Le Cathigoumène Ephrem du Grand et Saint Monastère de Vatopedi s’est rendu le 13 juin 2016 au Monastère de la Mère de Dieu à Veria, en Macédoine, et il y a prononcé l’homélie suivante, qui développe avec force l’essence du message que nous transmet le Saint Archevêque Luc de Crimée. L’adaptation en langue anglaise de l’homélie a été mise en ligne dans les pages anglaises du site Pemptousia les 13, 15 et 17 juin 2016. En voici la traduction.
La plupart des gens, même chrétiens, éprouvent frustration, découragement et inquiétude face aux inévitables chagrins de la vie: «C’est par beaucoup de tribulations qu’il nous faut entrer dans le royaume de Dieu» (Actes 14,22). Les afflictions de cette vie ne doivent pas être regardées à travers le prisme transitoire des raisonnements, mais plutôt à travers celui de l’éternité. Notre vie prend son sens et le sens des chagrins de la vie nous est révélé lorsque qu’ils prennent la forme du chemin de croix qu’il nous appartient de parcourir pour atteindre sanctification et salut.
Saint Luc, le médecin et Archevêque de Crimée est l’un des saints qui réellement vécurent le chemin de la Croix. Grâce à cette expérience et au don de la Grâce divine qu’il avait en abondance, il parlait, enseignait et il fut un exemple pour tous les fidèles alors qu’il endura sans plainte ou murmure les chagrins et les persécutions. Il vécut pendant la pire période de l’histoire européenne en Union Soviétique, pays hostile à toute religion et à la liberté. Au cours de sa vie, il lutta en qualité de médecin, de citoyen ordinaire, de prêtre, et de hiérarque, à travers deux guerres mondiales, et des décennies marquées par les mouvements et les révolutions. Muni de sa conscience chrétienne, il fit face à des douzaines de hauts représentants du parti, et aux pressions qu’ils exercèrent sur lui. Il fut persécuté, calomnié, exilé ; les tourments, la prison en Sibérie et le froid glacial auraient pu le tuer plus de dix fois. La Divine Providence œuvra merveilleusement tout au long de sa vie. Sa simple survie pendant de long mois dans des conditions extrêmes relève du miracle surprenant, pour tout lecteur du récit de sa vie. Les puissances du monde auraient dû venir à bout de sa résistance, au moyen de toutes leurs machinations, et d’aucuns auraient pu imaginer que la Seconde guerre Mondiale et Staline auraient donné le coup de grâce. Mais finalement, Saint Luc survécut à tout cela, et réalisa de grandes choses. Il fit l’expérience de l’intervention et de l’action de Dieu tout au long de sa vie adulte. Et nous parlons ici d’un laps de temps de plus de cinquante années!
Dieu lui fit don de grands talents en qualité de médecin, mais il reçut également les dons de guérison, d’enseignement et de prophétie. Il rendit l’espoir et la force spirituelle à un peuple souffrant qui avait été privé de sa liberté, de son histoire, de sa religion. En qualité de médecin, il sauvait les corps mortels, mais en qualité de prêtre et d’évêque, il sauvait les corps et les âmes immortelles. Il devint l’intermédiaire entre le peuple et Dieu, celui qui révélait et interprétait la volonté de Dieu à autrui, même à ceux qui avaient oublié Dieu ou qui Lui étaient hostiles. Il fit preuve d’une patience incroyable, d’une endurance de martyr, dans toutes les afflictions extrêmes qui marquèrent sa vie. Sa patience était très vraisemblablement ancrée à sa conscience monastique. Lorsqu’ils reçoivent la tonsure, les moines promettent «la patience jusqu’à la mort». Sur la Sainte Montagne, nous ne souhaitons pas au novice qui vient d’être tonsuré de faire preuve de «patience, mais de «patiences». En recourant au pluriel nous voulons souligner d’une part la multitude et l’ampleur des afflictions qui s’abattront sur la vie du moine et d’autre part la puissance de la patience en Christ, qui surmonte toute affliction.
Saint Luc attesta lui-même de l’importance que revêtait pour lui le monachisme. Dans une lettre à son fils aîné, Mikhaïl, il écrivit : «Souviens-toi, Mikhaïl, de ce que ma vie de moine, le serment que j’ai prêté lorsque je le devins, ma mission, ma décision de servir le Seigneur, sont pour moi le devoir le plus sacré et le plus supérieur. J’ai sincèrement et de tout mon cœur renoncé à toutes les choses de ce monde».
