Vladimir Igorievitch Karpets s’en est allé auprès du Père le 27 janvier 2017, emporté par l’aggravation soudaine d’une maladie. La traduction de plusieurs de ses textes a été proposée sur ce site, ici. En guise d’hommage à Vladimir Igorievitch, Orthodoxe du Vieux Rite (edinoverie), le texte ci-dessous est composé d’extraits de plusieurs articles publiés dans la presse russe suite à son décès, et principalement de l’entretien accordé à la chaîne russe «Tsargrad TV» (qui n’a aucun lien avec le présent site, sinon celui du nom et de quelques idées partagées).
Avant de quitter Leningrad, Vladimir Igorievitch pratiqua à titre professionnel la cueillette des champignons, ensuite, il obtint son diplôme de droit à l’Université d’État de Moscou, enseigna le droit à l’École Supérieure d’Économie et à la Faculté de Sociologie de l’Université de l’État de Moscou. Il écrivit des romans, des poèmes, des scénarios de films qu’il réalisa ensuite, des ouvrages tels qu’une biographie de Fiodor Glinka, et aussi «La Rus’ Mérovéenne», «Windsors contre Riourikides», «Le Social-Monarchisme», «Lignée Impériale », et de nombreux travaux dans le domaine de la jurisprudence.
Dans un de ses travaux, Vladimir Igorievitch écrivit : «Si elle doit jamais être restaurée, la future monarchie russe ne reproduira pas mécaniquement les modèles moscovites, pétersbourgeois ou staliniens. Elle sera spirituelle (au sens de la fidélité à l’Orthodoxie et à la symphonie entre l’État et l’Église). Sur le plan de la structure sociale, elle représentera l’héritage de la Rus’ de Moscou, sur le plan juridique (…) elle sera l’héritière de l’Empire de Russie, pour résoudre les questions sociales, économiques et militaires, et technologiques, elle puisera dans l’expérience soviétique, et elle en expurgera la ‘tache de naissance du marxisme’ et surtout le totalitarisme idéologique (…). Il n’est pas nécessaire de produire tout cela à l’avenir, il est nécessaire de le comprendre aujourd’hui.»
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«Vladimir Karpets est mort, homme puissant, stoïque, illuminateur, encyclopédiste, homme d’une compréhension rare du cours de l’histoire russe. Chacun des moments de celle-ci, chacun de ses fragments, lui était précieux. Karpets voyait le temps russe comme un courant ininterrompu de lumière messianique persistant depuis les temps anciens jusqu’au dramatique actuel Cinquième Empire. Il appartient à cette cohorte de penseurs et historiosophes dont les racines qui nourrissaient leur savoir se trouvaient à l’époque rouge. En ce sens, il fut homme soviétique, doté d’une méthodologie et d’une minutie soviétiques, tout en confessant des vues monarchistes. Karpets s’immergeait dans les finesses dynastiques. Il connaissait tout, en matière de couronne russe, qui fut ‘brillante’, qui tomba de la tête de l’Empereur et qui, espérait-il, brillerait à nouveau un jour sur la Russie. Mais Vladimir Igorievitch comprenait que la grandeur de l’histoire de Russie est liée au grandiose projet rouge que couronnèrent la Victoire dans la Grande Guerre Patriotique et le vol dans le cosmos. Karpets chanta ce qui est russe, et il chanta ce grand chant jusqu’aux derniers jours de sa vie. Une lourde maladie l’a emporté, mais elle ne l’a pas brisé et jusqu’aux derniers moments nous avons pu lire ses publications profondément imprégnées de sa foi religieuse, de sa foi en la Russie».
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«La vie est une très grande seconde ».
Les funérailles et l’inhumation du grand penseur et philosophe Orthodoxe russe, poète et homme bon, Vladimir Karpets ont eu lieu ce lundi 30 janvier 2017. A la fin de l’année 2016, la chaîne de télévision Tsargrad a réalisé l’entretien suivant avec Vladimir Karpets, dans lequel l’intellectuel russe abordait les questions du rôle des forêts en Russie, la mission des grandes puissances, l’éternité et l’inexistence principielle de l’athéisme.
Vladimir Igorievitch, la cueillette des champignons fait partie de vos centres d’intérêt…
V.K. : Effectivement, je m’y connais assez bien en ce domaine.
