Ce titre quelque peu léger masque une réalité riche et dense, celle de la vénération de Saint Spyridon, véritable tradition spirituelle, au sein de la lignée impériale des Romanov. Le texte ci-dessous est la traduction d’une conférence donnée au Monastère des Danilov à Moscou, le 13 mars 2007, par Madame Olga Nikolaevna Koulikovskaïa-Romanova, Présidente du fonds de bienfaisance de Son Altesse Impériale la Grande Princesse Olga Alexandrovna, à l’occasion de la venue en Russie de la dextre de Saint Spyridon.
La vénération de Saint Spyridon le Thaumaturge de Trimythonte existe depuis des temps très anciens au sein du peuple des simples fidèles, particulièrement dans la paysannerie. L’Évêque cypriote était lui-même berger, occupation à laquelle il ne renonça jamais après son ordination épiscopale. Saint Spyridon est le céleste protecteur des gardiens de cheptel et des paysans. En Russie, la vénération du Thaumaturge cypriote se répandit jusqu’à la cime du pouvoir tsariste. En effet, lors de la campagne de Kazan, Saint Spyridon de Trimythonte apparut au Tsar Ivan le Terrible et affermit spirituellement le Souverain dans sa décision de vaincre les adversaires et libérer le Kazan des usurpateurs liés à Nogaï. Après la victoire, le Tsar fit, conformément à sa promesse, ériger un monastère portant le nom de Saint Spyridon.
Ce monastère n’a pas subsisté jusqu’à nos jours ; à l’endroit où il s’élevait, on a érigé une haute Croix devant laquelle on se prosterne encore. Fiodor Nikititch Romanov, le grand souverain, père du premier empereur de la lignée des Romanov (Mikhaïl Fiodorovitch), et devenu ensuite Patriarche de Moscou et de toute la Rus’, érigea une église Saint Spyridon sur ses terres moscovites, au Marais des Chèvres, là où paissait le troupeau du Patriarcat. La plus ancienne trace écrite conservée au sujet de cette église remonte à 1627. Elle fut à l’origine construite en bois. Entre 1633 et 1637, elle fut remplacée par une église en pierre. Avec le temps, l’église finit par donner son nom à la rue (Spyridonovka) et à la ruelle avec laquelle celle-ci forme angle (Spyridonievski). Ces noms ont persisté jusqu’à nos jours, mais l’église fut rasée par les athées. Nous aurons l’occasion d’aborder à nouveau l’histoire de cet édifice dans quelques instants. Certains chercheurs sont d’avis que la vénération généralisée de Saint Spyridon le Thaumaturge, connue pendant la première moitié du XVIIIe, siècle eut tendance, dans l’Empire de Russie, à s’essouffler à la moitié de ce dernier. Mais le 12 décembre 1777, jour où l’on célèbre la mémoire de Saint Spyridon de Trimythonte, dans la famille de l’héritier du Trône, le Grand Prince Paul Petrovitch, naquit l’aîné des enfants, Alexandre Pavlovitch, petit-fils bien-aimé de l’Impératrice Catherine la Grande, qui se chargea de son éducation.
Il était d’usage dans la Famille Impériale de vénérer en qualité de céleste protecteur non seulement le saint dont l’enfant impérial portait le nom, mais également celui dont la mémoire est célébrée le jour de la naissance dudit enfant. C’est par exemple ainsi qu’au cours du règne de Pierre le Grand, et par la suite, Saint Isaac de Dalmatie jouit d’une profonde vénération, dans la mesure où sa mémoire était célébrée le jour où naquit le Tsarevitch Pierre Alexandrovitch. C’est également pourquoi, à Saint-Pétersbourg, existe, outre la Cathédrale des Saints Pierre et Paul, la Cathédrale Saint Isaac de Dalmatie qui devint le siège de l’éparchie métropolitaine. Et ainsi, à partir de la naissance du Grand Prince Alexandre Pavlovitch, la fête de Saint Spyridon devint un ‘jour impérial’. Les guerres opposant la Russie à la Turquie Ottomane concoururent d’une certaine manière à la vénération de Saint Spyridon. L’assaut de la forteresse turque d’Ismaïl, sur le Danube, fut achevé le soir du 11 décembre 1790, c’est-à-dire, selon l’organisation du temps propre à l’Église, qui fait commencer la journée lors du début des vêpres, le 12 décembre. C’est précisément pourquoi la mosquée du XVIe siècle d’Ismaïl fut transformée ce soir-là en une église orthodoxe pour l’armée en campagne. Et l’église fut consacrée à Saint Spyridon le Thaumaturge. Le 13 décembre 1790, le vainqueur d’Ismaïl, Alexandre Vassilievitch Souvorov, écrivit dans son courrier rapportant les événements au premier dignitaire de