Saint Luc supporta avec courage non seulement le décès de son épouse, ses maladies, sa cécité, mais aussi toutes les moqueries, tous les reproches, les accusations fausses, les calomnies, les interrogatoires interminables et absurdes, les persécutions, l’exil, les horribles tortures et les emprisonnements injustes auxquels il fut soumis par les exécutants de l’État totalitaire de son époque. Et tout cela pour l’amour du Christ, au nom du Christ. Il retint ses révélations pour la fin, craignant qu’elles puissent lui coûter la vie. Lorsqu’ils le forcèrent à ôter l’icône de la Mère de Dieu de la salle d’opération, il cessa d’opérer. Les opérations ne reprirent qu’après que l’icône eût été de nouveau accrochée au mur. Voilà à quoi ressemblaient ses dispositions spirituelles, qui lui permirent de tenir et de supporter toutes les épreuves. Il résista car il puisait ses forces dans la Grâce divine. Avec Saint Paul, il pouvait dire : «Non pas moi toutefois, mais la grâce de Dieu qui est avec moi» (1Cor 15,10).
Mais Saint Luc éprouvait lui aussi la tristesse et l’amertume devant la trahison de ses propres amis et collègues qui déposaient contre lui de faux témoignages, y compris celui selon lequel il aurait été ‘un agent des puissances hostiles à l’État soviétique’. Ses amis devinrent ses accusateurs. Mais l’évêque Luc en devint plus fort, et inébranlable. Jamais il n’accusa quiconque, malgré les tortures horribles et la pression psychologique terrible. Et non seulement cela. Il alla jusqu’à justifier les agissements de ces hommes, affirmant qu’aucun de ses accusateurs ne croyait ce qu’il affirmait. Cet élan venait du fond de son cœur, car il observait le commandement du Christ selon lequel nous devons aimer nos ennemis eux-mêmes. Fort de cette expérience forgée à travers afflictions et persécutions, il élabora son propre enseignement concernant le sens des épreuves dans la vie humaine. Nous l’entendons dans ses sermons et ses lettres.
Saint Luc nous dit que «c’est seulement à la suite de l’affliction, par le chemin des afflictions, que nous pouvons sauver nos âmes». L’époque contemporaine est un temps d’affliction et de grandes épreuves. C’est donc une époque bienvenue ; tout ce dont nous avons besoin pour sauver nos âmes, c’est d’endurer les afflictions. Tel est le chemin des vrais Chrétiens». Il nous remémore Saint Antoine le Grand, qui disait : «Si on supprime les tentations, personne ne sera sauvé». Dans ce passage de Saint Antoine, le sens du terme tentation est exactement le même que celui d’affliction ou d’épreuve.
Saint Luc soulignait qu’il «est important que chaque Chrétien prenne conscience de ce que nos afflictions nous sont envoyées conformément à la volonté du Seigneur, qui toujours est bonne et rédemptrice. Le plus souvent, elles ne nous sont pas envoyées pour nous punir de nos péchés mais pour redresser notre chemin et notre cœur, ou comme réponse à une demande que nous avons adressée à Dieu. Les hommes s’attendent souvent à ce que Dieu leur donne ce qu’ils ont demandé dans leurs prières de la manière qu’ils considèrent eux-mêmes comme étant adéquate. Mais Dieu répond très souvent à leurs supplications d’une façon complètement différente de ce qu’ils souhaitaient ou imaginaient. S’ils ont demandé à Dieu de leur accorder, par exemple, l’humilité, et imaginé que celle-ci allait croître lentement, jour après jour, en leur cœur, le Seigneur peut agir différemment en permettant que leur soit asséné un coup dur qui blesse leur égoïsme et leur fierté, et les humilie. Souvent le Seigneur nous envoie des maladies et nous nous en plaignons, sans penser qu’il s’agit d’une grande bénédiction de Dieu. Il peut effectivement s’agir de la réponse de Dieu à nos prières Lui demandant d’augmenter notre foi. Nous devons accepter toutes les épreuves et les afflictions que Dieu nous envoie, avec grande humilité et sans aucune plainte, dans l’humble conviction qu’à travers elles, ce n’est pas la colère de Dieu qui s’abat sur nous, mais c’est Dieu qui nous guide. Il n’y a pas de colère en Dieu. Dieu est amour. Et l’amour parfait est étranger à toute forme d’injustice».