D’habitude, les hommes s’occupent de chasse, de pêche, et beaucoup moins de cueillette, mais il est vrai que tout un chacun prend plaisir à cueillir des champignons ; ceux-ci sont des êtres vivants avec lesquels nous entretenons une certaine relation…
V.K. : Effectivement, il en va ainsi. La vie fit que dès mon enfance je commençai à m’en occuper ; je vivais encore à Saint Petersbourg, on disait alors Leningrad, avec mes parents. Tout cela commença donc sur l’isthme de Carélie. J’étais encore tout petit. Dans tous mes souvenirs de mon enfance, je m’occupe de champignons. Et ce qui fut le plus pénible pour moi au cours de mes longues périodes de maladies, alors que je devais rester allongé, ce fut l’impossibilité de m’occuper des champignons. Il s’agit vraiment d’un domaine de la réalité vivante qui se distingue nettement de tous les autres, animal, humain, minéral… Il s’agit de quelque chose de très particulier. Le champignon comprend l’homme ; cela ne fait aucun doute. On connaît la fameuse loi du champignon blanc : si tu le regardes, il cesse de croître. C’est l’expérience, répétée d’innombrables fois, qui m’a convaincu de cela. Soit il flétrit, soit il disparaît purement et simplement.
Vous voulez dire que le champignon est capable de s’en aller ?
V.K. : Je n’en sais rien. Mais toutefois, de nombreux peuples ne mangent pas les champignons. Même les Scandinaves, qui formaient jadis une seule communauté avec nous, s’en méfient. Ils disent que c’est la nourriture des trolls. Chez nous, dans le Nord, on les appelle parfois la nourriture du lutin. Mais, même s’il s’agit de nourriture de lutins, chez nous, on les mange. Mais les Scandinaves s’en méfient, aujourd’hui encore.
Mais depuis des temps anciens, les Scandinaves ne mangent pas de champignons…
V.K. : Depuis ces temps anciens ils n’en mangent pas, par respect pour leurs «voisins trolls». Il s’agit, comme on dit, d’une réalité culturelle. Car les Français, les Italiens et les Allemands, par exemple, ils en mangent…
C’est très intéressant, ce que vous expliquez à propos des champignons, particulièrement maintenant, en cette période de crise économique. Pendant la belle arrière-saison de ‘l’automne doré’, il est possible de renouveler ou de constituer la réserve de nourriture…
V.K. : Je me souviens des vers de Grégoire Ivanov [extraits d’un poème évoquant l’écrivain Ivan Tourgueniev. N.d.T. ]:
«… l’heure n’était pas encore venue pour la tempête
D’effacer l’automne doré du servage.»
Il composa ces vers au début des années ’30 ; cela explique l’expression remarquable d’ «automne doré du servage». Bien sûr, l’automne doré conduit naturellement à penser à l’hiver, il en va toujours ainsi. Mais je ne réduirais pas la notion d’hiver à la seule crise économique. Cette notion peut véritablement s’illustrer par le fait qu’aujourd’hui nous revenons à notre mission de grande puissance et que notre ennemi est prêt à tout pour nous en empêcher. Et les pires situations pourraient être provoquées, les plus effroyables. A un certain moment, les gens devraient réfléchir à cela et à eux-mêmes. Ces choses ne peuvent être exclues. Et dans pareilles circonstances, les forêts de Russies pourraient nous venir à l’aide. Pas seulement elles, mais elles aussi.
Oui, le chemin de la Russie vers son statut de grande puissance traversera bien des buissons d’épines ; cela ne fait aucun doute.
V.K. : C’est certain. Bien sûr, les paroles de notre Président sont justes, mais nous devons nous attendre à encaisser de puissants contrecoups. Nous devons nous y préparer dès maintenant. Chacun d’entre nous devrait s’en occuper dès maintenant, chacun à la place qu’il occupe. Jamais il ne faut céder à la panique, car dès que l’on y cède, la situation s’aggrave rapidement. L’armée doit s’y préparer de son côté, mais les civils doivent aussi y réfléchir.
L’essentiel n’est-il pas de prendre conscience de soi en fonction de l’éternité ?
