Deuxième partie du texte rapportant une rencontre organisée à Moscou le 1er juin 2016 avec Geronda Anastasios, disciple de Saint Païssios l’Athonite. Geronda Anastasios (Topozious) est un moine du Saint Monastère de Koutloumousiou, iconographe, peintre, écrivain ; il côtoya Saint Païssios pendant 20 ans. Le texte original russe a été mis en ligne le 7 juin 2016 sur le site Pravmir.ru. La première partie du texte se trouve ici.

Questions de la Salle
L’Orthodoxie grecque compte de lumineux héros de l’ascèse, prédicateurs de l’Orthodoxie. En Russie et dans d’autres pays, on en connaît de nombreux exemples. Ne pensez-vous pas qu’il y a beaucoup de travail pour les moines athonites en dehors de la Sainte Montagne, et qu’il faudrait alterner, pour le salut des gens du monde, les périodes régulières de réclusion sur la Sainte Montagne avec des périodes de prédication parmi le peuple ?
Il n’existe pas d’Orthodoxie grecque. Il existe des Pères grecs, des Pères russes, mais l’Orthodoxie est une. L’Orthodoxie est la connaissance juste de ce que croit notre Église. Saint Païssios disait : «Quand nous faisons ce que nous dit l’Église, jamais nous ne commettons d’erreur. Mais lorsque nous commençons à dire : ‘Je crois que ceci est juste et que cela est faux’, c’est alors que commence l’hérésie». Ils étaient orthodoxes, les pères vénérés de Russie, de Géorgie, de Grèce, de Serbie ; tous obéirent à l’Église. Vous savez tous fort bien ce que vous avez à faire, en fonction des conseils que vous prodigue l’Église, et en fonction de l’exemple de vos pères spirituels. Dès lors, de nombreuses prédications et une catéchèse intense ne sont pas nécessaires, même si elles sont parfois fort utiles pour nous rapprocher et nous procurer la joie et la beauté des rencontres. Approfondissant les notions de beauté physique et de beauté spirituelle, Geronda Païssios disait que la beauté physique tombe et finit au tombeau alors que la beauté spirituelle monte et parvient au ciel et devient ce qui embellit le monde. Et c’est Dostoïevski qui a dit que c’est la beauté qui sauvera le monde.

Geronda Anastasios, que devons-nous faire pour vivre dans la foi, ne pas croire avec le mental mais avec le cœur?
Trouvez un père spirituel !
Les femmes peuvent-elles combiner famille et travail? Si c’est possible, comment le faire pour la gloire de Dieu?

Souvenez-vous des paroles : «Quand je regarde la Panagia, je pense à ma mère». En Grèce, on dit que la mère doit élever les enfants, qu’elle ne doit pas travailler, et que l’homme, lui, doit travailler. Voici cinquante ans, on me disait qu’il revenait aux grands-mères d’éduquer les enfants. Au village que dessert Geronda Cyprien, et où servit également Geronda Païssios, les enfants sont élevés par les grands-mères. La mère est institutrice, le père tient une épicerie, et la grand-mère élève les petits. Quant à la mère qui ne travaille pas, élève-t-elle les enfants? Elle s’assied avec son petit, discute avec la voisine, elle fume et boit du café. Quand le mari rentre du travail, il demande : «Natalia, que mange-t-on aujourd’hui? Que boit-on?» Et elle, de répondre : «Aujourd’hui, j’ai chargé la machine à laver, je suis très fatiguée». La paresse est la mère de tous les maux.

Lorsqu’il se trouvait dans l’église de Karyès, Vladimir Poutine fut placé dans la stacida impériale, là où les empereurs recevaient la bénédiction. Cela revêt-il une signification particulière?

Quand je suis entré ici, vous m’avez conduit à la place d’honneur… Cette année, nous fêtons mille ans de présence monastique russe sur l’Athos. Depuis mille ans des moines du monde entier se trouvent sur l’Athos. De magnifiques célébrations ont été organisées au Monastère russe de Saint Panteleimon. Il s’agit sans doute d’une incitation à ce que plus de gens encore visitent la Sainte Montagne et apprennent à connaître et comprendre l’Orthodoxie.
Comme il est difficile au Seigneur de faire des pierres Ses enfants, de transformer des cœurs de pierre en cœurs brûlants, des cœurs beaux, qui brûlent, aiment, souffrent. Saint Jean le Précurseur baptisait au Jourdain. Des pharisiens venaient à lui et demandaient : «Que fais-tu ici?». «Venez et faites-vous baptiser!». Et ils lui répondaient : «Tu sais qui est notre Père? Notre Père, c’est Abraham». Et Jean leur disait : «Les pierres sont les enfants d’Abraham, vous êtes des engeances de vipères. Comment les choses pourraient-elles changer dans vos vies?».

