Le Métropolite Athanasios de Limassol partage avec nous, dans son livre «Le Cœur Ouvert de l’Église», publié en 2016 par les Éditions du Monastère de la Sainte Rencontre à Moscou, l’immense trésor de l’expérience spirituelle qu’il a accumulée au cours des six décennies de sa vie, dans sa prière, au contact de ses frères et sœurs en Christ, et surtout au contact des saints de notre Église qu’il a eu la grâce de rencontrer. Le texte précédent se rapportait à Saint Païssios l’Athonite, le chapitre ci-dessous, divisé en trois parties évoque Saint Porphyrios le Kavsokalivite, et est traduit des pages 89 à 122 du livre précité.
Je veux vous parler de quelqu’un qui décéda un 2 décembre, un saint de notre époque, un grand saint. Et je ne vais pas simplement raconter son histoire ; je voudrais que nous voyions que tout ce qu’enseigne l’Église, tout ce dont on parle dans l’Église, peut s’incarner dans la vie réelle.Geronda Porphyrios, c’est sous ce nom qu’il était connu, décéda en 1992. Sans doute avez-vous entendu parler de ce grand homme. Dieu m’a trouvé digne de le connaître personnellement, et même de le connaître de près. J’ai séjourné auprès de lui à de très nombreuses reprises. Dans la mesure où il était moine de l’Athos, c’est sur la Sainte Montagne qu’il décéda, et c’est là aussi que je l’ai rencontré. Peut-être suis-je également un des derniers à qui il parla. Nous avons eu une conversation téléphonique, le jour même de son décès. Ce geronda, mes bien-aimés, fut une des grandes manifestations de notre temps. On a écrit beaucoup de livres à son propos, sur base de récits de témoins oculaires. On remplirait de nombreux tomes si on écrivait les récits de ceux qui se sont tenus auprès de lui.
La famille de Geronda Porphyrios était originaire d’Asie Mineure, mais lui-même naquit dans les environs d’Athènes. Tout enfant, il lut la vie de Saint Jean le Kalivite, un saint plutôt inhabituel. Un jour, celui-ci décida de quitter la maison paternelle. Il devint moine et après de nombreuses années choisit de s’en retourner auprès de ses parents. Ceux-ci pleuraient et se lamentaient d’avoir perdu leur unique et précieux enfant. Saint Jean passa environ une trentaine d’années auprès d’eux. Il s’agissait de gens très fortunés. Mais le saint s’était établi dans une cahute, une misérable kaliva qu’ils lui avaient fait construire, car ils l’avaient pris pour un mendiant. Et il vivait dans cette cabane, dans le jardin de sa maison, les serviteurs se moquant de lui, lui jetant quelques reliefs de leur repas, le persécutant et se moquant de lui. Mais il ne changea rien à son mode de vie, persistant de la sorte jusqu’à sa mort. Juste avant celle-ci, il remit à ses parents un Évangile manuscrit que sa mère lui avait donné longtemps auparavant. Et ainsi, ils découvrirent qu’il s’agissait de leur fils. Mais il mourut. Ce petit Évangile manuscrit de Saint Jean le Kalivite est préservé de nos jours encore à la Sainte Montagne. Saint Porphyrios devait avoir douze ou treize ans quand il lut la vie de Saint Jean le Kalivite. Il ressentit alors un immense amour pour le Christ et décida de devenir moine. Mais à cette époque, ce n’était pas chose aisée que de se rendre sur l’Athos. La Sainte Montagne se trouve loin du monde. Il fit deux tentatives, qui demeurèrent vaines, mais la troisième fut la bonne, et à quinze ans, il se retrouva sur le Mont Athos, à la skite de la Kavsokalivia, une des skites les plus éloignées et isolées, tout au bout de la péninsule athonite. Dans ce coin de la presqu’île, il n’y a que des rochers. Je le sais car j’y ai séjourné également, à la Skite Nouvelle. Skite Nouvelle, Sainte Anne, Katounakia, Kavsokalivia, sont formées de petites habitations, les kalivas, accrochées aux pentes du Mont Athos, dans ces lieux où n’existent que pierre et roc.