Saint Luc associait nos afflictions à la croix personnelle que nous devons porter sur nos épaules et qui distingue le mode de vie chrétien des autres modes de vie. Dans l’un de ses sermons, il dit de façon toute caractéristique : «Notre vie, la vie de chaque homme, de chaque femme, est douleur et affliction. Toutes ces afflictions dans notre vie sociale et familiale forment notre croix. L’échec d’un mariage, un choix professionnel malheureux, ne nous causent-ils pas douleur et affliction? Mais ceux qui doivent les endurer ne doivent-ils pas faire preuve de courage pour les traverser? Les maladies graves, le mépris, le déshonneur, la perte des biens, la jalousie entre époux, la calomnie et tout le mal que l’on nous fait, n’est-ce pas cela notre croix? C’est exactement notre croix, celle de la grande majorité des gens. Il s’agit d’afflictions que portent hommes et femmes, et nous devons les endurer, mais la plupart des gens s’y refusent. Toutefois, même ceux qui haïssent le Christ et refusent de marcher à Sa suite doivent, eux aussi, porter leur croix de souffrance. Quelle différence existe-t-il entre eux et les Chrétiens ? Les Chrétiens portent leur croix avec patience et ne murmurent pas contre Dieu. Ils tournent humblement le regard vers la terre et endurent jusqu’à la fin de leur vie, marchant dans les pas de notre Seigneur Jésus Christ. Ils le font pour le Christ et Son Évangile, ils le font par fervent amour pour Lui, leurs pensées imprégnées des enseignements évangéliques.
Pour mettre en pratique l’enseignement de l’Évangile et suivre les pas du Christ, l’homme doit porter sa croix, infatigablement, humblement. Il ne doit pas la maudire ; il doit la bénir. Alors seulement, ayant renoncé à lui-même, il observe le commandement du Christ, marchant sur Ses pas en portant sa propre croix. Et il Le suivra sur un long chemin ; le Seigneur dit que le chemin qui mène au Royaume des Cieux est rempli d’afflictions, et la porte d’entrée en est fort étroite. Il nous plairait que notre chemin soit large, dépourvu de nids-de-poules, de cailloux, d’épines et de boue. On aimerait aussi qu’il soit fleuri. Mais le Seigneur nous a indiqué une voie différente, la voie de la souffrance. Mais ce qu’il faut savoir, c’est que sur ce chemin, tout ardu qu’il fût, si de tout notre cœur nous nous tournons vers le Christ, alors, de façon miraculeuse et inexplicable, Il nous aidera, Il nous soutiendra, Il nous donnera Sa force, Il nous réconfortera. Alors nous comprendrons les paroles de Saint Paul : «Car nos légères afflictions du moment présent produisent pour nous, au delà de toute mesure, un poids éternel de gloire» (2Cor 4,17), et les afflictions de cette vie passagères se feront très légères pour nous.
Il voyait en l’affliction la croix qui conduit à la résurrection et disait : «Nous devons sacrifier nos passions, nos désirs et nos souhaits à Dieu et aux autres. Et tout comme le Seigneur qui éleva la Croix terrible jusqu’en haut du Golgotha, nous devons prendre notre croix sur les épaules, nous souvenant que nous empruntons la voie du service à Dieu et à autrui. C’est le seul chemin qui puisse nous mener, par le Golgotha, à la Résurrection». Saint Luc aimait le Christ de tout son être, tout comme il aimait de la même façon les gens qu’il servait dans une totale abnégation. Il aimait l’Église du Christ dont il comprenait parfaitement le rôle et le but. Il disait à ce propos : «La céleste bénédiction nous vient de l’Église, et par l’Église, et son succès se manifeste dans les œuvres et les talents des hommes».