Certains enfants musulmans se font baptiser, alors que les parents restent musulmans. Dans quelle mesure est-ce plus difficile pour eux d’être de vrais chrétiens que pour nous ?

Tout cela n’est pas vraiment mon domaine… Le Seigneur intervient en toutes choses. C’est la Grâce divine qui fait tout selon la volonté de Dieu. L’Esprit Saint souffle là où Il veut. La femme pécheresse, originaire d’on ne sait où, différente des autres en tous cas, demande au Seigneur : «Toi, un Juif, Tu m’adresses la parole?». Et Il lui répond : «Femme, des temps arrivent au cours desquels ce n’est ni avec les Juifs, ni avec les Samaritains que sera le Seigneur». Le Seigneur sait quand le champ est prêt pour la moisson : «Je vous envoie récolter là où vous n’avez ni cultivé, ni semé». Ils reçurent une situation toute prête. Maintenant, on s’imagine dans la peau des disciples. D’autres se sont donné de la peine. Geronda Païssios s’est fatigué. Certains n’ont pu atteindre le temps de leur vieillesse. Il suffit que nous prenions une toute petite graine. Peut-être est-elle particulière et assurera-t-elle la survie. Nous devons perpétuer la vie en semant cette graine, afin qu’elle donne du fruit. La vie naît de rien, de la tombe. Par Sa mort, Il a vaincu la mort, et les êtres en sont les fruits, les créatures vivent.

Le typikon athonite autorise-t-il l’usage de l’internet aux moines? Comment considérez-vous l’internet?

Je ne m’en sers pas de façon professionnelle. Je sais juste que quand la voiture tombe en panne, le chauffeur descend, ouvre le capot et regarde en dessous. Voilà mon niveau en ce domaine. Sans doute le Monastère de Koutloumousiou compte-t-il des moines capables d’utiliser l’internet sur leur téléphone. Ils ont peut-être suffisamment de force pour faire face à la tentation et y résister. L’internet comporte beaucoup de tentations.
Ce que je sais, c’est que chaque jour, sur l’Athos, à deux heures du matin, partout, dans les plus grands monastères jusqu’aux plus petites kelias, trois mille moines se lèvent et commencent à prier pour la paix sur la terre, pour le salut de tous les hommes. Malgré que nous aimerions continuer à dormir, nous luttons contre le sommeil. Je ne parle pas seulement du sommeil naturel, mais de la vigilance, de l’éveil spirituel.
De nos jours, beaucoup de gens ont des problèmes de sommeil. Ils recourent aux médicaments, et ne parviennent pas à s’endormir. Pourquoi ne recourent-ils pas à la prière, fut-ce brièvement? Saint Païssios disait que le meilleur médicament pour le sommeil, c’est la prière «Réjouis-Toi, Vierge, Mère de Dieu»; il s’agit du meilleur médicament fourni par la bénédiction de notre Panagia.

Que pensez-vous de l’expression : ‘Nous les prêtres, nous devons être là où est notre troupeau’?
Les prêtres doivent toujours être avec leur troupeau, car autour rôdent de nombreux loups. Il ne peut s’absenter que dans un seul cas : lorsqu’il a perdu une brebis. Alors, il laisse les 99 autres et cherche celle qui s’est perdue.
Geronda Païssios parlait-il de son père spirituel, Papa Tikhon?