Pour monter de la mer jusqu’à la kaliva de Saint Porphyrios, il faut se hisser pendant quarante cinq minutes de dure grimpée vers les hauteurs de l’escarpement. Il faut avoir de l’entraînement pour parvenir à vivre dans de tels lieux. Arrivé sur place, le futur geronda demanda à un vertueux ancien de le guider. A dix-sept ans, alors qu’il accomplissait ses obédiences auprès de son père spirituel et était immergé dans la vie ascétique, le don de prophétie commença à se manifester en lui. Dans son cœur se manifestait ce don du Saint Esprit qui lui dévoilait le déroulement d’événements futurs, passés ou présents.
A dix neuf ans, il tomba gravement malade d’une inflammation des poumons. Les anciens le renvoyèrent dans le monde, à Athènes, pour se faire soigner. Mais les médecins ne l’autorisèrent pas à retourner à la Sainte Montagne. Et un jour, alors qu’il était âgé de dix-neuf ou vingt ans, il rencontra l’Archevêque Porphyrios du Sinaï et s’entretint avec lui. Le jeune homme révéla à l’Archevêque (N.d.T. Higoumène du Monastère Sainte Catherine du Sinaï) ce qui se passait dans le monastère de celui-ci, alors qu’il n’y avait jamais mis les pieds. Il lui décrivit le monastère, de même que chacun des moines en particulier, les difficultés que chacun d’eux rencontrait et la manière dont l’Archevêque devait se comporter dans les situations qui découlaient de ces problèmes. L’Archevêque, stupéfait, l’ordonna d’abord diacre et ensuite prêtre, lui donnant le nom de Porphyrios et lui accordant sa bénédiction pour agir en tant que confesseur et père spirituel malgré son tout jeune âge.
Père Porphyrios demeura à Athènes et commença son service dans l’église de l’hôpital à la Place Omonia. Cet hôpital existe encore de nos jours, et il comprend une petite église dédiée à Saint Gérasime. Le Père Porphyrios en fut le recteur. A partir de ce moment, une multitude de dons divins se manifestèrent en Saint Porphyrios. Par exemple, de nombreux malades venaient à lui et il diagnostiquait correctement leur maladie. Il guidait et corrigeait même certains médecins, leur expliquant de quoi souffraient certains malades. Les médecins témoignaient eux-mêmes de ce qu’ils allaient demander au Père Porphyrios de déterminer les pathologies de certains patients.
Par la suite, Geronda se rendit maintes fois sur l’Athos et souhaitait ardemment y rester, mais sa santé était tellement faible qu’elle ne le lui permit pas. Chaque fois qu’il faisait le voyage de l’Athos, il y tombait malade, et on le renvoyait. Et ensuite, il recommençait. Il fit sans cesse l’aller-retour entre Athènes et la Sainte Montagne. Extérieurement, la vie de Saint Porphyrios ne revêtait aucun caractère exceptionnel ; il menait la vie habituelle du prêtre de cette époque. Bien sûr, Geronda était un homme immergé dans la prière. Il vivait dans une sorte de caravane, dans la forêt à côté d’Athènes. A cette époque, Athènes était entourée de bois. Maintenant, il n’y en a plus car on y a mis le feu et tout a brûlé. Il demeurait donc dans des endroits retirés et descendait la journée accomplir son service à l’église de l’hôpital. Vers la fin de sa vie, il sentit sa mort approcher. Ayant rédigé un testament, il quitta Athènes pour le Mont Athos, à la Kavsokalivia, et décéda le 2 décembre 1992. Voici donc ce que fut sa vie extérieure, résumée en quelques mots.
