Texte d’Athanasios Zoitakis publié en quatre parties sur le site russe Agionoros.ru. L’auteur est rédacteur en chef du Portail informatique Agionoros.ru, responsable des Éditions «Sviataïa Gora» (Святая Гора) et professeur d’histoire à l’Université d’État de Moscou. La vénération populaire des Saints Cosme et Païssios se répandit au sein du peuple immédiatement après leur décès. Le texte original russe est pourvu d’un important appareil de notes, omis ici ou en partie intégré au texte, en faveur de la lisibilité de celui-ci.
Relation à la Tradition et au Modernisme
En conséquence de leur expérience et de leur savoir, les propos des deux ascètes conservent une dimension humaine. Parfois, ils recourent à des expressions comme «Mes pensées me disent que…» et «Voici ce que j’en pense…». Leurs enseignements se distinguent par leur simplicité et leur accessibilité. Il est intéressant de noter que leurs biographes respectifs qualifient les enseignements de Saint Cosme et de Saints Païssios au moyen d’une même comparaison, celle de «sermons de pêcheur», faisant ainsi référence aux Saints Apôtres. La théologie de ces saints est fondée sur l’Évangile. Dans leurs propos, nous découvrons souvent des passages directement tirés de l’Ancien ou du Nouveau Testament. Païssios l’Athonite et Cosme d’Étolie analysèrent la Sainte Écriture, l’expliquèrent et s’efforcèrent de la transmettre à chacun de leurs auditeurs. La théologie de ces deux ascètes fut populaire ; ils parvenaient à transmettre avec facilité des concepts théologiques complexes, à l’aide de quelques propositions et exemples, soulignant en outre qu’on ne pouvait connaître Dieu au moyen de la raison, mais seulement par l’expérience de la vie spirituelle et avant tout, la participation aux Saints Mystères.
Quand dans ses prêches il voulait expliquer à ses auditeurs les dogmes complexes tels ceux de la Sainte Trinité et des Énergies Divines, Saint Cosme faisait abondamment appel à des exemples tirés des œuvres de Saint Grégoire Palamas, Théophane, l’évêque de Nicée, Saint Jean Chrysostome et d’autres Pères de l’Église. Régulièrement, Saint Païssios l’Athonite faisait référence à un de ses auteurs de prédilection, Saint Isaac le Syrien, mais aussi à d’autres Pères de l’Église,… et à Saint Cosme d’Étolie. Tous deux furent des théologiens doués. Ils interprétèrent les Écritures et la Tradition avec beaucoup de créativité, en transmettant le sens au moyen de propositions souvent originales. Dans leurs enseignements, on découvre des thèmes qui jusqu’alors n’avaient jamais été examinés avec une telle profondeur, et sous un tel angle. C’est ainsi que dans l’enseignement de Saint Cosme, nous trouvons une doctrine sublime de la Sainte Trinité, une éminente interprétation de l’économie du salut de l’homme accompli par le Fils de Dieu, une spéculation à propos des hiérarchies angéliques remontant jusqu’au corpus aréopagitique, ainsi que de nombreux exemples tirés de la vie des saints. Et l’enseignement de Saint Païssios l’Athonite était tout aussi riche de sens. Ses instructions étaient claires, poétiques et aphoristiques. Tout comme Saint Cosme, il tirait ses exemples de la nature, de la vie, il parlait en paraboles et narrait maintes histoires tirées de sa riche expérience de vie.
Tous deux adaptaient leurs prêches à l’époque, au lieu et aux auditeurs devant lesquels ils se trouvaient. Dans certaines régions, Saint Cosme encourageait ses auditeurs à ne pas parler l’albanais, dans d’autres, il les invitait à offrir un baptistère à l’église et ailleurs encore, à greffer les arbres fruitiers. Il développait son propos de façon telle à ce qu’il fut utile à chacun de ses auditeurs. Et on peut dire de même au sujet de Geronda Païssios ; ses enseignements variaient parfois notablement, en fonction de l’auditoire : des compagnons d’ascèse à la Sainte Montagne, des moniales, des laïcs. Il était capable de guider spirituellement les moines, même des monastères tout entiers, de résoudre les problèmes des laïcs, mariés ou célibataires, et de s’entretenir avec des savants auprès desquels son savoir et sa souplesse d’esprit faisaient grande impression. Il parvenait à s’abaisser ou s’élever au niveau d’éducation de son interlocuteur, à la situation spirituelle dans laquelle se trouvait ce dernier, tenait compte du caractère, de la profession, de la provenance, des intérêts et autres spécificités de celui-ci. Geronda ne lisait pas ses textes, il ne voulait pas se faire passer pour un maître. De même, Saint Cosme parlait aux gens du peuple comme à des égaux et non en tant que maître s’adressant à des élèves.
Tant Saint Païssios que Saint Cosme pouvaient parler des heures d’affilée, avec facilité, sans rien avoir préparé, fascinant littéralement leurs auditeurs au moyen de chacun de leurs propos. Et tous deux communiquaient avec leurs auditeurs non seulement à travers leurs prêches, mais, dans la mesure du possible, avec chacun d’entre eux personnellement. Nombreux furent les contemporains de Saint Cosme d’Étolie qui furent émerveillés par la puissance de ses paroles. L’informateur des Autorités de Venise que les sources désignent par le nom ‘Zonza’ rapporte l’influence exercée sur le peuple par les prêches de Saint Cosme : «Ils accouraient à lui, lui embrassaient les mains et les pieds et le vénéraient comme un véritable sauveur, et les brigands, les hors-la-loi, se réconciliaient avec leurs ennemis et adoptaient un mode de vie paisible». Non moins impressionnante était l’action des paroles de Saint Païssios :«J’eus l’impression qu’en deux ou trois mots, Geronda parvenait à une compréhension mutuelle avec des gens tels que moi, et éveillait ainsi en nous un intérêt nouveau pour la vie», raconta un ancien toxicomane.
