle lui cède l’icône. Elle remit donc celle-ci au Père Chérubin, avec tristesse, car il lui était pénible de se séparer de ce trésor sacré, mais aussi avec joie, car elle savait qu’elle exécutait la volonté de Dieu et la prédiction du Starets. Il emmena l’icône en Ukraine et la conserva pendant trente cinq ans. Quand arrivèrent les années ’90, il remplit sa promesse. Il expliqua lui-même: il arriva par hasard au Monastère Saint Georges près de Tchernigov, peu de temps avant qu’il ne renaisse, et il vit, aux murs, uniquement des reproductions d’icônes découpées dans des magazines. Aucune n’avait été peinte! C’est alors qu’il se souvint: j’ai promis de transmettre l’icône à un monastère! Et il expliqua qu’il fit alors don à ces moines d’une icône telle qu’ils n’en avaient jamais vue. Ils l’emmenaient en tête de la procession lors de la Fête des Louanges de la Très Sainte Mère de Dieu [Le Samedi de l’Acathiste. N.d.T.]. C’était la première icône du monastère. Quelle rencontre! On priait devant elle, l’information circula dans les environs, les gens arrivèrent, il y eut des guérisons miraculeuses, qui devinrent renommées elles aussi ; le Monastère ayant édité deux gros recueils rapportant les miracles opérés à travers l’icône. On l’emmena en procession à travers toute la Petite Russie. Elle fut introduite officiellement dans la liste des icônes vénérées de l’Église Orthodoxe d’Ukraine du Patriarcat de Moscou, sa fête était fixée au jour des Louanges de la Très Sainte Mère de Dieu. Ce qui est étonnant, c’est qu’en Ukraine, personne ne savait que cette icône était désignée sous le nom de «Louange à la Très Sainte Mère de Dieu», et que ce fut en son honneur que fut érigée l’église des Louanges au Monastère de Leouchino. Ils l’apprirent par la suite, par notre intermédiaire. Quant à nous, nous prîmes connaissance des nouveaux miracles liés à l’icône. Cette «coïncidence» prouve que tout se déroula selon la Volonté de Dieu, et que la glorification de cette icône n’était pas de nature humaine… Elle est aujourd’hui une des plus célèbres icônes en Ukraine et sa popularité croît en Russie également. Et elle est le principal trésor sacré du Monastère de Leouchino et de son Podvorié. Chaque jour, nous prions l’Acathiste devant une copie de cette icône miraculeuse. Et au rez-de-chaussée de notre église, il existe une chapelle dédiée à cette même icône. (A suivre)
Traduit du russe
P.S. Le Site officiel du diocèse de Chersonèse Patriarcat de Moscou a publié dans ses pages “Parlons d’Orthodoxie” un texte au sujet de l’icône de Leouchino «Je suis toujours avec vous et personne à jamais ne peut rien contre vous»
- Les photos de l’épopée de la restauration de l’église du podvorié se trouvent ici
- Le blog des Chroniques de Pereyaslavl a publié ici un texte sur l’assassinat du Saint Père Philosoph