Passons maintenant aux aspects extraordinaires de cet homme. Nous fîmes connaissance du fait que nous étions voisins à la Sainte Montagne. Je vivais à la Skite Nouvelle, et lui à celle de Kavsokaliva. Nous avions tous entendu parler du fait qu’il jouissait de grands dons reçus de Dieu. Un jour, nous entendîmes qu’il allait arriver à la Kavsokaliva et décidâmes d’aller le rencontrer. Nous arrivâmes un matin. Geronda était dehors, assis près de la porte, et il mangeait. Ce qu’il mangeait, je ne m’en souviens plus ; ce devait être son petit déjeuner. Nous nous sommes approchés et l’avons salué. Il nous dit : «D’où êtes-vous?» «De la Skite Nouvelle». Il continua «Pères, je ne peux pas continuer à parler avec vous car je suis souffrant». Nous répondîmes «Bien-sûr, si ce n’est pas possible, nous n’insistons pas». Geronda rentra ensuite dans sa cellule et s’allongea. Nous prîmes alors le chemin du retour. Nous avions déjà parcouru une grande distance quand un moine vint vers nous et nous dit : «A ce moment de la journée, Geronda se sent toujours mal. Mais l’après-midi, en général, il est mieux. Attendez donc qu’il vous appelle». Nous avions pris une barque pour nous rendre là. Sur l’Athos, nous avions des barques et nous prenions du poisson. Lorsque le moine nous dit tout cela, nous nous trouvions déjà loin de la cellule de Geronda. Mais dès qu’il eut fini de parler, nous entendîmes sonner une cloche. Geronda sonnait toujours la cloche quand il avait besoin de quelque chose. Le moine se rendit auprès de Geronda. Celui-ci lui demanda alors : «Pourquoi as-tu dit aux pères que je me sens mieux l’après-midi?» Il était absolument impossible qu’il nous ait entendus, car nous étions loin. Geronda Porphyrios continua : «Dis-leur de partir car cet après-midi, le temps va se faire mauvais et ils ne pourront plus naviguer avec la barque». Le moine revint donc auprès de nous, s’excusa et expliqua : «Geronda a compris tout ce que je vous ai dit, et il a demandé que vous partiez maintenant car le temps va se dégrader très fort». Nous ne constations aucun signe d’un changement des conditions climatiques, mais Geronda avait ordonné que nous partions. Nous partîmes donc. Nous grimpâmes dans la barque et commençâmes à ramer. Cet après-midi-là, le temps changea brusquement, se faisant fort mauvais. Il se mit à pleuvoir à torrents, si bien qu’il nous aurait été impossible de rentrer, la navigation en barque était trop dangereuse. Ce fut la première rencontre avec Geronda Porphyrios.
La deuxième eut lieu lorsque notre higoumène tomba malade, victime d’une crise cardiaque. Nous étions encore tout jeunes, comme des enfants, et nous croyions qu’il allait mourir. La panique nous saisit ; l’higoumène allait mourir, et que pouvions-nous y faire, seuls dans ce désert ? J’étais le plus effrayé, j’avais seulement vingt trois ans et j’étais le plus jeune. Nous étions une vingtaine de moines. Certaines obligations me dirigèrent vers Thessalonique. Chemin faisant, je rencontrai un moine, disciple de Geronda Porphyrios et il me dit : «Tiens, voici le numéro de téléphone de Geronda, appelle-le, parle-lui. Appelle-le à cinq heures le matin. A cette heure-là, il prend les appels». Je fis comme ce moine m’avait dit. J’appelai à cinq heures du matin tout en me disant que j’étais en train d’éveiller quelqu’un et qu’on allait me houspiller au téléphone. J’attendis, et attendis, mais personne ne décrochait. Je n’avais rien à faire à cette heure et décidai de lire l’Acathiste à la Mère de Dieu avant d’essayer de téléphoner à nouveau. Mais je commençai par prier pour réussir à parler à Geronda. Je lus l’Acathiste, et lorsque j’arrivai à la dernière prière, j’appuyai sur la touche du téléphone. En réalité j’appuyai sur la touche alors que j’étais encore en train de lire l’Acathiste. Juste à la fin de l’Acathiste, Geronda décrocha le téléphone et répondit. Il se trouvait à Athènes. Ayant décroché il dit «Réjouis-Toi, Epouse Inépousée!». Il me dit au téléphone les paroles que j’étais occupé à prononcer dans la prière. Et après seulement il demanda «Qui est-ce?». «Le Père Athanasios du Mont Athos, Geronda». »Pourquoi appelles-tu ?» «Nous avons des difficultés. Notre higoumène est très malade» Et ensuite, mes chers amis, Geronda Porphyrios se mit à décrire avec précision l’état de notre higoumène, tous les symptômes de sa maladie, ce qui allait lui arriver et ce que nous devions faire. Et tout cela par téléphone. Voilà en quoi consista notre conversation.