Au cœur des instructions de Saint Païssios et de Saint Cosme se trouvait l’enseignement traditionnel orthodoxe relatif à la prière et aux exercices d’ascèse en tant qu’éléments indispensables à la vie spirituelle du Chrétien. Ils partaient du point de vue selon lequel : «l’ascétisme est l’obligation commune des Chrétiens ; il est mis en œuvre selon différentes modalités, dans la vie monastique et dans la vie laïque», comme le dit Saint Grégoire Palamas. «Vivant aux côtés de Geronda, je compris que l’ascèse est le chemin qui mène à Dieu. Il me convainquit de ce qu’elle n’était pas réservée aux seuls moines, mais destinée à tous les Chrétiens. L’homme d’ascèse est homme de Dieu», raconte un pèlerin qui fréquenta longuement. Tout comme Saint Cosme d’Étolie, que ses contemporains appelaient «Cosme l’ascète», Geronda Païssios avait adopté une attitude sans compromis vis-à-vis de toute révision de la Tradition orthodoxe. Il n’admettait ni ne supportait aucune tendance moderniste telle que l’abolition de l’obligation de porter le rason, la traduction des textes liturgiques en grec moderne, le raccourcissement du carême, etc… La Tradition orthodoxe, et en particulier la Tradition Athonite, constituait le thème préféré de Saint Païssios. Les contacts établis par Saint Cosme d’Étolie et Saint Païssios l’Athonite avec les gens de toutes les couches et catégories sociales, de toutes nationalités, reposaient sur un unique fondement : la Tradition orthodoxe et la Sainte Écriture. Jamais ils ne proposèrent à leurs auditeurs une version «allégée», «adaptée aux réalités contemporaines» de l’Orthodoxie. Les deux Saints partaient du point de vue selon lequel il est impossible d’être authentiquement orthodoxe et servir en même temps le péché, et ils appelaient les laïcs à une vie véritablement ascétique. Geronda Païssios disaient des théologiens modernistes : «Ils s’efforcent de trouver dans les textes patristiques une justification à leur vie de péchés. Ils interprètent faussement les Saintes Écritures afin de justifier leurs erreurs» http://www.pigizois.net/afieromata/paisios/paidagogia.htm. Saint Cosme et Saint Païssios s’attaquèrent à toutes les formes de modernisation et d’altération de la Tradition, même si celles-ci étaient supposées favoriser le succès de démarches missionnaires. Pour eux, il n’existait aucun ‘détail’ dans l’Orthodoxie. Celle-ci devait demeurer inaltérée en sa qualité de tradition pluriséculaire, vivant héritage transmis aux Apôtres et ensuite aux Saints Pères par le Christ Lui-même. En outre, les deux Saints considéraient l’Orthodoxie comme un élément clé et inaliénable de l’identité nationale. Saints Cosme et Païssios considéraient que le péché, cette lourde maladie spirituelle de la société, était la cause des désastres qui s’abattaient sur celle-ci. Ils étaient convaincus de ce qu’une renaissance spirituelle était l’inévitable condition préalable à une renaissance nationale. Le thème de la lutte contre le péché occupait dès lors une position centrale dans leur système théologique. Le repentir ne signifiait pas seulement une régénération personnelle mais aussi le début de la transfiguration de la vie humaine toute entière, et de la vie de la société en général.
Quand on demandait à Saint Païssios quand viendrait l’heure de la libération de Chypre, il répondait «Chypre sera libérée quand les Cypriotes se repentiront. Construisez à Chypre des bases de forces spirituelles. Elles anéantiront les bases des Turcs, des Anglais et des Américains». Geronda Païssios considérait donc que le problème de Chypre est un problème spirituel, et non un problème d’ordre ‘national’ ou politique. Il croyait que la résolution de tous les problèmes réside dans le repentir et la prière. Cette position de Saint Païssios correspond à celle de Saint Cosme qui enseignait que dans sa vie, l’homme ne doit pas compter sur ses seules forces, mais s’en remettre à Dieu, sans l’aide de Qui il est impossible de réaliser quoi que ce soit : «Espérez en Dieu… Il vous protégera… Et sachez que si, par orgueil, vous comptez sur vos propres forces, le Seigneur ne vous protégera pas». Pour Saint Cosme et Saint Païssios, le mode de vie revêtait une importance cruciale dans le cadre de leurs enseignements. «Dans la vie spirituelle, ce sont les saints et non les hommes de ce monde qui doivent être les modèles… Dans le stade, les athlètes ne regardent pas derrière eux pour voir qui se trouve en dernière position. S’ils font cela, eux-mêmes arriveront derniers. Si je m’efforce d’imiter ceux qui ont réussi, ma conscience s’aiguise. Mais si je regarde ceux qui lambinent à l’arrière, je me trouve des justifications, des excuses, mes propres erreurs étant moindres que les leurs. Je me console à la pensée qu’ils sont pis que moi. Ce faisant, j’étouffe ma conscience, ou pour mieux le dire, je rends mon cœur insensible ; je le recouvre d’une couche de crépi»1 .
Traduit du russe.
Sources de la série complète :1,2,3,4