tom6oblogka3Le tome 6 de la série « L’Athos russe aux XIXe et XXe siècles », intitulé «История Русского Свято-Пантелеимонова монастыря на Афоне с 1912 до 2010 года» (Histoire du Monastère russe de Saint Panteleimon sur l’Athos de 1912 à 2015) reprend en son chapitre 1, pages 108 à 117, l’article rédigé en russe par Madame Olga Petrounine, Docteur en Histoire, Doyenne de la Faculté d’Histoire de l’Université d’État Lomonossov de Moscou, dont nous proposons la suite et la fin de la traduction ci-après.

La proposition russe de tenir à Saint-Pétersbourg une conférence des États balkaniques fut en fait sabotée par les Bulgares, qui surestimèrent leurs propres forces. Tentant de prendre de vitesse ses alliées d’hier et adversaires de l’heure, la nuit du 30 juin, la Bulgarie passa à l’offensive contre les positions serbes et grecques en Macédoine. La Seconde Guerre Balkanique avait démarré. Le commandement bulgare avait planifié une guerre-éclair pour obtenir satisfaction des exigences de son pays. Mais dès le lendemain de cette offensive, la faillite de ce plan apparaissait clairement. Les troupes bulgares reçurent l’ordre de cesser le feu, mais il était déjà trop tard. Les Grecs et les Serbes avaient une excellent prétexte pour la mise en œuvre de leurs propres plans. Et ils décidèrent de contre-attaquer. Constantin, le nouveau Roi de Grèce, chassa les Bulgares de Thessalonique et engrangea plusieurs victoires sur l’armée bulgare. Apprenant cela, le 10 juillet, la Roumanie entra en guerre, de même que, le 13 juillet, la Turquie. Nonobstant son potentiel de puissance dominante du moment dans les Balkans, la Bulgarie ne put combattre sur les quatre fronts en même temps. Le 31 juillet, elle capitula.
Dans pareilles conditions, il ne pouvait être question de collaboration dans la résolution de la question du Mont Athos. A ce moment, les dirigeants grecs, usant de leur avantage, entamèrent un processus d’intégration de l’Athos dans le Royaume de Grèce. Alors, ce ne furent plus seulement les États orthodoxes qui manifestèrent un intérêt pour la destinée de la Sainte Montagne, mais aussi les Grandes Puissances.

Représentants belkaniques signataires de la Conférence de Londres
Représentants balkaniques signataires de la Conférence de Londres

En juillet-août 1913 se tint à Londres la Conférence des Ambassadeurs des Grandes Puissances au sujet des suites des Guerres Balkaniques. Et la question de l’Athos faisait partie de l’ordre du jour. Au cours des entretiens, le projet russe se heurta à la résistance de l’Autriche-Hongrie et les diplomates russes n’obtinrent pas son acceptation pleine et entière. Seul son premier volet recueillit un accord général : le maintien de la Sainte Montagne sous le pouvoir du Patriarche de Constantinople. Quant au second volet concernant un protectorat constitué par l’ensemble des États Orthodoxes, il ne fut pas concrétisé dans les décisions de la conférence et sa discussion fut reportée en raison des désaccords apparus. L’information, transmise par B.S. Seraphimov, selon laquelle «à Londres on a pris la décision d’instituer un condominium», c’est-à-dire un protectorat de tous les États orthodoxes, sur le Mont Athos, suscita l’inquiétude particulière des Athonites grecs.