l’Impératrice, le Prince Potemkine : «Pardonnez-moi de ne pas tenir personnellement la plume, mes yeux souffrent des fumées… Nous célébrerons aujourd’hui à notre nouveau Spyridon un moleben d’action de grâce qui sera chanté par le prêtre de Polotsk qui portait la Croix, marchant en tête de notre glorieux régiment». Ce moleben d’action de grâce fut en effet célébré par le prêtre du régiment d’infanterie de Polotsk, Trophime Iegorovitch Koutsinski. Son régiment se retrouva sous un feu d’enfer. Le commandant fut tué, les officiers, blessés. Alors le Père Trophime éleva sa croix et se lança en avant, attirant les soldats à lui. Il fut récompensé de cet exploit par une croix pectorale ornée de brillants et du ruban de Saint Georges, et il fut élevé au rang d’archimandrite. Après le décès du Généralissime Souvorov, l’église Saint Spyridon d’Ismaïl fut consacrée à nouveau, cette fois en l’honneur de l’Élévation de la Sainte et Vénérable Croix du Seigneur, Donatrice de Vie. L’Empereur-martyr, Paul, qui vénérait profondément Saint Spyridon en tant que protecteur de son fils aîné et défenseur des Orthodoxes dans les Balkans, décida de débarrasser l’île de Kerkyra, dans la Mer Ionienne, de ses envahisseurs. Les reliques de Saint Spyridon y étaient vénérées depuis le XVe siècle. L’île de Kerkyra, appelée Corfou par les Européens de l’Ouest, fut prise par l’armée révolutionnaire française en 1797.Le 18 février 1799, le Saint Amiral Fiodor Ouchakov mena la flotte à l’assaut de l’île, qui fut prise. Cette fois, les Turcs furent ses alliés. Le Généralissime Alexandre Souvorov dit alors dans une expression toute de sincérité qu’il aurait
aimé participer à cet assaut, même en tant qu’aspirant officier.
Après son accession au trône, dans un premier temps, l’Empereur Alexandre Pavlovitch développait une approche relativement globale de la religion. Toutefois, au fil de la lutte persévérante qu’il mena contre Napoléon et son armée révolutionnaire, il s’imprégna de plus en plus de l’esprit de l’Orthodoxie et finit par se défaire complètement des emballements mystiques de sa jeunesse. Les biographes du Souverain situent cette rupture en 1806. Il est significatif que ce soit précisément en 1806 que l’Empereur Alexandre Ier Pavlovitch créa à la résidence impériale de Strelna un bataillon de la milice impériale constitué d’habitants des villages environnants. L’empereur fixa le jour de fête du bataillon au jour de la célébration de la mémoire de Saint Spyridon. Ce bataillon fut rapidement intégré au corps des forces de la Garde et devint le Régiment Finlandais de la Garde. Le régiment connut son baptême du feu en 1807, à Friedland et toujours il lutta de tout son cœur pour la Patrie, multipliant les glorieux actes de bravoure. La bannière du valeureux régiment flotta sur les champs de bataille de Borodino, de Maloyaroslavets, de Leipzig, et même à Paris. En 1813, la guerre terminée, le Régiment Finlandais fut stationné sur la Grande Perspective de l’Île Vassilievski. Dans le bâtiment furent installées pour le régiment une infirmerie ainsi qu’une église dédiée à Saint Spyridon.
Quelques temps auparavant, en mars 1808, une église Saint Spyridon fut construite à l’Administration Centrale des Apanages Impériaux. Initialement, cette Administration se trouvait à la rue Milliona ; en 1857, elle fut transférée, en ce compris l’église Saint Spyridon, sur la Perspective Liteïny.
La construction de l’église de la Dormition de la Très Sainte Mère de Dieu, à Moscou, date approximativement de la même époque. Cette construction commença en 1799, rue Pretchistenka, sur base des plans de l’architecte Legrand, et fut achevée en 1806. Une des chapelles latérales de l’église fut consacrée à Saint Spyridon de Trimythonte. Il n’existe aucun élément qui témoignerait directement d’un lien entre cette chapelle et l’Empereur Alexandre Pavlovitch, mais il n’en demeure pas moins que l’année au cours de laquelle Kerkyra fut libérée des révolutionnaires français, 1799, fut celle du début de la construction, et l’année de rupture religieuse intérieure de l’Empereur, 1806, fut celle de l’achèvement de la construction de l’édifice. Cette double coïncidence permet de s’interroger à propos de l’existence d’un lien subtil entre cette chapelle Saint Spyridon et la Famille Impériale. (A suivre)
Traduit du russe