En 2012, Geronda Ephrem, le Cathigoumène du Saint et Grand Monastère de Vatopedi a prononcé un enseignement (sans qu’il soit précisé où et à quelle occasion particulière), portant sur la repentance, selon Saint Grégoire Palamas (Η Μετάνοια κατά τον Άγιον Γρηγόριον τον Παλαμάν). Le texte a été mis en ligne le 30 novembre 2012 dans les pages anglaises du site Pemptousia.gr, lié au monastère de Vatopedi. La version française est proposée en deux parties compte tenu de la longueur de ce texte. En voici la première.
Comme nous le savons, Saint Grégoire Palamas est un des grands luminaires de l’Orthodoxie. A travers l’ampleur de sa théologie, fruit de sa vie en Christ, il parvint à son époque, à faire revivre la théologie Orthodoxe en toute sa profondeur. Sur la Sainte Montagne, on dit que la théologie de Saint Grégoire Palamas couvre toutes les carences du passé et de l’avenir.
Ce saint athonite commença sa vie à la Sainte Montagne au monastère de sa ‘repentance’, le monastère où il reçut la tonsure, le Saint et Grand Monastère de Vatopedi, où les tâches de l’esprit et la vie ascétique lui furent enseignées par Saint Nicodème l’Hésychaste de Vatopedi. Illuminé par les énergies incréées de l’Esprit Saint, Saint Grégoire acquit la sagesse spirituelle et devint un exceptionnel maître des vertus et de la vie selon Dieu. Respectant la pure tradition patristique, il rejeta la vision moralisante de la vie spirituelle que d’aucuns tentaient, à l’époque, d’importer de l’Occident et de projeter dans la sphère de l’Orthodoxie.
La Tradition Patristique toute entière souligne le fait que le repentir ne se limite pas à quelques améliorations comportementales, ni à des formalités et schémas extérieurs ; il concerne plutôt un changement profond et général de l’homme. Il ne s’agit pas du sentiment passager d’être écrasé par la conscience d’avoir commis l’un ou l’autre péché, mais plutôt un état spirituel permanent signifiant que l’homme se tourne fermement vers Dieu et est habité par la volonté de se transformer, de guérir et de s’engager dans le combat spirituel. Le repentir est une perspective nouvelle, une direction spirituelle qui devrait accompagner l’homme jusqu’à la mort. Le repentir est la progression dynamique de l’état non-naturel des passions et du péché vers l’état de nature et de vertu, rejet complet du péché et voie du retour vers Dieu.
Saint Grégoire Palamas souligne cette vérité de façon récurrente. Le repentir, dit-il «consiste à haïr le péché, aimer la vertu, abjurer le mal et faire le bien». Cette définition indique de manière très claire que le Saint Père ne pouvait envisager la repentance comme un changement mécanique ou formel puisqu’il la définit comme un renouveau ontologique de l’homme. C’est précisément pour cette raison que le fait de se repentir ne peut être objectivé dans le cadre d’une recette ou d’une tactique impersonnelles, mais est toujours une révélation personnellement contingente. «Un homme qui se repent de toute son âme atteint Dieu par ses bonnes intentions et son aversion du péché».
Pour Palamas, et tous les Saints Pères d’une manière générale, la nature personnelle du repentir écarte toute nuance de piété que l’Occident a tenté d’attribuer au repentir, et par conséquent à toute la vie spirituelle. Le saint hésychaste soulignait que «La dévotion ne réside pas dans nos paroles mais dans toutes nos actions.»
Mais dans la mesure où la repentance est le début et la fin de la vie en Christ, et puisqu’elle est le but de cette vie, il s’en suit que tout devra être vu à travers elle ; mérite et démérite seront acquis également à travers elle. De même, «la foi est bénéfique si l’homme vit sa vie en toute bonne conscience et se purifie à travers la confession et le repentir». Dans tous les cas, cela est offert sous la forme de promesse et d’accord au moment du Saint Baptême.