Plus tard, je suis allé le voir souvent. Nous étions liés. Peu avant son décès je me suis entretenu avec lui au téléphone. Ce fut lorsque notre higoumène voulait me convaincre de retourner à Chypre. Je ne le souhaitais pas et je m’efforçais de trouver l’un ou l’autre ancien qui soutiendrait l’idée que je ne devais pas aller à Chypre et qui parviendrait à en persuader l’higoumène, qui insistait pour que j’y aille. J’avais décidé de m’adresser à un geronda respecté de tous, à qui je dirais : «Il paraît que je dois aller à Chypre». Et s’il me disait «Tu ne dois pas y aller», alors j’aurais un bon argument. Je pourrais dire «Vous voyez, Geronda Porphyrios m’a dit de ne pas y aller». Et je téléphonai à Geronda Porphyrios, qui évidemment me dit que je devais partir à Chypre. Tout ce que je raconte relève de ma connaissance personnelle de Geronda et des contacts que j’ai eus avec lui.
Je vais vous raconter le cas d’une jeune fille de Limassol dont certains d’entre vous se souviennent peut-être, Maria la grande. Elle mesurait plus de deux mètres. A la fin de sa vie, elle était courbée et avançait avec des cannes et ensuite, dans un fauteuil roulant. Elle souffrait de gigantisme, elle était grande, immense, difforme. Elle ressemblait à une créature monstrueuse, elle avait des mains immenses. Elle chaussait des bottines de pointure cinquante sept. Nous en détenons encore une au monastère. La paume de sa main était trois fois plus grande que la mienne. Le Père Nifon était moine dans notre monastère. Avant d’y enter, il vendait des pommes. Il transportait deux sacs de pommes, et frappait à la porte de chaque maison. Il avait quinze ou seize ans le jour où il alla proposer ses pommes dans le quartier dans lequel habitait Maria. Il frappa à une porte. Celle-ci s’ouvrit et Maria la géante apparut. Saisi d’effroi, il lâcha ses sacs de pommes et s’enfuit. Mais elle avait l’âme tellement douce ; c’était une vraie sainte, et malgré son aspect monstrueux, les petits enfants ne la craignaient pas. Elle consolait beaucoup de gens. En réalité, elle était une mère spirituelle dans le plein sens de l’expression.
Mais au fur et à mesure qu’elle avançait en âge, elle croissait et grandissait… jusqu’à finalement mesurer deux mètres quarante. A la clinique, on avait fixé deux lits l’un à l’autre pour qu’elle puisse s’y allonger. Lorsqu’elle elle mourut, il fallut creuser une tombe immense. Elle fut invitée aux États-Unis, où on voulait procéder à des expériences sur elle et tenter d’identifier la cause de son gigantisme. Elle avait une tumeur à la tête et on lui avait annoncé que cette tumeur compressait les nerfs optiques et qu’elle allait perdre la vue. Maria prit peur et décida d’accepter l’offre de se rendre aux États-Unis, aux frais de l’État, afin qu’on la place en observation et qu’on l’aide à ne pas devenir aveugle, car pour le reste, elle se sentait bien. Aux États-Unis, des médecins se réunirent mais leurs avis divergèrent. Quoiqu’il en soit, ils ne parvinrent pas à déterminer avec précision pourquoi elle était devenue géante, ni encore quels étaient les processus qui se déployaient en elle. La considérant comme un véritable phénomène, des médecins proposèrent d’acquérir son squelette à des fins scientifiques. En entendant cela, Maria prit peur et elle se hâta de prendre l’avion de Boston à Athènes.
