Le Métropolite Athanasios de Limassol partage avec nous, dans son livre «Le Cœur Ouvert de l’Église», publié en 2016 par les Éditions du Monastère de la Sainte Rencontre à Moscou, l’immense trésor de l’expérience spirituelle qu’il a accumulée au cours des six décennies de sa vie, dans sa prière, au contact de ses frères et sœurs en Christ, et surtout au contact des saints de notre Église qu’il a eu la grâce de rencontrer. Le texte précédent évoquait Saint Porphyrios le Kavsokalivite et concernait la première partie du chapitre original en russe, le texte ci-dessous, en propose la suite. Nous avons traduit ce chapitre des pages 89 à 122 du livre précité.
Passons maintenant à un récit différent. J’en fus informé par le héros de cette histoire, l’an dernier, alors que j’étais à Athènes. Une dame fortunée, fille spirituelle de Geronda Porphyrios avait un fils, amoureux d’une jeune fille d’Athènes. Il n’était pas pratiquant ni ne faisait confiance aux prêtres et à tout ce qui était lié à l’Église. Le jeune homme était donc amoureux de la jeune fille, mais celle-ci ne plaisait pas à la mère. Je ne sais pourquoi, mais c’était ainsi. Finalement, la mère s’adressa à Geronda Porphyrios : «Finalement, Geronda, cette fille convient-elle à mon fils?» Et il répondit «Non, ma chère, elle ne lui convient pas». «Mais comment vais-je faire pour le convaincre?» «Dis-lui de venir me voir afin que nous parlions ensemble». La mère formula donc cette proposition à son fils, mais il réagit en disant «Non, je n’irai pas je ne sais trop où, voir je ne sais quel geronda qui me racontera je ne sais quoi». Et il n’alla nulle part.
Le jeune homme était millionnaire ; il disposait de vraiment beaucoup d’argent. Il lui vint à l’idée d’aller à Londres en compagnie de son amie et de lui présenter là-bas, sa demande officielle. Il déclara donc à ses parents qu’il allait se fiancer avec cette demoiselle, que cela leur plaise ou non : «Tout est décidé. Je l’emmène et nous allons nous fiancer, et vous faites ce que vous voulez». La mère alla raconter tout cela à Geronda. «Et bien, alors, dis-lui qu’il pourrait peut-être me téléphoner maintenant, puisqu’il part à Londres, pour recevoir ma bénédiction avant la cérémonie. Et fais-en une condition. Dis-lui : Fils, je te donne ma bénédiction pour que tu épouses cette jeune fille, si tu acceptes de téléphoner à Geronda Porphyrios». La mère donna à son fils le numéro de téléphone de Geronda et lui dit : «Bon, puisque tu aimes cette jeune fille, épouse-là. Mais à une condition ; avant de vous fiancer, avant de lui promettre le mariage, téléphone à Geronda Porphyrios et demande-lui sa bénédiction. Si tu fais cela, il n’y aura plus aucune objection de notre part. Tu pourras l’épouser et tu ne seras pas privé de ton héritage». C’est le jeune homme lui-même qui me rapporta ces propos. Le fils répondit «Si c’est cela l’unique problème, alors, je lui téléphonerai». Il partit pour Londres. Lorsqu’ils furent installés, la jeune fille et lui, dans leur chambre d’hôtel, il descendit à la réception pour obtenir l’autorisation d’y utiliser le téléphone. La jeune fille ignorait tout de cet appel téléphonique ; il ne lui en avait pas parlé, cela l’embarrassait. Comment aurait-il pu lui expliquer ? Allait-il dire qu’il devait téléphoner à un moine aveugle ? Elle ne comprendrait sans doute pas. Il appela donc Geronda «C’est Dimitri, Geronda, je voudrais vous demander votre bénédiction». Geronda Porphyrios répondit «Attends une minute, ne raccroche pas le combiné». Un grésillement retentit dans le téléphone et l’appel fut dévié vers la ligne directe de sa chambre. Imaginez un peu cela, dans un hôtel comptant trois cents chambres. Ainsi donc, son appel se connecta à la ligne téléphonique de sa chambre où la jeune fille était demeurée seule. Il entendit immédiatement qu’elle était elle-même en ligne, en conversation avec un ami d’Athènes et disant à celui-ci : «Nous sommes arrivés à Londres. Aujourd’hui, il va me dire qu’il veut m’épouser, et nous allons nous fiancer. Alors, je pourrai commencer à le dévaliser. Quand je lui aurai pris tout son argent, je reviendrai auprès de toi, car c’est toi seul que j’aime», et ainsi de suite. Le jeune homme, stupéfait, avait entendu la conversation entre la jeune fille et son ami. Un grésillement résonna de nouveau sur la ligne, et puis, ces mots de Geronda «Que veux-tu, mon enfant?» «Rien, Geronda, bénissez!», répondit-il. Après cela, il raccrocha le combiné et mit immédiatement un terme à cette relation qui aurait causé son malheur.