L’étape fondamentale qui précède le repentir est la conscience et la reconnaissance des péchés «qui est la grande cause de la propitiation», comme le dit le Saint Archevêque de Thessalonique. Selon Palamas, pour que l’homme se repente, il suffit qu’il en vienne d’abord à la reconnaissance de «ses propres transgressions» et manifeste des remords devant Dieu, à Qui il adresse sa supplication «avec un cœur contrit». Il se jette dans la Mer de Sa miséricorde et croit, comme le fils prodigue, qu’il est indigne de la clémence divine et d’être appelé Son enfant. Et quand, à travers cette conscience et cette reconnaissance de sa condition peccamineuse, il attire vers lui la miséricorde de Dieu, il acquiert un plein quitus au moyen de l’autocensure et de la confession.
Dans sa démarche de définition des différentes étapes du repentir, le sage Père dit ceci : «La reconnaissance de ses propres péchés doit être suivie par une condamnation de soi; il s’agit de la tristesse à propos de nos propres péchés, que Paul qualifie de divine. Il nous dit que cette tristesse est suivie par la confession à Dieu, d’un cœur contrit, par la supplication, et par la promesse d’éviter le mal à l’avenir. C’est cela la repentance». Devenant un état nouveau dans la vie de l’homme, le repentir s’accompagne de plusieurs conséquences appelées dans la langue biblique, la langue des Pères, les «fruits du repentir». Saint Grégoire souligne que le premier de ceux-ci est la confession, car elle ouvre le traitement et la purification de l’âme du croyant, inauguration d’une vie nouvelle, «car la confession des péchés est le début de cette entreprise de repentir et de préparation de l’homme à recevoir en lui les graines du salut : la Parole de Dieu». La confession n’est toutefois pas l’unique fruit de la repentance. Appelant les hommes au repentir, Saint Jean le Précurseur et Baptiste leur enjoignait de pratiquer la charité, la justice, l’humilité, l’amour et la vérité, de même que la confession, car il s’agit là des attributs du pouvoir de transformation de la vérité.
Dans sa vingt-troisième homélie, le saint hiérarque athonite rappela que ceux qui vivaient réellement leur repentir ne retournaient pas à leurs anciens péchés, ne s’attachaient aux choses et gens liés à la corruption, ni ne s’adonnaient à des plaisirs douteux. Ils méprisent le présent, regardent vers l’avenir, luttent contre leurs passions, poursuivent l’acquisition des vertus, sont vigilants dans la prière, ne recherchent pas les profits injustes, sont cléments envers ceux qui leur ont porté préjudice, font montre de compassion envers ceux qui supplient et sont prêts à aider ceux qui appellent à l’aide, en paroles et en actes, jusqu’au sacrifice. Et lorsque Saint Grégoire presse les Chrétiens de se livrer à des œuvres de repentance, il souligne particulièrement la perspective de l’humilité, de la componction, de l’affliction spirituelle. Résumant les caractéristiques des Chrétiens qui vivent le repentir, il dit qu’ils sont sereins et calmes, font montre de compassion et de sympathie envers autrui, aspirent à la justice, recherchent la pureté, sont en paix, endurent les souffrances et les épreuves avec patience, éprouvent joie et satisfaction dans les persécutions, les insultes et les calomnies, les pertes et tout ce qu’ils souffrent pour la justice et la vérité. (Homélie 31). Le chemin de la transformation par le repentir, de la libération de l’esclavage des passions et de l’ascèse de l’observation des commandements divins est celui des êtres saints qui ont été glorifiés. A partir de cette vérité, Saint Grégoire met en exergue le fait que «si tous les Chrétiens ne peuvent égaler les saints et les grandes, merveilleuses réalisations, généralement inimitables, qui caractérisent la vie de ceux-ci, ils peuvent et doivent les imiter et les suivre sur le chemin de la repentance. Car quotidiennement, ils «commettent de nombreuses fautes sans le savoir». Pour nous tous, le seul espoir de salut demeure, selon Saint Grégoire, l’adoption et la pratique de «la persistance dans le repentir». (Homélie 28).