Toutefois, à son époque, marquée par l’adversité et les persécutions, l’administration de l’Église représenta pour lui une véritable épreuve. A l’été 1956, il écrivait à son fils : «Il devient de plus en plus malaisé de régler les affaires de l’Église. Les églises ferment les unes après les autres et on compte de moins en moins de prêtres… A certains endroits, il s’en suit une réaction sous forme de révolte contre mon autorité». En 1960, dans une autre lettre à son fils, il écrivait : «La gestion des affaires de l’Église est devenue une énorme épreuve pour moi. Le représentant de l’État, l’ennemi de l’Église du Christ, s’approprie de plus en plus mes droits épiscopaux et en fait un usage néfaste en intervenant intempestivement dans les affaires de l’Église… Le combat contre un prêtre exceptionnellement mauvais a duré plus de deux mois. A Djankoï, la rébellion contre l’autorité épiscopale dure depuis deux ans et est encouragée par les gens du KGB. Ils ont tellement de raisons d’écourter ma vie».
Il faut rechercher la joie et la paix de l’âme dans l’extinction du ‘corps du péché’ (Rom. 6,6) et le cheminement dans les pas du Christ. La vie chrétienne n’est pas une vie de confort ; c’est une joute contre les afflictions et les épreuves du monde qui donnent à la Croix toute sa signification. Tant que nous ne nous débarrassons pas du ‘corps du péché’, qui lie l’homme au monde du péché, le fruit de l’Esprit ne peut mûrir. Si l’homme accepte la souffrance et l’affliction avec foi et patience, il voit que le Christ marche à ses côtés. Alors, il voit la vraie lumière ; en lui s’opère une transformation qui l’améliore ; et il goûte cette joie et cette paix que jamais on ne pourra lui retirer. Il s’agit de la joie et de la paix que le Christ apporta au monde quand Il vint sous Sa forme humaine ; avant la Croix, sur la Croix et après la Croix et la Résurrection. Ce sont la joie et la paix de Son Royaume imprenable. En dépit des moqueries dont on L’accablait sur le Golgotha, le Christ était dans la paix, car Il était en train de ‘monter vers Son Père, vers notre Père’. En dépit de la souffrance et du déshonneur infligés par la Croix, le Christ, rayonnement de la gloire du Père, était en paix, car, devenant l’unique sauveur du monde, Il était en train de réconcilier le genre humain avec Dieu.
Nous voyons la même chose se passer avec Saint Luc de Crimée. Il porta ses afflictions, sa croix, et il atteignit la résurrection. Il devint le disciple parfait du Christ, le réconciliateur, l’intermédiaire entre Dieu et les hommes. Les disciples parfaits du Christ sont ceux qui patiemment endurent les afflictions et les tentations qui surviennent non pas de par leur faute, mais pour l’amour du Christ. Le Christ Lui-même le confesse: «Vous, vous êtes ceux qui avez persévéré avec moi dans mes épreuves ; c’est pourquoi je dispose du Royaume en votre faveur, comme mon Père en a disposé en ma faveur, afin que vous mangiez et buviez à ma table dans mon Royaume, et que vous soyez assis sur des trônes…» (Luc 22,28-30). On voit clairement comment le Christ récompensera ceux qui, par amour pour Lui, auront patiemment enduré les afflictions, persécutions et tentations. Et Il souligne, dans la dernière Béatitude: «Heureux serez-vous, lorsqu’on vous outragera, qu’on vous persécutera et qu’on dira faussement de vous toute sorte de mal, à cause de moi. Réjouissez-vous et soyez dans l’allégresse, parce que votre récompense sera grande dans les cieux; car c’est ainsi qu’on a persécuté les prophètes qui ont été avant vous» (Mat. 5,11-12).
Saint Luc de Crimée est la vivante confirmation de cette Béatitude. Il devint le parfait disciple du Christ. Son cœur fut «dilaté en son affliction», comme dit le psaume (Ps, 4,2) et il put y accueillir le Christ et tous les êtres humains souffrants et affligés. Il devint un saint thaumaturge agissant de par le monde entier, partout où son nom est invoqué. Pas seulement, donc, en Russie et en Crimée, mais ici en Grèce et tout particulièrement à Veria, où sont préservées ses reliques, sources de Grâce, dans cette merveilleuse église érigée à l’initiative du Métropolite Panteleimon. La présence de Saint Luc est tangible, et le nombre des miracles qu’il a accompli est infini. Faisons donc appel à lui, avec foi et amour, pour qu’il nous donne la force de porter notre croix, celle des afflictions et des persécutions que nous devons endurer en nos vies. Amen.
Saint Père Luc, Prie Dieu pour nous.