Constantin de Grèce
Constantin de Grèce

Ils s’empressèrent d’adresser au Roi de Grèce et à la communauté internationale, à travers la Conférence de Londres, une demande d’annexion du Mont Athos à la Grèce. En octobre 1913, le quotidien grec ‘Embros’ commenta les événements qui se déroulaient sur la Sainte Montagne : «Karyes, le 6 octobre. L’assemblée des moines de la Sainte Montagne qui s’est tenue aujourd’hui a réuni un grand nombre de participants. Elle s’est déroulée dans l’église du Saint Précurseur. Il y fut décidé d’adresser au Roi Constantin et à la Conférence de Londres une demande de rattachement à la Grèce. La décision fut approuvée par les représentants de tous les monastères, sauf le russe, dont le représentant n’a pas été autorisé à participer à l’assemblée par le Secrétaire de l’Ambassade de Russie à Constantinople, Boris Seraphimov. La signature de cette décision constitua une minute émouvante, alors que les moines chantaient les paroles d’Esaïe : «Dieu est avec nous! Puissants vous serez abaissés», et personne ne put demeurer insensible. Les moines étaient prêts à résister jusqu’à la mort en martyrs».
Le correspondant du quotidien restitue avec fidélité l’ambiance régnant parmi les moines grecs. Sous la direction du Métropolite Meletios (Metaxakis) de Kition, qui prononça «une plaidoirie extrêmement éloquente, élégante, utile et touchante jusqu’aux larmes» promettant aux moines la couronne éternelle de martyrs, les représentants des monastères grecs et les représentants de Zographou et de Chilandar, qu’ils étaient parvenus à convaincre, signèrent la résolution exigeant de réunir le Mont Athos à la Grèce et priant Constantin Ier, Roi de Grèce, qu’ils désignaient sous le nom de Constantin XII, le considérant comme l’héritier des empereurs byzantins, d’empêcher l’internationalisation de l’Athos en le plaçant sous la patronage de tous les États orthodoxes. Ils estimaient qu’un tel retournement équivaudrait à leur imposer un nouveau joug en remplacement de celui dont venait de les délivrer l’armée du «Grand Roi des Grecs». Pour le cas où leur requête ne serait pas acceptée, les signataires promettaient de résister par tous les moyens. L’énoncé de ces événements par le correspondant d’Embros comporte toutefois des erreurs. La grande assemblée athonite se déroula non pas le 6 octobre, comme mentionné, mais le 3. Le 6 octobre, la Sainte Epistasie rédigea une lettre d’accompagnement adressée aux instances auxquelles on se proposait de remettre la résolution : le Roi Constantin, le Premier Ministre Venizélos, le Patriarche de Constantinople Germanos V, les Ministres des Affaires Étrangères de Russie, de Serbie, de Roumanie et du Monténégro, ainsi que les participants à la conférence de Londres. La position du monastère russe telle que rapportée dans le journal et selon laquelle son représentant aurait été empêché par B. Seraphimov de se joindre aux Grecs, ne correspond absolument pas aux documents officiels de la Sainte Assemblée athonite. Dans ces documents, il est souligné que les représentants du monastère russe (le hiéromoine Pimène et ensuite le hiéromoine Agathodore) participèrent à toutes ses sessions et apposèrent leurs signatures au bas des protocoles, tout en refusant de signer la résolution concernant l’intégration de l’Athos en Grèce invoquant la nécessité de consulter leur monastère en la cause.
A la mi-octobre 1913, une délégation athonite composée de représentants de quatre monastères grecs ainsi que de Chilandar se rendit à Athènes où elle remit la résolution de la Sainte Assemblée et la lettre d’accompagnement au Roi Constantin et au Premier-Ministre Vénizelos, et elle rencontra l’Archevêque d’ Athènes ainsi que d’autres personnes. Les délégués athonites se présentaient comme les porte-paroles de la volonté et des intérêts de toute la Sainte Montagne, ou plus justement, de ses 19 vingtièmes puisque 19 monastères sur 20 avaient signé la résolution. Toutefois, comme nous l’avons déjà vu, cette malicieuse statistique ne reflétait pas la situation ethnique réelle de l’Athos. Partout, les délégués reçurent chaleureux accueil et promesses encourageantes.