Un jour, les sœurs d’un monastère situé juste à côté de Salamine, au large d’Athènes, s’en allèrent rendre une visite au Monastère Saint Jean le Théologien à Arta. Elles s’y rendirent en autocar. Celui-ci était rempli de moniales, environ quarante ou quarante-cinq. Sur le chemin du retour, un arrêt était organisé à Athènes, pour prendre la bénédiction de Geronda Porphyrios. Dans la mesure où l’horaire était serré, l’higoumène annonça «Mes Sœurs, nous prendrons juste la bénédiction de Geronda et nous nous remettrons de suite en route. Nous ne pourrons pas nous attarder ni discuter, nous embrasserons la main de Geronda, et nous partirons. Il se fait déjà tard, et il faut encore rejoindre notre monastère. Il nous faudra quatre heures si nous ne traînons pas et cinq si nous ne pouvons nous hâter. Si la nuit tombe, nous n’y arriverons pas». Elles entrèrent toutes auprès de Geronda, qui se réjouissait de voir arriver tant de moniales. Et il leur dit de s’asseoir. Elles ne purent faire autrement, la politesse leur commandait de s’asseoir. Et Geronda entama avec elles une longue conversation. L’higoumène restait assise et se disait «Ma Panagia, que va-t-on faire?» Elle regardait sa montre et le temps s’écoulait. Elle finit par dire «Excusez-moi, Geronda». Et lui de répliquer «Attendez, attendez». «Geronda, nous devons partir.» « Ne vous pressez pas, ne vous pressez pas». «Geronda, le car nous attend.» «Vous y arriverez, vous y arriverez». Cette higoumène me raconta plus tard «J’attendais, j’attendais, j’étais impatiente, je regardais sans cesse ma montre, j’étais comme sur des charbons ardents». Ne pouvant plus tenir, elle finit par se lever, toute agitée et dit «Geronda, pardonnez-nous, mais maintenant, nous devons partir». «Mais pourquoi t’agites-tu de la sorte ? Tu veux partir ? Et bien allez-y.» Les moniales prirent sa bénédiction et se hâtèrent vers l’autocar. Elles n’étaient pas encore toutes assises, le moteur venait de s’allumer, et la dernière moniale arriva en courant, disant : «Geronda appelle l’higoumène!» Il n’y avait rien à faire, l’higoumène sortit de l’autocar, courut auprès de Geronda et demanda : «Qu’y a-t-il Geronda?» Il lui répondit «Tu sais, on a organisé ici une station de radio ecclésiastique et elle diffuse de très bons programmes. Assieds-toi, je vais la brancher pour que tu puisses écouter». Elle s’assit, Geronda appuya sur le bouton de l’émetteur et lui fit écouter l’émission retransmise depuis une église du Pirée. C’est à peine si elle ne devint pas folle. Elle finit par perdre son calme et implora : «Geronda, s’il vous plaît, je dois partir, je ne peux plus rester». «Mais il ne faut pas, ma chère, tu y arriveras!» Geronda poursuivit en souriant : «Tu y arriveras, tu y arriveras, ne crie pas!» Elle regardait sa montre et le temps passait ; 19h30, 19h40, 19h45, 19h50… Elle se morfondait : «Sainte Mère de Dieu, à quelle heure rentrerons-nous au monastère cette nuit ? A deux heures du matin?» «Je sais que j’ai quitté sa cellule à 20h10, car j’ai alors regardé ma montre.»