Une jeune fille de ses connaissances lui proposa alors : «Viens, allons voir Geronda Porphyrios à Pendeli». Maria n’avait aucune idée de ce que pouvait être un geronda, et elle répondit : «Laisse-moi tranquille, je viens déjà d’aller en Amérique voir des savants. Qu’est-ce que ce petit vieux pourrait bien me dire?». «Allons-y tout de même, il est aveugle et ne parle pas très bien». «D’autant plus s’il est aveugle et s’il ne parle pas très bien! Pourquoi irions-nous écouter ce qu’il pourrait bien marmonner?» Maria parlait de la sorte, mue par le désespoir. Finalement, elle se laissa convaincre d’aller voir Geronda. Elle fut accompagnée par sa maman, (Madame Konstancia, qui vit encore à ce jour), une moniale et un petit groupe d’autres gens. Ils arrivèrent là où vivait Geronda Porphyrios et entrèrent dans sa cellule. Geronda était devenu aveugle. Alors qu’ils entraient, il dit à Maria «Pourquoi n’es-tu pas venue quand ton amie a essayé de te convaincre ? Parce que j’allais juste marmonner?» Il reprit les paroles exactes que Maria avait prononcées. Elle se troubla, ne comprenant pas ce qui se passait. Geronda lui demanda : «Qu’est-ce que tu as?». Elle répondit en pleurant «Geronda, je suis en train de perdre la vue». «Non, tu ne vas pas perdre la vue, mon enfant, mais tes os vont se briser». «Non Geronda, mes os sont sains, tout va bien de ce côté mais je vais perdre la vue». «Non, pas la vue, les os». Pour la troisième fois, Maria affirma «Geronda, la vue». «Non ma chère, pas la vue. Ce sont tes os qui vont s’effondrer». Mais elle ne comprenait pas. Geronda lui ordonna de se mettre à genoux, ce qu’elle fit. Ensuite, Geronda plaça sa main sur la tête de Maria et commença à prier. Comme Maria me le raconta elle-même plus tard, elle eut l’impression que toute sa tête se mettait à bouillir. Ensuite, Geronda lui dit : «Tu ne perdras pas la vue, mais tes os vont s’effriter, et ils perceront vers l’extérieur». Elle ne pouvait y croire. «Mais les médecins m’ont pourtant assuré que tout était en ordre du côté de mes os». Geronda lui demanda alors «Mais la raison pour laquelle tout cela t’arrive, les médecins te l’ont-ils expliquée?» «Non, Geronda, ils n’ont pas trouvé la cause. Ils ont dit que c’était du gigantisme, mais la raison, ils ne l’ont pas identifiée». Geronda s’adressa alors à la mère de Maria «Tu te souviens, lorsque tu étais enceinte de Maria?» Mais celle-ci avait déjà quarante trois ans à ce moment-là ; la pauvre Madame Konstancia était bien âgée et ne put que répondre : «Oui, Geronda, je me souviens, enfin plus ou moins». «Tu te rappelles quand tu arrivas au second mois de ta grossesse, tu as commencé à vomir souvent». «Je me souviens vaguement, Geronda». Tu te souviens que ton mari te conduisit à la consultation du médecin?» «Comment pourrais-je me souvenir de ce médecin aujourd’hui, Geronda?» Et Geronda Porphyrios se mit à tout lui raconter dans l’ordre. «Rappelle-toi comment vous avez pris l’autobus au village, et comment vous en êtes descendus sur la place». Et le geronda aveugle décrivit la place telle qu’elle était quarante ans plus tôt. «Ensuite, ton mari t’a emmenée dans une rue… » Et il décrivit la rue, si bien que Konstancia se rappelait. «Ton mari te conduisit alors à l’entrée du cabinet médical, dont la porte était verte. Et tu es entrée. Tu te souviens?» «Oui, je m’en souviens.» «Tu as expliqué que tu vomissais souvent parce que tu étais enceinte. Et il te remit une petite boîte de cachets. Elle contenait quinze cachets, tu te rappelles?» «Je me rappelle, Geronda.» «Seulement voilà, ces cachets étaient destinés à soigner l’épilepsie. Le médecin s’est trompé et t’a donné un médicament pour épileptique. Tu les as pris, et le fœtus s’est déformé, c’est pourquoi tu donnas naissance à une telle fille». Plus tard cette explication fut soumise à des scientifiques, qui tous confirmèrent sa validité. Qu’advint-il ensuite? La vue de Maria se stabilisa, mais ses os s’émiettèrent. Un jour, alors que je me trouvais à ses côtés un os perça la peau et apparut à l’extérieur. Comme Geronda l’avait annoncé, ses os se fracturèrent et s’effritèrent. Quand Maria fut sortie de la cellule de Geronda, il dit : «C’est une sainte». (A suivre)
Traduit du russe.