Elefterios Venizelos
Elefterios Venizelos

Dans la mesure où la Conférence de Londres avait cessé ses travaux, la question du statut de l’Athos n’avait pas été résolue et chaque partie tentait d’interpréter ces circonstances à son avantage. C’est ainsi que la partie russe considérait que son combat n’était pas terminé alors que les Grecs estimaient que les puissances avaient tacitement approuvé son annexion de l’Athos. Mais la résistance active de la Russie les incita à rechercher une solution de compromis susceptible de satisfaire les deux parties. Les intérêts des autres États orthodoxes ne furent pas pris en compte dans ce calcul. A la Conférence de Londres, le Premier-Ministre de Grèce, E. Vénizelos exprima son accord avec le plan russe de neutralisation de l’Athos, mais après la conférence, sa position se mit à évoluer progressivement. Pour commencer, au plan russe, les Grecs répondirent par une proposition d’un condominium gréco-russe sur l’Athos. Toutefois, un tel projet était désavantageux pour les Russes car sa mise en œuvre aurait signifié une accentuation de la rivalité russo-grecque sur l’Athos, et inévitablement, une dégradation des relations entre les deux pays. Entretemps, le Gouvernement grec maintint un détachement armé sur l’Athos et finit par cesser d’évoquer la possibilité d’un condominium bipartite ; les Grecs présumaient, judicieusement, que les autres puissances européennes tenteraient d’empêcher tout renforcement de l’influence russe en Méditerranée et préféreraient donner l’Athos aux Grecs. C’est finalement ce qui se produisit. Le Traité de Paix de Bucarest mit fin à la Seconde Guerre Balkanique. Il fut signé le 28 juillet/ 10 août 1913 par les représentants de la Roumanie, de la Grèce, du Monténégro et de la Serbie, d’une part, et de la Bulgarie de l’autre, et résolut les différends territoriaux qui opposaient ces pays, et selon ses termes, la Bulgarie cédait le Sud de la Dobrouja à la Roumanie, une partie de ses acquisitions macédoniennes était cédée à la Grèce et une autre à la Serbie, et la Grèce reçut l’Égée et le port de Kavala. Il ne restait à la Bulgarie que la Thrace occidentale, avec Alexandroupolis. En septembre 1913 fut un traité fut signé entre la Bulgarie et la Turquie, à Constantinople, en conséquence duquel la Turquie reprenait une partie de la Thrace orientale, avec Andrinople et Medeia. Le Traité de Paix de Bucarest mentionne, à la 5e page, le renoncement de la Bulgarie à toute prétention sur l’île de Crète. Les États Balkaniques purent décider entre eux de façon formelle du destin de cette île, mais la question de l’Athos se situait au-delà des limites de leurs compétences. De façon concrète, le texte du Traité ne contient aucune mention de la péninsule athonite. Comme l’écrivit en 1947 S.V. Troitskii, qui en 1913 effectua un séjour à la Sainte Montagne, en relation avec les troubles liés à «l’affaire des adorateurs du Nom», le Traité de Bucarest «intégra tacitement le Mont Athos à la Grèce» dans la mesure où les Grandes Puissances avaient déclaré «qu’elles ne poursuivaient aucun intérêt particulier sur l’Athos». Les juristes grecs défendirent ce point de vue favorable à la Grèce. Il était impossible d’admettre une telle interprétation du Traité de Bucarest, pour deux raisons. Tout d’abord, comme en témoignent certaines sources diplomatiques russes, à la conférence de paix de Bucarest, «la question de l’Athos ne fut pas complètement examinée» et les négociations à son sujet se poursuivirent au cours des années suivantes. Deuxièmement, les questions qualifiées dans un traité précédent de litigieuses ne peuvent, évidemment, être résolues ‘tacitement’.  A Londres, les Grandes Puissances avaient discuté non seulement de la question de l’Athos, mais aussi de celle des îles de la Mer Égée, alors occupées par la Grèce. Cette question fut résolue de façon très claire en 1914 ; le 13 février de cette année, les six puissances mentionnées dans les Accords de Londres adressèrent une note au Gouvernement de Grèce, dans laquelle ils manifestaient leur disposition de remettre la majorité des îles à la Grèce (le reste revenant à la Turquie) sous certaines conditions. Le 21 février 1914, la Grèce exprima son accord quant à ces conditions, et ainsi, le rattachement de ces îles à la Grèce reçu la sanction des Grandes Puissances et fut admis par la communauté internationale. Par contre, la résolution du problème de l’Athos s’avérait plus ardue, et il convenait d’attendre qu’elle fût officialisée dans des actes internationaux. C’est pourquoi le Traité de Bucarest laissait donc la question de l’Athos tout à fait ouverte.

Seconde Guerre balkanique
Seconde Guerre balkanique

Traduit du russe.
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