Au moment où elle sortait, Geronda lui dit «Il y a ici près de moi une jeune fille. Pourriez-vous la déposer à Athènes?» L’higoumène raconta plus tard qu’elle pensa à ce moment «Et voici qu’il va falloir aller jusqu’au centre d’Athènes ! Mais à quelle heure sortirons-nous de la ville, alors?» Mais dans la mesure où Geronda le lui avait demandé, il ne lui restait qu’à répondre avec respect «Bien entendu, nous allons l’emmener». Elles quittèrent donc Geronda, accompagnée par la jeune fille, à 20h10. A l’entrée d’Athènes, un intense embouteillage les ralentit et en plus, le chauffeur dût arrêter pour faire le plein du réservoir. Elles escomptaient donc un voyage de cinq heures pour rejoindre le monastère. L’higoumène s’inquiétait, se disant qu’elles n’arriveraient au monastère que vers deux heures du matin. Qui allait leur ouvrir à une telle heure. Que faire ? Mais lorsqu’elles arrivèrent, pour une raison incompréhensible, le monastère était éclairé, et une moniale attendait à la porte, les priant d’entrer. L’higoumène se fâcha alors de ce qu’à une telle heure, dans le monastère on ne dorme pas. Elle voulait tancer les moniales, mais elle se retint à cause de la présence d’hôtes. Elle souhaita la bienvenue à ceux-ci et rassembla ensuite les moniales : «Comment se fait-il que vous ne dormiez pas à pareille heure? N’avez-vous pas honte, devant les hôtes? Il est si tard!». Elles étaient assemblées dans la salle, faisant place à celles qui arrivaient. L’higoumène s’interrogeait «Qu’est-ce qui leur est passé par la tête pour rester debout jusqu’à une heure aussi tardive?» Elle dit ensuite «Asseyez-vous pour manger». Elles dirent : «Nous vous attendions». «Mais qu’est-ce qui vous a pris de nous attendre jusque deux heures du matin pour manger?» Les moniales ébahies se regardaient l’une l’autre. «Mais qu’arrive-t-il à notre higoumène?» «Ce qui m’arrive ? Mais est-ce normal de demeurer affamée aussi longtemps ? Et vous attendez notre retour jusqu’au milieu de la nuit ! Quelle heure est-il donc maintenant?» Elle regarda sa montre. Il était 20h20.
Comment une telle chose est-elle possible, mes chers amis ? Pouvez-vous imaginer ce que cela signifie ? En dix minutes fut parcourue une distance demandant cinq heures. Évidemment, si elle avait été seule, on aurait pu dire qu’elle avait l’esprit confus et racontait des sottises. Mais c’était un plein autocar. C’est l’higoumène elle-même qui me rapporta tout cela. Le lendemain matin, Geronda lui téléphona et demanda : «Tu as trouvé le monastère ouvert?»
Avant cette histoire, l’higoumène souffrait du cœur et avait dû subir une intervention chirurgicale. C’est à cette occasion qu’elle rencontra Geronda Porphyrios qu’elle ne connaissait pas auparavant. Après l’opération, elle retourna au monastère et se joignit à la communauté pour les vigiles. Comme elle chantait très bien, les moniales lui demandèrent de chanter. Elle se senti portée et se joignit au chœur. Mais une fois arrivé au Trisagion, il faut étirer la voix jusqu’à atteindre une note très haute. Et elle chanta alors comme le font les femmes qui ont une voix très haute, alors que sa voix était plutôt une voix basse. Elle poussa sa voix, chanta très fort, sentit qu’à l’intérieur quelque chose craquait et comprit que quelque chose venait d’être endommagé. A cette époque, elle ne connaissait pas Geronda Porphyrios, et lui, ne la connaissait pas non plus. Lorsque l’office fut terminé, elle rentra dans sa cellule. A quatre heures du matin, le téléphone sonna. Elle décrocha le combiné, étonnée que quelqu’un puisse lui téléphoner à une telle heure. Elle se présenta et entendit ceci : « C’est le Père Porphyrios, d’Athènes, d’Oropo». «Enchantée, Geronda.» Elle avait bien sûr déjà entendu parler de lui. Il continua «Quelle sorte d’Immortel as-tu donc chanté ? On vient juste de t’opérer ! Heureusement, l’Immortel t’a entendu et t’a sauvée de la mort. La manière dont tu as chanté aurait dû te tuer, tu ne devais pas sortir vivante de là!» L’higoumène fut tout à fait troublée. Comment ce Geronda pouvait-il savoir, comment a-t-il pu entendre ce chant? (A suivre)
Traduit du russe.