V.K. : Absolument. Absolument, parce que nous savons dans ce contexte qu’en aucun cas nous ne pouvons dédaigner la vie présente. Ce serait un péché. Mais nous devons savoir ce qu’est cette vie que nous aimons, à laquelle, disons, nous tenons. Elle semble n’être qu’une très grande seconde, finalement même pas une seconde, mais plutôt rien, face à l’éternité. Mais l’éternité semble n’être rien face à l’instant que nous vivons. C’est ainsi qu’existe le fameux signe du huit, symbolisant l’éternité qui engloutit tout. Mais il existe une différence essentielle entre la vision du monde reposant sur la tradition, quelle que soit celle-ci, et la vision du monde propre à l’homme contemporain. Ce dernier considère qu’il arrive ici lors de sa naissance physique et s’en va lors de sa mort physique. Un point, c’est tout. A son époque, Saint Seraphim de Sarov parla, dans son entretien avec Motovilov, de ceux qui veulent acquérir les biens de ce monde. Et cela concernait même ceux qui, à son époque, étaient convaincus de leur bonne intention, ceux qui limitaient leur existence à la seule vie terrestre. Cela concernait, bien entendu, les révolutionnaires de l’époque, les décembristes qui, avant tout, étaient préoccupés par les ‘biens de ce monde’. Mais il a pris également ce concept dans une acception plus large. Et l’idée selon laquelle nous ne vivons ici qu’en une vie terrestre engendre toutes sortes d’illusions, telles que, par exemple, les droits de l’homme. En d’autres termes, si l’Éternité existe, il n’y a pas de ‘droits de l’homme’. Et si les ‘droits de l’homme’ existent, l’Éternité n’existe pas. Car tous les droits dont on jouit ici sont ensuite réduits à rien et c’était précisément le sujet de la controverse entre le Tsar Ivan le Terrible et le Prince Kourbski. C’était un dialogue très radical portant sur ce sujet. Le Prince Kourbski reprochait au Souverain de recourir à des méthodes qu’il considérait être en contradiction avec la loi de Moïse, comme il l’écrivit très précisément. Et le Souverain lui répondit que si l’homme vit seulement ici, il a tort. Et si l’homme vit dans l’Éternité, si l’homme ne meurt pas lors de la mort, alors tout ce qui lui arrive ici est son sacrifice, pour sa rédemption et la rémission de ses péchés, une sorte d’épitimie qui ne serait pas imposée par l’Église. Et la controverse porta alors sur le droit qu’il avait, en tant que Tsar, de faire ces choses. Ivan le Terrible soulignait qu’il avait été oint précisément pour agir de telle façon. Kourbski contestait cela, adoptant alors la position que nous définirions aujourd’hui comme celle de la monarchie constitutionnelle. Mais il s’agit alors d’une controverse de second ordre. Celle de premier ordre qui les opposait consistait à savoir si la souffrance, la torture, la punition sont bons ou mauvais pour l’homme. Ivan le Terrible affirmait qu’ils étaient incontestablement bons car, en supportant les tourments terrestres, l’homme reçoit alors une bénédiction éternelle qui annihile ces tourments. L’Éternité détruit l’instant. Le Prince Kourbski défendait la position de l’instant.
Cela signifie-t-il qu’il existe un certain équilibre ?
V.K. : Il s’agit en fait d’une correspondance fondamentale, que nous pouvons considérer comme la clé de tous les problèmes contemporains, depuis la prospérité économique jusqu’à la fameuse question des droits de l’homme. Il est évident que des maniaques et des sadiques, du genre de ceux de ‘l’État Islamique’, y compris ceux qui occuperaient le pouvoir, profiteront de l’argument pour en abuser en le déformant.
Mais en quoi réside le problème ? Le Tsar de Russie, Ivan le Terrible, insiste sur l’impassibilité de l’autorité lorsqu’elle remplit son rôle, et par conséquent, son rôle sotériologique. Tous les maniaques et sadiques politiques qui penseraient remplir un rôle précis, sub specie aeternitatis, dirait-on, face à l’Éternité, y introduisent le sentiment de leur propre puissance et de leur propre satisfaction. Cela n’en devient pas simplement négatif, cela se retourne contre eux. En d’autres termes, le problème de la souffrance politique, de la patience dans cette souffrance, comme lors de la privation de droits de l’homme, est un problème sotériologique, mais elle peut dans une mesure importante influer sur le salut ou la damnation de celui qui remplit une fonction implacable, comme celle aboutissant à priver d’un droit.
En réalité, tout homme croit en Dieu.
Entre nous, cela est compréhensible. Vous et moi sommes Orthodoxes, nous nous situons dans le cadre d’une anthropologie traditionnelle ; nous acceptons donc cela et nous n’en doutons pas. Mais pour l’homme qui ne croit pas, qu’en est-il de la question de la sotériologie? Ou alors faudrait-il admettre que tout homme croit en Dieu?
V.K. : En effet, vous savez, tout homme croit en Dieu. Mais il donne chaque un nom différent à Dieu. Vous connaissez très bien la théologie apophatique. C’est précisément cela que signifie la tradition des Saints Pères, à commencer par Saint Denys l’Aréopagite… En fait, je cite Denys l’Aréopagite parce que les noms de Dieu peuvent être tellement variés ; l’un d’eux pourrait être «Dieu n’existe pas». Pareille position est pleinement soutenue par la philosophie du XXe siècle… Il en va de même lorsque l’athéisme devient religion, avec le soutien des sciences contemporaines et des théories de la physique. Ainsi, il est tout à fait possible de nommer Dieu par les mots «Dieu n’existe pas»… Alors, quand quelqu’un dit «Dieu n’existe pas», par là même il nomme Dieu. C’est très important. Il prononce quoi qu’il en soit le nom de Dieu, en l’appelant «Dieu n’existe pas». C’est l’athéisme qui n’existe pas. C’est ainsi. Aujourd’hui, il n’existe pas.
Traduit du russe
Source
Царствие Небесное и вечная память Владимиру Игоревичу !