Dès 1998, Le Métropolite Hiérotheos a proposé une réflexion susceptible de nous aider à mettre en perspective l’arrivée en Europe occidentale de la très importante vague de migrants musulmans que nous voyons déferler depuis des mois.
Le texte ci-dessous fut rédigé en 1998, (…) alors que certaines nations occidentales encourageaient et soutenaient les Musulmans du Kosovo dans leurs attaques contre la Serbie Orthodoxe. La lecture des lignes ci-dessous confirme la pertinence du propos dans notre situation contemporaine.
Ces derniers temps nous observons un rapprochement entre le Monde Occidental et l’Islam. Les Musulmans se répandent dans les sociétés occidentales et créent des ‘djamias’, des communautés dans les lieux importants. J’ai pu remarquer une semblable recrudescence au Canada, à Vancouver. Le mouvement des Chrétiens occidentaux vers l’Islam se manifeste d’abord dans l’étude du Coran, c’est pourquoi on organise des conférences, des séances d’explication, etc. On constate par ailleurs une ouverture des États chrétiens de l’Occident aux États régis par l’Islam. Évidemment une phobie de l’expansion de l’Islam se développe parallèlement chez les Occidentaux. Nous observons également aujourd’hui une collaboration entre les gouvernements occidentaux et les États musulmans et en même temps, une négligence envers les peuples orthodoxes. Ce qui se produit aujourd’hui dans les Balkans en est un exemple très caractéristique. Je crois vraiment, et je suis en mesure de documenter ma position, qu’il ne s’agit pas seulement d’une démarche de la diplomatie sur l’échiquier international, qui ne concernerait que des intérêts politiques, mais d’un mouvement qui concerne la mentalité elle-même de l’homme occidental.
On a très justement rappelé que l’histoire doit être étudiée en la couplant à la théologie ; l’inverse étant également pertinent. Il est un fait que les choix historiques ont façonné et altéré l’Occident, tout comme les altérations théologiques eurent des conséquences dans le processus de formation des données idéologiques et historiques. Cela signifie que tous les systèmes et schémas idéologiques et politiques créés en Occident, tels que le capitalisme, le marxisme, l’agnosticisme, l’athéisme, les ‘Lumières’, le nihilisme, etc. sont apparus en réaction à une théologie qui fut séparée du contexte théologique original de l’Église Orthodoxe.
C’est à travers ce prisme qu’il faut voir le rapprochement entre le Christianisme occidental et l’Islam. Je suis absolument sûr, même si cela peut à première vue sembler paradoxal, que le Christianisme occidental (le ‘Papisme’ et le Protestantisme) est théologiquement plus semblable à l’Islam que l’Orthodoxie. En Occident prévaut déjà la position du théologien protestant Harnack, selon laquelle l’Orthodoxie serait une version idolâtre du Christianisme. Ainsi, les Occidentaux, dans toute leur théologie et leur mode de vie, comprennent mieux l’Islam que les Orthodoxes.
Je n’ai naturellement pas la possibilité de développer ici ce point fondamental, qui est à mon avis une partie du problème; je ne peux qu’en indiquer brièvement quelques éléments.
L’Islam parle de l’unicité de Dieu et naturellement, de son essence, comme le développera plus tardivement le soufisme, avec une dévaluation simultanée du Christ; développer l’amour entre Dieu et homme devient dès lors impossible. Cette position théologique peut être discernée chez les Chrétiens occidentaux dans la mesure où ils parlent de l’énergie pure de Dieu, de son essence, mais pas de la personne, dans le sens et la signification développés par les Pères du IVe siècle, qui identifient la  personne à l’hypostase. En Occident prévaut un essentialisme (ουσιοκρατία), mais quand il est question de la personne, celle-ci demeure «vide», ‘an-hypostatique’ (ανυπόστατα) et il s’agit d’un personnalisme brut. Ainsi, l’ontologie de la personne et la relation interpersonnelle-hypostatique demeure inintelligible aux Chrétiens occidentaux.
Ensuite, le Coran se distingue également par son anthropocentrisme, de même que son caractère réaliste et sociopolitique. Toutefois, lorsque se développa le soufisme, celui-ci créa un mysticisme associé au néoplatonisme. Les Occidentaux se caractérisent par une mentalité semblable; après avoir socialisé l’Évangile, ils lui ont associé un caractère ontologique, et parlent également d’un mysticisme de type oriental. La Tradition orthodoxe hellénique insiste sur la nécessité d’aborder les problèmes ontologiques sans altérer sa théologie, ce qu’elle dit de Dieu, et elle envisage les phénomènes sociologiques à travers des contextes véritablement théologiques. De cette façon, elle ne sécularise pas le message de la Révélation.
Ainsi, l’Islam promet une félicité sécularisée, l’accomplissement de tous les désirs et sentiments des fidèles, et de plus, la félicité de l’âme pour les fidèles d’Allah. Les Chrétiens occidentaux identifient mieux ce genre de félicité, malgré que la vie ascétique, que connaît l’Église orthodoxe, vise à dépasser cette félicité au moyen de l’ascèse.
Des affinités semblables peuvent être observées dans d’autres domaines, tel celui de la source de la Foi. Pour les Musulmans, le Coran équivaut à la révélation de Dieu et la rédemption du fidèle dépend du Livre et de la manière dont il est lu. Cette mentalité existe également chez les Chrétiens occidentaux, pour lesquels la Bible est la parole de Dieu et unique source de la Foi. C’est pour cela que les Occidentaux ont une meilleure compréhension de la perception musulmane de la révélation que les Orthodoxes. Pour ceux-ci, l’Évangile n’est pas la Révélation, mais la Parole à propos de la Révélation. On peut également constater des affinités entre Chrétiens occidentaux et Musulmans sur les questions de la guerre, de la Théocratie, etc., que nous ne pouvons développer ici.
Je répète que les relations entre État, tradition culturelle et religion ne doivent pas être envisagées seulement dans une dimension politique, mais bien dans un contexte théologique. C’est la raison pour laquelle, aujourd’hui, en Grèce, nous devons accorder une énorme attention à notre Tradition Orthodoxe dans son expression la plus authentique, et en faire un bouclier pour notre Nation. C’est cela qui fait notre noblesse, ce dont Chrétiens occidentaux et Musulmans ne peuvent prendre la mesure, et c’est par conséquent ce qui caractérise la conscience que nous avons de nous-mêmes.
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