Papa Tikhon

Il subsiste une très belle lettre. Geronda Païssios vivait à Kairos, un district de l’Athos, lorsqu’il reçut cette lettre de la part de Geronda Tikhon. Elle est joliment rédigée en grec, parsemée de toutes sortes de fautes. Il y écrivit notamment : «Païssios, mon fils, je te demande de venir vivre auprès de moi, afin que nous montions ensemble vers le ciel». Le Père Tikhon était un homme étrange. La sainteté est une étrangeté, et le regard de l’homme n’est pas habitué à la distinguer. Il célébrait les offices des heures durant. Chez lui, la divine liturgie durait entre cinq et six heures. Il commémorait un nombre phénoménal de noms et ne savait plus si les gens étaient encore en vie ou s’ils étaient décédés, mais il commémorait en permanence des milliers de noms. Et il célébrait chaque jour. En cela résidait son étrangeté. Et le novice Geronda Païssios alla vivre avec lui. Un jour, alors que Papa Tikhon célébrait, Geronda Païssios chantait et lisait les prières. Pendant l’hymne des Chérubins, le Père Tikhon sortit avec l’encens. Soudain, il s’arrêta et demanda : «Paris, c’est de quel côté?». Il lui montra : «C’est de ce côté». Voilà comment sont les saints, les saints du monde entier, qui célèbrent ici avec l’encens et qui en même temps se trouvent à Paris! On reconnaît l’arbre commun à son fruit, et le fruit à l’arbre, mais l’arbre exceptionnel, tel Papa Tikhon donna un très bon fruit : Saint Païssios.
Comment lutter contre l’ennui, comment ne pas laisser entrer les pensées de l’ennemi?
Il faut aller chaque matin auprès de son père spirituel qui donnera une médication ; chaque jour un cachet. Le nom des cachets c’est : «N’y accorder aucune attention». Il ne s’agit pas d’indifférence, mais simplement de ne pas accorder d’attention. Dès lors l’ennui partira car l’Esprit Saint sera là. Et si vous vous rendez compte qu’il vous reste encore un des cachets, prenez-en un petit demi. Pas les cachets de la pharmacie, mais bien ceux de votre père spirituel.
Geronda Païssios vous manque-t-il ou êtes–vous devenu plus proche de lui après son décès?
Il est dans notre cœur. Il nous a élevé, il nous soutient, il nous garde. Quand quelqu’un vous manque, parfois, ce manque est aussi une joie. Comme le Seigneur l’a dit à Ses disciples : «Si Je ne m’en vais pas d’ici, vous n’aurez pas l’Esprit Saint. Avec l’Esprit Saint, vous aurez la joie». Quand nos instructeurs, nos confesseurs, nos saints se sont éloignés, nous pouvons sentir que nous sommes devenus plus forts, que nos racines ont grandi. Vivre en permanence à côté d’un saint cela signifie qu’il est impossible d’avoir quelque mauvaise pensée que ce soit, car alors, il arrive immédiatement et nous tire l’oreille.

Les Orthodoxes, les gens qui ont une vision orthodoxe de la vie et du monde, sont à mon sens, si on observe l’histoire, les gens les plus créatifs. Cela se reflète dans l’art. Pensez-vous que ce soit lié directement aux images, car les musulmans et les juifs n’ont pas d’icônes ? Il doit y avoir une sorte d’influence directe.
– Modérateur : Les Conciles Œcuméniques ont précisé ce point. Toutes les décisions en la matière ont déjà été adoptées, en 787.
– Geronda Anastasios : Je suis né à Constantinople, sur une petite île au milieu de la mer, nommée Bourgaz. J’y suis demeuré avec ma grand-mère. Elle se disait libre. Mais nous étions pécheurs. Constantin, le dernier Empereur a dit : «Seigneur, pourquoi as-Tu permis que tout ceci se produisît? A cause de mes péchés ou à cause de ceux de mon peuple?» Vous voyez, chaque fois montent des pensées d’espoir, tant chez les Grecs que chez les Russes, qui font monter les larmes aux yeux de la Panagia… «Adieu, Panagia, Notre Dame, ne pleure pas». Tôt ou tard, dans des années peut-être, elle sera à nous, pour toujours. Mais cette liberté, cette vie, elle continuera toujours, simplement, les gens vivront sur une autre terre. Je souffre à cause de cela, le changement de lieu, le lieu d’où je proviens. Ce lieu où on m’a coupé le cordon ombilical, ce lieu dont on m’a éloigné. Un jour, j’ai demandé à un Turc : «Vous aviez un pont qui enjambait le Bosphore. Vous avez construit un deuxième pont. Et puis vous en avez fait un troisième. Pourquoi?». En réalité, nos prophéties disent que le jour viendra où ceux qui ont fuit, qui jadis durent quitter leurs terres ne parviendront pas à y revenir ; le jour viendra, où ils seront tellement nombreux à se présenter que les ponts ne seront pas suffisants pour leur permettre de passer. Voilà ce que dit une de nos prophéties. Et Geronda Païssios a annoncé que nous reviendrons à Constantinople. Avec notre esprit, avec notre âme. C’est le bon moment, pour ceux qui peuvent se le permettre, d’acheter quelque chose à Constantinople. Maintenant, avec le terrorisme, les tremblements de terre, tout est bon marché là-bas. Pour l’instant, on vend une maison à Halki. Elle est vendue aux enchères, par une banque. Cent mille euros pour deux mille mètres carrés.

Traduit du russe

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