Les remords, conditions de l’ascétisme.
Les divins remords, que les Pères nomment «affliction», est une condition fondamentale à la délivrance des liens des passions et, au début, à la source du repentir. Dans ses travaux, Saint Grégoire fait souvent allusion à cette «affliction» et à l’état de joyeuse souffrance que les Chrétiens doivent traverser s’ils veulent vivre la vraie vie. C’est la raison pour laquelle il n’hésite pas à nommer le Grand Carême, suprême époque de l’affliction et de la lutte spirituelle, symbole des temps présents et préalable à la résurrection de la vie des croyants. Saint Grégoire vécut vraiment la divine repentance et disait que ses profonds soupirs «éclairaient ses ténèbres». Il ne pouvait dès lors envisager que quiconque passât d’une vie de péché à «la vraie vie», sans les remords et le repentir. Il disait que lorsque la faculté de perception directe, le ‘noûs’, est libéré de tout objet de perception, il s’élève au-dessus du tourbillon des choses du monde et peut voir la personne intérieure, car elle est en mesure de percevoir ce qu’il nomme «le masque hideux» que l’âme s’est acquis à travers ses pérégrinations dans les choses du monde. Il se hâte alors de récurer cette souillure au moyen des larmes du repentir. (A Propos de Saint Pierre l’Athonite). Au plus l’homme s’écarte des préoccupations mondaines et revient à lui-même, au plus il devient réceptif à la miséricorde divine. Le Christ dit la louange de ceux qui s’affligent de leurs péchés et de la perte du salut, causée par le péché. C’est la raison pour laquelle ces remords sont dits «bénis».
Bien que selon la tradition patristique et ascétique, l’affliction soit un fruit divin, elle présuppose toutefois la coopération de l’homme ; et cela requiert l’humilité, le contrôle de soi, les mortifications, le jeûne, la vigilance, et surtout, la prière. Cet acharnement à cultiver les vertus et à aspirer à atteindre les divins remords est renforcé par l’expérience de l’hésychasme, qui confirme que cette ‘affliction’ ne mène pas à une forme de débilité ni au désespoir, mais crée en l’homme les conditions permettant de faire l’expérience de la réjouissance et du réconfort spirituels et selon Palamas, «de la douce joie». (L’Étranger). Et lorsque l’affliction aide le ‘noûs’ à lever le voile des passions, elle l’introduit doucement au sein des vrais trésors de l’âme et l’accoutume à la prière «en secret» au Père.
Nombreuses sont les raisons qui devraient pousser le fidèle à l’affliction. Tout comme les disciples du Seigneur furent attristés quand ils furent privés «du vrai bon maître, le Christ», nous, qui faisons cette même expérience du retrait du Christ hors de notre vie, nous devrions être habités de cette même tristesse et la cultiver. (Homélie 29).
Il est une autre raison de s’affliger : l’expulsion du règne de la vérité au paradis vers celui des souffrances et des passions. Si cette chute est tellement douloureuse, c’est parce qu’elle contient tout le drame de notre exil loin de Dieu, la perte de l’entretien «de personne à personne» avec Lui, de la vie éternelle et de la glorification avec les anges. Saint Grégoire demande qui a jamais pris conscience de la perte de toutes ces choses sans en être affligé. Et il presse tous les croyants qui vivent «dans la conscience de cette privation» de s’affliger et de laver, à l’aide des divins remords, les «taches des péchés». (Homélie 29). Cette exhortation de la part du Saint est entièrement en accord avec l’exhortation et l’expérience de l’Église, qui dans l’hymnographie de la semaine des laitages, appelle les Chrétiens, à la veille du Grand Carême, à se souvenir de l’exil du Paradis qui nous a été confisqué, et de s’affliger de cette perte. (A suivre)