Dans ce texte, Vladimir Igorievitch Karpets, juriste, orthodoxe Vieux-Croyant, résume en quelque paragraphes le contenu de l’ouvrage de près de 600 pages qu’il a consacré au Social Monarchisme. L’article original a été publié dans le magazine Zavtra le 24 septembre 2014. Aux lecteurs initiés à la langue russe, nous conseillons la lecture du blog de Vladimir Igorievitch.
Plutôt qu’une stricte idéologie, le Social-Monarchisme est la somme de l’histoire russe. Il s’agit d’une mission que l’on peut définir comme suit : la succession historico-spirituelle de la Rus’ antique, de Kiev et Novgorod, mais avant tout de la Rus’ Moscovite, en y incluant la succession Romano-Byzantine (sans bien entendu s’y limiter), la succession légale de l’Empire de Russie, succession avant tout dynastique, sur base du serment de 1613 et de l’oukase de 1796 concernant la famille impériale, et la succession de l’organisation militaire et de l’organisation sociale de l’URSS (déduction faite du marxisme-léninisme qui s’y surajoutait). Toute la «praxis russe» à venir doit être consacrée à la réalisation de cette synthèse. Bien entendu, tout comme on retranchera la dimension marxiste du legs soviétique, il conviendra de procéder de même avec les époques précédentes, et soustraire, par exemple, les liens du servage de l’époque 1762 («Oukaze sur les libertés nobiliaires») – 1862 ainsi que l’occidentalisation des couches sociales supérieures qui y était liée, et le «réformisme ecclésiastique» du XVIIe siècle. Il ne s’agit donc pas d’assurer la continuité d’une situation «brute», mais de la structure qui la porte.
Toutefois, dans la mesure où nous parlons du Social-Monarchisme dans un contexte politique réel, il convient que nous évoquions, fut-ce brièvement ses relations et interactions avec les idéologies politiques contemporaines (qui à notre avis commencent dans le passé).
Pour le Social-Monarchisme, dans le passé russe, ce qui importe surtout, c’est la tradition monarchique patriotique, depuis l’Homélie sur la Loi et la Grâce du Métropolite Hilarion de Kiev, en passant par la lettre du hiéromoine Philothée sur la Troisième Rome, le Livre des Degrés royaux du digne Tsar Ivan Vassilievich ’le Terrible’ et les chartes données par les premiers Romanov, jusqu’à la triade «Orthodoxie, Autocratie, Nation» et les œuvres de Lev Tikhomirov, et Konstantin Leontiev.
La Russie apparaît ainsi comme Non-Occident, défendant sa liberté, hors des «geôles romano-germaniques».
En cela, le Social-Monarchisme est pleinement solidaire avec les slavophiles, et particulièrement avec les eurasistes et les néo-eurasistes (moyennant certaines réserves relatives à l’idéocratie).
Tout regrettable que cela fut, le social-monarchisme ne peut quasi rien retenir des années qui naquirent dans le creuset de la guerre civile de 1917-1922. Reconnaissant le patriotisme, la noblesse personnelle de certains, et l’exploit des Blancs, nous ne pouvons admettre le comportement de la majorité des dirigeants en 1917, leur républicanisme ultérieur et leur indécision (à l’exclusion de quelques figures lumineuses). Il est aisé de constater les limites des projets monarchistes de l’émigration, en général non-réfléchis et tournés uniquement vers le passé (à l’exception des «Petits-Russes» et en partie, de Solonevich, qui par ailleurs tombent souvent dans le «plébéisme culturel»).
«L’histoire rouge» ne commence pour nous qu’après 1924, à partir du moment où Staline lança au sein du parti un appel au peuple (qu’il désigna en tant qu’appel «léninien»), et elle devint alors russe, du moins du point de vue ethnique. Ce processus culmina dans les années 1937-38, quand furent éliminés les «révolutionnaires-léninistes» et commença une restauration partielle de l’Empire, qui ne pu être menée jusqu’à son achèvement, le XXe Congrès consacrant la revanche des «léninistes». Si le stalinisme tardif des années 1943-1953 était parvenu à déployer son architecture d’État et avait été mené à son plein accomplissement, il eut été acceptable. Telle est le rapport au «passé soviétique». Et on en admet de même les conquêtes, comme le bouclier nucléaire, le cosmos russe, les acquis sociaux, la médecine, l’éducation… Le Social-Monarchisme n’est ni une idée «anti-soviétique», ni une idée «soviétique», que cela plaise, ou non.
D’un autre côté, le Social-Monarchisme est bien socialisme, par opposition au capitalisme. Mais, il s’agit d’un autre socialisme, celui de la terre, du zemstvo, rejetant l’essence même du capitalisme, la domination du capital financier et même les intérêts bancaires. Mais il demeure loyal vis-à-vis des activités des entreprises privées dans le domaine de la production, limitées par la responsabilité sociale de ces dernières.
Dans ce domaine, le Social-Monarchisme est plutôt proche de la social-démocratie. Sauf qu’il ne s’agit pas d’une démocratie, ou plus précisément, qu’il s’agit d’une démocratie dans le sens antique du terme, au niveau de l’autonomie des communautés et des régions. La thèse des slavophiles, reprise par le Social-Monarchisme («Au dirigeant la force illimitée de diriger, à la terre, la force illimitée de l’opinion») n’est pas social-démocrate. Mais dans le domaine de l’économie, de nombreuses idées social-démocrates sont tout à fait créatrices. Tout étrange que cela paraisse, de nombreuses formes du socialisme, critiquées comme «classiques» dans le «Manifeste», sont plus acceptables que le «Manifeste» lui-même.
Mais avec le libéralisme, le Social-Monarchisme n’a rien, mais vraiment rien, en commun. Bien sûr on admet la liberté de travail et de création, mais la mise en œuvre de cette liberté est plus solide si elle est débarrassée de la dictature libérale de l’argent et d’une minorité polycriminelle.